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Full text of "Journal"

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University  of  Ottawa 


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^ 


JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE 


CONNU  SOUS  LE  NOM  DE 


CHRONIQUE  SCANDALEUSE 


IMPRIMERIE  DAUPELEY-GOUVERNEUR 
A   NOGENT-LE-ROTROU. 


R'gvSt^S'j 


JOURNAL 

DE 

JEAN   DE   ROYE 


CONNU  SOUS  LE  NOM  DE 


CHRONIQUE  SCANDALEUSE 


1460-1483 


PDBLIE  POUR  LA  SOCIETE  DE  L  HISTOIRE  DE  FRANCE 


BERNARD   DE   MANDROT 


TOME  PREMIER 


A  PARIS 

LIBRAIRIE     RENO 

H.    LADRENS,    SUCCESSEUR 


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LIBRAIRE     DE     LA     SOCIETE     DE     L    HISTOIRE     DE      FRANCE 
RUE   DE    TOURNON,   N*    6 


M  DCGC  XCIV 


270 


EXTRAIT    DU    REGLEMENT. 

Art.  J4.  —  Le  Conseil  désigne  les  ouvrages  à  publier,  et 
choisit  les  personnes  les  plus  capables  d'en  préparer  et  d'en 
suivre  la  publication. 

Il  nomme,  pour  chaque  ouvrage  à  publier,  un  Commissaire 
responsable,  chargé  d'en  surveiller  l'exécution. 

Le  nom  de  l'éditeur  sera  placé  en  tête  de  chaque  volume. 

Aucun  volume  ne  pourra  paraître  sous  le  nom  de  la  Société 
sans  l'autorisation  du  Conseil,  et  s'il  n'est  accompagné  d'une 
déclaration  du  Commissaire  responsable,  portant  que  le  travail 
lui  a  paru  mériter  d'être  publié. 


Le  Commissaire  responsable  soussigné  déclare  que  le  tome  I" 
de  l'édition  du  Journal  de  Jean  de  Roye,  dit  la  Chronique 
ScA:iDALEXiSE,  préparée  par  M.  Bernard  de  Mandrot,  lui  a  paru 
digne  d'être  publié  par  la  Société  de  l'Histoire  de  Frange. 

Fait  à  Paris^  le  25  novembre  ^894. 

Signé  :  A.  LONGNON. 


Certifié  : 
Le  Secrétaire  de  la  Société  de  l'Histoire  de  France, 
A.    DE   BOISLISLE. 


INTRODUCTION 


I. 

Le  Journal  anonyme  vulgairement  connu  sous  le  nom 
de  Chronique  scandaleuse*  est  un  document  dont  les  his- 
toriens du  règne  de  Louis  XI  ont  fait  un  constant  usage. 
Pour  l'histoire  de  Paris  en  particulier,  la  Chronique  cons- 
titue une  source  de  premier  ordre  à  laquelle  se  peut  compa- 
rer le  précieux  Journal  de  Jean  Maupoint  ;  mais  le  récit  de 
Maupoint  s'arrête  au  mois  de  novembre  de  l'année  1469, 
tandis  que  la  Chronique  embrasse  le  règne  de  Louis  XI 
tout  entier.  Aussi  la  Chronique  a-t-elle  été,  depuis  la  fin 
du  XV*  siècle  jusqu'à  nos  jours,  maintes  fois  réimprimée, 
et  l'on  trouvera  plus  loin  la  liste  de  ces  éditions  succes- 
sives; mais  il  convient  d'indiquer  dès  maintenant  que  le  texte 
même  de  cette  Chronique  n'a  été  l'objet  d'aucun  travail 
critique,  et  que,  jusqu'à  ce  jour,  il  a  été  présenté  aux  lec- 
teurs sans  l'appareil  de  notes  indispensable  pour  leur  per- 
mettre d'en  contrôler  et  d'en  compléter  les  informations.  Les 

1.  Au  cours  de  cette  notice  on  emploiera  couramment  cette 
désignation,  bien  qu'elle  soit  inexacte  en  fait,  puisque  l'auteur 
s'est  défendu  très  justement  d'avoir  entrepris  une  Chronique, 
c'est-à-dire  une  relation  officielle.  Ce  titre  de  Chronique  Scan- 
daleuse, dont  l'origine  sera  expliquée,  est  si  connu  qu'il  a  paru 
inutile  de  rompre  avec  un  usage  consacré  par  le  temps,  mais 
Journal  d'un  bourgeois  de  Paris  sous  Louis  XI  serait  préférable. 
I  4 


ij  INTRODUCTION. 

recherches  mêmes  et  les  discussions  des  érudits  qui  ont  tenté 
de  résoudre  les  difficultés  que  présente  l'étude  des  origines 
de  la  Chronique  n'ont,  il  faut  le  dire,  abouti  qu'à  des  résul- 
tats incomplets  ou  erronés,  et  c'est  pourquoi  il  a  paru  qu'il 
y  avait  quelque  intérêt  à  reprendre  cette  étude  et  à  fournir 
enfin  à  ceux  qui  prennent  intérêt  à  l'histoire  du  xv*  siècle 
un  texte  correct  emprunté,  autant  que  possible,  au  manus- 
crit original,  et  accompagné  de  notes  explicatives  ou  cri- 
tiques. On  trouvera  à  la  suite  la  série  complète  des  inter- 
polations, souvent  étendues  et  de  grande  valeur  historique, 
qu'un  autre  anonyme,  serviteur  de  la  maison  de  Cha- 
bannes,  a  intercalées  postérieurement  dans  le  texte  de  la 
Chronique,  et  qu'il  a  consignées  dans  le  manuscrit  actuel- 
lement conservé  à  la  Bibliothèque  nationale  sous  le  n°  481 
du  fonds  Clairambault.  Ce  manuscrit  a  été  l'objet  d'une 
lumineuse  et  très  complète  notice  de  Jules  Quicherat,  qui  a 
publié  en  même  temps  la  plupart  des  interpolations  *  ;  nous 
disons  la  plupart,  parce  que  le  savant  éditeur  n'a  pas  tout 
imprimé,  et  c'est  ainsi  qu'il  a  laissé  de  côté,  entre  autres, 
pour  une  raison  qui  nous  échappe,  un  fragment  important 
sur  l'expédition  du  comte  de  Dammartin,  qui  aboutit  à  l'an- 
nexion, par  le  pouvoir  royal,  des  domaines  de  Jean  V  d'Ar- 
magnac. De  plus,  Quicherat  a,  de  propos  délibéré,  négligé 
de  reproduire  les  portions  du  même  manuscrit  que  J.-B.  Tris- 
tan Lhermite  de  Soliers  a  imprimées  au  xvif  siècle,  de  la 
manière  la  plus  imparfaite,  dans  le  recueil  intitulé,  pour 
mieux  abuser  le  lecteur,  le  Cabinet  du  roy  Louis  XP. 

i.  Bibliothèque  de  l'École  des  chartes,  4^  série,  I,  231-279,  412- 
442,  et  II,  242-267,  556-573.  L'article  est  intitulé  :  un  Manuscrit 
interpolé  de  la  Chronique  scandaleuse.  Tirage  à  part  chez  Tross, 
1857,  in-So  de  124  p. 

2.  Paris,  1661,  in-12.  Reproduit  sous  le  même  titre  au  t.  II  de 


INTRODUCTION.  iij 

Enfin,  il  a  omis  également  certaines  interpolations  publiées 
par  Godefroj  et  Lenglet-Dufresnoy  dans  leurs  Preuves  de 
Commynes.  Sans  compter  que  ces  ouvrages  ne  sont  pas 
dans  les  mains  de  tout  le  monde ,  ceux  qui  ont  eu  besoin 
de  consulter  le  texte  des  interpolations  de  la  Chronique 
savent  qu'il  faut  perdre  beaucoup  de  temps  pour  retrou- 
ver les  passages  de  la  Scandaleuse  auxquels  ces  interpo- 
lations se  rattachent.  Il  a  semblé  utile  par  conséquent,  en 
réimprimant  les  passages  originaux  du  manuscrit  interpolé 
d'une  manière  plus  complète,  nous  ne  voulons  pas  dire 
plus  correcte,  que  ne  l'a  fait  Quicherat,  de  faciliter  la  tâche 
des  lecteurs  par  l'adjonction  au  texte  de  la  Chronique  de 
références,  qui  leur  permettront  de  retrouver  aisément  les 
interpolations  correspondantes  et  feront  mieux  saisir  les 
nuances  que  la  difiérence  des  temps  et  des  opinions  a  intro- 
duites entre  les  deux  récits  d'un  même  fait. 

De  l'origine  de  ces  additions  à  la  Scandaleuse,  Quicherat 
a  fait  une  si  heureuse  recherche  qu'il  a  d'un  seul  coup  épuisé 
le  sujet.  Il  n'est  pas  douteux  qu'un  familier  de  la  maison 
de  Chabannes,  s'appropriant  le  texte  de  la  Chronique,  s'est 
proposé,  probablement  sur  l'ordre  de  Jean  de  Chabannes, 
comte  de  Dammartin,  personnage  assez  peu  scrupuleux, 
paraît-il  S  de  transformer  ce  récit  en  une  chronique  domes- 


l'édition  des  Mémoires  de  Commynes  par  Lenglet-Dufresnoy.  Les 
pièces  et  lettres  données  par  Lhermite  de  Soliers  comme  recueil- 
lies de  diverses  archives  et  «  trésors  »  ont  été  simplement 
copiées  dans  le  ms.  481  de  Clairambault,  ainsi  que  l'a  indiqué 
Quicherat. 

1.  Sur  certaine  lettre  fausse  de  sa  belle-mère  Jeanne,  veuve  de 
l'amiral  de  Bourbon,  qu'il  aurait  fait  fabriquer  afin  de  discréditer 
cette  fille  de  Louis  XI  auprès  du  roi  Louis  XII,  voir  la  curieuse 
déposition  publiée  par  M.  Delisle  dans  Littérature  latine  et  histoire 
du  moyen  âge,  p.  106  et  suiv.  Paris,  1890,  in-S". 


iv  INTRODUCTION. 

tique  destinée  à  mettre  en  lumière  les  grandes  actions  et  les 
notables  aventures  d'Antoine  de  Chabannes,  comte  de  Dam- 
martin.  Cette  transformation,  le  rédacteur  de  l'Interpolée 
l'accomplit  en  ajoutant  au  texte  de  la  Scandaleuse,  qu'il 
transcrivit  presque  sans  modifications,  des  souvenirs  per- 
sonnels ou  des  documents  empruntés  aux  archives  de  la 
maison  qu'il  servait. 

Quicherat  a  démontré  que  le  manuscrit  interpolé  a  dû  être 
composé  entre  l'année  1498,  date  du  divorce  de  Louis  XII, 
et  la  fin  de  1502,  époque  à  laquelle  Jean  Lebourg,  de 
Valognes,  en  termina  la  copie.  En  relevant  tous  les  pas- 
sages où  le  rédacteur  anonyme  s'est  mis  en  scène,  le  sagace 
érudit  est  parvenu  aussi  à  prouver  que  ce  rédacteur  n'est 
autre  qu'un  ancien  secrétaire  de  Louis  XI,  nommé  Jean 
Le  Clerc.  Attaché  d'abord  à  la  personne  d'Antoine  de  Cha- 
bannes*, Le  Clerc  passa,  au  commencement  de  1466,  au 
service  de  Louis  XI,  dont  il  sut  capter  la  faveur,  et  qu'il 
servit  avec  beaucoup  d'intelligence.  Mais  les  relations  qu'il 
avait  conservées  avec  son  premier  maître  amenèrent  sa  dis- 
grâce à  l'époque  où  les  révélations  du  comte  de  Saint-Pol  et 
celles  du  duc  de  Nemours  compromirent  le  comte  de  Dam- 
raartin  dans  l'esprit  du  plus  soupçonneux  des  rois.  C'est 
ainsi  que  Jean  Le  Clerc  perdit,  au  mois  d'octobre  de  l'an- 
née 1476,  la  charge  de  clerc  des  Comptes,  dont  Louis  XI 
l'avait  pourvu  le  2  décembre  1475.  Il  fut  réintégré  quelque 
temps  après  dans  son  office  de  secrétaire  et  reconquit  la  con- 
fiance du  roi;  mais  ce  n'est  que  le  16  juin  1496  qu'il  put 

1.  Un  Jean  Le  Clerc  était  en  1448  notaire  et  secrétaire  du  roi 
Charles  VII  (Bibl.  nat.,  Titres,  n"  685,  fol.  122).  S'il  est  vrai  qu'en 
1461  le  rédacteur  du  manuscrit  interpolé  avait  vingt-six  ans  seu- 
lement, comme  il  le  dit  lui-même  (ci-après,  t.  II,  Interpolations 
et  Variantes,  §  i),  il  ne  pourrait  s'agir  de  lui,  mais  peut-être  de 
son  père. 


INTRODUCTION.  V 

reprendre  officiellement  à  la  Chambre  des  comptes  les  fonc- 
tions dont  il  avait  été  privé  assez  injustement,  semble-t-il, 
pour  que,  dès  le  30  septembre  1484,  un  an  après  la  mort  de 
Louis  XI,  on  lui  en  rendît  les  gages.  Le  Clerc  garda  son  office 
jusqu'à  sa  mort,  survenue  à  la  fin  de  1510,  et  c'est  revêtu  de 
la  robe  rouge  de  clerc  des  Comptes  qu'il  figure,  la  plume  à 
la  main,  sur  une  miniature  placée  en  tête  du  manuscrit 
interpolé  de  la  Chronique  Scandaleuse*. 

Une  chose  à  noter,  c'est  que  le  rédacteur  de  ce  manuscrit 
n'a  pas  travaillé  sur  les  manuscrits  de  la  Chronique  dont  il 
empruntait  si  lestement  le  récit,  non  plus  que  sur  l'édition 
sortie  des  presses  de  Topie  ou  de  Neumeister,  la  première  qui 
parut  de  la  Scandaleuse,  comme  on  le  verra  tout  à  l'heure. 
Le  texte  qu'il  eut  sous  les  yeux  est  celui  qui  fut  imprimé 
pour  Antoine  Vérard  peu  après  l'an  1500,  et  inséré  dans 
le  tome  second  de  la  Chronique  Martiniemie.  Quicherat 
avait  observé  déjà  que  le  récit  de  la  bataille  de  Saint-Jacques, 
tel  que  Jean  Le  Clerc  l'a  donné,  est  emprunté  à  ce  recueil. 
Une  autre  preuve  assez  forte  est  que  Le  Clerc  a  copié  un 
paragraphe  tout  entier  concernant  le  pape  Paul  II,  qui 
n'existe  ni  dans  les  manuscrits  ni  dans  l'édition  princeps  de 
la  Scandaleuse,  mais  seulement  dans  celle  qu'en  a  donnée 
Vérard^.  Le  Clerc  savait-il  le  nom  du  chroniqueur  ano- 
nyme qu'il  piUait  avec  tant  de  désinvolture?  On  ne  peut 
l'affirmer,  mais  il  est  piquant  de  noter  qu'il  connaissait  le 
personnage  auquel  nous  allons  tenter  de  restituer  la  pater- 
nité de  la  Scandaleuse  :  ces  deux  hommes  avaient  été  en 
rapports  fréquents.  Est -il  téméraire,  après  cela,  de  sup- 

1.  Ces  renseignements  sont  tirés  de  la  notice  que  J.  Quicherat 
a  consacrée  à  Jean  Le  Clerc  dans  l'article  cité  de  la  Bibliothèque 
de  l'École  des  chartes. 

2.  Ci-après,  Interpol,  et  Var.,  §  ix. 


Vj  INTRODUCTION. 

poser  que  Jean  Le  Clerc  n'a  point  ignoré  l'origine  de  la 
source  à  laquelle  il  puisait*? 


n. 


Il  est  temps  de  revenir  à  la  Scandaleuse.  On  n'en  connaît 
que  deux  manuscrits,  dont  il  importe  d'autant  plus  de  dire 
quelques  mots  que,  sauf  les  éditeurs  des  grandes  collections 
de  mémoires  relatifs  à  l'histoire  de  France  qui  prétendent  les 
avoir  consultés,  sans  qu'il  y  paraisse  beaucoup,  personne 
ne  semble  les  avoir  jamais  vus.  Et  pourtant  tous  deux  font 
partie,  depuis  longtemps,  des  collections  de  la  Bibliothèque 
nationale.  Également  exécutés  sur  papier  au  xv^  siècle,  ils 
portent  au  catalogue  :  l'un,  le  ms.  fr.  2889,  la  désignation 

1.  Autre  hypothèse.  Au  tome  II  de  la  Martinienne,  la  Chronique 
de  Louis  XI  est  précédée  de  celle  du  règne  de  Charles  VII,  où 
le  texte,  emprunté  en  partie  à  la  Chronique  de  Chartier,  a  été 
remanié  de  la  même  façon  et  par  les  mêmes  procédés  que  celui 
de  la  Scandaleuse  dans  le  manuscrit  interpolé.  Remplie  de  détails 
sur  les  actions  militaires  de  Jacques  et  surtout  de  son  frère 
Antoine  de  Chabannes,  cette  Chronique  de  Charles  VII  a  été 
visiblement  composée  sur  des  mémoires  de  famille,  et,  comme 
l'Interpolée,  elle  reproduit  des  documents  empruntés  aux  archives 
d'Antoine  de  Chabannes  (voir  le  Mémoire  sur  la  Chronique  Mar- 
tinienne, par  l'abbé  Lebeuf,  dans  les  Méin.  de  i'Acad.  des  inscript., 
t.  XX,  1745).  D'autre  part,  la  Chronique  de  Charles  Vil  n'a  été 
certainement  rédigée  qu'après  la  mort  du  premier  comte  de  Dam- 
raartin,  de  la  maison  de  Chabannes  {Martinienne,  t.  II,  fol.  ccciv, 
col.  2),  par  conséquent  après  le  25  décembre  1488.  Serait-elle 
due  aussi  à  Jean  Le  Clerc?  Il  est  remarquable  que  la  compi- 
lation de  Vérard  ne  fut  livrée  au  public  qu'après  la  mort  du  pape 
Alexandre  VI  (f  18  août  1503).  Or,  Jean  Lebourg  dit  avoir  terminé 
la  transcription  du  manuscrit  interpolé  le  23  décembre  1502.  Il 
faut  donc  que  le  rédacteur  de  ce  manuscrit  ait  connu  le  texte 
de  la  Chronique  Scandaleuse,  tel  que  la  Martinienne  le  donne, 
avant  son  impression. 


INTRODUCTION.  vij 

de  Chronique  Scandaleuse;  l'autre,  un  titre  plus  vague, 
qui  lui  a  été  attribué  à  une  date  déjà  ancienne,  Histoire  de 
France  de  1461  à  1479.  Ce  manuscrit  est  classé  parmi 
les  manuscrits  français  sous  le  n°  5062. 

C'est  le  meilleur  et  le  plus  ancien  ;  aussi  est-ce  lui  que  la 
présente  édition  reproduit  intégralement  jusqu'au  mois  de 
mars  de  l'année  1479  (n.  st.),  c'est-à-dire  jusqu'au  terme 
de  l'année  1478,  suivant  l'ancien  comput*  ;  c'est  là  qu'il  s'ar- 
rête et  s'est  toujours  arrêté.  L'écriture  de  ce  manuscrit  est 
fort  régulière,  le  texte  en  est  correct,  et,  s'il  n'est  pas  auto- 
graphe, il  est  certain  qu'il  a  appartenu  à  celui  que  nous 
considérons  comme  l'auteur  de  la  Chronique.  La  mention 
par  laquelle  ce  personnage  l'a  terminé,  mention  qu'il  a 
signée  et  que  nous  reproduirons  tout  à  l'heure,  ne  laisse  pas 
de  doute  sur  ce  point,  et  l'emploi  en  plusieurs  endroits  du 
récit  de  verbes  au  temps  présent  témoigne  d'une  rédaction 
faite  au  cours  des  événements.  Ce  manuscrit  est  entré  à  la 
Bibliothèque  du  roi  par  achat,  en  1670,  et  on  sait  qu'il  fai- 
sait partie  auparavant  de  la  bibliothèque  d'un  célèbre  doc- 
teur-régent de  la  Faculté  de  Paris,  nommé  Jacques  Mentel, 
qui  avait  rassemblé  une  importante  collection  de  livres  et 
de  manuscrits^. 

Là  s'arrêtent  nos  renseignements  sur  le  ms.  fr.  5062.  Ils 
sont  plus  maigres  encore  quant  au  ms.  fr.  2889.  Aussi  cor- 
rect pour  le  fond  que  son  aîné,  mais  d'une  exécution  plus 

1.  Exception  faite  pour  le  premieret  pour  l'avant-dernier  feuil- 
let du  manuscrit,  qui  ont  disparu. 

2.  Une  partie  de  cette  collection  provenait  de  celles  de  Jean 
Passerat  et  de  Jean  Grangier,  professeurs  en  éloquence  latine. 
Né  à  Château-Thierry  en  1597,  mort  à  Paris  en  1671,  Jacques 
Mentel  a  été  l'objet  d'une  notice  biographique  signée  par  le 
D""  Carlier  dans  les  Annales  de  la  Société  archéologique  de  Château- 
Thierry,  année  1872,  p.  126  et  suiv. 


VllJ 


INTRODUCTION. 


commune,  ce  manuscrit  a  été  lacéré  en  plusieurs  endroits 
et  paraît  avoir  perdu  une  cinquantaine  de  feuillets  dont  une 
dizaine  au  commencement,  car  il  débute  au  milieu  du  récit 
de  l'entrée  solennelle  de  Louis  XI  à  Paris,  le  31  août  1461. 
Après  d'autres  lacunes,  il  s'arrête  brusquement  à  la  fin  du 
récit  de  la  bataille  de  Guinegate  (7  août  1479),  sans  qu'il 
soit  possible,  en  son  état  actuel,  de  dire  si  la  narration  était 
continuée,  comme  dans  les  éditions  imprimées,  jusqu'à  la 
mort  de  Louis  XI.  Bien  que  l'écriture  de  ce  manuscrit 
semble  remonter  à  la  dernière  partie  du  xv^  siècle,  le  fait 
que  son  rédacteur  a  employé  le  temps  passé,  en  plusieurs 
occasions  où  le  verbe  est  au  présent  dans  le  ms.  fr.  5062, 
nous  fait  ranger  le  ms.  fr.  2889  en  seconde  ligne',  et  nous 
n'avons  adopté  le  texte  qu'il  fournit  que  pour  la  période  de 
temps  écoulée  entre  le  mois  de  mars  1479,  date  à  laquelle 
s'arrête  le  ms.  fr.  5062,  et  le  7  août  de  la  même  année,  où 
le  ms.  fr.  2889  fait  défaut  à  son  tour  et  où  la  reproduction 
de  la  première  édition  imprimée  devient  indispensable  jusqu'à 
la  fin. 

L'édition  qui  semble  bien  être  la  plus  ancienne  de  la 
Chronique  Scandaleuse  n'est  pas  datée  et  ne  porte  ni  le 
nom  de  l'imprimeur  ni  celui  du  lieu  où  elle  a  été  faites  C'est 
un  volume  petit  in-folio,  gothique,  de  73  feuillets  non  chif- 

1.  Les  passages  dont  la  rédaction  semble  confirmer  cette  opi- 
nion seront  signalés  dans  les  notes  de  la  présente  édition. 

2.  Il  est  fait  un  constant  emploi,  dans  cette  partie  de  notre  pré- 
face, de  la  notice  d'Aug.  Yitu  intitulée  :  La  Chronique  de  Louis  XI, 
dite  Chronique  Scandaleuse,  faussement  attribuée  à  Jean  de  Troyes, 
restituée  à  son  véritable  auteur.  Paris,  Jouaust,  1873,  in -8°. 
M.  Vitu,  dont  on  verra  que  nous  n'adoptons  pas  les  conclusions, 
n'en  a  pas  moins  jeté  de  la  lumière  sur  les  origines  de  la  Scanda- 
leuse. Ses  renseignements  bibliographiques  sont  tirés  du  Manuel 
du  libraire  de  Brunet. 


INTRODUCTION.  ix 

frés,  a  deux  colonnes  de  45  demi- lignes  chacune,  sans 
réclames.  La  place  réservée  aux  lettres  capitales  en  tête  des 
paragraphes  est  demeurée  vide,  et  le  titre  seul  débute  par 
un  L  majuscule  très  décoré.  Ce  titre  est  ainsi  conçu  :  «  Les 
Croniques  du  très  chrestien  et  très  victorieux  Loys  de 
Yaloys,  feu  roy  de  France  que  Dieu  absolve,  unziesme 
de  ce  nom,  avecques  plusieurs  aultres  adventures 
advenues  tant  en  ce  royaulme  de  France  comme  es 
pays  voisins,  depuis  Van  mil  quatre  cens  LX  Jusques 
en  Van  mil  quatre  cens  quatre  vingtz  et  trois  inclusi- 
vement. »  Il  est  presque  certain  que  ce  titre  est  le  fait  de 
l'éditeur  et  non  celui  du  rédacteur  du  Journal  anonyme,  car 
ce  dernier  a  pris  soin  d'avertir  le  lecteur  dans  son  préam- 
bule qu'il  n'entend  pas  que  son  œuvre  soit  appelée  Chro- 
niques,  désignation  réservée  de  son  temps  aux  annales 
officielles. 

Comme  ce  volume  a  été  imprimé  avec  les  caractères  dont 
Michelet  Topie  et  Jacques  Herenberck  se  sont  servis  à 
Lyon,  en  1488,  pour  leur  édition  des  Saintes  et  dévotes 
pérégrinations  en  la  cité  de  Hierusalem,  de  Breyden- 
bach,  Brunet  en  a  conclu  que  les  Chroniques  de  Louis  de 
Valois  devaient  être  attribuées  aux  mêmes  imprimeurs,  et 
que  la  date  de  l'impression  pouvait  être  fixée  à  l'année 
1491  environ.  Nous  nous  bornerons  à  dire  que  l'édition 
princeps  de  la  Chronique  semble  appartenir  au  règne  de 
Charles  VIII,  et  que  cette  opinion  est  confirmée  par  l'ex- 
pression de  feu  roy  de  France  employée  dans  le  titre  pour 
désigner  Louis  XI  *. 

1.  Il  ne  serait  pas  impossible  que  cette  édition  fût  due  à  l'as- 
sociation de  Topie  et  de  Neumeister,  qui  collaborèrent  pour  celle 
du  célèbre  missel  d'Uzès,  imprimé  à  Lyon  en  1495.  Neumeister 
fut  très  protégé  par  le  cardinal  Charles  de  Bourbon,  archevêque 


X  INTRODUCTION. 

Peu  après  l'année  1500,  Antoine  Vérard  redonna  le  texte 
de  la  Chronique  de  Louis  XI,  avec  quelques  modifications 
de  peu  d'étendue,  au  tome  second  et  à  la  suite  de  la  Chro- 
nique de  Martin  Polonus.  La  reproduction  de  la  Chronique 
de  Louis  XI  commence  au  feuillet  ccctii  de  cette  compila- 
tion, dont  la  composition  a  été  étudiée  par  le  savant  abbé 
Lebeuf* .  Il  faut  dire  que  Vérard  a  comblé  quelques  lacunes 
de  la  Chronique  et  ajouta  notamment  un  petit  nombre  de 
paragraphes  relatifs  aux  papes  qui  ont  occupé  le  siège  pon- 
tifical entre  1461  et  1483,  afin  de  demeurer  fidèle  au  titre 
général  de  sa  compilation  :  «  La  Cronique  Martinienne 
de  tous  les  papes  qui  furent  jamais. . .  jusques  au  pape 
Alexandre  derrenier  decedé^ . . .  » 

On  retrouve  la  Chronique  de  Louis  XI  au  troisième  volume 
des  Chroniques  d' Enguet^rand  de  Monstrelet,  «  de  nou- 
vel imprimé  à  Paris  »  en  1512^.  Au  feuillet  cclxxxiv  de  cette 
compilation  est  un  «  Prologue  sur  les  Croniques  des  très  chres- 
tiens,  magnifiques,victorieux  et  illustres  roys  de  France  Loys, 
XI'  de  ce  nom,  et  Charles  VIII  son  filz,  »  où  ce  continua- 
teur de  Monstrelet  a  emprunté  des  phrases  entières  au  préam- 
bule de  la  Chronique  Scandaleuse.  Cet  éditeur  a  certaine- 
ment travaillé  sur  le  texte  original  de  la  Chronique  et  non 
sur  celui  fourni  par  la  Martinienne,  car  il  a,  au  cours  du 

de  Lyon  et  protecteur  aussi  de  l'auteur  de  la  Scandaleuse.  Après 
lamort  du  cardinal  de  Bourbon  (1488),  Neumeister  trouva  un  autre 
Mécène,  Angelo  Catto,  archevêque  de  Vienne  en  Dauphiné.  Ce 
prélat  était  un  fervent  d'histoire,  et  on  sait  que  c'est  à  sa  demande 
que  Ph.  de  Gommynes  composa  ses  Mémoires.  Sur  les  premiers 
imprimeurs  lyonnais,  voir  A.  Claudin,  Antiquités  typographiques 
de  la  France.  Paris,  1880,  in-8". 

1.  T.  XX  (1745)  des  Mém.  de  l'Acad.  des  inscript. 

2.  In-folio  gothique  à  deux  colonnes,  sans  date,  fin  de  1503  au 
plus  tôt. 

3.  Petit  in-folio  gothique  à  deux  colonnes. 


INTRODUCTION.  xj 

récit,  reproduit  des  passages  retranchés  ou  modifiés  dans 
l'édition  de  Vérard*. 

La  Chronique  de  Louis  XI  reparut  deux  années  plus  tard 
dans  le  troisième  volume  des  Chroniques  de  France,  dites 
de  Saint-Denis,  réimpression  faite  pour  Guillaume  Eustace, 
libraire  duroi^  Notons  que,  dans  les  deux  éditions  données 
précédemment  des  Chroniques  de  France,  en  1486  par 
Pasquier  Bonhomme,  en  1493  par  Vérard,  la  narration 
s'arrête  à  l'année  1461,  et  que,  dans  celle  de  1514,  elle  se 
poursuit  jusqu'en  1513. 

En  1517  et  1518,  les  mêmes  Chroniques  étaient  impri- 
mées de  nouveau  pour  Galliot  du  Pré  dans  la  Mer  des  his- 
toires^, et  avec  elles  celle  de  Louis  XI.  Quant  à  l'édition 
signalée  dans  la  Bibliothèque  historique  de  la  France  du 
Père  Lelong^,  nous  ne  la  connaissons  pas  plus  que  ne  l'ont 
connue  Brunet  et  Aug.  Vitu,  et  il  est  douteux  qu'elle  ait 
jamais  existé. 

Ce  serait  en  1558  seulement  (le  privilège  porte  la  date  du 
31  décembre  1557)  que  parut  chez  Galliot  du  Pré  la  seconde 
édition  de  la  Chronique  isolée.  Ce  volume  petit  in-S"  n'est 
autre  que  la  reproduction  de  l'édition  du  xv^  siècle  et  porte 
le  même  titre  ;  mais  l'éditeur  nouveau  a  supprimé  une  dou- 
zaine de  passages  dont  le  contenu  lui  semblait  porter  atteinte 
soit  à  l'honneur  de  certaines  famiUes  soit  à  la  mémoire  de 


1.  Il  est  juste  d'ajouter  qu'en  certains  endroits  (entrée  de 
Louis  XI  à  Paris,  bataille  de  Montlhéry),  l'auteur,  critiquant 
Monstrelet,  ou  plus  exactement  son  premier  continuateur,  qu'il 
trouve  incomplet  ou  partial,  ajoute  :  «  Je  trouve  et  ay  leu  à  la 
vérité,  oultre  ce  qu'il  dict,  que...  »  «  Je  trouve  en  ung  aultre 
cronique  dud.  roy  Loys  sur  ce  que  a  omis  led.  Monstrelet.  » 

2.  3  vol.  in-folio  gothique,  1514. 

3.  4  vol.  in-folio  gothique. 

4.  Éd.  Févret  de  Fontette.  Paris,  4768-78,  t.  Il,  197. 


xij  INTRODUCTION. 

Louis  XI.  L'édition  suivante,  qui  parut  en  1611  dans  le 
même  format,  ne  porte  pas  la  trace  des  mêmes  scrupules, 
car  une  adresse  au  lecteur,  imprimée  au  verso  du  titre, 
déclare  que  le  nouvel  éditeur  de  la  Chronique  (il  ne  se 
nomme  pas,  non  plus  que  l'imprimeur)  la  donne  «  en  sa 
pureté,  tant  pour  le  langage  que  pour  l'instoire,  après  l'avoir 
conféré  (sic)  sur  divers  manuscrits  dignes  de  foy.  »  C'est 
beaucoup  dire,  et  rien  ne  confirme  la  sincérité  de  cette  der- 
nière assertion.  Ce  volume  de  438  pages  renferme,  il  est 
vrai,  une  table  alphabétique  des  matières  et  un  portrait  de 
Louis  XI,  mais,  s'il  est  exact  que  l'éditeur,  ainsi  qu'il  le  dit, 
a  pris  la  peine  de  donner  la  Chronique  «  non  à  moitié, 
comme  du  Haillan*  et  quelques  autres  ont  fait,  mais  entière 
et  sans  altération,  »  il  est  probable  qu'il  s'est  borné  à  repro- 
duire l'édition  princeps.  Ce  qui  est  particulier  dans  cette 
édition,  c'est  le  titre  du  volume  :  «  Histoire  de  Louys 
unziesme,  roy  de  France,  et  des  choses  mémorables 
advenues  de  son  règne  depuis  Van  1460  jusques  à  1483, 
autrement  dite  la  Chronique  Scandaleuse,  escrite  par 
un  greffier  de  l'Hostel  de  Ville  de  Paris,  imprimée 
sur  le  vray  original,  MDCXI.  »  C'est  la  première  fois 
que  cette  désignation  de  Chronique  Scandaleuse  appa- 
raît en  tête  de  ce  Journal  anonyme;  mais  il  n'est  pas  exact 
qu'elle  ait  été  inventée  par  les  libraires  pour  achalander 
l'édition,  ainsi  que  le  veut  SoreP,  puisque,  dès  1584,  La 
Croix  du  Maine,  en  sa  Bibliothèque  françoise  (Paris, 
in-foL,  article  Jean  de  Troyes),  écrivait  :  «  Cette  Chro- 
nique. . .  est  vulgairement  appelée  la  Chronique  Scandaleuse 
à  cause  qu'elle  fait  mention   de  tout  ce  qu'a  fait  le  roi 

1.  Historiographe  de  France,  auteur  d'une  Histoire  générale  des 
rois  de  France  (1576,  in-fol.),  souvent  réimprimée. 

2.  Bibliothèque  françoise,  1664,  in-12. 


INTRODUCTION.  siij 

Louis  XI  et  récite  des  choses  qui  ne  sont  pas  trop  à  son 
advantage.  »  On  la  connaissait  aussi  sous  le  sobriquet  de 
la  Mesdisante,  et  c'est  le  titre  que  Paul  Petau  (1568-1614) 
a  tracé  de  sa  main  sur  l'un  des  deux  exemplaires  de  l'édi- 
tion princeps  de  la  Chronique  que  possède  la  Bibliothèque 
nationale*.  Médisante  ou  scandaleuse,  voilà  comment  les 
hommes  du  xvf  siècle  qualifiaient  l'innocente  Chronique 
de  Louis  XI  !  Le  nom  est  resté,  mais  il  parait  peu  justifié 
au  lecteur  moderne,  nourri  d'indiscrétions  d'une  tout  autre 
portée. 

L'édition  de  1620  est  une  reproduction  de  celle  de  1611. 
Le  volume,  de  format  petit  in-4°,  ne  porte  pas  le  nom  de 
l'éditeur.  Le  titre  est  le  même  que  celui  de  1611,  mais  à  côté 
du  portrait  de  Louis  XI  est  un  second  titre  répété  encore  en 
tête  du  texte  de  la  Chronique,  et  qui  n'est  autre  que  celui  de 
l'édition  princeps  avec  cette  addition  :  «  Imprimées  de  nou- 
veau sur  les  vieux  exemplaires  sans  aucun  changement.  » 

On  retrouve  la  Chronique  de  Louis  de  Valois  à  la  suite 
des  éditions  que  Godefroy  et  l'abbé  Lenglet-Dufresnor  ont 
données  des  Mémoires  de  Ph.  de  Commynes-. 

Enfin,  de  nos  jours,  elle  a  été  imprimée  dans  la  Collec- 
tion complète  des  Mémoires  relatifs  à  l'histoire  de 

1.  Réserve  Lb  27.  L'autre  exemplaire  a  appartenu  à  d'Hozier, 
et  une  main  plus  ancienne  a  écrit  au-dessous  du  titre  imprimé 
les  mots  Histoire  mesdisante.  C'est  le  titre  aussi  que  donne  à  la 
Chronique  le  Père  Garasse  {Recherche  des  recherches  d'Estienne 
Pasquier,  1622,  p.  3)  ;  mais  il  se  trompe  quand  il  prétend  que 
l'auteur  intitula  ainsi  sa  chronique  avec  l'intention  de  diffamer 
Louis  XL  M.  Vitu  l'observe  avec  justesse  (omit,  cilé,  p.  13),  mais 
il  a  tort  de  conclure  qu'aucune  édition  n'ayant  porté  le  titre  de 
Chronique  Médisante,  l'ouvrage  n'a  jamais  été  connu  dans  le  public 
sous  ce  nom. 

2.  Bruxelles,  5  vol.  in-S»,  1723;  Paris  et  Londres,  1747,  4  vol. 
in-4<». 


xiv  INTRODUCTION. 

France,  de  Petitot  (Paris,  1819-29,  iii-8%  t.  XIII-XIV); 
dans  la.  Nouvelle  Collection  des  Mémoires  sur  l'histoire 
de  France,  de  Michaudet  Poujoulat  (Paris,  1836-39,  in-4°, 
t.  IV),  et  par  Buchon,  dans  son  Choix  de  Chroniques  et 
Mémoires  (édition  du  Panthéon  littéraire.  Paris,  1836-38, 
iii-4°).  Aucune  de  ces  éditions  ne  marque  un  progrès  sen- 
sible sur  leurs  devancières,  et  ceux  mêmes  d'entre  les  édi- 
teurs qui  prétendent  avoir  examiné  les  manuscrits  de  la 
Chronique  commettent  de  si  étranges  bévues  qu'il  est  cer- 
tain au  moins  que  leur  examen  n'a  pas  été  approfondi. 

ni. 

La  Scandaleuse  constitue- 1- elle  une  œuvre  originale, 
comme  le  veut  Yitu^  ou  faut-il  la  considérer  avec  l'abbé 
Lebeuf  et  Jules  Quicherat  comme  l'œuvre  d'un  plagiaire 
qui  s'est  emparé  du  texte  de  la  Chronique  officielle  de 
Louis  XI,  et  s'est  borné  à  y  ajouter  quelques  menus  faits  et 
quelques  anecdotes  parisiennes?  La  question  vaut  la  peine 
d'être  examinée. 

Et  d'abord,  une  remarque  générale.  A  lire  la  Chronique 
sans  avertissement  ni  prévention,  aucun  doute  ne  traverse- 
rait l'esprit;  c'est  une  œuvre  d'origine  évidemment  pari- 
sienne, où  rien  ne  sent  le  plagiat.  L'auteur  anonyme  a  noté 
les  événements  au  jour  le  jour,  tels  qu'il  les  voyait  se  dérou- 
ler sous  ses  yeux  ou  tels  qu'il  les  entendait  raconter,  non 
pour  faire  acte  d'historien,  mais,  comme  il  le  dit  lui-même, 
pour  passer  le  temps  et  «  esquiver  oisiveté.  »  Aucune  pré- 
tention dans  le  style,  peu  de  jugements,  et  pourtant  une 
appréciation  assez  indépendante  des  choses  et  des  hommes, 
voire  du  maître,  de  Louis  XI  lui-même.  Des  événements 

\.  Vitu  a  connu  l'édition  princeps,  mais  non  les  manuscrits. 


INTRODUCTION.  XV 

politiques  une  connaissance  qui  ne  dépasse  guère  la  surface 
et  qui  est  bornée  souvent  à  ce  qu'on  en  pouvait  apprendre  à 
Paris.  Avec  cela,  chose  singulière,  des  renseignements  pré- 
cis sur  tous  les  mouvements  du  roi  et,  ce  qui  s'explique  plus 
aisément,  sur  les  faits  et  gestes  du  monde  de  l'Hôtel  de  Ville, 
du  Palais  et  du  Châtelet,  comme  sur  les  faits  divers  de  la 
capitale.  Rien  de  suspect  dans  tout  cela  ni  qui  ressemble  à 
ce  qu'on  appellerait  aujourd'hui  un  livre  «  démarqué.  » 

En  fait,  personne  ne  soupçonnait  la  Chronique  de  ne  pas 
être  une  œuvre  de  bonne  foi,  lorsqu'un  des  érudits  les  plus 
sagaces  du  dernier  siècle,  l'abbé  Lebeuf,  étudiant  en  1745 
la  compilation  publiée  par  Vérard  vers  1503  sous  le  titre  de 
Chronique  Martinienne,  s'avisa  que  le  rédacteur  de  la 
Scandaleuse  n'était  qu'un  vulgaire  plagiaire  qui  s'était  appro- 
prié le  texte  de  la  continuation  des  Chroniques  de  Saint- 
Denis,  en  se  bornant  à  y  ajouter  un  préambule  de  sa  façon 
et  quelques  «  racontars  »  parisiens  assez  dénués  d'intérêt. 
Donc,  pour  le  fond,  la  Chronique  dite  Scandaleuse  serait 
l'œuvre  de  l'historiographe  officiel  du  règne  de  Louis  XI 
et  n'aurait  d'autre  valeur  que  celle  que  possède  la  copie 
légèrement  dénaturée  d'une  œuvre  disparue*. 

Sur  l'autorité  de  Lebeuf,  l'abbé  Lenglet,  qui  a  réim- 
primé la  Chronique  en  tête  de  ses  Preuves  de  Commynes, 
prit  soin  d'avertir  le  lecteur,  dans  la  préface  du  tome  P''  des 
Mémoires,  que  la  Chronique  «  à  laquelle  on  a  donné  mal 
à  propos  dans  les  imprimés  l'épithète  de  Scandaleuse  »  n'est 
pas  l'ouvrage  d'un  seul  homme,  mais  «  un  détachement  de 
la  Chronique  qui  fut  compilée  successivement  par  divers 
auteurs  sous  le  titre  de  Chronique  de  Saint-Denis. 

1.  Après  la  mort  du  chroniqueur  Jean  Castel,  Louis  XI  se  fit 
apporter  à  Gléry  ce  qui  était  rédigé  de  la  chronique  de  son  règne. 
Qu'en  fit-il  ?  On  l'ignore. 


xvj  INTRODUCTION. 

Un  siècle  plus  tard,  Jules  Quicherat,  adoptant  sans 
réserve  l'opinion  émise  par  l'abbé  Lebeuf,  excommuniait  à 
son  tour  la  malheureuse  Chronique,  qui,  suivant  son  expres- 
sion, n'avait  de  scandaleux  que  le  sans-gêne  avec  lequel  son 
rédacteur  avait  pillé  l'œuvre  d'autrui.  La  Chronique  était 
une  copie  de  la  Chronique  officielle  de  Louis  XI,  non  pas, 
comme  l'avait  cru  Lebeuf,  de  celle  rédigée  par  Jean  Castel, 
abbé  de  Saint-Maur,  car  Jean  Castel  n'aurait  laissé  que  des 
notes,  mais  une  simple  copie  de  la  relation  composée  sur  ces 
notes  par  un  moine  de  Saint-Denis,  Mathieu  Lebrun,  qui, 
succédant  à  Castel  en  1476,  ne  prit  pas  la  peine  de  classer 
correctement  les  papiers  laissés  par  son  prédécesseur,  et 
commit  au  moins  une  «  bévue  »  chronologique  si  forte  qu'elle 
suffit  à  marquer  le  peu  de  valeur  historique  de  l'œuvre  tout 
entière.  Nous  n'insisterions  pas  sur  la  preuve  soi-disant 
décisive  apportée  par  Quicherat  contre  l'autorité  de  la  Chro- 
nique qu'il  attribue  à  Lebrun  et,  par  conséquent,  contre 
celle  de  la  Scandaleuse,  s'il  ne  s'agissait  pas  d'opposer  à 
sa  thèse  une  opinion  toute  contraire,  mais  à  l'accusateur 
incombe  la  preuve;  si  cette  preuve  fait  défaut,  l'accusation 
doit  tomber  d'elle-même,  et  notre  Chronique,  quelle  que  soit 
son  origine,  ne  mérite  pas  le  dédain  dont  on  l'a  accablée. 

Donc,  voici  ce  que  narre  la  Chronique  :  Le  samedi  matin 
14  mars  1472  (v.  st.),  Louis  XI  partit  du  Plessis-lès-Tours, 
«  à  privée  compaignie,  »  pour  s'en  aller  à  Bordeaux  et  à 
Bayonne,  et,  afin  de  ne  point  être  suivi,  il  fit  tenir  toutes  les 
portes  de  Tours  fermées  jusqu'à  dix  heures,  rompit  un  pont 
par  où  il  avait  passé  et  donna  ordre  à  M.  de  Gaucourt,  capi- 
taine des  gentilshommes  de  sa  maison,  de  demeurer  en 
arrière  afin  de  veiller  à  ce  que  personne  n'allât  après  lui*. 

i.  Ci-après,  à  la  date. 


INTRODUCTION.  Xvîj 

—  Le  fait  est  curieux,  mais  voici  que  M.  Quicherat  découvre 
qu'il  s'est  passé,  non  pas  au  mois  de  mars  1473,  mais  au 
mois  de  mars  de  l'année  1462,  car  1°  Ghastellain  le  conte  à 
cette  dernière  date,  2"  le  recueil  des  ordonnances  (t.  XVII) 
indique  que  Louis  XI  tenait  conseil  à  Tours  le  29  mars  et 
qu'il  passa  tout  le  mois  suivant  entre  Tours  et  Poitiers. 

Sur  le  premier  point  la  réponse  est  aisée.  De  ce  que 
Louis  XI  prit  incognito  la  route  du  Midi  en  1462,  «  habillé 
de  gros  drap  gris,  rudement,  en  manière  de  pèlerin,  une 
grosse  rude  paternostre  pendue  au  col*,  »  s'ensuit-il  qu'en 
1472  il  ne  recommença  pas  l'excursion  en  de  pareilles  con- 
ditions? On  sait  de  reste  qu'à  diverses  reprises,  pour  échap- 
per aux  fâcheux  ou  pour  mieux  garder  le  secret  d'une  expé- 
dition dont  l'objet  était  politique,  le  roi  Louis  dissimula  ses 
allées  et  venues,  et  cela  pendant  plusieurs  jours.  L'autre 
argument,  tiré  delà  date  fournie  par  des  ordonnances  incon- 
testées, serait  irréfutable  s'il  n'était  notoire  que  l'indication, 
au  bas  d'un  document  de  ce  genre,  du  lieu  où  il  a  été  rédigé 
indique  que  le  Conseil  et  la  chancellerie  royale  séjournaient 
en  cet  endroit  à  telle  date,  mais  n'entraîne  pas  forcément  la 
présence  du  roi  en  personne.  Or,  l'Itinéraire  de  Louis  XP 
nous  montre  ce  prince  en  route  pour  le  Midi  dès  la  moitié  du 
mois  de  mars  1473.  Sa  présence  est  signalée  à  Bordeaux  le 
24  du  même  mois  et  un  peu  plus  tard  à  Notre-Dame-de- 
Soulac  en  Médoc.  Et,  si  l'on  doutait  de  l'exactitude  de  l'Iti- 
néraire, qu'on  ouvre  le  tome  III  de  l'édition  Lenglet  des 
Mémoires  de  Commynes,  et  l'on  y  trouvera  la  preuve  que 

1.  Chronique  de  Ghastellain,  édition  Kervyn  4e  Lettenhove. 
Bruxelles,  1864,  in-S»,  t.  IV,  p.  196. 

2.  Ce  précieux  travail,  entrepris  par  M"e  Dupont  pour  l'édition 
des  Lettres  de  Louis  XI,  nous  a  été  obligeamment  communiqué 
par  M.  Vaesen,  que  la  Société  de  l'histoire  de  France  a  chargé 
de  cette  pubUcation,  actuellement  en  cours. 

I  2 


xviij  INTRODUCTION. 

c'est  la  Scandaleuse  qui  a  raison  contre  Quicherat.  En  effet, 
le  vendredi  soir  9  avril  1473  (et  non  1472,  comme  le  veut 
Lenglet,  car  en  1472  le  9  avril  tomba  un  jeudi),  le  chan- 
celier d'Oriole  écrit  à  l'êvêque  de  Léon,  alors  à  Bruxelles 
pour  conclure  une  trêve  entre  le  roi  et  le  duc  de  Bourgogne, 
que  Louis  XI  est  «  allé  en  son  veage  »  et  que  sa  chancelle- 
rie ne  l'a  pas  accompagnée  Quelques  jours  plus  tard,  le 
13  avril,  c'est  le  comte  de  Saint-Pol  qui  écrit  de  Laon  au 
même  évêque  de  Léon  :  «  Vous  avez  sceu  que  le  roy  est  tiré 
à  Bayonne*.  »  Il  est  inutile  de  pousser  plus  loin  la  démons- 
tration ;  aussi  bien  paraît-il  presque  certain  que  ni  l'abbé 
Lebeuf  ni  Quicherat  n'ont  consulté  de  la  Scandaleuse  ni  les 
manuscrits  ni  l'édition  originale.  Il  y  a  mieux  :  ils  ne  se  sont 
point  aperçus  que  les  deux  premières  éditions  des  Chroniques 
de  Saint-Denis,  celle  de  Pasquier  Bonhomme,  parue  en  1486, 
et  celle  de  Vérard,  imprimée  en  1493^,  les  deux  seules  que 
le  compilateur  de  la  Martinienne  aurait  pu  connaître,  ne 
contiennent  la  mention  d'aucun  fait  postérieur  à  la  mort  de 
Charles  VII.  C'est  dans  l'édition  de  1514''  que  pour  la  pre- 
mière fois  la  narration  est  poursuivie  jusqu'en  1513.  Il  y  a 
donc  bien  eu  emprunt,  mais  c'est  l'éditeur  de  la  compila- 
tion pseudo-officielle  qui  a  pillé  la  Scandaleuse  et  non  pas, 
comme  on  l'a  dit,  le  rédacteur  de  cette  dernière  chronique 
qui  s'est  approprié  le  texte  de  celle  dite  de  Saint-Denis. 


IV. 


Si  la  Chronique  de  Louis  XI  est,  comme  tout  l'indique, 

1.  P.  184. 

2.  P.  186. 

3.  Voir  G.  Brunet,  la  Finance  liUéraire  au  XV^  siècle,  etc.,  p.  4G. 
h.  3  vol.  in-folio  gothique. 


INTRODUCTION.  xix 

une  œuvre  originale  S  il  est  intéressant  d'en  rechercher 
l'auteur 2.  Ici  encore,  nous  rencontrons  M.  Vitu,  non  plus 
en  allié,  mais  en  adversaire.  Recueillons  d'abord  les  opi- 
nions des  anciens.  La  première  édition,  celle  qui  parut 
avant  1500,  ne  porte  pas  de  nom  d'auteur.  La  seconde, 
celle  de  la  Martinienne^,  paraît  attribuer  la  paternité  de 
la  Chronique  à  Jean  Castel,  qui  fut,  on  l'a  dit  plus  haut, 
chroniqueur  de  France  de  1461  à  1476  et  eut  pour  suc- 
cesseur, après  sa  mort,  survenue  au  mois  de  février  de  cette 
dernière  année,  frère  Mathieu  Lebrun.  Il  n'y  a  point  à 
s'arrêter  à  cette  attribution,  qui,  si  elle  était  acceptée, 
équivaudrait  à  reconnaître  dans  la  Scandaleuse  une  simple 
copie  de  la  Chronique  officielle  de  Louis  XL  —  En  tête  de 
l'édition  de  1558,  pas  de  nom  d'auteur,  mais,  dès  1583,  on 
voit  le  Trésor  des  Histoires ,  composé  par  l'écri vain- 
libraire  Gilles  Corrozet  (1510-1568)  et  édité  par  son  fils 
Galliot,  attribuer  sans  autre  explication  la  Chronique  de 
Louis  XI  à  Jean  de  Troyes.  L'année  suivante,  Jean  de 
Troyes,  devenu  un  «historien  français  du  temps  de  Louis  XI,  » 
avait  les  honneurs  d'un  article  dans  la  Bibliothèque  fran- 
çoise  de  La  Croix  du  Maine,  et  dès  lors  sa  fortune  était 
faite.  D'autres,  cependant,  l'éditeur  de  1611  et  celui  de  1620, 
se  bornèrent  à  donner  pour  auteur  à  la  Chronique  «  un 

1.  A  la  réserve  de  quelques  passages  (voir  par  exemple  le  récit 
de  la  bataille  de  Nancy),  qui  semblent  bien  être  la  reproduction 
de  certaines  relations  qui  eurent  cours  à  Paris  à  l'époque. 

2.  Les  conclusions  qui  vont  être  présentées  au  lecteur  ont  été 
formulées  par  nous  dans  la  Bibliothèque  de  l'École  des  chartes, 
année  1891,  {""^  et  2«  livr.,  p.  130  et  suiv. 

3.  «  Le  second  de  la  Martiniane,  qui  suyt  selon  les  dactes  des 
temps  des  croniques  de  France  selon  le  croniqueur  Castel  et  ni07iseig' 
Gaguin,  gênerai  des  Mathurins  de  l'ordre  de  la  Trinité,  et  plusieurs 
autres  croniqueurs.  Et  finissent  lesdictes  croniques  là  où  ledit  Gaguin 
a  fine  de  sa  croniqice  derreniere  jusques  à  l'an  mil  cinq  cens,  » 


XX  INTRODUCTION. 

greflBer  de  l'hostel  de  ville  de  Paris,  »  et  le  Père  Lelong, 
rappelant  le  nom  de  Jean  de  Troyes  dans  sa  Bibliothèque 
historique  de  la  France  (1719,  in-fol.),  ajoute  :  «  D'autres 
nomment  cet  auteur  Denis  Hesselin .  » 

De  nos  jours,  et  jusqu'à  ce  que  M.  Vitu  se  fut  donné  la 
peine  d'instruire  la  cause  à  nouveau,  on  peut  dire  que  Jean 
de  Troyes  a  régné  sans  contestation  sur  la  Scandaleuse,  et 
c'est  à  peine  si,  actuellement  encore,  les  érudits  les  mieux 
renseignés  abandonnent  ce  personnage  fabuleux.  Dans  une 
notice  d'allure  très  vive,  presque  belliqueuse,  Aug.  Vitu  a 
présenté  au  public  savant  un  candidat  différent,  Denis  Hes- 
selin, qui,  pour  n'être  pas  de  son  invention,  possédait  sur 
Jean  de  Troyes  l'inestimable  avantage  d'avoir  existé  sous 
Louis  XI,  d'avoir  été  greffier  de  l'hôtel  de  ville  de  Paris, 
d'avoir  enfin  été  fréquemment  mis  en  scène  par  la  Chronique 
Scandaleuse. 

Pour  écarter  Jean  de  Troyes,  M.  Vitu  a  commencé  par 
rechercher  si  les  documents  du  xv^  siècle  fournissaient  un 
personnage  de  ce  nom,  et  il  a  constaté  qu'à  Paris,  après 
deux  conseillers  au  parlement  nommés  Jean  de  Troyes  qui 
vivaient  au  xm®  siècle,  on  retrouve  un  échevin  de  ce  nom 
en  1411,  lequel  fut  capitaine  de  la  Conciergerie  et,  fervent 
Bourguignon,  fut  proscrit  en  1413,  déjà  âgé,  lors  de  la 
rentrée  des  Armagnacs  à  Paris.  Enfin,  M.  Vitu  a  découvert 
deux  autres  Jean  de  Troyes,  l'un  bourgeois  de  Paris,  cité 
dans  les  registres  du  Parlement  à  la  date  du  15  décembre 
1436,  l'autre  qui  fut  procureur  au  Châtelet  en  1454*. 

Nous  avouons  que,  si  nous  n'avions  d'autres  raisons  à 
opposer,  ce  dernier  Jean  de  Troyes  nous  eût  paru  digne 
d'être  discuté.  M.  Vitu  n'en  a  pas  jugé  ainsi  :  il  lui  fallait 
un  greffier,  et  il  s'est  borné  à  constater  que  la  liste  de  ceux 

1.  Vitu,  ouvr.  cité,  p.  20-27. 


INTRODUCTION.  xxj 

de  l'hôtel  de  ville,  telle  qu'il  l'a  rectifiée  et  complétée,  ne 
porte  le  nom  d'aucun  De  Troyes,  mais  bien  celui  de  Denis 
Hesselin.  Elu  de  Paris  dès  1456  au  moins  S  prévôt  des  mar- 
chands de  1470  à  1474,  après  cela  clerc-grefïier  de  la  ville 
à  la  place  de  Jean  Luillier,  fonctions  qu'il  conserva  jusqu'à 
l'an  1500,  ce  «  grand  bourgeois  »  fut  un  serviteur  très 
empressé  de  Louis  XI,  dont  il  possédait  la  confiance.  La 
Chronique  le  cite  souvent,  lui  et  ceux  qui  avaient  avec  lui 
des  liens  de  parenté,  toujours  avec  éloge;  M.  Vitu  en  a 
fait  la  remarque,  de  même  qu'il  a  observé  que  la  Chronique 
passe  sous  silence  certains  faits  révélés  par  l'Interpolée  et 
qui  sont  moins  à  l'honneur  d'Hesselin  ;  il  a  noté  enfin  que, 
dès  que  ce  personnage  a  quitté  la  prévôté  des  marchands,  le 
titulaire  de  cette  charge  n'est  plus  nominativement  désigné 
dans  la  Chronique. 

Toutes  ces  raisons  sont  bonnes  assurément,  mais  M.  Vitu 
n'eût  pas  été  aussi  certain  de  son  fait,  s'il  avait  pris  la  peine 
d'examiner  les  manuscrits.  Il  en  est  un,  le  ms.  fr.  2889, 
qui  ne  lui  eût  rien  appris  quant  à  la  personnalité  du  «  fai- 
tiste  »  de  la  Scandaleuse,  mais  il  en  va  tout  autrement  du 
ms.  fr.  5062,  auquel  le  titre  peu  précis  qu'il  porte  au  cata- 
logue de  la  Bibliothèque  a  valu  peut-être  de  passer  plus  ina- 
perçu. On  a  vu  plus  haut  que  dans  ce  manuscrit  la  relation 
s'arrête  au  mois  de  mars  1478  (v.  st.),  mais  ce  n'est  point 
à  l'insu  de  celui  qui  a  tracé  de  sa  main  au  moins  le  dernier 
feuillet  du  volume,  car  il  l'a  terminé  par  ces  mots  :  «  Expli- 
cit  ce  présent  petit  volume  qui  parle  seulement  depuis  l'an 
de  grâce  M  CCCC  LX  jusques  en  M  CCCC  LXXIX,  »  et  il  a 
signé  J.  DE  RoYE,  non  sans  accompagner  ce  nom  d'un  parafe 
notarial. 

Ou  nous  nous  trompons  fort,  ou  voilà  l'origine  du  trop 

1.  Arch.  nat.,  Obituaire  de  la  grande  confrérie  aux  bourgeois. 


xxij  INTRODUCTION. 

célèbre  Jean  de  Troyes,  né  soit  de  quelque  confusion  de  GiUes 
ou  de  Galliot  Corrozet,  soit  d'une  erreur  typographique  d'un 
prête  du  xvx"  siècle. 

Reste  à  éclaircir  le  point  le  plus  intéressant.  Ce  J.  de 
Roye  a-t-il  rédigé  la  Scandaleuse?  Voyons  d'abord  ce  qu'il 
était.  Nos  renseignements  sont  peu  nombreux,  sans  doute, 
mais  ils  sont  suffisamment  précis  pour  qu'il  soit  possible  de 
déterminer  l'identité  du  personnage.  En  premier  lieu,  ce  De 
Roye,  qui  s'appelait  Jean,  ainsi  que  la  Chronique  elle- 
même  nous  l'apprend,  dans  un  passage  que  nous  citerons 
tout  à  l'heure  et  qui  est  le  seul  où  il  soit  nommé ,  ce  De 
Roye  appartenait  à  une  famille  de  bourgeoisie  parisienne 
qui  ne  paraît  avoir  eu  rien  de  commun  avec  celle  des  sei- 
gneurs de  Roye,  célèbre  dans  les  fastes  militaires  du  moyen 
âge'.  Jean  de  Roye  était  pourvu,  dès  le  commencement  du 
règne  de  Louis  XI,  d'une  charge  de  notaire  au  Châtelet, 
ainsi  que  l'atteste  un  acte  dressé  par  lui  et  signé  de  sa  main 
exactement  de  la  même  façon  que  le  ms.  fr.  5062^.  Cet  acte, 
qui  porte  la  date  du  30  mars  1462,  v.  st.,  concerne  précisé- 
ment deux  personnages  qui  sont  mentionnés  dans  la  Chro- 
nique, Jean  Baillet,  conseiller  et  maître  des  requêtes  de 
l'hôtel,  et  Pierre  L'Orfèvre,  écuyer,  seigneur  d'Ermenon- 
ville, conseiller  et  maître  des  Comptes^.  Un  autre  acte,  qui 
ofifre  cette  particularité  intéressante  qu'il  est  entièrement 

1.  Rien  d'impossible,  par  contre,  à  ce  qu'il  appartînt  à  la  famille 
de  Pierre  de  Roye,  conseiller  au  parlement  de  Paris  (Arch.  nat., 
X<=>  19,  fol.  13,  à  la  date  du  5  février  1364). 

2.  Ces  fonctions  le  mirent  en  rapports  fréquents  avec  bien  des 
familles  parisiennes  dont  il  cite  les  divers  membres.  Les  Hesse- 
lin,  leurs  parents  et  alliés  étaient  sans  doute  ses  clients,  d'où  la 
mention  fréquente  de  leurs  noms  dans  la  Chronique. 

3.  Bibl.  nat.,  Pièces  orig.,  vol.  1747,  dossier  L'Orfèvre,  n»  18; 
orig.  sur  parch. 


INTRODUCTION.  xxiij 

écrit  et  signé  de  la  main  de  Jean  de  Roye,  existe  en  double 
exemplaire  aux  Archives  nationales.  C'est  une  expédition 
colla tionnée  d'un  vidimus  délivré  le  9  août  1466  par  le  pré- 
vôt de  Paris,  Robert  d'Estouteville,  un  protecteur  du  chro- 
niqueur, de  certaines  lettres  patentes  délivrées  à  Montargis 
au  mois  de  juillet  précédent,  en  confirmation  d'autres  lettres 
du  mois  de  novembre  1465  par  lesquelles  Louis  XI  étendait 
les  privOèges  du  duc  de  Bourbon*. 

En  1469,  Jean  de  Roye  fut  commis  avec  un  de  ses  col- 
lègues, Henri  leWast,  à  dresser  l'inventaire  des  biens  trou- 
vés en  la  ville  de  Paris  qui  appartenaient  au  cardinal  Balue 
et  à  prendre  note  des  dépositions  des  témoins  que  les  com- 
missaires désignés  pour  instruire  le  procès  de  l' ex-favori  du 
roi  jugeraient  à  propos  d'interroger.  Rien  d'étonnant  après 
cela  si  la  chronique  est  si  minutieusement  informée  de  la 
distribution  qui  fut  faite  des  biens  de  Jean  Balue  2. 

Jean  de  Roye  était  donc  l'un  des  soixante  notaires  auChâ- 
telet  de  Paris,  mais  ce  n'est  pas  le  seul  office  qu'U  détenait.  Il 
portait  encore  le  titre  de  secrétaire  du  duc  de  Bourbon ,  Jean  II , 
et  exerçait  les  fonctions  de  concierge  de  l'hôtel  de  Bourbon  à 
Paris.  On  sait  que  cette  somptueuse  demeure,  une  des  plus 
magnifiques  du  vieux  Paris,  reconstruite  et  augmentée  à  la 
fin  du  xrv^  siècle  par  le  duc  Louis  II,  occupait  sur  la  rive 
droite  de  la  Seine  l'espace  compris  entre  la  colonnade  actuelle 
du  Louvre  et  le  cloître  Saint-Germain-l'Auxerrois.  L'hôtel 
servait  de  résidence  au  duc  de  Bourbonnais  et  à  sa  famille 
lorsqu'ils  séjournaient  à  Paris,  et  il  est  certain  que  la  place 
de  concierge  ou  de  garde  de  cet  édifice  était  un  poste  de 

1.  Arch.  nat.,  P  1371,  cote  1948.  Parch.  jadis  scellé. 

2.  Compte  de  Jean  de  Beaune  des  deniers  provenant  de  la  confisca- 
tion du  cardinal  d'Angers.  Bibl.  nat.,  ms.  fr.  4487,  fol.  54;  orig., 
parch. 


xxiv  INTRODUCTION. 

grande  confiance.  Jean  de  Roye  y  fut  installé  sans  doute 
après  la  guerre  du  Bien  public,  car  les  sentiments  décidé- 
ment royalistes  qu'il  exprime  en  narrant  les  événements  de 
1465  ne  permettent  pas  de  supposer  qu'il  fût  à  cette  époque 
au  service  d'un  des  chefs  de  la  rébellion.  Dès  1466,  au  con- 
traire, tout  l'indique  dans  son  récit,  et  les  noms  des  divers 
membres  de  la  maison  de  Bourbon  ne  sont  enregistrés  qu'avec 
respect,  parfois  avec  vénération.  Il  y  a  longtemps  que  le 
Père  Lelong,  frappé  du  fait,  émettait,  dans  sa  Bibliothèque 
historique  de  la  France,  l'opinion  que  l'auteur  de  la  Chro- 
nique «  devait  être  un  officier  de  la  maison  de  Bourbon,  » 
et  M.  Vitu  lui-même  n'a  pu  s'empêcher  de  signaler  cette 
opinion,  mais  en  la  combattant  par  la  raison  que  l'ensemble 
de  l'œuvre  ne  permet  pas  de  supposer  que  le  chroniqueur  ait 
quitté  Paris.  Cet  argument  n'est  pas  applicable  au  garde  de 
l'hôtel  de  Bourbon. 

C'est  Jean  de  Roye  lui-même  qui  a  pris  soin  de  nous  dire 
quelles  étaient  ses  fonctions,  à  l'occasion  d'une  fête  que  le 
cardinal-archevêque  de  Lyon,  Charles  de  Bourbon,  frère  du 
duc  Jean  II,  donna  à  l'hôtel  au  mois  de  mars  1478,  après 
Quasimodo.  Le  galant  prélat,  un  des  serviteurs  préférés  de 
Louis  XI,  et  qui,  bien  plus  souvent  que  son  frère,  résidait  à 
Paris,  offrait  un  souper  à  la  duchesse  douairière  d'Orléans, 
Marie  de  Clèves,  à  son  fils  le  duc  Louis  et  à  d'autres  grands 
personnages.  Le  repas,  somptueusement  servi,  réunit  la 
noble  compagnie  dans  la  fameuse  galerie  dorée,  mais 
]y[me  (jg  Narbonne,  Marie  d'Orléans,  «  alors  fort  grosse,  » 
son  mari,  Jean  de  Foix,  et  six  de  leurs  intimes  soupèrent 
en  une  chambre  basse,  «  au  logis  de  Jehan  de  Roye,  secré- 
taire de  Mons.  le  duc  de  Bourbon  et  garde  dudit  hôtel  de 
Bourbon.  »  Cet  hôtel,  qui  était  un  peu  sa  chose,  le  chroni- 
queur l'a  nommé  encore  à  d'autres  reprises.  C'est  là  que  fut 


INTRODUCTION.  XXV 

célébrée,  le  4  septembre  1467,  la  fête  des  noces  de  Nicole 
Balue,  frère  du  cardinal,  avec  la  fille  de  Jean  Bureau,  sei- 
gneur de  Montglat,  fête  que  le  roi,  la  reine,  le  duc  et  la 
duchesse  de  Bourbon  honorèrent  de  leur  présence.  C'est  là 
encore  que,  le  12  septembre  1480,  Julien  de  la  Rovère,  car- 
dinal de  Saint-Pierre-ès-Liens,  légat  du  pape,  dîna  et  soupa 
avec  le  cardinal  de  Bourbon.  C'est  là  enfin  qu'au  mois  de 
janvier  1482,  pour  célébrer  la  paix  conclue  entre  Louis  XI 
et  Maximilien  et  pour  faire  honneur  aux  ambassadeurs  fla- 
mands, le  même  Charles  de  Bourbon  fit  représenter  «  une 
moult  belle  moralité,  sottie  et  farce,  où  moult  de  gens  de  la 
ville  alerent  pour  les  voir  jouer,  qui  moult  prisèrent  ce  qui  y 
fut  fait;  »  et  le  chroniqueur  d'ajouter,  avec  un  soupir  de 
regret,  «  que  les  choses  eussent  esté  plus  triumphantes  se 
n'eust  esté  le  temps  qui  moult  fut  pluvieux  et  mal  advenant 
pour  la  belle  tapisserie  et  le  grand  appareil  fait  en  la  cour 
dudit  hostel,  laquelle  cour  fut  toute  tendue  de  la  tapisserie 
de  mondit  seigneurie  cardinal,  dont  il  en  avoit  grand  quan- 
tité et  de  belle.  » 

Dans  le  cours  de  son  récit,  Jean  de  Roye  fait  une  mention 
fréquente  des  faits  et  gestes  du  duc  de  Bourbon  et  du  cardi- 
nal son  frère.  Jean  II  est  nommé  plus  de  quarante  fois, 
Charles  de  Bourbon  à  vingt  reprises  différentes.  Comme  l'a 
remarqué  M.  Vitu,  «  de  tous  les  promoteurs  de  la  guerre 
du  Bien  public,  le  duc  de  Bourbon  est  le  seul  que  le  chroni- 
queur ménage.  »  Après  cette  époque,  Mgr  et  M""*  de  Bourbon 
sont  toujours  cités  très  respectueusement  après  le  roi  et  la 
reine.  La  mort  d'Agnès  de  Bourgogne,  veuve  du  duc  Charles 
de  Bourbon,  au  mois  de  décembre  1476,  est  l'occasion  que 
saisit  Jean  de  Roye  d'énumérer  fort  exactement  les  enfants 
issus  de  cette  union  et  encore  vivants  à  cette  date.  C'est  une 
marque  de  préférence  qu'il  n'a  donnée  à  aucune  autre  mai- 


xxvj  INTRODUCTION. 

son,  et  il  dit  aussi  que  la  défunte  duchesse  «  vesquit  sainc- 
tement  et  longuement  »  et  que  «  son  trespas  fut  fort  plaint 
et  ploré  de  tous  ses  enfants,  parens,  serviteurs  et  amis  et  de 
tous  aultres  habitans  esdits  pays  de  Bourbonnois  et  d'Au- 
vergne. En  benoist  repos  gise  son  ame  !  » 

Plus  émue  encore  est  la  mention  consacrée  à  celle  que  le 
chroniqueur  qualifie  «  sa  très  redoubtêe  dame  très  noble, 
puissante,  saincte  et  des  bonnes  vivans  l'exemplaire  »  Jeanne 
de  France,  sœur  du  roi,  épouse  de  Jean  II,  duc  de  Bourbon, 
laquelle  mourut  au  mois  de  mai  1482. 

Jean  de  Roye,  c'est  lui  qui  nous  l'apprend  dans  son  préam- 
bule, avait  trente-cinq  ans  en  1460:  il  serait  donc  né  vers 
1425.  A  quelle  époque  mourut-il?  quelles  furent  ses  alliances? 
laissa-t-il  une  postérité?  On  n'en  sait  rien.  Il  est  probable 
qu'il  n'existait  plus  en  1495 ,  car  à  cette  date  un  certain 
Ambroise  de  Villiers,  écuyer,  seigneur  dudit  lieu,  fut  pourvu 
de  la  garde  de  l'hôtel  de  Bourbon  à  Paris.  Ce  personnage, 
qui  avait  été  écuyer  tranchant  du  duc  Jean  II,  puis  capitaine 
de  la  ville  et  du  château  de  Thizy  (1"  déc.  1488),  résigna 
ces  fonctions  à  la  fin  de  1495  ou  au  commencement  de  1496 
pour  prendre  possession  à  Paris  de  la  conciergerie  de  l'hôtel 
de  Bourbon.  Or,  il  est  dit  que  sa  femme  se  nommait  Perrette 
de  Roye^  Les  chances  ne  sont-elles  pas  pour  que  cette  Per- 
rette fût  la  fille  de  notre  chroniqueur? 

On  a  observé  que  la  Chronique  Scandaleuse,  assez  indif- 
férente pour  la  dernière  année  du  règne  de  Charles  VII, 

1.  «  Provision  de  concierge  de  l'hôtel  de  Bourbon  à  Paris  en 
faveur  de  maistre  Jehan  de  Colonges,  seigneur  de  la  Motte,  con- 
seiller et  maître  des  requêtes  de  M™»  la  duchesse,  pour  se  pouvoir 
loger  commodément  à  Paris,  que  souloit  tenir  feu  Ambrois  de 
Villiers  et  Perrette  de  Roye,  sa  femme.  A  Montbrison,  pénultième 
février  1503  »  {Extraits  de  titres  de  la  Gliambre  des  comptes  de  Mou- 
lins.Wa\.  nat.,  ms.  fr.  22299,  vol.  I,  fol.  195.  Cf.  fol.  128). 


INTRODUCTION.  xxvij 

est  absolument  nulle  pour  les  années  1462  et  1463.  Le 
chroniqueur  se  borne  à  dire  que,  pendant  cette  période,  «  ne 
survint  riens  que  doye  estre  mis  en  grant  mémoire,  »  Qui- 
cherat,  qui  voyait  dans  la  Scandaleuse  une  rédaction  faite 
sur  les  notes  de  Jean  Castel,  donne  pour  raison  au  silence 
de  la  Chronique  les  pérégrinations  que  Castel  entreprit  à 
cette  époque  à  la  suite  de  Louis  XL  Mais  que  penser  d'un 
historiographe  officiel  qui  aurait  omis  de  garder  mention  de 
ces  événements  d'importance  capitale,  l'acquisition  du  Rous- 
sillon  et  de  la  Cerdagne,  la  guerre  de  Catalogne  et  surtout  le 
rachat  des  villes  de  la  Somme?  Inexplicable  est  bien  aussi, 
il  faut  le  dire,  le  silence  de  Jean  de  Roye  sur  des  faits  dont  le 
dernier  fut  l'occasion  d'emprunts  considérables  effectués  au 
greffe  du  Parlement  et  dans  les  caisses  particulières  des 
membres  de  la  bourgeoisie  de  Paris.  Comment  n'a-t-il  pas 
conservé  le  souvenir  de  cet  acte  despotique,  qui  fit  grand 
bruit  à  l'époque?  C'est  un  mystère  que  l'absence  de  tout 
renseignement  sur  la  vie  de  Jean  de  Roye,  pendant  les 
années  1462  et  1463,  ne  permet  pas  d'éclaircir.  Avec  les 
années  1464  et  1465  surtout,  la  Chronique  devient  extrême- 
ment détaillée  et  prend  les  allures  d'un  journal  tenu  au  jour 
le  jour.  L'auteur  fréquentait  certainement  l'hôtel  du  prévôt 
de  Paris,  Robert  d'Estouteville,  où  l'intelligence  et  les  grâces 
de  M"*^  d'Estouteville,  Ambroise  de  Loré,  réunissaient  tout  ce 
que  Paris  contenait  de  personnages  d'importance  '  ;  il  était 
donc  en  mesure  d'être  très  exactement  informé  de  ce  qui  se 
passait  soit  en  Bourbonnais  pendant  la  triomphante  cam- 
pagne de  Louis  XI,  soit  à  Paris  durant  les  longues  et  moins 
brillantes  journées  de  cette  guerre  de  mesquines  intrigues, 

1.  Il  faut  noter  que  le  chroniqueur  officiel  Jean  Castel  était, 
lui  aussi,  l'un  des  familiers  de  la  maison  d'Estouteville  et  qu'as- 
surément des  relations  ont  dû  exister  entre  Jean  de  Roye  et  lui. 


1 


xxviij  INTRODUCTION. 

qui  se  poursuivit  au  dedans  comme  au  dehors  des  murs  de 
la  grande  ville  pendant  l'automne  de  la  néfaste  année  du 
Bien  public. 

Le  plus  ancien  manuscrit  de  la  Scandaleuse,  celui  que 
Jean  de  Roye  a  signé,  s'arrête,  on  l'a  déjà  dit,  à  la  date  de 
Pâques  1479.  Ceux-là  mêmes  qui  n'ont  pas  connu  les 
manuscrits  ont  observé  qu'après  l'année  1477,  et  jusqu'à  la 
fin,  le  récit  du  chroniqueur  devient  moins  détaillé  et  prend 
une  allure  beaucoup  plus  rapide*.  C'est  une  remarque  juste, 
surtout  si  on  substitue  la  date  de  1479  à  celle  de  1477; 
mais  ce  qui  est  également  facile  à  constater,  c'est  qu'à 
partir  de  cette  année  1479  les  jugements  du  chroniqueur 
sur  les  actions  de  Louis  XI  et  de  ses  agents  deviennent  plus 
sévères.  Aux  éloges  des  précédentes  années  succède  une 
réserve  dont  les  motifs  sont  aisément  pénétrables  pour  qui 
veut  bien  se  souvenir  qu'à  la  suite  des  révélations  plus  ou 
moins  sincères  du  duc  de  Nemours,  Louis  XI  conçut  de  ter- 
ribles soupçons  contre  le  duc  de  Bourbon,  et  que  le  cardinal 
son  frère,  jusque-là  un  des  favoris  du  roi,  dut  quitter  Paris 
pour  un  temps,  complètement  disgracié,  tandis  que  les  offi- 
ciers de  Jean  II,  poursuivis  devant  le  Parlement  pour  avoir 
empiété  sur  les  droits  du  roi,  étaient  emprisonnés,  soumis  à 
de  sévères  interrogatoires  et  finalement  relâchés.  Il  ne  serait 
pas  surprenant  que,  dans  ces  circonstances,  Jean  de  Roye 
eût  interrompu  son  œuvre  pour  ne  la  reprendre  et  la  com- 
pléter qu'après  la  mort  de  Louis  XL  Ceci  expliquerait  la 

Voir  les  vers  adressés  par  Castel  à  Gh.  de  Gaucourt,  au  nom  du 
prévôt  de  Paris,  en  mars  1465,  v.  st.  : 

«  Cent  mille  fois,  monseigneur  le  prevost 
D'Estouteville  a  vous  se  recommande,  etc.  » 
(Quicherat,  Recherches  sur  Jean  Castel,  dans  la  Bibl.  de  l'École 
des  chartes,  {">  série,  t.  II.) 
\.  Vitu,  ouvr.  cité,  p.  37. 


INTRODUCTION.  xxix 

rapidité  avec  laquelle  la  Chronique,  remplie  auparavant 
de  détails  sur  les  événements  parisiens,  résume  les  dernières 
années  du  règne. 

Concluons  donc  que  la  Chronique  Scandaleuse  est  l'œuvre 
d'un  notaire  parisien  nommé  Jean  de  Roye,  secrétaire  du 
duc  de  Bourbonnais  Jean  II  et  garde  de  l'hôtel  de  Bourbon 
à  Paris.  La  Scandaleuse  n'est  pas,  comme  on  l'a  dit,  une 
réédition  de  la  Chronique  officielle  du  règne  de  Louis  XI, 
mais  une  œuvre  originale  et  personnelle,  dont  le  contenu  a 
été  au  contraire  reproduit  parfois  textuellement  par  ceux 
qui  ont  écrit  l'histoire  de  cette  époque  '  et  par  les  compila- 
teurs qui,  au  xvi^  siècle,  travaillèrent  à  la  continuation  des 
Grandes  Chroniques  de  France. 

Nous  adressons,  en  terminant  cette  trop  longue  préface, 
de  sincères  remerciements  à  ceux  qui  ont  bien  voulu  nous 
assister  dans  les  recherches  qu'a  nécessitées  l'annotation  de 
la  Chronique.  Nous  sommes  particulièrement  reconnaissant 
à  nos  confrères  MM.  Vaesen  et  Spont,  qui  ont  mis  à  notre 
service  les  trésors  de  leur  érudition  et  nous  ont  libérale- 
ment communiqué  des  renseignements  sur  une  époque  de 
l'histoire  nationale  qu'ils  possèdent  mieux  que  personne. 

1.  Cf.  particulièrement  le  Compendium  supra  Francorum  gestis, 
de  Robert  Gaguin,  1497,  in-4o. 


JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE 

CONNU   SOUS   LE   NOM   DE 

CHRONIQUE    SCANDALEUSE 

1460-1483. 


A  l'onneur  et  louange  de  Dieu,  nostre  doulx  saulveur 
et  rédempteur,  et  de  la  benoiste,  glorieuse  vierge  et 
pucelle  Marie,  sa  mère,  sans  le  moyen  desquelz  nulles 
bonnes  euvres  ou  operacions  ne  pevent  estre  con- 
duictes;  et  pour  ce  aussy  que  plusieurs  roys,  princes, 
contes,  barons,  prelatz,  nobles  hommes,  gens  d'église 
et  aultre  populaire  se  sont  souvent  delictez  et  delic- 
tent  à  ouyr  et  escouter  des  hystoires  merveilleuses  et 
choses  advenues  en  divers  lieux,  tant  de  ce  royaulme 
que  d'aultres  royaulmes  christiens,  au  trente  cinc- 
quiesme  an  de  mon  aaige  me  delectay,  en  heu  de  passe 
temps  et  d'eschever  oysiveté,  à  escripre  et  faire 
mémoire  de  plusieurs  choses  advenues  au  royaulme 
de  France  et  aultres  royaulmes  voisins,  ainsy  qu'il 
m'en  est  peu  souvenir,  et  mesmement  depuis  l'an  mil 
quatre  cens  soixante  que  regnoit  à  roy  de  France 
Charles,  septiesme  de  ce  nom,  jusques  au  trespas  du 
roy  Loys,  unziesme  de  ce  nom,  filz  du  dit  roy  Charles, 
qui  fut  le  penultime  jour  du  mois  d'aoust  mil  quatre 


2  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE 

cens  quatre  vingtz  et  troys,  combien  que  je  ne  vueil 
ne  n'entens  point  les  choses  cy  après  escriptes  estre 
appellées,  dictes  ou  nommées  Groniques,  pour  ce  que 
à  moy  n'appartient,  et  que  pour  ce  fayre  n'ay  pas  esté 
ordonné  et  ne  m'a  esté  permys,  mais  seulement  pour 
donner  aucun  petit  passe  temps  aux  lisans,  regardans 
ou  escoutans  icelles,  en  leur  priant  humblement  excu- 
ser et  supployer  à  mon  ignorance  et  adresser  ce  qui 
y  seroyt  mal  mis  ou  escript  ;  car  plusieurs  desdictes 
choses  et  merveilles  sont  advenues  en  tant  de  diver- 
sitez  et  façons  estranges  que  moult  pénible  chose 
auroit  esté  à  moy  ou  aultre  de  bien  au  vray  et  au  long 
escripre  la  vérité  des  choses  advenues  durant  ledit 
temps  ^. 

1.  Interpolations  et  Variantes,  §  i.  —  Il  est  manifeste  que  la 
rédaction  de  ce  prologue  est  postérieure  à  la  mort  de  Louis  XI. 
Donc,  il  n'a  jamais  figuré  en  tête  du  ms.  fr.  5602,  actuelle- 
ment dépouillé  d'ailleurs  de  ses  deux  premiers  feuillets.  A-t-il 
été  transcrit  au  commencement  du  ms.  fr.  2889?  On  ne  peut 
le  savoir,  car  ce  manuscrit,  plus  maltraité  encore  que  son 
aîné,  débute  seulement  avec  l'entrée  du  roi  Louis  XI  à  Paris. 
Le  texte  reproduit  ici  est  celui  fourni  par  l'édition  gothique. 
Hors  un  renseignement  sur  l'âge  du  chroniqueur,  ce  prologue  ne 
contient  rien  d'original.  Les  idées  qu'il  exprime  se  retrouvent 
dans  la  plupart  des  préambules  des  mémoires  ou  chroniques  de 
l'époque,  depuis  le  Miroir  historial  de  Vincent  de  Beauvais,  dont 
la  traduction  française  par  Jean  de  Vignay  (Bibl.  nat.,  ms,  fr.  50) 
fut  imprimée  pour  Vérard  en  1495,  jusqu'à  Olivier  de  la  Marche. 
0  Pour  ce  que  oiseuse  est  chose  nuisant  et  commancement  et 
atrait  de  tous  vices  selon  ce  que  sainct  Jeroisme  tesmoingne...,  » 
écrit  frère  Vincent;  et  le  chroniqueur  bourguignon,  qui  rédigeait 
sa  préface  vers  1472  ou  1473  :  «  Ayant  de  présent  en  souvenance 
ce  que  dit  le  saige  Socrates  que  oysiveté  est  le  délicieux  lict  et  la 
couche  où  toutes  vertus  s'oublient  et  s'endorment...  je  doncques... 
ay  emprins,  etc.  »  Et,  plus  loin  :  «  Et  n'entens  pas  que  ceste  ma 
petite  et  mal  acoustrée  labeur  se  doibve  appeler  ou  mettre  ou 
nombre  des  cronicques.  »  Enfin,  Olivier  termine  aussi  par  le  vœu 


1460]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  3 

Et  premièrement,  touchant  le  fait  et  utilité  de  la 
terre  durant  ladicte  année  mil  quatre  cens  soixante, 
au  regart  et  en  tant  que  touche  le  terrouer  et  fînaige 
du  royaulme  de  France,  il  y  creust  compettamment 
de  blez,  qui  furent  bons  et  de  garde  ;  et  n'en  fut  point 
vendu,  au  plus  chier  temps  de  ladicte  année,  que  vingt 
quatre  solz  parisis  le  septier,  mais  il  n'y  creust  que 
bien  peu  de  fruict.  Et,  au  fait  des  vignes,  il  y  eut  bien 
peu  de  vin,  et  par  especial  en  l'Isle  de  France,  comme 
d'ung  muy  de  vin  pour  chascun  arpent,  mais  il  fut 
bien  bon  ;  et  se  vendit  chier  le  vin  creu  es  bons  ter- 
rouers  d'entour  Paris,  comme  de  dix  à  unze  escus 
chascun  muy^. 

En  ce  temps  fut  faite  justice  et  grande  execucion 
audit  heu  de  Paris  de  plusieurs  povres  et  indigentes 
créatures,  comme  de  larrons,  sacrilèges,  pipeurs  et 
crocheteurs.  Et  pour  lesdis  cas  plusieurs  en  furent 
batus  au  cul  de  la  charette,  pour  leurs  jeunes  aages  et 
premier  méfait,  et  les  aultres,  pour  leur  mauvaise 

«  que  les  lisans  et  oyans  suppleront  mes  faultes,  agréeront  mon 
bon  vouloir  et  prendront  plaisir  et  delect  de  ouyr  et  savoir  plu- 
sieurs noi)les,  belles  et  solempnelles  choses  advenues  de  mon 
temps  et  dont  je  parle  par  veoir,  non  pas  par  ouy  dire  »  (éd.  Beaune 
et  d'Arbaumont  (Soc.  de  l'hist.  de  France),  t.  I,  p.  183-187). 

1.  Il  en  fut  de  même  dans  le  Nord  [Mémoires  de  Jacques  du 
Clercq,  éd.  Reiffenberg.  Bruxelles,  1823,  4  vol.  in-8o,  t.  III, 
p.  27  et  92)  et  en  Normandie.  Les  Rouennais  adressèrent  au 
Conseil  du  roi  des  représentations  pour  que  l'exportation  des  blés 
fùl  interdite,  considérant  que,  dès  le  mois  d'août,  il  ne  restait 
plus  rien  de  la  récolte  précédente  et  que  les  céréales  avaient  été 
cette  année  rentrées  dans  de  fâcheuses  conditions.  Il  était  à 
craindre  aussi  que  vins,  cidres  et  poirés  ne  fussent  peu  abon- 
dants, ce  qui  augmenterait  la  consommation  de  la  bière  et  de  la 
cervoise,  boissons  qui  se  fabriquaient  avec  du  grain  (Reg.  des 
délibérations  de  l'hôtel  de  ville  de  Rouen,  A^,  fol.  181). 

I  3 


4  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1460 

coutume  et  perseverence,  furent  penduz  et  estranglez 
au  gibet  de  Paris,  nommé  Montigny,  nouvelle[ment] 
créé  et  estably  pour  la  grant  vieillesse,  ruyne  et  déca- 
dence du  précèdent  et  ancien  gibet,  nommé  Mont- 
faucon  ' . 

Audit  temps  fut  fait  mourir  et  enfoye  toute  vive, 
audit  lieu  de  Paris,  une  femme  nommé  Perrette  Man- 
ger, pour  occasion  de  ce  jque  ladicte  Perrette  avoit 
fait  et  commis  pluseurs  larrecins,  et  en  ce  faisant  par 
long  temps  continué,  et  aussy  favourisé  et  recellé  plu- 
sieurs larrons,  qui  aussy  faisoient  et  commettoient 
plusieurs  et  divers  larrecins  audit  lieu  de  Paris;  les- 
quelz  larrecins  pour  lesditz  larrons  vendoit  et  distri- 
buoit,  et  l'argent  que  de  ce  elle  recepvoit,  en  bailloit 
et  delivroit  ausditz  larrons  leur  portion,  et  pour  elle 
en  retenoit  son  butin.  Pour  lesquelz  cas  et  aultres 
par  elle  confessez  fut  condempnée  par  sentence  don- 
née du  prevost  de  Paris,  nommé  messire  Robert  d'Es- 
touteville,  chevalier-,  à  souffrir  mort  et  estre  enfouye 
toute  vive  devant  le  gibet,  et  tous  ses  biens  acquis  et 

1.  Le  gibet  neuf  de  Montigny,  élevé  vers  1457,  n'était  pas  éloi- 
gné de  celui  de  Montfaucon,  lequel  datait  du  sin«  siècle  et  se  dres- 
sait en  dehors  de  l'enceinte  de  Paris,  entre  les  portes  Saint-Martin 
et  du  Temple  (voir  le  plan  de  Paris,  dit  de  la  Tapisserie,  et  Lon- 
gnon,  OEuvres  de  Villon.  Paris,  1891,  in-8*,  p.  xxu). 

2.  Robert  d'Estouteville  fut  armé  chevalier  par  Charles  VII  en 
1441,  après  la  prise  de  Pontoise  (Beaucourt,  Hist.  de  Charles  Vil, 
t.  III,  p.  192).  Seigneur  de  Beynes,  baron  d'Ivry  et  de  Saint- 
André  en  la  Marche,  conseiller  et  chambellan  du  roi  et  garde 
de  la  prévôté  de  Paris,  il  succéda  dans  ce  poste  important  à  son 
beau-père  Ambroise  de  Loré  (1447).  Robert  d'Estouteville,  desti- 
tué par  Louis  XI  dès  son  avènement  au  trône,  fut  rétabli  en  1465 
et  exerça  l'ofhce  de  prévôt  de  Paris  jusqu'à  sa  mort,  survenue 
au  mois  de  juin  1479  (voir  ci-après). 


1460]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  5 

confisquez  au  roy.  De  laquelle  sentence  et  jugement 
elle  appella  formellement  en  la  cour  de  Parlement; 
pour  révérence  duquel  appel  fut  différé  à  exécuter. 
Et  après  que  par  ladicte  court  le  procès  d'icelle  eut 
esté  veu  et  visité  fut  dit,  par  arrest  d'icelle  et  en  con- 
fermant  ladicte  sentence,  que  ladicte  Perrette  avoit 
mal  appelle  et  l'amenderoit,  et  que  ladicte  sentence 
seroit  exécutée^;  ce  qui  fut  dit  à  icelle  Perrette,  laquelle 
declaira  lors  qu'elle  estoit  grosse  :  par  quoy  fut  dere- 
chief  différé  de  l'exécuter  et  fut  fait  visiter  par  ven- 
trières et  matrosnes  qui  rapportèrent  à  justice  qu'elle 
n'estoit  point  grosse.  Et  incontinent  ledit  raport  fait, 
fut  envoyée  exécuter  aux  champs  devant  ledit  gibet 
par  Henry  Cousin-,  exécuteur  de  la  haulte  justice  audit 
lieu  de  Paris. 

Merveilles  advenues  au  royaulme  d'Angleterre 
en  ladicte  année^. 

En  ce  temps  passa  la  mer  en  Angleterre  ung  légat 
de  Romme,  légat  de  par  le  pape^,  qui  illec  prescha  le 

1.  Arrêt  du  21  novembre  1460  (Arch.  nat.,  X^a  3i^  fol.  l). 

2.  Il  exerça  ces  fonctions  au  moins  jusqu'en  1478  (voir  ci-après, 
à  cette  date,  et  Longnon,  Villon,  p.  91). 

3.  Ce  titre  est  reproduit  par  respect  pour  le  texte  de  l'édition 
gothique,  mais  il  est  douteux  qu'il  figurât  dans  les  manuscrits. 
Le  paragraphe  tout  entier,  relatif  aux  affaires  d'Angleterre,  a  été 
imprimé  par  Deuys  Godefroy  et  reproduit  par  "Vallet  de  Viriville 
à  la  fin  de  leurs  éditions  de  {'Histoire  de  Charles  VII  de  Jean 
Ghartier  (Paris,  1661,  in-fol.,  et  1858-59, 3  vol.  in-16,  t.  m,  p.  121- 
124).  Vallet  de  Viriville  observe  que  ce  chapitre,  qui  suit  le  récit 
des  funérailles  de  Charles  VII,  manque  dans  la  plupart  des  exem- 
plaires de  la  chronique  de  J.  Ghartier,  et  il  nous  semble  fort  dou- 
teux que  la  rédaction  en  appartienne  à  l'historiographe  de 
Gharles  VU. 

4.  François  Goppini,  évêque  de  Terni,  chargé  par  le  pape  Pie  II 


6  JOURN.VL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1460 

peuple  du  pays  et  par  especial  en  la  ville  de  Londres, 
maistresse  ville  dudit  royaulme,  là  où  il  fist  plusieurs 
remonstrances  aux  habitans  dudit  lieu  et  autres  d'en- 
viron, contre  et  au  préjudice  du  roy  Henry  d'Angle- 
terre; lesquelles  remonstrances  le  cardinal  d'York'', 
qui  acompaignoit  ledit  légat,  après  ladicte  exposition 
par  luy,  exposa  en  leur  langage.  Et  tantost  après 
ladicte  exposition  faicte,  ledit  peuple,  qui  estoit  de 
legiere  créance,  se  esmeut  pour  faire  guerre  à  ren- 
contre dudit  roy  Henry  de  Lancastre  et  de  la  royne 
sa  femme,  fille  du  roy  René  de  Cecille  et  de  Jherusa- 
lem,  et  du  prince  de  Galle,  leur  fîlz^.  Et  print  le  dit 
populaire  pour  leur  capitaine  le  comte  de  Warwyk^, 

de  travailler  à  la  réconciliation  des  partis  en  Angleterre  et  de 
prêcher  la  croisade  contre  le  Turc,  fit  dès  l'abord  cause  commune 
avec  la  maison  d'York.  Le  26  jum  1460,  le  légat  s'embarqua  à 
Calais  avec  les  comtes  de  March,  de  Salisbury  et  de  Warwick, 
fugitifs  depuis  l'insuccès  de  leur  précédente  rébellion,  et,  après 
leur  entrée  triomphale  dans  Londres,  il  continua  à  poursuivre 
activement  le  succès  de  leur  cause.  Rappelé  par  le  pape,  Goppini 
fut  privé  de  l'épiscopat  (Beaucourt,  Charles  VII,  VI,  290  et  324,  et 
R.  Brown,  Calendar  of  stale  papers,  etc.,  existing  in  the  Archives... 
of  Veiiice  and  other  libraries  of  Northern  Italy,  in-8',  t.  I,  p.  89 
et  suiv.). 

1.  WiUiam  Booth  ou  Bothe,  archevêque  d'York  dès  1452,  mou- 
rut en  1464  (Chronique  de  Jean  de  Wavrin,  pubUée  par  M"«  Dupont 
(Soc.  de  l'hist.  de  France),  t.  II,  p.  270). 

2.  Henri  VI  de  Lancastre,  fils  de  Henri  V,  roi  d'Angleterre,  et 
de  Catherine  de  France,  né  le  6  décembre  1421,  roi  d'Angleterre 
le  1"  septembre  1422,  couronné  à  Londres  le  6  novembre  1429, 
épousa  Marguerite  d'Anjou  au  mois  d'avril  1445  et  fut  mis  à 
mort  le  21  mai  1471.  Son  fils  Edouard,  prince  de  Galles,  fut  tué 
quelques  jours  plus  tôt,  après  la  bataille  de  Tewkesbury  (4  mai 
1471). 

3.  Richard  Nevill,  le  faiseur  de  rois,  était  fils  de  Richard,  comte 
de  Westmoreland  et  de  Salisbury.  Il  épousa  Anne  Beauchamp, 


1460]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  7 

qui  estoyt  capitaine  de  Calais,  pour  et  au  lieu  de 
Richard,  duc  d'York,  qui  vouloit  et  pretendoit  à  estre 
roy  dudit  royaulme,  qui  maintenoit  à  luy  duyre  et 
competter  ledit  royaulme  d'Angleterre  comme  prou- 
chain  héritier  de  la  lignée  et  du  cousté  du  roy  Richard^. 
Et  peu  de  temps^  après,  ledit  duc  d'York,  qui  avoit 
après  lui  grant  nombre  de  populaire  en  armes,  se 
mirent  aux  champs  et  vindrent  en  ung  parc  où  estoit 
ilecques  ledit  roy  Henry  avecques  plusieurs  ducs, 
princes  et  autres  seigneurs,  aussi  tous  en  armes.  Et 
ouquel  parc  y  avoit  huit  entrées  qui  estoient  gardées 
par  huit  barons  dudit  royaume,  qui  tous  estoient 
traistres  audit  roy  Henry.  Lesquelz  huit  barons,  quant 
ilz  sceurent  venir  ledit  duc  d'York  devers  ledit  parc, 
le  laissèrent  entrer  en  icellui  avecques  le  conte  de 
Warwyk  et  autres,  qui  vindrent  tout  droit  où  estoit 
ledit  roy  Henry,  lequel  ilz  prindrent  et  saisirent^.  Et 

fille  du  comte  de  Warwick,  Richard,  et  fut  tué  à  Barnet  le 
14  avril  1471. 

1.  G'est-à-dire  du  roi  Richard  II,  fils  d'Edouard,  le  prince  Noir, 
mort  eu  1376,  et  petit-fils  d'Edouard  III  (1327-1377),  auquel  il 
succéda  directement.  Déposé  en  1399,  Richard  II  mourut  peu 
après  sans  postérité  et  fut  remplacé  par  son  cousin  Henri  IV 
(1399-1413),  fils  de  Jean  de  Gand,  quatrième  fils  d'Edouard  III, 
lequel  avait  épousé  Blanche  de  Lancastre.  Henri  IV  eut  pour  fils 
Henri  V  (1413-1422),  auquel  succéda  Henri  VI.  D'autre  part, 
Richard,  duc  d'York,  descendait  directement  d'Edmond  de  Lan- 
gley,  cinquième  fils  d'Edouard  IH,  mais  il  représentait  aussi  les 
droits  au  trône  du  troisième  fils  de  ce  roi,  Lionel,  duc  de  Clarence, 
dont  l'héritière,  Anne  Mortimer,  avait  épousé  Richard,  comte  de 
Cambridge,  propre  fils  d'Edmond  de  Langlcy. 

2.  Ici  débute,  en  son  état  actuel,  le  ms.  fr,  5062,  dont  le  texte 
sera  dans  la  suite  intégralement  reproduit. 

3.  Bataille  de  Northampton,  10  juillet  1460.  Henri  VI,  à  demi 


8  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1460 

incontinent  ce  fait,  vindrent  tuer  plusieurs  princes 
et  autres  grans  seigneurs  de  son  sang  qui  estoient 
autour  de  lui.  Et  ces  choses  faictes,  ledit  conte  de 
Warwyk  print  ledit  Henry  et  l'amena  tout  droit  en  la 
ville  de  Londres,  et  portoit  l'espée  nue  devant  ledit 
Henry  comme  son  connestable.  Et  quant  icellui  roy 
Henry  de  Lencastre  fut  audit  lieu  de  Londres,  il  le 
mena  tout  droit  devant  la  tour  dudit  Londres,  dedens 
laquelle  estoient  quatre  barons  dudit  pays  pour  ledit 
Henry,  ausquelz  lesdits  Henry  et  Warwyk  parlèrent 
par  belles  paroles,  les  tirèrent  hors  d'icelle  tour  après 
ce  qu'ilz  leur  promisdrent  qu'ilz  n'aroient  nul  mal  de 
leurs  personnes  et  qu'ilz  les  asseuroient;  lesquelz 
soubz  umbre  desdictes  promesses,  yssirent  hors  de  la 
dicte  tour.  Et,  ainsi  qu'on  menoit  lesdiz  quatre  barons 
après  lesdiz  Henry  et  Warwyk,  pluseurs  de  ladicte 
ville  de  Londres  s'esmeurent  et  vindrent  tuer  l'un  des 
diz  quatre  barons,  nommé  le  seigneur  de  Scales,  et 
lui  baillèrent  plusieurs  cops  orbes  ^;  et  le  lendemain 
ilz  firent  escarteler  lesdiz  autres  barons  devant  ladicte 


insensé,  et  le  comte  de  Buckingham,  furent,  l'un  fait  prisonnier, 
l'autre  tué  (Jean  de  Wavrin,  t.  II,  p.  227). 

1.  C'est-à-dire  portés  avec  des  instruments  contondants.  — En 
quittant  Londres  pour  se  porter  contre  les  forces  du  roi  Henri  de 
Lancastre,  les  Yorkistes  avaient  laissé  le  comte  de  Salisbury, 
père  du  comte  de  Warwick ,  devant  la  Tour  de  Londres ,  que 
tenait  pour  Henri  VI  Antoine  Woodville,  lord  Scales.  Il  résista 
trois  semaines,  mais,  encombrée  de  réfugiés,  la  bastille  london- 
nienne  capitula  faute  de  vivres.  Scales,  auquel  on  avait  promis 
la  vie  sauve,  fut  mis  en  une  barque  pour  être  conduit  à  West- 
minster, mais  en  route  «  do  grosses  paroUcs  »  s'élevèrent  entre 
lui  et  les  mariniers,  «  qui  le  murdriront  là  entr'eulz,  dont  il  y 
eut  grant  bruit  »  (Jean  de  Wavrin,  t.  H,  p.  230  et  suiv.). 


1460]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  9 

tour  de  Londres,  nonobstant  lesdictes  promesses 
ainsi  à  eulx  faictes.  Et  s'i  fye  qui  vouldra*  ! 

Oudit  temps,  advint  à  Paris  ung  grant  débat  entre 
les  gens  et  officiers  du  roy  en  sa  Chambre  des  Aides 
à  Paris  et  ung  des  bedeaulx  de  l'Université  d'icelle 
ville,  pour  ung  exploict  fait  par  ledit  bedeau  à  ren- 
contre de  deux  conseillers  de  ladicte  Chambre  des 
Aides  :  pour  lequel  exploict  ledit  bedeau  fut  cons- 
titué prisonnier  en  la  conciergerie  du  Palais  royal, 
audit  lieu  de  Paris.  Dont  ceulx  de  ladicte  Université 
furent  moult  desplaisans,  et  pour  le  ravoir  firent  ces- 
sacions  en  ladicte  \ille  de  prescher,  lire  et  estudier. 
Et  après  furent  appoinctez,  et  fut  tout  restably,  et 
demourerent  contens^. 

Oudit  temps,  advint  à  Paris  aussi  que  ung  nommé 
Anthoine,  bastard  de  Bourgongne,  vint  et  entra  en 

1.  «  Et  puis  se  fie  qui  voudra  à  de  semblables  prometteurs,  » 
dans  Jeaa  Chartier,  éd.  Yallet  de  Viriville,  t.  III,  p.  124. 

2.  Une  ordonnance  de  Charles  Vil,  datée  de  Salles-le-Roy,  en 
Berry,  le  24  septembre  1460,  vise  le  cas  dont  parle  notre  chro- 
nique. Le  roi  y  blâme  sévèrement  les  «  abus  ou  entreprises  » 
commis  au  mépris  de  ses  droits  «  sous  couleur  de  l'Université 
et  de  ses  privilèges.  »  Au  «  pourchas  d'aucuns  suppôts  de  l'Uni- 
versité, »  on  a  cité  certains  fermiers  des  aides,  fait  admonester  et 
excommunier  les  officiers  élus  de  Paris  et  d'Alençon,  déclaré 
parjures  l'évêque  de  Troyes,  président,  Guillaume  Longuejoueet 
Charles  Rapioust,  conseillers  aux  aides,  et  fait  cessation  de  ser- 
mons en  la  ville  de  Paris.  Le  roi  enjoint  à  l'Université  de  réparer 
tous  ces  excès  avant  la  Toussaint  et  de  ne  pas  les  renouveler, 
sous  peine  de  voir  effacer  ses  privilèges  {Collection  des  ordonnances 
royales,  XIV,  197.  Cf.  dans  Félibien,  Histoire  de  Paris,  V,  707,  le 
texte  de  la  bulle  du  pape  Pie  II,  datée  des  ides  de  février  1462, 
et  conçue  en  termes  fort  désagréables  pour  le  recteur  et  pour 
les  suppôts  de  l'Université  de  Paris). 


\0  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1460 

ladicte  ville  de  Paris  en  habit  mescongneu,  et  n'y 
séjourna  qu'un  jour  et  une  nuit,  et  puis  s'en  retourna. 
Et,  quant  il  fut  sceu  qu'il  estoit  ainsi  venu  en  ladicte 
ville,  plusieurs  officiers  du  roy  et  gens  de  façon 
d'icelle  furent  fort  ymaginatifz  comment  ne  pourquoy 
il  estoit  ainsi  venu  que  dit  est.  Et  de  ladicte  venue 
en  furent  portées  les  nouvelles  au  roy  par  aucuns 
qui  en  parlèrent  à  la  charge  de  ladicte  ville,  qui  n'y 
avoient  aucune  coulpe.  Et,  pour  ceste  cause  et  à  grant 
haste,  le  roy  envoya  audit  lieu  de  Paris  son  mareschal, 
seigneur  de  Loheac,  et  maistre  Jehan  Bureau,  tréso- 
rier de  France,  pour  pourveoir  et  donner  provision 
audit  donné  à  entendre.  Et,  à  ce  que  le  roy  n'eust 
aucune  ymaginacion  que  ceulx  de  ladicte  ville  de 
Paris  eussent  aucune  coulpe  ou  charge  à  ladicte 
venue,  lui  fut  envoyé  de  par  ladicte  ville  une  amba- 
xade  où  estoient  maistre  Jehan  de  l'Olive,  docteur  en 
théologie  et  chanceUier  de  l'église  de  Paris,  Nicolas  de 
Louviers,  sire  Jehan  Clerebout,  gênerai  maistre  des 
monnoyes,  sire  Jehan  Luiller,  clerc  de  ladicte  ville, 
Jaques  Rebours,  procureur  d'icelle,  Jehan  Volant, 
marchant,  et  autres,  tous  lesquelz  le  roy  receut  très 
benignement.  Et,  après  leur  propos  fait  servant  à 
leur  excusacion,  fut  le  roy  très  content  d'eulx  et  leur 
fîst  bonne  et  gracieuse  response,  et  s'en  retournèrent 
joieusement  à  Paris  dont  ilz  estoient  partis*. 

1.  Sur  les  circonstances  de  cette  affaire,  voir  l'analyse  que 
M.  de  Beaucourt  a  donnée  d'une  délibération  prise  par  le  con- 
seil du  roi  le  14  novembre  1460,  et  dont  le  proci'S-verbal  se 
trouve  au  ms.  fr.  5040  de  la  Bibl.  nat.,  fol.  213.  André  de 
Laval,  seigneur  de  Lohéac,  de  Kergorlay,  etc.,  maréchal  de 
France,  celui  que  Ghastellain  qualifie  «  une  perle  de  chevalier 


1460]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  H 

En  ce  temps  messire  Robert  d'Estouteville,  cheva- 
lier, qui  estoit  prevost  de  Paris,  fut  mis  et  constitué 
prisonnier  en  la  bastide  Saint-Anthoine  à  Paris,  et 
depuis  au  Louvre,  par  l'ordonnance  desdiz  seigneurs 
de  Loheac  et  maistre  Jehan  Bureau,  pour  aucunes 
injustices  ou  abus  qu'on  lui  mettoit  sus  qu'il  faisoit 
en  excercant  sondit  office;  dont  de  ce  ne  fut  point 

entre  mille  »  (éd.  K.  de  Lettenhove,  IV,  H4  ;  cf.  Vaesen,  Lettres  de 
Louis  Z/(Soc.  de  l'hist.  deFr.),IlI,  266),  reçut  l'ordre  de  se  faire 
assister,  pour  l'information  qu'il  était  chargé  d'ouvrir,  par  maîtres 
Pierre  du  Refîuge,  Jean  Avin  et  Henry  de  la  Cloche,  qui  les 
premiers  avaient  dénoncé  la  présence  à  Paris  du  fils  bâtard  de 
Philippe  le  Bon.  Ce  séjour  clandestin,  à  un  moment,  où  les  rela- 
tions du  roi  Charles  avec  le  duc  de  Bourgogne,  aigries  par  la 
présence  du  dauphin  en  Flandre,  étaient  extrêmement  ten- 
dues, avait  paru  suspect  et  fit  craindre  un  moment  qu'il  n'y  eût 
«  quelque  entreprinse  ou  que  l'on  pourchassast,  par  delà,  faire 
aucune  chose  préjudiciable  au  roy.  »  —  Jean  Bureau,  chevalier, 
seigneur  de  Montglat,  etc.,  conseiller  de  Charles  VII  dès  1437, 
commis  au  fait  de  l'artillerie  (1439),  maître  des  comptes  et  tréso- 
rier de  France  (1445),  maire  de  Bordeaux  (1451),  capitaine  de 
Meaux,  gouverneur  de  Pons(Bibl,  nat.,  ms.  fr.  20487,  fol.  96),  avait 
épousé  Germaine  Hessehn  (voy.  Beaucourt,  Charles  VII,  passitn, 
et  Vaesen,  Lettres  de  Louis  XI,  II,  93).  Il  mourut  le  5  juillet  1463. 
—  Jean  de  l'Olive  était  chanoine  de  Notre-Dame  et  passait  pour 
fort  éloquent  [Mém.  de  la  Soc.  de  l'Hist.  de  Paris,  t.  IV  (1877), 
p.  31).  —  Nicolas  de  Louviers,  bourgeois  de  Paris,  échevin, 
puis  receveur  des  aides,  créé  enfin  conseiller  aux  comptes  par 
Louis  XI  à  son  avènement,  prévôt  des  marchands  en  1463,  mou- 
rut le  15  novembre  1483.  Il  avait  épousé  Michelle  Brice  (Lon- 
gnon,  Villon,  p.  321,  et  Bibl.  nat..  Pièces  originales,  vol.  1764, 
doss.  Louviers).  —  Jean  Clerbout  était  l'un  des  sept  maîtres  des 
monnaies  désignés  par  l'ordonnance  du  29  juin  1443  (Beaucourt, 
Charles  VII,  III,  471).  —  Jean  Luillier,  bourgeois  de  Paris,  était 
clerc-gretlier  et  receveur  tant  du  domaine  que  des  aides  de  la 
ville  depuis  le  19  août  1447  (Vitu,  La  Chronique  de  Louis  XI  dite 
Chronique  Scandaleuse ,  etc.,  p.  44).  Il  avait  épousé  Jeanne  de 
Vitry  (Obituaire  de  la  Grande  Confrérie  aux  bourgeois,  Arch.  nat., 
LL  437,  à  la  date  du  5  janvier). 


12  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1460-1461 

attainct.  Et  lors,  par  maistre  Jehan  Avin,  conseiller 
lay  en  la  court  de  Parlement,  furent  fais  plusieurs 
explois  en  l'ostel  dudit  d'Estouteville,  comme  de  cer- 
cher  boistes,  coffres  et  autres  lieux  pour  savoir  se  on 
y  trouveroit  nulles  lettres  ;  et  fist  plusieurs  rudesses 
oudit  hostel  à  dame  Ambroize  de  Loré,  femme  dudit 
d'Estouteville,  qui  estoit  moult  sage,  noble  et  hon- 
neste  dame.  Dieu  de  ses  exploiz  le  vueille  punir,  car 
il  le  a  bien  desservy'^  ! 

En  ladicte  année  furent  les  rivières  de  Seine  et 
Marne  moult  grandes,  tellement  que  en  une  nuit 
ladicte  rivière  de  Marne  creut  et  devint  si  grande  à 
l'environ  de  Saint-Mor  des  Fossez^  comme  de  la  haul- 
teur  d'un  homme,  et  fist  plusieurs  grans  dommages 
en  divers  lieux.  Et,  entre  autres  dommages,  ladicte 
rivière  vint  si  grande  à  ung  village  nommé  Cloye^,  et 
en  ung  hostel  ilec  estant  qui  est  à  l'evesque  de 
Meaulx,  qu'elle  en  emporta  toute  la  massonnerie  du 

1.  Jean  Avin  avait  été  l'un  des  commissaires  ordonnés  à  faire 
le  procès  de  Jacques  Cœur.  Il  vivait  encore  en  1489.  Son  hôtel 
était  situé  rue  Saint-Antoine  (Bibl.  nat.,  ms.  fr.  11686,  fol.  129). 
Si  la  malédiction  que  le  chroniqueur  adresse  à  ce  personnage 
n'a  pas  été  ajoutée  au  moment  des  poursuites  que  Jean  Avin  fut 
chargé  de  diriger  contre  les  officiers  du  duc  de  Bourbon  en  1479 
(voy.  plus  loin,  à  la  date),  il  faut  conclure  que  depuis  longtemps  il 
était  l'ennemi  des  «  Bourbonnais.  »  Il  suffit  peut-être  que,  dans 
l'occasion  présente,  il  se  soit  acharné  contre  les  d'Estouteville 
que  Jean  de  Roye  aimait ,  dont  il  fréquentait  l'hôtel ,  et  qu'il 
cite  toujours  avec  un  affectueux  respect.  Ambroise  de  Loré  pas- 
sait pour  une  des  personnes  les  plus  accomplies  de  son  temps. 
Mariée  vers  1446,  elle  mourut  en  1468.  Villon  lui  a  dédié  une 
ballade  (éd.  Longnou,  p.  79  et  319). 

2.  Aujourd'hui  dép.  de  la  Seine,  cant.  de  Gharenton-le-Pont. 

3.  Glaye,  Seine-et-Marne,  arrond.  de  Meaux,  sur  un  petit  aflluent 
de  la  Marne. 


1460-1461]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  13 

devant  dudit  hostel,  où  il  y  avoit  deux  belles  tours 
nouvellement  basties,  dedens  lesquelles  y  avoit  de 
belles  chambres  bien  natées,  voiriées^  garnies  de  litz, 
tapisserie  et  autres  choses,  que  tout  emporta  ladicte 
rivière. 

En  ce  temps,  advint  en  Normandie  que  le  corps 
de  l'église  de  Fescamp,  par  maie  fortune  et  feu 
d'aventure,  qui  vint  de  la  mer  de  devers  les  marches 
de  Gornouaille,  se  bouta  ou  clocher  d'icelle  abbaye, 
qui  fut  tout  brûlé  et  ars.  Et  furent  les  cloches  d'icelle 
abbaye  toutes  fondues  et  mises  en  une  masse,  qui  fut 
moult  grande  pitié  en  ladicte  abbaye^. 

Oudit  temps,  fut  grandes  nouvelles  par  tout  le 
royaume  de  France  et  en  autres  lieux  de  une  jeune 
fille  de  l'aage  de  xviii  ans  ou  environ,  qui  estoit  en 
la  ville  du  Mans,  laquelle  fist  plusieurs  folies  et 
grandes  merveilles,  et  disoit  que  le  dyable  la  tour- 
mentoit,  et  sailloit  en  l'air,  crioit,  escumoit  et  faisoit 
moult  d'autres  merveilles,  en  abusant  plusieurs  per- 
sonnes qui  l'aloient  veoir.  Mais,  enfin,  on  trouva  que 
ce  n'estoit  que  tout  abus  et  qu'elle  estoit  une  mes- 
chante  foie  et  faisoit  lesdictes  folies  et  dyableries 
par  l'ennortement,  conduite  et  moien  d'aucuns  des 

1.  C'est-à-dire  dont  le  sol  était  recouvert  de  nattes  et  les 
fenêtres  vitrées  : 

«  Sur  mol  duvet  assis  ung  gras  chanoine 
Lez  ung  brasier,  en  chambre  bien  natée.  » 

(Villon,  éd.  Longnon,  p.  83.) 

2.  Cette  catastrophe  eut  lieu  le  l"  février  1461.  Suivant  Du 
Clercq,  la  foudre  fondit  les  cloches  et  abattit  le  clocher  avec  la 
moitié  de  la  nef  (III,  97).  L'abbé  Cochet  signale  seulement 
la  destruction  d'une  flèche  en  bois  qui  surmontait  le  clocher  (Les 
églises  de  l'arrondissement  du  Havre,  1845,  in-8°,  2«  part.,  p.  9). 


14  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1460 

officiers  de  i'evesque  dudit  lieu  du  Mans,  qui  la  main- 
tenoient  et  en  faisoient  tout  ce  que  bon  leur  sembloit, 
et  qui  ausdictes  folies  faire  l'avoient  ainsi  duite^ 

Oudit  temps,  advint  derechef  oudit  royaume  d'An- 
gleterre, après  que  la  desconfiture  devantdicte  ot 
ainsi  esté  faicte  par  ledit  conte  de  Warwyk  que  le 
duc  de  Sommerset,  cousin  dudit  roy  Henry  d'Angle- 
terre, acompaigné  de  plusieurs  autres  jeunes  sei- 
gneurs, parens  et  héritiers  des  autres  princes  et  sei- 
gneurs qui  avoient  esté  tuez  à  la  prinse  dudit  roy 
Henry  de  Lencastre,  firent  de  grans  amas  de  gens 
d'armes  et  vindrent  tenir  les  champs  à  l'encontre  du 
dit  duc  de  York.  Et  tant  firent  qu'ilz  le  vindrent 
trouver  en  ung  champ  lui  et  sa  compaignie,  qui 
furent  ruez  jus.  Et  oudit  champ,  nommé  les  pleines 
Saint-Albons,  fut  tué  ledit  duc  de  York;  et,  après  qu'il 
ot  esté  tué,  lui  copperent  la  teste,  laquelle  ilz  mirent 
au  bout  d'une  lance;  et  autour  d'icelle  teste  lui  mirent 
une  couronne  de  feurre  en  figure  de  couronne  royale, 

1.  Cette  «  diablerie  »  fit  grand  bruit  à  l'époque,  et  Du  Clercq 
en  conte  tout  au  long  les  péripéties  (III,  98  et  suiv.).  La  soi- 
disant  possédée,  Jeanne  Seron,  réussit  à  abuser  complètement 
l'évèque  du  Mans,  Martin  Berruyer,  ainsi  qu'en  témoigne  la  lettre 
qu'il  adressa  à  la  reine  Marie  d'Anjou  le  19  décembre  1460, 
lettre  dont  le  chroniqueur  d'Arras  a  transcrit  le  texte.  Charles  VII 
envoya  de  Bourges  au  Mans,  pour  informer  du  fait,  plusieurs  doctes 
personnages,  et,  entre  autres,  le  doyen  de  Rouen,  maître  Nicole 
Dubois  (Reg.  de  l'hùtel  de  ville  de  Rouen  A^,  fol.  184).  A  la  suite 
de  cette  enquête,  Jeanne  Seron  fut,  par  délibération  du  conseil 
du  roi,  amenée  à  Tours,  interrogée,  trouvée  «  sorcière  et  cor- 
rompue. »  Convaincue  de  concubinage  avec  un  jeune  clerc,  elle 
avoua  son  imposture,  et  fut  condamnée  à  être  mitrée  et  préchée 
publiquement  au  Mans,  à  Tours  et  à  Laval,  enfin  à  pleurer  ses 
péchés  en  prison  à  Tours  pendant  sept  ans  «  en  pain  de  douleur 
et  en  eau  de  tristesse.  » 


1461]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  15 

en  desrision  de  ce  qu'il  se  vouloit  faire  roy  dudit 
royaume.  Et  avecques  lui  moururent  oudit  champ 
bien  six  vins  barons,  chevaliers,  escuiers  et  gens  de 
nom  dudit  royaume  et  grant  nombre  d'autres  gens 
de  guerre,  que  bien  on  estimoit  de  ix  à  x™  com- 
batans  ^ . 

Et  le  mercredi,  tiers  jours  de  février  oudit  an 
mil  GGCC  LX,  furent  leues  et  publiées  à  Rouen  et 
en  divers  autres  lieux  de  la  duchié  de  Normandie, 
es  lieux  publiques  et  à  son  de  trompe,  les  lettres 
patentes  du  roy  par  lesquelles  il  declairoit  son  plaisir 
estre  tel  que,  par  tout  ledit  pays  de  Normandie  et  les 
pors  de  mer  d'icellui,  feussent  laissez  paisiblement  des- 
cendre tous  Anglois  et  Anglesches,  de  quelque  estât 

1.  La  reine  Marguerite,  réfugiée  en  Ecosse,  reprit  les  armes  à 
la  fin  de  l'année  1460,  entra  en  Angleterre  et  réussit  à  soulever 
les  comtés  du  Nord.  Renforcée  par  les  contingents  qu'amenaient 
Edmond  Beaufort,  duc  de  Somerset,  le  comte  de  Northumber- 
land  et  d'autres  seigneurs  de  la  Rose-Rouge,  l'armée  de  la  reine 
battit  Richard,  duc  d'York,  près  de  Wakefield,  le  30  décembre 
1460.  Le  duc  fut  tué,  et  son  jeune  fils,  le  comte  de  Rutland,  fut 
massacré  après  le  combat  avec  nombre  de  partisans  de  la  Rose- 
Blanche  {Chronique  de  Jean  de  Wavrin,  II,  260  et  suiv.  Cf.  la  Lettre 
d'Antoine  délia  Torre  au  duc  de  Milan,  du  9  janvier  1461,  dans 
Rawdon  Brown,  Calendar  of  State  papers,  etc.,  t.  I,  p.  95).  — 
Le  chroniqueur  a  confondu  la  bataille  de  Wakefield,  où  le  duc 
d'York  perdit  la  vie  le  30  décembre  1460,  avec  la  seconde  bataille 
de  Saint-Albans,  gagnée  également  par  Marguerite  d'Anjou,  le 
17  février  1461.  Il  ne  dit  pas  non  plus  que  la  reine,  après  avoir 
reconquis  son  mari,  le  roi  Henri  VI,  abandonné  par  les  Yor- 
kistes  sur  le  champ  de  bataille  de  Saint-Albans,  n'osa  pousser 
sur  Londres,  où  l'opinion  publique  était  défavorable  à  la  cause 
lancastrienne.  Le  nouveau  duc  d'York,  Edouard,  s'y  fit  procla- 
mer roi  le  4  mars  suivant,  se  mit  à  la  poursuite  de  ses  adver- 
saires et  leur  fit  essuyer  une  sanglante  défaite  à  Towton,  le 
29  mars  1461. 


16  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1460 

qu'ilz  feussent  et  en  tel  habit  que  bon  leur  sem- 
bleroit,  tenans  et  advoans  le  parti  dudit  roy  Henry 
d'Angleterre  et  de  la  royne  sa  femme,  sans  aucun 
sauf  conduit  avoir  de  lui,  et  de  les  laisser  converser 
par  tout  son  royaume. 

En  l'an  mil  CCCGLXI,  ou  moys  de  juillet,  advint 
que  ledit  roy  Charles  fut  malade  ou  chasteau  de 
Meun  sur  Yevre^  d'une  maladie  qui  lui  fut  incu- 
rable, dont  et  de  laquelle  maladie  il  ala  de  vie  à 
trespas  audit  lieu  de  Meun,  le  mercredi  xxn^  jour 
dudit  mois  de  juillet,  feste  de  la  benoiste  Magdaleine, 
entre  une  et  deux  heures  après  midi  dudit  jour,  dont 
fut  grant  pitié  et  dommage.  Ou  royaume  des  cieulx 
puisse  estre  l'ame  de  lui  en  bon  repos!  car,  quant  il 
vivoit,  c'estoit  ung  moult  sage  et  vaillant  seigneur  et 
qui  laissa  son  royaume  bien  uny  et  en  bonne  justice 
et  transquihté^. 

Et,  incontinent  après  ladicte  mort  et  qu'elle  fut 
manifestée,   la  pluspart   des   officiers  dudit   lieu  de 

1.  Mehun-sur-Yèvre  (Cher,  arrond.  de  Bourges). 

2.  Dans  les  premiers  jours  de  juillet,  Charles  VU,  dont  la 
santé  était  depuis  longtemps  ébranlée,  fut  atteint  d'un  mal  dans 
la  bouche,  et  dès  lors  il  s'affaiblit  de  jour  en  jour.  M.  de  Beau- 
court,  qui,  dans  le  dernier  volume  de  sa  magistrale  Histoire  de 
Charles  VII,  a  résumé  tout  ce  qu'on  sait  des  derniers  moments 
du  roi  (t.  VI,  p.  439  et  suiv.),  montre  à  quel  point  furent  una- 
nimes les  regrets  provoqués  par  sa  mort  (p.  445  et  suiv.).  — 
C'est  le  dimanche  19  juillet  que  la  "nouvelle  de  la  maladie  de 
Charles  VII  fut  rendue  publique  à  Paris,  et  tout  aussitôt  l'évêque 
ordonna  des  processions  générales.  La  mort  fut  connue  dès  le 
\eïi.dredï2i ']\ii\let  (Journal  de  Maupoint,  édit.  Fagniez,  apud3/m. 
de  la  Soc.  de  l'Hist.  de  Paris,  t.  IV,  p.  39  et  suiv.),  à  Rouen  le 
lendemain  (Arch.  munie,  de  Rouen,  reg.  des  délibér.  de  la  ville 
A»,  fol.  189). 


1461]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  M 

Paris  et  plusieurs  autres  du  royaume  s'en  partirent, 
et  alerent  ou  pays  de  Henault  et  de  Picardie,  par 
devers  monseigneur  le  daulphin,  qui  ilec  estoit  avec 
monseigneur  le  duc  de  Bourgongne,  lequel  monsei- 
gneur le  daulphin  par  le  décès  de  son  feu  père  venoit 
à  la  couronne,  pour  savoir  de  lui  quel  estoit  son 
plaisir  et  comment  ilz  se  auroient  à  gouverner  soubz 
lui,  et  pour  estre  de  lui  confermez  en  leurs  offices*. 
Auquel  lieu,  après  icelle  mort,  fist  plusieurs  nouveaulx 
officiers  en  sa  Chambre  des  Comptes  à  Paris  et  autres. 
Et  entre  autres  y  fist  et  créa  maistre  Pierre  L'Orfèvre, 
seigneur  d'Ermenonville,  et  Nicolas  de  Louviers,  con- 
seillers en  ladicte  chambre,  et  maistre  Jehan  Baillet, 
maistre  des  requestes  et  raporteur  en  sa  chancellerie. 
Et  y  conferma  à  président  en  icelle  chambre  messire 
Symon  Charles,  qui  aussi  se  fist  porter  oudit  pays 
en  une  lictiere'^;  et  les  autres  officiers  requerans  estre 

1.  «  Nous  tirons  devers  le  roy,  de  par  la  court  de  Parlement, 
pour  lui  faire  révérence  et  obéissance,  comme  raison  est...  »  (Le 
premier  président  Yves  de  Scépeaux  à  Jean  Bourré,  secrétaire  de 
Louis  XI,  de  Gompiègne,  le  28  juillet.  Bibl.  nat.,  ms.  fr.  20486, 
fol.  54,  orig.).  Et  Ghastellain  :  «  Loys,  non  dauphin  maintenant, 
mais  roy  non  couronné,  prestement  changea  lieu,  et,  partant  de 
Genappes  atout  charroy  et  ce  que  avoit  de  baghes,  vint  loger  au 
pays  de  Haynau,  toujours  dreschant  son  chemin  vers  France... 
Sy  vinrent  gens  de  toutes  parts  à  Avesnes,  princes  et  barons, 
plusieurs  evesques  et  prélats,  gens  de  cités  et  de  bonnes  villes, 
commis  de  par  ceux  du  Parlement  et  de  l'Université,  dont  l'evesque 
de  Paris,  maistre  Guillaume  Gharretier,  fut  l'un,  et  proposa 
devant  le  roy  »  (IV,  30.  Gf.  Arch.  nat.,  X2a  28;  du  Glercq,  III, 
143  ;  Basin,  Hist.  de  Cluirles  VII  et  de  Louis  XI,  publiées  par  J.  Qui- 
cherat,  pour  la  Soc.  de  l'Hist.  de  France,  t.  Il,  p.  4,  7  et  19). 
Les  délégués  rouennais  partirent  le  25  juillet  (Reg.  de  l'hôtel  de 
ville  A8,  fol.  189). 

2.  Conseiller  et  chambellan  du  roi,  maître  en  la  Ghambre  des 


18  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1461 

confermez  furent  renvoiez  à  Paris,  pour  ilec  attendre 
la  venue  du  roy^. 

Et,  le  xxiiii^  jour  de  juillet,  oudit  an  LXI,  maistre 
Estienne  Chevalier,  qui  avoit  esté  trésorier  des  finances 

Comptes,  Pierre  L'Orfèvre  était  fils  de  Pierre  L'Orfèvre,  châtelain 
de  Pont-Sainte-Maxence  et  seigneur  d'Ermenonville  «  en  San- 
tois,  »  etc.,  et  de  Jeanne  de  Laillier.  Il  fit  ses  études  au  collège  de 
Navarre,  à  Paris,  et  à  l'Université  d'Orléans,  et  épousa  Geuffrine 
Baillet,  avec  laquelle  il  habitait  à  Paris  rue  de  la  Bretonnerie. 
Pierre  L'Orfèvre  mourut  vers  1498  (Bibl.  nat.,  Pièces  orig., 
vol.  1747,  doss.  VOrfèvre;  cf.  le  dossier  Laillier).  —  Son  beau- 
père,  Jean  Baillet,  fils  de  Pierre  Baillet  et  de  Marie  de  Vitry, 
seigneur  de  Sceaux,  conseiller  au  Parlement  de  Paris  et  maitre 
des  requêtes  ordinaire  de  l'Hôtel,  vivait  encore  en  1477.  Il  avait 
épousé  Colette  de  Fresnes  (Pièces  orig.,  vol.  168,  doss.  Baillet). 

—  Simon  Charles  était  l'un  des  plus  anciens  serviteurs  de  Char- 
les YII.  Conseiller  et  maître  des  requêtes  de  l'hôtel  dès  1430,  il 
fut  chargé  de  diverses  missions  à  l'étranger.  Au  mois  d'août 
1442,  il  s'intitulait  «  président  en  la  Chambre  des  Comptes  (il 
exerçait  cette  fonction  depuis  plusieurs  années)  et  commis  au 
gouvernement  de  toutes  finances  es  pays  sur  et  deçà  les  rivières 
de  Seine  et  d'Yonne  »  (Beaucourt,  ouvr.  cité,  III,  237  et  passim). 

—  On  trouvera,  au  Recueil  des  Ordonnances  des  rois,  t.  XV,  p.  1 
et  suiv.,  le  texte  des  lettres  patentes  de  Louis  XI  confirmant  dans 
leurs  fonctions  les  gens  des  Comptes  et  du  Trésor. 

1.  Le  l^""  août  1461,  Louis  XI  expédiait  d'Avesnes  à  Paris  un 
de  ses  familiers,  Jacques  de  Villiers,  seigneur  de  l'Isle-Adam, 
pour  prendre  possession  de  la  ville  en  son  nom,  recevoir  le  ser- 
ment des  bourgeois  et  habitants  et  assurer  la  sécurité  publique 
jusqu'à  l'arrivée  du  roi  (Bibl.  nat.,  Pièces  orig.,  vol.  3021,  doss. 
L'Isle-Adam,  orig.  sur  parchemin  donné  sous  le  scel  du  secret  en 
l'absence  du  grand).  —  A  Rouen,  dès  le  29  juillet,  Jean  d'Estuer, 
écuyer,  seigneur  de  la  Barde,  conseiller  et  maitre  d'hôtel  du  roi, 
vint  prendre  possession  au  nom  de  Louis  XI  des  ville,  château, 
palais  et  ponts,  et  présenta  au  conseil  de  ville  des  lettres  royales 
datées  des  Roches,  le  25  juillet,  qui  lui  prescrivaient  de  recevoir 
le  serment  des  habitants  et  de  remettre  la  garde  provisoire  de  la 
place  à  douze  notables.  Cette  cérémonie  eut  lieu  le  29  juillet 
(Reg.  de  l'hôtel  de  ville  A»,  fol.  190  v  et  195). 


146Î]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  \9 

dudit  feu  roy  Charles  et  lequel  il  avoit  nommé  eslre 
ung  des  exécuteurs  de  son  testament,  et  aussi  maistre 
Dreux  Budé,  audiencier  de  la  chancellerie  de  France, 
se  partirent  de  la  ville  de  Paris  pour  aler  au  corps 
dudit  defunct  audit  lieu  de  Meun  '  ;  mais  par  le  seigneur 
d'Aigreville,  cappitaine  de  Montargis,  par  le  pourchas 
d'ung  gentilhomme  nommé  Waste  de  Mompedon-, 
furent  arrestez  audit  lieu  de  Montargis  lesdiz  Ghe- 
vaUer  et  Budé,  et  ilec  furent  une  espace  de  temps  et 
jusques  à  ce  que  le  roy  les  envoya  faire  délivrer  eulx 
et  leurs  biens,  et  depuis  furent  par  lui  entretenus  en 
leur  offices  de  trésorier  et  audiencier. 

1.  Né  vers  1410  et  mort  le  3  septembre  1474,  Etienne  Cheva- 
lier occupait  avant  1444  le  poste  de  secrétaire  de  Charles  VII. 
Il  remplit  plusieurs  missions  diplomatiques,  fut  nommé  conseiller 
et  maître  des  comptes  (15  août  1449),  receveur  général  des 
finances  et  contrôleur  de  la  recette  générale.  La  disgrâce  où  il 
tomba  à  l'avènement  de  Louis  XI  fut  de  courte  durée,  et,  en 
1463,  il  joua  un  rôle  important  da"ns  la  grosse  opération  finan- 
cière du  rachat  des  villes  de  la  Somme  (Mém.  de  Commynes,  éd. 
Lenglet-Dufresnoy,  1747,  in-4'',  Preuves,  t.  Il,  p.  392  et  399). 
Sous  Louis  XI,  il  exerça  la  charge  de  trésorier  de  France  (Pièces 
orig.,  vol.  742,  doss.  Chevalier).  —  Dreux  Budé,  qui,  lui  aussi, 
avait  commencé  sa  carrière  en  remplissant  les  fonctions  de 
secrétaire  de  Charles  VII  (1439),  portait,  dès  la  fin  de  1441,  le 
titre  d'audiencier  du  roi.  Il  y  joignit  celui  de  trésorier  des  chartes 
(voy.  Vaesen,  Lettrées  de  Louis  II,  II,  219). 

2.  Jean  de  Montespedon,  dit  Houaste  comme  son  père,  sei- 
gneur de  Basoches  et  de  Beauvoir,  premier  valet  de  chambre  du 
dauphin  Louis  et  l'un  de  ses  confidents  intimes,  fut  chargé  à 
deux  reprises  de  se  rendre  à  la  cour  de  Charles  Vil  pour  négo- 
cier la  réconciUation  du  dauphin  avec  son  père  (commencement 
de  1461.  Beaucourt,  Charles  VU,  VI,  312-322).  Le  23  août  1461, 
son  procureur,  Emery  Vuille,  prit  possession  pour  lui  du  bail- 
liage de  Rouen  (Reg.  de  l'hôtel  de  ville  A^,  fol.  193  v).  Houaste 
fut  tué  à  la  bataille  de  Guinegate,  le  7  août  1479  (voy.  ci-après, 
à  la  date). 

I  4 


20  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1461 

Et  est  assavoir  que,  le  jeudi  xxiii®  jour  de  juillet, 
oudit  an  LXI,  qui  fut  le  lendemain  de  ladicte  mort, 
environ  ix  heures  de  nuit,  fut  veue  ou  ciel  courir 
bien  fort  une  très  longue  comète,  qui  gectoit  en  l'air 
grant  resplendisseur  et  grande  clarté,  tellement  qu'il 
sembloit  que  tout  Paris  feust  en  feu  et  en  flambe. 
Dieu  l'en  vueille  préserver  ! 

Et,  le  jeudi  Yi®  jour  d'aoust  oudit  an  IIIP  LXP,  le 
corps  dudit  defunct  arriva  et  fut  amené  reposer  en 
l'église  de  Nostre-Dame  des  Champs  hors  Paris,  où  il 
fut  amené  dudit  lieu  de  Meun.  Et  le  lendemain  fut 
aie  quérir  audit  lieu  et  apporté  à  Paris  en  moult 
grant  et  belle  conduicte,  ordonnance  et  révérence 
qui  fut  faicte  audit  corps,  comme  bien  le  valoit  : 
c'est  assavoir  du  clergié,  des  nobles  personnes,  offi- 
ciers, bourgois  et  populaire.  Et  y  avoit  pour  lumi- 
naire porté  devant  ledit  corps  ii"  torches  de  iiii  livres 
de  cire  chascune  pièce,  toutes  armoiées  en  double 
aux  armes  de  France,  et  est  oient  portées  par  ii"  povres 
personnes,  tous  revestus  de  robes  et  chaperons  de 
dueil.  Et  estoit  ledit  corps  porté  en  une  lictiere 
par  les  henouars   de  Paris  ^  ;  laquelle  Hctiere  estoit 

1.  Lisez  :  le  mercredi  soir,  5  août.  Sur  les  funérailles  de  Char- 
les VII,  voir  Beaucourt,  Chronique  de  Malhieu  d'Escouchy  (Soc. 
de  l'hist.  de  France,  1863-64),  t.  II,  424-444;  Fclibien,  Histoire 
de  Paris,  1725,  in-fol.,  t.  IV,  Pièces  justif.,  p.  599,  et  particulière- 
ment le  récit  de  l'Histoire  de  Charles  VII  de  Jean  Gbartier,  éd. 
Vallet  de  Viriville,  in-12,  t.  III. 

2.  Les  henouars,  oiiiciers  de  gabelle  au  nombre  de  vingt-quatre, 
jouissaient  du  privilège  de  porter  le  cercueil  du  roi.  Dans  l'occa- 
sion présente,  ils  se  conduisirent  assez  mal.  Sous  un  prétexte 
futile,  ils  menacèrent  d'abandonner  le  corps  à  la  Croix-aux-Fiens, 
sur  la  route  de  Saint-Denis,  si  on  ne  leur  comptait  pas  dix  livres 
parisis.  Il  fallut,  pour  les  décider  à  reprendre  leur  funèbre  far- 


1461]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  21 

couverte  et  assemillée  d'un  moult  riche  drap  d'or 
qui  bien  povoit  valoir  mil  ou  xn^  escuz  d'or.  Et 
dessus  ladicte  lictiere  estoit  la  pourtraicture  faicte 
dudit  defunct  roy  Charles,  revestu  d'un  bel  habit 
royal,  une  couronne  en  la  teste;  et  en  l'une  de  ses 
mains  tenoit  ung  ceptre,  et  en  l'autre  le  baston  royal*. 
Et  en  cest  estât  fut  porté  en  la  grant  église  Nostre- 
Dame  de  Paris.  Et  tout  devant  aloient  tous  les  crieurs 
de  corps  de  ladicte  ville  pareillement  vestuz  de  dueil 
et  armoiez  devant  et  derrière  desdictes  armes  de 
France.  Et  après  eulx  estoient  portées  devant  icelle 
lictiere  lesdictes  ii*^  torches  ainsy  armoiées  en  double 
que  dit  est.  Et  après  icelle  lictiere  aloient  faisans  le 
dueil  Messeigneurs  les  duc  d'Orléans  et  conte  d'An- 
golesme,  frères,  les  contes  d'Eu  et  de  Dunois,  messire 
Jehan  Jouvenel  des  Ursins,  chevalier,  chancelier  de 
France,  et  le  grand  escuier,  tous  revestus  de  dueil  et 
montez  à  cheval-.  Et  puis,  après  icelle  lictiere,  aloient 

deau,  l'intervention  de  Tanneguy  du  Ghâtel,  qui,  au  reste,  paya 
de  sa  poche  les  frais  des  funérailles  de  son  maître. 

1.  «  Estoit  lad.  figure  faite  de  cuir,  revestue  d'une  tunique  et 
d'un  manteau  de  velour  blanc  à  fleurs  de  lys  fourré  d'hermines, 
tenant  en  une  de  ses  mains  la  main  de  justice  et  en  l'autre  main 
un  grand  sceptre  ayant  une  couronne  sur  la  teste  et  un  oreiller 
de  veloux  dessous  et  un  manteau  d'or  dessus  »  (J.  Chartier,  éd. 
Vallet,  l.  c). 

2.  Charles,  duc  d'Orléans,  né  le  26  mai  1391,  mort  le  4  jan- 
vier 1465,  avait  épousé  en  troisièmes  noces  Marie  de  Clèves, 
qui  lui  survécut.  Son  frère  Jean,  comte  d'Angoulême,  né  en  1404, 
mourut  en  1467.  —  Charles  d'Artois,  comte  d'Eu,  succéda  tout 
enfant  à  Philippe,  son  père,  en  1397.  Il  mourut  le  25  juillet  1472. 
—  Jean,  comte  de  Dunois,  fils  bâtard  du  duc  d'Orléans  Louis, 
naquit  vers  1403  et  mourut  le  24  novembre  1468.  —  Le  chan- 
celier de  France,  en  1461,  se  nommait  Guillaume  Jouvenel  des 
Ursins,  seigneur  de  Traînel,  et  non  pas  Jean;  celui-ci  était 


22  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1461 

à  pié,  deux  et  deux,  tous  les  officiers  de  l'ostel  dudit 
defunct,  aussi  tous  vestus  de  dueil  angoisseux, 
lesquelz  il  faisoit  moult  piteux  veoir  ;  et,  de  la  grant 
tristesse  et  courroux  qu'on  leur  veoit  porter  pour  la 
mort  de  leurdit  maistre,  furent  grans  pleurs  et 
lamentacions  faictes  parmy  toute  ladicte  ville.  Et  aussi 
y  avoit  au  joignant  de  ladicte  lictiere  six  des  pages 
dudit  defunct,  housez  et  esperonnez,  sur  six  cour- 
siers tous  vestus  et  couvers  de  veloux  noir,  et  lesdiz 
pages  oudit  habit  de  dueil.  Et  Dieu  scet  le  doloreux 
et  piteux  dueil  qu'ilz  faisoient  pour  leurdit  maistre  ! 
Et  disoit  on  lors  que  l'un  desdiz  pages  avoit  esté  par 
quatre  jour  entiers  sans  boire  et  sans  menger  pour  la 
grant  passion  qu'il  portoit  de  ladicte  mort. 

Et  le  lendemain,  qui  fut  vendredi  vn®  jour  d'aoust 
oudit  an  LXJ,  ledit  corps  d'icellui  defunct  fut  tiré 
hors  de  ladicte  église  Nostre-Dame  de  Paris,  environ 
trois  heures  après  midi,  et  mené  et  acompaigné, 
comme  devant  est  dit,  en  l'église  Saint-Denis  en 
France,  et  là  il  fut  inhumé  et  y  gist  ' .  Nostre  Sauveur 
Dieu  ait  mercy  de  son  ame  ! 

archevêque  de  Reims.  Guillaume  et  Jean  Jouvenel  étaient  frères, 
d'ailleurs,  et  tous  deux  fils  de  Jean  Jouvenel,  mort  en  1431,  pré- 
sident au  Parlement  de  Poitiers.  Guillaume  Jouvenel,  né  le 
15  mars  1400,  mort  le  23  juin  1472,  exerçait  les  fonctions  de 
chancelier  depuis  le  16  juin  1445.  On  verra  plus  loin  qu'il  fut 
destitué  par  Louis  XI  à  son  avènement,  puis  rétahli  en  1465.  — 
La  charge  de  grand  écuyer  était  exercée  depuis  le  20  mai  1454 
par  Tanneguy  du  Chàtel.  Il  avait  épousé  Jeanne  de  Raguenel, 
vicomtesse  de  la  Bellière,  et  fut  tué  devant  Bouchain  en  1477. 

1.  Le  cortège  atteignit  l'église  de  Saint-Denis  le  vendredi  à 
huit  heures  du  soir,  et  l'inhumation  eut  lieu  le  lendemain  matin, 
après  une  messe  dite,  comme  l'avait  été  celle  de  Notre-Dame  do 
Paris,  par  Louis  de  Harcourt,  patriarche  de  Jérusalem  (J.  Char- 
tier,  éd.  Vallet,  /.  c). 


146ÎJ  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  23 

Et,  vers  la  fin  dudit  mois  d'aoust^,  nostre  souve- 
rain seigneur  et  roy  de  France  Loys,  lors  estant  daul- 
phin  de  Viennoys  et  ainsné  filz  dudit  defunct,  succéda 
à  ladicte  couronne,  fut  sacré  roy  à  Reims,  par  l'arce- 
vesque  Jouvenel  ~  ;  auquel  lieu  il  fut  moult  noblement 
acompaigné  par  la  pluspart  des  seigneurs  de  nom  de 
son  royaume,  en  moult  grant  et  notable  nombre. 

Et,  le  derrenier  jour  dudit  moys  d'aoust,  il  party 
d'un  hostel,  estant  aux  faulxbourgs  de  la  porte  Saint- 
Honoré,  nommé  les  Porcherons,  appartenant  à  mes- 
sire  Jehan  Bureau,  qui  fut  fait  chevalier  audit  sacre  à 
Reims,  pour  venir  faire  son  entrée  en  sa  bonne  ville 
et  cité  de  Paris  ^.  Au  devant  de  laquelle  entrée  yssi- 

1.  Le  samedi  15  août.  On  trouvera  des  détails  sur  le  sacre  de 
Louis  XI  dans  Maupoint,  p.  42;  Th.  Basin,  II,  p.  8  et  suiv.;  du 
Glercq,  III,  p.  151  et  suiv.,  et  particulièrement  dans  Ghastellain, 
IV,  p.  54  et  suiv.  Cf.  Bibi.  nat.,  ms.  fr.  5739,  fol.  234  et  suiv., 
pap.,  xv«  s. 

2.  Jean  Jouvenel  des  Ursins  occupa  le  siège  archiépiscopal 
de  Reims  du  13  mai  1449  au  14  juillet  1473. 

3.  Interpolations  et  variantes,  §  II.  —  Le  nouveau  roi,  accom- 
pagné d'une  suite  nombreuse,  se  rendit  de  l'abbaye  de  Saint- 
Thierry,  près  Reims,  à  Paris,  en  passant  par  Meaux,  oii  le 
duc  de  Bourgogne,  Philippe  le  Bon,  parti  de  Reims  après  lui,  le 
rejoignit  le  21  août.  Louis  XI  séjourna  à  Meaux  et  arriva  à  Saint- 
Denis  le  25,  puis,  le  29,  il  vint  s'installer  en  «  une  petite  placette 
nommée  les  Porcherons,  »  pour  attendre  que  les  Parisiens  eussent 
terminé  leurs  préparatifs  (Ghastellain,  IV,  75).  Dès  le  14  août,  le 
prévôt  des  marchands  et  les  échevins  prenaient  leurs  disposi- 
tions pour  loger  chez  l'habitant  les  gentilshommes  qui  faisaient 
cortège  au  roi,  le  nombre  des  hôtelleries  ayant  beaucoup  dimi- 
nué depuis  que  le  feu  roi  et  la  cour  avaient  cessé  de  fréquenter 
Paris.  Le  18,  on  vit  arriver  au  bureau  de  la  Ville  les  maréchaux 
des  logis  du  roi  et  des  princes  du  sang  en  (juète  de  gîtes  pour  leurs 
maitres,  et  les  quarteniers  les  conduisirent  chez  les  habitants  qui 
avaient  offert  des  lits,  les  bourgeois  de  Paris  ne  pouvant  être 


24  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1461 

rent  hors  de  ladicte  ville  tous  les  estas  d'icelle  et  par 
bel  ordre  pour  illec  trouver  le  roy  et  lui  faire  la  révé- 
rence et  bienveignant.  En  laquelle  assemblée  estoient 
l'evesque  de  Paris,  nommé  Ghartier^,  l'Université-, 
la  court  de  Parlement,  le  prevost  de  Paris,  la  Chambre 
des  Comptes  et  tous  officiers,  le  prevost  des  marchans 
et  eschevins,  tous  vestus  de  robes  de  drap  de  damas 
fourrées  de  belles  martres.  Etlesquelz  prevost  des  mar- 
chans et  eschevins  vindrent  aux  champs  rencontrer 
et  faire  la  révérence  au  roy.  Et  proposa  devant  lui 
pour  ladicte  ville  ledit  prevost  des  marchans  nommé 
maistre  Henry  de  Livres^,  qui  lui  bailla  et  présenta 
les  clefz  de  la  porte  Saint -Denis,  par  où  il  fist 
sadicte  entrée.  Et,  ce  fait,  chascun  se  tira  à  part; 
et  ou  mesme  lieu  le  roy  fist  ce  jour  grant  nombre  de 
chevaliers.  Et,  en  venant  par  le  roy  vers  ladicte  porte 
Saint-Denis,  il  trouva  près  de  l'église  de  Saint-Ladre* 

contraints  par  fourriers  à  loger  les  olïiciers  du  roi,  gens^de  guerre 
ni  autres  (Ordonn.  des  rois,  t.  XV,  p.  10  et  suiv.). 

1.  Guillaume  Ghartier  occupa  l'évêché  de  Paris  du  4  décembre 
1447  au  1"  mars  1472. 

2.  Le  25  juillet,  l'Université  fut  assemblée  pour  discuter  la 
question  de  savoir  si  elle  se  porterait  au-devant  du  nouveau  roi, 
et  c'est  seulement  le  25  août  qu'il  fut  décidé  de  ne  rien  changer 
aux  habitudes  anciennes  et  d'attendre  Louis  XI  avec  le  clergé 
au  parvis  Notre-Dame  (Du  Boulay,  Hist.  de  l'Université  de  Paris, 
1670,  in-fol.,  t.  V,  p.  651).  Cette  résolution  déplut  au  roi,  qui 
accueillit  assez  mal  la  harangue  des  universitaires  (Voy.  Relation 
de  l'entrée  du  roi  Louis  XI  à  Paris,  p.  p.  M.  de  La  Fons-Melicoq 
dans  le  Messager  des  sciences  de  Gand,  année  1401,  p.  115). 

3.  Henry  de  Livres  est  qualifié,  au  mois  d'août  1468,  couseiller 
du  roi  au  Parlement  es  requestes  du  Palais  (Bibl.  nat.,  ms.  fr. 
2921,  fol.  53). 

4.  L'église  Saint-Lazare  était  en  dehors  des  murs  et  très  près 
de  la  p(trt(^  Saint-Denis. 


146iJ  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  25 

ung  herault  monté  à  cheval,  revestu  des  armes 
de  ladicte  ville,  qui  estoit  nommé  Loyal  Cuer,  qui 
de  par  ladicte  ville  luy  présenta  cinq  dames  riche- 
ment aournées,  lesquelles  estoient  montées  sur  cinq 
chevaulx  de  pris,  et  estoit  chascun  cheval  couvert 
et  habillé  de  riches  couvertures,  toutes  aux  armes 
d'icelle  ville  ;  lesquelles  dames  et  chascune  par  ordre 
avoient  personnages  tous  compilez  à  la  significacion 
des  cinq  lettres  faisans  PARIS,  qui  toutes  parlèrent 
au  roy,  ainsi  que  ordonné  leur  estoit*. 

Et,  en  icelle  entrée  faisant,  le  roy  estoit  moult 
noblement  acompaigné  de  tous  les  grans  princes  et 
nobles  seigneurs  de  son  royaume,  comme  de  messei- 
gneurs  les  ducs  d'Orléans^,  de  Bourgongne,  de  Bour- 
bon et  de  Gleves,  le  conte  de  Gharrolois,  filz  dudit 
duc  de  Bourgongne,  les  contes  d'Eu,   d'Angoulesme, 

i.  « ...  Y  avoit  V  femmes,  toutes  vestues  de  drap  d'or  à  manière 
de  royne,  ayans  sur  leur  bras  leurs  nons  selonc  les  v  lettres  de 
Paris.  La  première  portoit  P,  qui  segnefie  Paix,  la  seconde  A, 
par  quoy  est  entendu  Amour;  la  tierche  portoit  R,  par  quoy  est 
entendu  Ray  son;  la  quarte  portoit  I,  par  quoy  est  entendu  Joye, 
et  la  chinquieme  portoit  S,  par  quoy  est  entendu  Seureté.  Et 
estoient  toutes  v  richement  montées  à  cheval,  vestues  de  drap 
d'or  jusques  aux  pies,  et  devant  elles  ung  heraus  ayans  cote  d'armes 
semée  du  blason  de  Paris  »  [Messager  de  Gand,  cité,  p.  115).  — 
Sur  l'entrée  de  Louis  XI,  cf.  la  description  si  colorée  de  Ghas- 
tellain,  IV,  75  et  suiv.;  du  Glercq,  III,  158  et  suiv.;  Basin,  II, 
15  et  suiv.,  et  Maupoint,  p.  45. 

2.  Suivant  Du  Glercq,  le  vieux  duc  d'Orléans,  alors  septuagé- 
naire, se  borna  à  regarder  passer  le  cortège  assis  à  une  fenêtre 
(III,  167).  Et  Chastellain  :  «  En  cest  assemblement  ne  comparu 
pas  le  duc  d'Orléans.  »  Le  même  chroniqueur  note  l'absence  du 
roi  de  Sicile,  René,  de  François  II,  duc  de  Bretagne,  et  du  comte 
de  Foix,  «  qui  ne  veoient  point  l'heure  propre  pour  eux  y  estre 
en  personne  »  (IV,  88,  91). 


?6  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1461 

de  Saint-Pol*  et  de  Dunois,  et  autres  plusieurs  contes, 
barons,  chevaliers,  cappitaines  et  autres  gentilz- 
hommes  de  grant  façon,  qui,  pour  honneur  lui  faire 
à  ladicte  entrée,  avoient  de  moult  belles  et  riches 
housseures  dont  leurs  chevaulx  estoient  tous  couvers. 
Lesquelles  housseures  estoient  de  diverses  sortes  et 
façons,  et  estoient  les  unes  d'icelles  de  fin  drap 
d'or  fourrées  de  martres  sebelines,  les  autres  de 
veloux,  de  pennes  d'ermines,  de  drap  de  damas, 
d'orfaverie,  et  chargées  de  grosses  campanes  d'ar- 
gent blanches  et  dorées^,  qui  avoient  cousté  moult 
grant  finance.  Et  si  y  avoit  sur  lesdiz  chevaulx 
et  couvertures  de  beaux  jeunes  enfans  pages,  bien 
richement  vestus,  et  sur  leurs  espaules  avoit  de 
belles  escharpes  branlans  sur  les  cr[o]upes  desdiz 
chevaulx,  qui  faisoient  moult  bel  et  plaisant  veoir. 

1.  Philippe  le  Bon,  duc  de  Bourgogne,  avait  épousé  en  troi- 
sièmes noces  Isabelle  de  Portugal  ;  de  cette  union  était  né,  le 
10  novembre  1433,  Charles,  comte  de  Charolais.  —  Jean  II,  duc 
de  Bourbonnais  et  d'Auvergne,  avait  épousé,  le  26  décembre  1446, 
Jeanne  de  France,  sœur  de  Louis  XL  —  Jean  I«r,  duc  de  Glèves, 
né  le  16  janvier  1419,  mort  le  5  septembre  1481,  était  fils  du  duc 
Adolphe  et  de  Marie  de  Bourgogne.  —  Louis  de  Luxembourg, 
comte  de  Saint-Pol,  connétable  de  France  (5  octobre  1466),  fut 
décapité  le  19  décembre  1475  (voy.  ci-après). 

2.  C'était  une  mode  extrêmement  répandue  au  xv^  siècle  que 
celle  de  charger  de  clochettes,  voire  de  cloches,  les  housses  des 
chevaux.  La  Relation  de  Ventrée  de  Louis  XI  à  Paris,  imprimée 
dans  le  Messager  de  Gand,  dit  qu'un  des  chevaux  du  comte  do 
Charolais  portait  sur  le  dos  une  cloche  «  à  manière  de  timbre 
pendant  à  nu  piliers.  »  De  même,  le  comte  do  Saint-Pol  avait 
un  cheval  housse  d'orfèvrerie  «  à  grosses  clocques  sounaut 
à  batel,  »  et  le  seigneur  de  Croy  trois  coursiers  harnachés  do 
chaînes  d'or  «  à  grant  multitude  de  cloches  pendans  autour  des 
chevaux.  > 


1461]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  27 

Et,  à  l'entrée^  que  fist  le  roy  en  ladicte  ville  de  Paris  par 
ladicte  porte  Sainct-Denis,  il  trouva  une  moult  belle 
nef  en  figure  d'argent,  portée  par  hault  contre  la 
maçonnerie  de  ladicte  porte  dessus  le  pont  levis,  en 
signifiance  des  armes  de  ladicte  ville  ;  dedens  laquelle 
nef  estoient  les  trois  estas.  Et,  aux  chasteaulx  de 
devant  et  derrière  d'icelle  nef,  estoient  Justice  et 
Equité,  qui  avoient  personnages  pour  ce  à  eulx  ordon- 
nez ;  et,  à  la  hune  du  mast  de  ladicte  nef,  qui  estoit 
en  façon  d'un  liz,  yssoit  ung  roy  en  habit  royal  que 
deux  anges  conduisoient.  Et,  ung  peu  avant  dedens 
ladicte  ville,  estoient  à  la  fontaine  du  Ponceau-  hommes 
et  femmes  sauvages,  qui  se  combatoient  et  faisoient 
plusieurs  contenances.  Et  si  y  avoit  encores  trois  bien 
belles  filles,  faisans  personnages  de  seraines  toutes 
nues,  et  leur  veoit  on  le  beau  tetin  droit,  séparé, 
rond  et  dur,  qui  estoit  chose  bien  plaisant,  et  disoient 
de  petiz  motetz  et  bergeretes^  ;  et  près  d'eulx  jouoient 

1.  C'est  ici  que  débute  le  ms.  fr.  2889  de  la  Bibl.  nat.  — 
Louis  XI  était  monté  «  sur  ung  cheval  et  deseure  luy  ung  ciel 
que  vi  hommes  de  la  loy  de  Paris  vestu  de  violet  (portoient),  et 
le  roy  vestus  de  drap  de  damas  blancq  à  gros  boutons  d'or  (dans) 
lesquelz  estoient  envaisselez  gros  baliais  »  {Messager  de  Gand, 
cité). 

1.  Rue  Saint-Denis,  à  une  petite  distance  de  la  porte,  près  des 
Filles-Dieu.  Cette  fontaine  est  encore  indiquée  au  plan  des  fon- 
taines de  Paris  par  l'abbé  Delagrave,  dans  le  tome  IV  du  Traité 
de  la  police  de  Delamare  (1735). 

3.  Par  motet  il  faut  entendre  une  composition  harmonique  à 
deux,  trois  ou  quatre  parties.  La  bergerette  était  un  rondeau  dont 
le  second  couplet  n'avait  pas  de  refrain  et  qui  différait  du  pre- 
mier par  les  rimes  et  parfois  par  le  rythme  (Rondeaux  et  autres 
poésies  du  XV^  siècle,  p.  p.  Gaston  Raynaud,  Introd.,  p.  li  et  suiv. 
(Soc.  des  Ane.  textes),  1889). 


28  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1461 

plusieurs  bas  instrumens  qui  rendoient  de  grandes 
mélodies.  Et,  pour  bien  rafreschir  les  entrans  en 
ladicte  ville,  y  avoit  divers  conduis  en  ladicte  fon- 
taine gectans  lait,  vin  et  ypocras,  dont  chascun  buvoit 
qui  vouloit.  Et,  ung  peu  au  dessoubz  dudict  ponceau, 
à  l'endroit  de  la  Trinité^,  y  avoit  une  Passion  par  per- 
sonnages et  sans  parler.  Dieu  estendu  en  la  croix  et 
les  deux  larrons  à  destre  et  à  senestre.  Et  plus  avant, 
à  la  porte  aux  Paintres^,  avoit  autres  personnages 
moult  richement  habillez.  Et,  à  la  fontaine  Saint-Inno- 
cent^, y  avoit  aussi  personnages  de  chasseurs  qui 
acueillirent  une  biche  ilec  estant,  qui  faisoient  moult 
grant  bruit  de  chiens  et  trompes  de  chaces.  Et,  à  la 
Boucherie  de  Paris  ^,  y  avoit  eschafaulx  figurez  à  la 
bastide  de  Dieppe.  Et,  quant  le  roy  passa,  il  se  livra 
ilec  merveilleux  assault  des  gens  du  roy  à  l'encontre 
des  Anglois  estans  dedens  ladicte  bastide,  qui  furent 
prins  et  gaignez  et  orent  tous  les  gorges  coppées^.  Et, 
contre  la  porte  de  Chastellet,  y  avoit  de  moult  beaulx 

1.  Rue  Saint-Denis,  près  la  rue  Greneta. 

2.  Rue  Saint-Denis,  près  la  rue  aux  Oues. 

3.  Toujours  dans  la  rue  Saint-Denis,  au  coin  de  la  rue  aux 
Fers. 

4.  La  Grande-Boucherie  de  Paris,  installée  derrière  le  Chàte- 
let,  fut  démolie  en  1416  et  reconstruite  deux  ans  après.  Les  pro- 
priétaires en  étaient  dès  cette  époque  les  Thibert,  les  Saintyon, 
les  d'Auvergne  et  les  Ladehors  (Lespinasse,  Les  Métiers  de  Paris, 
in-4%  I,  261). 

5.  La  représentation  de  la  prise  de  la  bastille  de  Dieppe  était  une 
délicate  llatterie  à  l'adresse  du  nouveau  roi.  Au  mois  de  novembre 
1442,  le  fameux  capitaine  anglais  Talbot  vint  assiéger  Dieppe  et 
édifia  devant  les  murs  une  forte  bastille.  Après  neuf  mois,  en 
août  1443,  une  armée  française,  conduite  par  le  dauphin  Louis, 
contraignit  les  Anglais  à  lever  le  siège. 


1461J  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  29 

personnages.  Et,  oultre  ledit  Chastellet,  sur  le  pont 
aux  Changes'',  y  avoit  autres  personnages  et  estoit 
tout  tendu  par  dessus.  Et,  à  l'eure  que  le  roy  passa, 
on  laissa  voler  parmy  ledit  pont  plus  de  GC  douzaines 
d'oiseaulx  de  diverses  sortes  et  façons  que  les  oise- 
leurs de  Paris  laissèrent  aler,  comme  ilz  sont  tenus 
de  ce  faire,  pour  ce  qu'ilz  ont  sur  ledit  pont  lieu  et 
place  à  jour  de  feste  pour  vendre  lesdicts  oiseaulx. 
Et,  par  tous  les  lieux  en  ladicte  ville  par  où  le  roy 
passa  celle  journée,  estoit  tendu  au  long  des  rues 
bien  notablement.  Et  ainsi  s'en  ala  faire  son  oroison 
en  l'église  Nostre-Dame  de  Paris,  et  puis  s'en  retourna 
souper  en  son  Palais  royal  à  Paris,  en  la  grant  sale 
d'icellui-  :  lequel  souper  fut  moult  bel  et  plantureux, 
et  coucha  celle  nuit  oudit  palais. 

1.  Ce  pont,  couvert  de  boutiques  de  changeurs,  reliait  directe- 
ment la  rue  Saint-Denis  à  la  Cité.  On  l'appelait  aussi  le  Pont- 
aux-Oiseaux,  à  cause  des  oiseleurs  qui  l'habitaient.  Il  était  en 
bois  et  fut  incendié  en  1639. 

2.  Louis  XI  arriva  à  Notre-Dame  vers  six  heures  du  soir,  et  fut 
reçu  par  l'évêque,  entouré  de  tout  son  clergé,  et  par  les  maîtres 
de  l'Université.  Après  les  harangues  obligées,  qu'il  abrégea  assez 
vivement,  il  jura,  suivant  la  coutume  des  nouveaux  rois,  le  main- 
tien des  privilèges  du  Chapitre  de  Paris  et  visita  l'éghse  et  les 
rehques.  Voir,  dans  le  Journal  de  Maupoint  cité,  p.  45,  note  2, 
le  procès- verbal  du  greffier  du  Chapitre  ;  cf.  Basin,  II,  15  et  suiv.; 
Du  Clercq,  III,  171,  et  surtout  Chastellain,  IV,  84.  Ce  dernier  dit 
également  qu'en  quittant  la  cathédrale  Louis  XI  remonta  à  che- 
val et  s'en  alla  descendre  au  palais,  «  là  où  estoit  appresté  le 
souper  pour  luy  et  pour  les  princes  ses  pairs  et  barons,  qui  tous 
y  eurent  chambres  et  logis  pour  celle  nuyl,  voire  les  hauts  et 
grands  princes.  »  Le  banquet  fut  servi  sur  la  fameuse  table  de 
marbre,  au  bout  de  cette  admirable  grand'salle  que  Philippe  le 
Bel  avait  agrandie  et  appropriée.  Elle  fut  détruite  par  l'incendie 
de  1618,  mais  l'étage  inférieur  existe  encore.  Il  n'y  avait  pas  été 


30  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1461 

Et  le  lendemain,  premier  jour  de  septembre  oudit 
an  LXI,  il  se  desloga  dudit  palais  et  s'en  ala  loger  en 
son  hostel  des  Tournelles  près  de  la  bastide  Saint- 
Anthoine,  où  il  fut  et  séjourna  depuis  par  aucun 
temps.  Et  là  il  fist  et  ordonna  plusieurs  choses  tou- 
chant les  af aires  de  son  royaume.  Et  ilec  fist  plusieurs 
ordonnances  et  desappoincta  les  plus  grans  et  princi- 
paulx  officiers  de  sondit  royaume,  comme  le  chance- 
lier Juvenel,  le  mareschal,  l'amiral,  le  premier  prési- 
dent de  Parlements  le  prevost  de  Paris  et  plusieurs 
autres,  et  en  leurs  lieux  y  en  mist  d'autres  tous  neufz. 
Pareillement  aussi  desapointa  plusieurs  maistres  des 
requestes,  secrétaires,  conseillers  et  clers  des  comptes, 
de  la  court  de  parlement,  des  generaulx  des  aides,  de 
la  chambre  du  trésor,  des  generaulx  des  monnoyes  et 
autres,  et  en  leurs  lieux  y  en  mist  de  tous  nouveaulx^. 

donné  de  fête  depuis  la  réception,  à  Paris,  en  1378,  de  l'empereur 
d'Allemagne  Charles  IV,  car  c'est  en  des  occasions  fort  rares  que 
le  Palais  était  enlevé  au  Parlement  pour  reprendre  momentané- 
ment sa  destination  primitive  de  palais  royal.  —  Le  i"  sep- 
tembre, Louis  XI  dîna  encore  au  Palais,  et  le  soir  «  se  retrahy 
en  l'hostel  des  Tournelles,  où  il  avoit  choisi  sa  demeure...,  et  y 
tint  son  estât,  mais  non  gaire  grand  »  (Chastellain,  IV,  93). 

1.  Yves  de  Scepeaux  fut  remplacé  par  Hélie  de  Torrettes, 
«  homme  de  grant  efficace,  juste  autant  aux  povres  comme  aux 
riches,  »  qui  par  ses  remontrances  réussit  à  empêcher  les  boule- 
versements que  Louis  XI  paraissait  sur  le  point  d'introduire  dans 
le  personnel  de  la  cour  souveraine  pour  plaire  à  son  oncle  de 
Bourgogne,  qui  avait  à  se  plaindre  du  Parlement  (Fragment  de  la 
Chronique  officielle  des  rois  de  France,  conservé  au  ms.  de  la  reine 
Christine  753,  fol.  93  (communication  de  M.  Vaesen).  Cf.  Jour- 
nal de  Maupoint,  et  Chastellain,  IV,  100).  La  nomination  d'Hélio 
de  Torrettes  est  du  3  septembre  1461.  Il  prêta  serment  le  11  du 
même  mois  [Ordonnances,  XV,  p.  12,  note;  cf.  ci-après). 

2.  C'est  le  mercredi  2  septembre  que  Louis  XI  réunit,  «  eu 


1461]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  31 

Et,  le  tiers  jour  de  septembre  mil  IIIP  LXI,  le  roy 
avecques  les  seigneurs  et  aucuns  gentilzhommes  de 
sa  maison  soupperent  en  l'ostel  de  maistre  Guillaume 
de  Corbye,  lors  conseiller  en  sa  court  de  Parlement, 
et  celle  nuit  le  roy  [le]  fist  et  créa  premier  président 
du  Daulphiné^  Et  là  y  furent  plusieurs  damoiselles  et 

l'hostel  neuf  construit  par  Charles  V  à  côté  de  celui  des  Tour- 
nelles,  les  ducs  et  une  grant  partie  des  contes  et  chevaliers  et 
aultres  sages,  »  afin  de  pourvoir  aux  offices  du  royaume.  Ce  con- 
seil siégea  trois  semaines,  mais  le  roi  suivit  peu  ses  avis.  Mau- 
point,  qui  fournit  ce  renseignement,  ajoute  que  «  plusieurs  chefs 
de  guerre...  furent  desapointez  et  aultres  moins  nobles  et  de 
moindres  ostelz  furent  mis  en  leurs  estas  et  offices.  »  Les  muta- 
tions portèrent  sur  nombre  d'officiers  de  tout  ordre,  «  dont  et 
pourquoy  plusieurs  personnes  furent  dolens  et  desplaisans  et  se 
donnoient  grant  merveille  de  telle  et  si  soudaine  muance  en  tant 
et  en  si  grant  nombre  d'estas  et  offices  parmi  ce  royaulme.  Et 
nota  que  lors  on  disoit  que  en  ce  royaulme  avoit  soixante  et 
quatre  mille  offices  à  gages  »  {Journal,  p.  47).  —  C'est  Pierre 
de  Morvilliers  qui  remplaça  le  chancelier  Jouvenel.  —  Le 
maréchal  de  Lohéac  dut  céder  son  commandement  au  bâtard 
d'Armagnac,  Jean  de  Lescun.  Jean  de  Montauban  fut  amiral  à 
la  place  de  Jean  de  Bueil  avec  2,000  1.  t.  de  gages  et  20,000  1.  t. 
de  pension  (Bibl.  nat.,  ms.  fr.  20499,  fol.  106),  et  Jacques  de 
risle-Adam  prévôt  de  Paris  à  la  place  de  Robert  d'Estouteville.  ^ 

On  verra  qu'après  le  Bien  Public  plusieurs  des  anciens  titulaires 
furent  réintégrés  en  leurs  charges  (voy.  Ghastellain,  IV,  100, 
les  Mémorandums  de  Bourré,  Bibl.  nat.,  ms.  fr.  20489,  fol.  95,  et 
Ordonnances  des  rois,  t.  XV,  p.  11  et  suiv.). 

1.  Guillaume  de  Corbie  était  fils  de  Phihppe,  bâtard  légitimé 
du  chancelier  Arnault  de  Corbie  et  de  Jeanne  de  Chanteprime. 
Chevalier,  seigneur  de  Mareuii,  etc.,  et  conseiller  au  parlement 
de  Paris  dès  1436,  il  y  devint  président  en  1463.  Il  avait  épousé 
Jeanne  de  Longueil  et  mourut  le  21  mars  1490.  Par  lettres 
royales,  en  date  du  13  septembre  1461,  Guillaume  de  Corbie  fut 
autorisé  à  cumuler  l'office  de  conseiller  au  parlement  de  Paris 
avec  celui  de  président  au  parlement  de  Dauphiné  (Ordonnances 
des  rois,  XV,  17). 


32  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1461 

honnestes  bourgoises  dudit  lieu  de  Paris.  Et,  ce  jour 
aussi,  fut  fait  et  créé  secrétaire  Jehan  Prévost,  clerc 
de  maistre  Jehan  de  Valengelier,  greffier  des  requestes 
de  rOstel  du  roy^,  au  moien  de  ce  qu'il  espousa  une 
jeune  femme  nommée  Mariete,  qui  avoit  servy  mon- 
seigneur le  bastard  d'Armignac,  conte  de  Gomminge  ; 
à  cause  de  quoy  ledit  Prévost  a  eu  de  grans  biens, 
et  y  print  le  bien  qu'il  a^.  JEt,  en  ce  temps,  le  roy 
estant  audit  lieu  de  Paris,  fist  de  grandes  honnestes 
et  bonnes  chères  en  divers  lieux  et  hostelz  de  Paris  ^ . 

1.  Jean  de  Valengelier  servait  Charles  Vil  dès  1434  en  qualité 
de  clerc-notaire  et  secrétaire  (Bibl,  nat.,  Pièces  orig.,  vol.  2915, 
doss.  Valengelier). 

2.  Ce  Jean  Le  Prévost,  que  notre  auteur  paraît  avoir  tenu  en 
médiocre  estime,  fut  un  des  serviteurs  les  plus  employés  de 
Louis  XL  Dès  la  fin  de  septembre  1461,  on  le  voit  contresigner 
des  lettres  du  roi  (Vaesen,  Lettres  de  Louis  XI,  II,  14).  En  1468, 
c'est  lui  qui  rédigea  le  procès-verbal  des  états  généraux  tenus  à 
Tours  du  6  au  14  avril  (Musée  des  Arch.  nat.,  n»  483).  En  1473- 
1474,  il  avait  probablement  la  garde  des  livres  du  roi  (Delisle, 
Cabinet  des  manuscrits  de  la  Bibliothèque  nationale,  I,  75,  77,  et 
II,  343).  En  1466,  1469  et  1472,  il  exerça  le  contrôle  des  finances 
«  deçà  Seine  et  Yonne  »  (Bibl.  nat..  Pièces  orig.,  vol.  2378,  doss. 
Prévost),  et  plus  tard,  en  1484-1485,  la  recette  ordinaire  du  bail- 
liage de  Touraine  (Bibl.  nat.,  ms.  fr.  20499,  fol.  80).  Il  habitait  à 
Paris,  sur  la  paroisse  de  l'église  Saint-Germain-l'Auxerrois,  dont 
il  était  marguillier  en  1482-1483  (Arch.  nat.,  LL  729,  fol.  149).  — 
Sa  femme,  Marie  Sohier,  toucha,  le  4  novembre  1465,  100  écus 
d'or  pour  partie  de  ses  gages  de  lingère  et  lavandière  du  roi  (Bibl. 
nat.,  ms.  fr.  26090,  n^  438,  parch.).  Par  patentes  datées  de  Mon- 
tils-lès-ïours,  le  26  mars  1466  (v.  st.),  Louis  XI  lui  fit  don  de 
tous  les  droits  qu'il  possédait  sur  la  prévôté  de  Triel  en  récom- 
pense des  20  écus  d'or  qu'elle  recevait  pour  ses  gages  et  pension, 
avantage  que  Le  Prévost  échangea  plus  tard  contre  la  prévôté 
de  Gonesse  (Patentes  datées  du  Pont-de-Samois,  4  octobre  1474. 
Voy.  Sauvai,  Hist.  des  Antiquités  de  Paris,  1724,  t.  III,  p.  424). 

3.  A  en  croire  Chastellain,  les  passe-temps  de  Louis  XI  n'étaient 


1461-1462]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  33 

Et  si  advint  en  ce  temps  audit  lieu  de  Paris  que 
une  belle  jeune  femme  nommée  Jehanne  du  Bois, 
femme  d'un  notaire  du  Chastellet  dudit  lieu  de  Paris, 
se  party  et  absenta  hors  de  la  maison  de  sondit  mary 
et  s'en  ala  où  bon  lui  sembla,  et  depuis  par  long 
temps  fut  perdue.  Et  après,  sondit  mary,  bien  con- 
seillé de  ses  principaulx  amis,  la  reprint,  et  se  contint 
de  là  en  avant  avecques  sondit  mary  bien  et  honnes- 
tement^. 

En  l'année  mil  GCGG  soixante  et  deux  ensuivant, 
ne  survindrent  gueres  de  nouvelletez  qui  feussent  de 

pas  tous  d'un  ordre  relevé.  Escorté  par  Guillaume  Bische,  le 
favori  du  comte  de  Gharolais,  et  «  un  des  singuliers  du  monde,  » 
il  s'en  allait  «  bras  à  bras  par  nuyt...  parmy  la  ville  de  Paris 
visiter  dames  et  damoiselles  »  (IV,  116,  486).  —  Tout  le  passage 
concernant  Jean  Le  Prévost,  qui  existe  dans  les  deux  manus- 
crits, a  été  supprimé  dans  l'édition  gothique,  probablement  parce 
que  ce  personnage  vivait  encore  à  l'époque  où  pour  la  première 
fois  la  Scandaleuse  fut  imprimée. 

1.  Les  mots  «  et  despuis  par  long  temps  fut  perdue  »  qui 
figurent  dans  les  deux  manuscrits  de  la  Chronique  ont  été 
omis  dans  les  éditions  anciennes.  Je  ne  sais  si  ce  notaire 
au  Ghàtelet  est  le  même  personnage  qu'Etienne  du  Bois,  con- 
seiller au  Parlement,  qui  fut  suspendu  de  son  office  pour  avoir, 
en  1476-77,  opiné  pour  que  le  duc  de  Nemours  «  ne  fust  pugny 
du  crime  de  lèze  majesté.  »  Ge  Du  Bois  avait  épousé  Jeanne 
de  Fumechon,  fille  d'un  conseiller  au  Parlement.  Arrêté  et 
emprisonné,  il  languit  quatorze  mois  «  tout  enferré,  les  jambes 
nues,  et  de  jour  enchesné  d'une  chesne  de  fer.  »  Transporté 
ensuite  de  Tours  à  Arras,  malade,  e  sur  ung  petit  cheval  en 
une  charrette,  par  manière  de  dérision,  en  grande  esclande  de  sa 
personne,  »  il  fut  entin  élargi,  mais  le  roi  lui  fit  interdire  sous 
peine  de  confiscation  de  rentrer  à  Paris  ni  d'approcher  de  dix 
lieues  de  sa  résidence.  La  femme  d'Etienne  du  Bois  partagea  sa 
misère  et  en  mourut  (Bibliothèque  nationale,  Pièces  originales, 
vol.  389,  dossier  du  Bois). 


34  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [U63-1464 

grant  mémoire  :  pourquoy  n'en  est  icy  faicte  aucune 
mencion. 

Et,  au  regard  de  l'année  ensuivant  mil  IIIP  LXIII, 
pareillement  que  dit  est,  ne  survint  riens  qui  doye 
estre  mis  en  grant  mémoire,  mais  l'y  ver  fut  court 
sans  estre  froit,  et  fut  l'esté  long.  Il  crut  en  ladicte 
année  assez  de  vin  et  assez  bon.  Et,  au  regard  des 
autres  biens  de  terre,  n'en  fut  pas  grant  habondance, 
mais  la  mer  fut  fort  fructueuse  ^ 

En  l'an  mil  GCGG  LXIIII,  à  ung  jour  de  mardi, 
XV*  jour  de  may,  le  roy  vint  et  arriva  en  sa  ville  de 
Paris,  qui  venoit  de  Nogent  le  Roy,  où  ilec  la  royne 
s'estoit  délivrée  d'une  belle  fîlle^.  Et  ce  jour  il  soupa 
en  l'ostel  de  maistre  Charles  d'Orgemont,  seigneur  de 

1.  Interpolations  et  variantes,  §  III.  —  Les  éditions  anciennes 
ont  supprimé  le  dernier  membre  de  la  phrase.  Ainsi  qu'on  l'a 
remarqué  dans  l'Introduction,  il  est  au  moins  singulier  que  le 
chroniqueur  ait  omis  de  noter  les  événements  des  années  1462 
et  1463. 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  IV.  —  La  «  belle  fille  »  dont  il 
s'agit  (l'Interpolateur,  en  copiant  cette  phrase,  a  supprimé  l'épi- 
thète)  est  Jeanne  de  France,  cette  pauvre  créature  contrefaite 
que  Louis  XI  imposa  au  jeune  duc  Louis  d'Orléans  dans  l'es- 
poir peut-être  que  leur  union,  vouée  à  la  stérilité,  serait  la  fin 
d'une  maison  rivale.  Répudiée  en  1498  par  le  duc  d'Orléans, 
devenu  le  roi  Louis  XII ,  Jeanne  reçut  en  compensation  le 
duché  de  Berry  (26  décembre  1498)  et  mourut  en  odeur  de 
sainteté  (voy.  R.  de  Maulde,  Jeanne  de  France,  duchesse  d'Or- 
léans et  de  Berry,  in- 8».  Paris,  1883).  Venu  en  pèlerin  à 
Chartres,  Louis  XI  partageait  son  temps  entre  cette  ville  et 
Nogent-le-Roi,  qui,  depuis  1444,  appartenait  au  grand  sénéchal 
de  Normandie,  Pierre  de  Brézé.  En  1460,  Brézé  avait  rasé  l'an- 
cien château  et  construit  un  château  neuf  qui  fut  terminé  en 
1463  (Docu^yi.  histor.  sur  les  communes  du  canton  de  Nogent-le- 
Roi...,  p.  p.  Ed.  Lefèvre,  2  vol.  in-12.  Chartres,  1865). 


1464]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  35 

Mery*.  Et  puis  s'en  parti  oudit  moys  de  may  de 
ladicte  ville  de  Paris,  pour  aler  es  marches  de  Picar- 
die, cuidant  ilec  trouver  les  ambasseurs  du  roy 
Edouart  d'Angleterre,  qu'on  lui  avoit  dit  qui  y  dévoient 
venir  pardevers  lui,  qui  n'y  vindrent  point;  et  à 
ceste  cause  s'en  parti  dudit  pays  de  Picardie  et  s'en 
ala  à  Rouen  et  autres  lieux  de  Normandie^. 

Et,  lui  estant  oudit  pays  de  Normandie,  advint 
que  ung  balenier  fut  prins  sur  mer  es  marches  de 
Holande,  dedens  lequel  estoit  avecques  autres  ung 
nommé  le  bastard  de  Rubempré,  lequel  balenier  et 
ceulx  qui  dedens  estoient  furent  prins  tous  prisonniers 
par  les  navires  de  Flandres.  Et,  après  ladicte  prinse 
faicte,  plusieurs  Picars  et  Flamens  disoient  et  pu- 
blioient  que  dedens  icellui  le  roy  les  avoit  envolez  pour 
prendre  prisonnier  monseigneur  de  Gharolois  :  dont 
il  n'estoit  riens  ^. 


1.  Charles  d'Orgemont,  écuyer,  seigneur  de  Méry  et  de  Champs- 
sur-Marne,  conseiller  et  maître  des  comptes,  trésorier  de  France 
(12  novembre  1465),  était  fils  de  Philippe  d'Orgemont  et  de  Marie 
Boucher.  Il  épousa  Jeanne  Dauvet  (Bibl.  nat.,  Pièces  orig., 
vol.  2149,  doss.  Orgemont  ;  ms.  fr.  2921,  fol.  44  v".  Cf.  G.  Jacque- 
ton,  Documents  relatifs  à  l'administration  financière  en  France  de 
Charles  VU  à  François  /".  Paris,  1891,  in-8°,  p.  289). 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  V.  —  Louis  XI  quitta  Paris  à 
la  un  de  mai,  «  et  de  là,  visitant  les  marches  à  l'entour,  et 
tousjours  approchant  Picardie,  fit  son  arrest  en  diverses  places, 
chassant  et  soy  esbattant  pour  venir  au  temps  que  la  journée 
estoit  prise  de  la  convention  des  Anglois,  le  xv«  de  juillet  » 
(Chastellain,  IV,  493).  Il  arriva  à  Rouen  le  23  juillet,  y  demeura 
quelques  jours  et  fit  un  séjour  assez  prolongé  chez  le  grand 
sénéchal  de  Normandie,  à  Mauny,  «  près  d'une  forest,  là  où 
avoit  assise  une  maison  plaitte,  qui  bien  sembloit  de  haut  repaire  » 
(Chastellain,  V,  25;  cf.  VII,  37  et  suiv.). 

3.  Il  semble  impossible,  en  eiïet,  que  Louis  XI  ait  commis  la 

I  5 


36  JOURN.VL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1464-1465 

En  ce  temps,  le  roy,  qui  estoit  en  Normendie,  s'en 
parti  pour  retourner  audit  lieu  de  Nogent.  Et  puis  de 
là  s'en  ala  à  Tours,  à  Ghinon,  et  de  là  à  Poictiers^. 
Auquel  lieu  de  Poictiers  ala  et  fut  pardevers  lui  une 
ambaxade  de  Paris  lui  requérir  aucunes  franchises 
pour  ladicte  ville,  dont  riens  ou  que  peu  ne  leur 
accorda,  sinon  que  l'imposicion  foraine  n'auroit  plus 
de  cours  en  ladicte  ville,  qui  n'estoit  pas  grant  chose ^. 
Mais  ilz  n'en  joyrent  point,  nonobstant  leurdit  don, 
pour  ce  que  les  gens  des  Comptes,  à  qui  leurs  lettres 
s'adressoient,  ne  leur  vouldrent  bailler  d'icelles  leur 
expedicion. 

Et  aussi  furent  devers  le  roy  audit  lieu  de  Poictiers 
les  ambasseurs  du  duc  de  Bretaigne,  qui  par  lui 
furent  oyz  sur  aucuns  articles  qu'ilz  lui  exposèrent  tou- 
chant le  fait  du  roy  et  dudit  duc.  Lesquelz  articles  ou 

folie  de  confier  au  bâtard  de  Rubempré  la  mission  d'enlever  le 
comte  de  Gharolais  à  Gorcum,  c'est-à-dire  à  plus  de  100  kilo- 
mètres d'Araemuyden,  où  le  bâtard  avait  laissé  son  navire.  On 
trouvera  la  version  française  de  cet  incident  dans  le  discours  du 
chancelier  de  France  à  Philippe  le  Bon  (6  nov.  1464.  Gommynes, 
éd.  Lenglet,  II,  417;  cf.  éd.  Dupont,  UI,  208).  Le  bourguignon 
Ghastellain  s'abstient  de  formuler  une  opinion,  tout  en  déclarant 
la  venue  du  bâtard  «  souspeconneuse  »  (V,  83).  Le  fragment  de  la 
Chronique  de  la  Haye  citée  par  M.  de  Lettenhove  (ibid.,  p.  85) 
incrimine  formellement  le  roi.  Du  Glercq  dit  simplement  qu'on 
ne  put  rien  savoir  au  vrai  de  la  confession  que  le  bâtard  fut 
censé  avoir  faite,  «  car  le  conte  [de  Gharolais]  ne  volt  pas  que  on 
le  sceust  »  (IV,  G6). 

1.  Louis  XI  était  à  Rouen  le  8  novembre.  Le  13,  on  le  retrouve 
à  Nogent-le-Roi.  Il  passa  les  mois  de  décembre  et  de  janvier  en 
Touraine  et  arriva  le  18  février  à  Poitiers,  où  il  resta  jusqu'au 
milieu  de  mars  {Itin.  cité). 

2.  On  entendait  par  imposition  foraine  les  droits  que  devaient 
acquitter  les  marchandises  à  l'entrée  ou  à  la  sortie  du  royaume 
(Jacquelon,  ouvr.  cité,  Introd.,  p.  vm). 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  37 

la  pluspart  d'iceulx  furent  par  le  roy  accordez.  Et, 
en  iceulx  articles  accordant,  lesdiz  ambasseurs  pro- 
misdrent  de  faire  venir  ledit  duc  de  Bretaigne  audit 
lieu  de  Poictiers  ou  ailleurs  au  bon  plaisir  du  roy, 
pour  confermer  iceulx  articles  acordez.  Et  à  tant  se 
partirent  dudit  lieu  de  Poictiers  lesdiz  ambasseurs, 
feignans  eulx  en  retourner  audit  pais  de  Bretaigne; 
mais  ilz  firent  tout  le  contraire,  comme  cy  après  sera 
dit,  car  ilz  partirent  dudit  Poictiers  à  ung  jour  de 
samedi ^  Et  ce  jour  ne  firent  que  quatre  lieues,  et  ilec 
demourerent  jusques  au  lundi  ensuivant  que  monsei- 
gneur le  duc  de  Berry,  frère  du  roy^,  s'en  party  aussi 
dudit  lieu  de  Poictiers,  et  vint  jusques  aux  dessusdiz 
ambasseurs,  qui  le  recueillirent  et  l'en  amenèrent 
oudit  pays  de  Bretaigne  à  bien  grant  haste  et  dili- 
gence, pour  paour  que  le  roy  n'en  eust  nouvelles  et 
qu'ilz  feussent  suivis^.  Et  desjà  estoit  oudit  pays  aie, 
pardevers  icellui  duc,  monseigneur  le  conte  de  Du- 
noys'*.  Et,  si  s'en  alerent  audit  pays  de  Bretaigne, 

4.  Les  ambassadeurs  bretons  étaient  Odet  d'Aydie,  seigneur  de 
Lescun,  et  le  chancelier  Guillaume  Ghau-vin.  «  Ilz  m'avoient  dit,  » 
écrit  Louis  XI  au  duc  de  Bourgogne,  après  le  6  mars,  «  qu'il  (le 
duc  de  Bretagne)  viendroit  à  Tours  et  que  je  envoyasse  le  conte 
de  Gomminge  et  l'admirai  devers  lui  pour  l'acompaigner  à  y  venir, 
ce  que  j'avoye  fait;  et  partirent  lundi  derrenier  d'icy  pour  y  aller, 
et  je  m'en  parti  aussi  ce  jour  pour  aller  en  mon  pelerinaige  à 
N.-D.-du-Pont,  et  lesdiz  gens  du  duc  estoient  partiz  le  jour 
devant  »  (Vaesen,  Lettres  de  Louis  XI,  II,  234).  Les  Bretons  quit- 
tèrent donc  Poitiers  le  dimanche  3  et  non  le  samedi  2  mars. 

2.  Gharles  de  France,  second  fils  de  Charles  Vil  et  de  Marie 
d'Anjou,  né  le  28  décembre  1446,  mort  le  25  mai  1472.  Louis  XI 
lui  avait  donné,  en  1461,  le  duché  de  Berry  en  apanage. 

3.  Cf.  Vaesen,  Lettres  de  Louis  II,  II,  234  et  suiv.  —  Interpo- 
lations et  variantes,  §  VI. 

4.  Basin  est  revenu  par  deux  fois  sur  la  défection  du  bâtard 


38  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

après  ledit  parlement,  aucuns  particuliers  pardevers 
mondit  seigneur  de  Berry^. 

Et,  tantost  après  ledit  parlement  ainsi  fait  que  dit 
est,  monseigneur  le  duc  de  Bourbon  porta  guerre  au 
roy  et  à  ses  pays,  et  print  toutes  les  finances  qui 
esloienl  au  roy,  eslans  es  pays  de  mondit  seigneur  le 
duc^.  Et  si  y  fist  prendre  et  arrester  le  seigneur  de 
Crussol,  qui  bien  estoil  fort  familier  du  roy,  et  lequel 
seigneur  de  Crussol  passoit  lors  par  les  pays  de  mon- 
seigneur le  duc  de  Bourbon,  menant  avecques  soy  sa 

d'Orléans,  dont  la  cause  véritable  paraît  avoir  été  sa  rivalité  avec 
le  comte  du  Maine,  que  Louis  XI  favorisait  à  ses  dépens.  Chargé 
par  le  roi  d'une  mission  en  Bretagne,  il  embarqua  sur  la  Loire  la 
meilleure  partie  de  ses  meubles  et  s'en  fut,  «  sans  idée  de  retour,  b 
Basin,  naturellement,  excuse  cette  trahison.  Dunois,  dit-il,  redou- 
tait la  colère  du  roi,  lorsque  celui-ci  apprendrait  le  résultat  néga- 
tif des  sommations  qu'il  l'avait  chargé  d'adresser  aux  Bretons, 
et,  d'autre  part,  le  comte  percevait  clairement  qu'il  n'y  avait  à 
espérer  aucune  réforme  dans  le  gouvernement  du  royaume  (II, 
99,  103).  Le  bâtard  d'Orléans  fut  la  véritable  tête  des  coalisés  de 
l'Ouest. 

1.  Interpolations  et  variantes,  §  VII. 

2.  C'est  à  Lille,  au  mois  d'octobre  1464,  que  le  duc  de  Bourbon 
persuada  son  oncle  le  duc  de  Bourgogne  de  faire  cause  commune 
avec  les  seigneurs  français  contre  Louis  XI;  encore,  ajoute  Com- 
mynes,  t  le  neu  de  ceste  matière  ne  luy  fut  jamais  descouvert, 
ne  il  ne  s'attendoit  point  que  les  choses  vinssent  jusques  à  la 
voye  du  faict  »  (éd.  Duiwnt,  I,  14).  —  Les  griefs  des  princes  coa- 
lisés sont  exposés  dans  la  lettre  que  Bourbon  écrivit  au  roi  pour 
lui  faire  connaître  son  refus  d'obéir  à  ses  ordres  (Bourges, 
24  mars,  dans  Gommynes,  éd.  Lenglet,  II,  443  et  suiv.  —  Cf.  Ghas- 
tellain,  IV,  117,  119,  et  Doc.  inédits,  l""*  série;  Mélanges  histo- 
riques, p.  p.  Quicherat,  t.  Il,  p.  l'J6  et  suiv.).  —  Dès  le  5  avril, 
Louis  XI  mandait  au  seigneur  de  la  Fayette  qu'il  était  averti 
«  des  prinses  et  destrousses  faictes  par  les  gens  du  duc  de  Bour- 
bon sur  ses  olliciers  et  subgetz  »  et  l'invitait  à  user  de  représailles 
(Vaesen,  Lettres  de  Louis  XI,  II,  25'i). 


1465J  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  39 

femme  et  plusieurs  de  ses  biens,  tous  lesquelz  furent 
en  arrest  en  la  ville  de  Cosne  en  Bourbonnoys^  Et, 
après  les  choses  dessusdictes,  furent  aussi  arrestez 
prisonniers  en  la  ville  de  Molins  le  seigneur  de  Tray- 
nel,  par  avant  chancelier  de  France,  et  maistre  Pierre 
d'Oriole,  gênerai  des  finances  du  roy,  lesquelz  furent 
longuement  détenus  en  arrest  en  ladicte  ville  de  Mo- 
lins. Et  puis  après  par  mondit  seigneur  le  duc  furent 
délivrez,  et  s'en  retournèrent  pardevers  le  roy^. 

Et,  le  dimenche  xii^  jour  de  mars^,  oudit  an 
IIIP  LXIIII,  après  ledit  partement  de  monseigneur  de 
Berry  dudit  lieu  de  Poictiers,  Anthoine  de  Chabanes, 

1.  Louis,  seigneur  de  Crussol  et  de  Beaudiner,  conseiller  et 
chambellan  du  roi,  grand  panetier  de  PVance,  sénéchal  de  Poitou, 
gouverneur  de  Dauphiné,  etc.,  avait  épousé  Jeanne  de  Lévis, 
dame  de  Florensac.  Il  mourut  au  mois  d'août  1473. 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  VIII.  —  Pierre  d'Oriole,  qui,  à 
l'avènement  de  Louis  XI,  avait  été  remplacé  comme  général  des 
finances  par  Jean  de  Bar  et  comme  maître  des  comptes  par  Jean 
Bourré,  n'était  pas  tombé  dans  une  disgrâce  complète.  Il  avait 
été  chargé  par  le  roi,  avec  l'ex-chanceher  Jouvenel,  au  mois  de 
juin  1464,  de  chercher  un  accommodement  entre  les  ducs  de 
Savoie  et  de  Bourbon.  C'est  au  cours  de  cette  mission  qu'ils 
furent  tous  deux  arrêtés  à  Moulins  par  ordre  de  Jean  II.  Après 
son  élargissement,  P.  d'Oriole  rejoignit  le  roi,  mais,  comme  on  le 
verra,  passa  aux  rebelles  au  mois  de  septembre  1465.  Sur  les 
arrestations  arbitraires  dont  parle  notre  texte,  voir  les  plaintes 
du  roi  dans  Commynes,  éd.  Lenglet,  II,  448.  Louis  XI  protesta 
aussi  contre  les  déprédations  dont  s'étaient  rendus  coupables 
Louis  du  Breuil,  Jean  du  Mas  et  autres  qui,  venus  en  armes 
jusqu'à  la  Loire,  avaient  saisi  et  dépouillé  près  de  Blois,  le  27  mars, 
le  sénéchal  de  Beaucaire,  rentrant  d'une  ambassade  auprès  du 
duc  de  Bourgogne,  et  d'autres  sujets  du  roi,  t  qui  n'est  pas  grand 
commencement  de  mettre  bon  ordre  et  provision  au  fait  de  ce 
royaume.  » 

3.  Interpolations  et  variantes,  §  IX.  —  Il  faut  lire  J«  jour  de 
mars.  —  Cf.  Maupoint,  Journal,  p.  51. 


40  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

conte  de  Dampmartin,  qui  estoit  constitué  prisonnier 
en  la  bastide  Saint-Anthoine ,  s'en  party  et  eschapa 
hors  dudit  lieu,  et  s'en  ala  en  Berry  et  en  Bourbon- 
noys,  où  ilec  il  fut  bien  recueilly  par  les  gens  de  mes- 
diz  seigneurs  de  Bourbon  et  Berry.  Et,  pour  occasion 
dudit  eschapement,  en  furent  plusieurs  constituez  pri- 
sonniers. 

Et,  le  mercredi  ensuivant,  xv^  jour^  dudit  moys, 
messire  Charles  de  Meleun,  lieutenant  du  roy,  maistre 
Jehan  Balue,  esleu  evesque  d'Evreux-,  et  maistre  Jehan 
Le  Prévost,  notaire  et  secrétaire  du  roy,  vindrent  et 
arrivèrent  à  Paris  en  l'ostel  de  la  ville,  où  illec  fut 
fait  lecture  d'aucuns  articles,  dont  le  roy  leur  avoit 
baillé  charge.  Et,  après  ladicte  lecture  ainsi  faicte, 
furent  faictes  en  l'ostel  de  ladicte  ville  plusieurs  belles 
ordonnances  pour  la  tuicion,  garde  et  seureté  d'icelle 


1.  Lisez  J///e  jour. 

2.  Charles  de  Melun,  chevalier,  conseiller  et  chambellan  du 
roi,  seigneur  de  Nantouillet,  baron  des  Landes,  etc.,  bailli  de 
Sens,  capitaine  de  Melun  et  du  bois  de  Vincennes,  grand  maître 
de  France,  était  fils  de  Philippe,  seigneur  de  la  Borde- le- Vicomte 
et  de  Jeanne  de  Nantouillet.  Il  épousa  :  \°  21  janvier  1453,  Anne- 
Philippe  de  la  Rochefoucauld  ;  2°  23  mars  1466,  Philippe  de 
Montmorency.  Il  périt  sur  l'échafaud  le  22  août  1468,  comme  on 
le  verra  plus  loin  (Positions  des  thèses  soutenues  à  l'École  des 
chartes  en  1892,  Essai  sur  Charles  I^^  de  Melun,  par  C.  Anchier). 
—  Jean  Balue,  né  vers  1421,  gagna  la  faveur  de  Louis  XI  par 
la  protection  de  ce  même  Charles  de  Melun  dont  il  devint  un  des 
pires  ennemis.  Élu  évêque  d'Évreux  le  5  février  1462,  il  fut  sacré 
le  4  août  1465.  Évêque  d'Angers  (5  juin  1467),  cardinal  (18  sept. 
même  année),  il  fut  arrêté  après  l'aventure  de  Péronne,  le  23  avril 
1469,  sortit  de  prison  le  25  décembre  1480,  s'en  fut  à  Rome, 
revint  en  France  comme  légat  du  pape  (8  oct.  1483-5  févr.  1485) 
et  mourut  en  Italie  le  5  octobre  1491  (Positions  de  thèses  citées. 
Vie  de  Jean  Balue,  par  H.  Forgeot). 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  41 

ville,  comme  de  faire  guet  et  de  garder  les  portes 
d'icelle  et  les  autres  fermer  et  murer  et  mettre  les 
chaynes  de  fer  des  rues  de  ladicte  ville  en  estât,  pour 
servir  quant  mestier  en  seroit,  et  plusieurs  autres 
choses,  qui  longues  seroient  à  escripre,  que  je  passe 
cy  pour  cause  de  briefté. 

En  ce  temps,  furent  prins  par  inventaire  et  mis 
en  la  main  du  roy  tous  et  chascuns  les  biens  de  Pierre 
Morin,  trouvez  et  estans  à  Paris,  pour  ce  que  ledit 
Morin,  qui  estoit  trésorier  de  mondit  seigneur  de 
Berry,  tenoit  pour  ledit  seigneur  contre  le  roy  la 
ville  et  tour  de  Bourges*.  Et,  à  ceste  cause,  le  roy 
donna  l'office  de  huissier  du  Trésor,  qui  estoit  audit 
Morin,  à  ung  nommé  Jaques  Testeclere. 

Et,  après  le  parlement  dudit  Dampmartin,  il  trouva 
moien  et  façon  de  prendre  et  avoir  sur  Geoffroy 
Guer,  filz  de  feu  Jaques  Cuer,  les  places  de  Saint-For- 
geau  et  Saint-Morisse,  où  il  print  ledit  Geoffroy  à  son 
prisonnier,  et  avecques  aussi  prinst  tous  les  biens 
qu'il  avoit  esdiz  lieux  ^. 

Et,  après  ces  choses,  le  roy  s'en  tira  devers  Angers 
et  le  Pont  de  Sée,  pour  savoir  le  vouloir  de  ceulx  qui 
ainsi  s'estoient  de  lui  départis  et  alez  oudit  pays  de 

1.  Pierre  Morin  exerça  la  charge  de  trésorier  des  guerres  de 
Normandie  (M.  déc.  1465)  pendant  les  quelques  semaines  que 
Charles  de  France  passa  à  Rouen.  Trésorier  de  Guyenne,  quand 
son  maître  reçut  ce  duché  en  apanage,  il  passa  au  service  du  roi 
après  la  mort  du  duc  Charles  et  continua  à  exercer  en  Guyenne 
des  fonctions  d'ordre  financier.  En  1498,  on  le  retrouve  maître 
de  la  Chambre  aux  deniers  d'Anne  de  Bretagne,  veuve  du  roi 
Charles  VIII  [Louis  XI,  Jean  d^ Armagnac  et  le  drame  de  Ledoure. 
Extrait  de  la  Revue  historique.  Paris,  1888,  p.  31). 

2.  Voy.  le  récit  de  cette  expédition  aux  Interpolations  et  va- 
riantes, %  IX. 


42  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

Bretaigne^  Et  avoit  le  roy  avecques  lui  pour  le  acom- 
paigner  le  roy  de  Secile  et  monseigneur  du  Mayne  ; 
et  si  le  suivirent  plusieurs  gens  de  guerre  de  son 
royaume  et  en  grant  nombre,  qu'on  estimoit  estre  de 
XX  à  xxx"*  combatans.  Et,  après  que  le  roy  ot  ainsi 
esté  ilec  une  espace  de  temps,  voiant  qu'il  n'y  faisoit 
gueres,  s'en  ala  et  tira  ou  pays  de  Berry,  vers  Ysso- 
dun,  Vierron,  le  Bourg  de  Dieux  et  autres  places  envi- 
ron 2,  et  mena  avecques  lui  grant  quantité  de  ses 
gens  de  guerre  et  de  son  artillerie,  et  laissa  lesdiz  roy 
de  Cécile  et  seigneur  du  Maine,  bien  acompaignez  de 
gens  de  guerre,  pour  garder  et  défendre  que  lesdiz 
de  Bretaigne  n'entrassent  en  Normandie  ne  en  autres 
lieux  de  ce  royaume  pour  le  dommager. 

Et,  quant  le  roy  fut  ainsi  venu  oudit  pays  de  Berry 
que  dit  est,  il  séjourna  ilec  ung  peu  de  temps  et 
puis  s'en  parti  pour  aler  au  pays  de  Bourbonnoys,  et 
laissa  la  ville  de  Bourges  sans  y  aler,  pour  ce  qu'il 
y  avoit  grant  garnison  dedens  ladicte  ville,  dont  estoit 
conducteur  et  cappitaine  monseigneur  le  bastard  de 

1.  Il  n'est  pas  certain  que  Louis  XI  ait  poussé  jusqu'à  Angers, 
Le  roi  ne  paraît  pas  avoir  quitté  Saumur  du  28  mars  au  16  avril. 
Le  lendemain  de  ce  jour,  l'Itinéraire  signale  sa  présence  à  Lan- 
geais et  le  19  à  Tours.  —  Pendant  le  séjour  de  Louis  XI  à  Sau- 
mur, son  oncle,  le  roi  René  de  Sicile,  eut  aux  Ponts-de-Gé  (auj. 
dép,  de  Maine-et-Loire)  une  conférence  sans  résultat  avec  les 
ducs  de  Berry  et  de  Bretagne  et  le  comte  de  Dunois  (Voy. 
Gommynes,  éd.  Lenglet,  II,  445  et  suiv.,  et  Quicherat,  Mélanges 
hisloriques,  II,  240). 

2.  En  quittant  Amhoise,  le  roi  prit  sa  route  par  Montrichard, 
Saiut-Aignan  (28  avril),  Menetou  et  Vierzon,  et  demeura  à  Issou- 
duu  du  2  au  8  mai  (Itinéraire  cité).  Le  bourg  de  Déols  est  sur  la 
rive  droite  de  l'Indre,  en  face  de  Chàteauroux.  Si  Louis  XI  passa 
à  cet  endroit,  ce  serait  entre  le  moment  où  il  quitta  Issoudun  et 
celui  où  il  parvint  à  Lignières, 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  43 

Bourbon  pour  mondit  seigneur  de  Berry*.  Et  vint 
entrer  oudit  pays  de  Bourbonnoys,  où  ilec,  environ 
le  jour  d'Ascension  Nostre  Seigneur,  la  ville  et  chastel 
de  Saint-Amant  l'Ailler  fut  prinse  d'assault.  Et,  peu 
de  temps  après,  lui  fut  rendue  la  ville  et  chastel  de 
Molusson  par  composition,  dedens  laquelle  estoient 
Jaques  de  Bourbon  et  xxxy  lances,  qui  s'en  alerent 
eulx  et  leurs  biens  saufz  et  jurèrent  que  jamais  ne 
s'armeroient  contre  le  roy^. 

1.  C'est  de  Saint-Amand-Mont-Rond  que  Louis,  bâtard  de 
Bourbon,  le  futur  amiral  de  France,  fut  brusquement  appelé  et 
introduit  dans  Bourges  par  les  partisans  du  duc  de  Berry,  au 
moment  où  ceux  du  roi  allaient  ouvrir  leurs  portes.  Le  l"  mai, 
Balue  écrivait  de  Paris  au  chancelier  Morvilliers ,  alors  en 
Picardie  :  «  Le  roi  est  ou  sera  demain  dans  Bourges,  car  il  y  a 
appointement  avec  ceulx  de  la  ville  »  (Mélanges  historiques,  II, 
238,  229  et  256.  Cf.  Yaesen,  Lettres  de  Louis  II,  U,  286  et  suiv.). 
Louis  XI  eut  la  sagesse  de  ne  pas  assiéger  Bourges  et  poursuivit 
sa  marche  vers  le  Bourbonnais.  Cette  habileté  assura  le  succès 
de  la  campagne. 

2.  Saint-Amand  (aujourd'hui  Saint-Amand-Mont-Rond)  et 
Montluçon  sont  des  chefs-lieux  d'arrondissement  du  département 
du  Cher.  Averti  que  Geoffroy  de  Chabannes,  seigneur  de  Char- 
lus,  était  resté  pour  garder  Saint-Amand  avec  une  vingtaine 
d'hommes  d'armes,  Louis  XI  envoya  Charles  de  Melun,  Houaste 
et  les  gens  du  sénéchal  de  Poitou  saisir  cette  place.  Charlus  laissa 
à  Saint-Amand  une  poignée  de  soldats  et  se  jeta  avec  une  dizaine 
d'hommes  de  pied  dans  le  château  de  Montrond,  la  plus  forte 
place  du  Bourbonnais  et  le  boulevard  de  Bourges,  mais  dès  le 
lendemain  il  capitulait  (Louis  XI  au  comte  de  Nevers,  Vaesen, 
Lettres  de  Louis  XI,  II,  287).  Après  avoir  pourvu  à  la  défense  de 
toutes  les  places  du  Berry,  l'armée  royale  assiégea,  le  12  mai, 
Montluçon,  «  qui  est  la  seconde  ville  principalle  du  Bourbonnois.  » 
Jacques  de  Bourbon,  un  frère  cadet  du  duc  Jean,  commandait  là 
quelque  30  ou  40  hommes  d'armes  et  120  piétons,  qui  se  rendirent 
dès  le  lendemain  ou  le  jour  suivant  {Ibid.,  294).  —  Comme  l'As- 
cension tomba  le  23  mai  en  1465,  notre  chroniqueur  a  commis 


44  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

Et,  la  veille  dudit  jour  d'Ascension  Nostre  Seigneur 
[%%  mai],  arrivèrent  à  Paris  monseigneur  le  chance- 
lier de  Traynel,  maistre  Estienne  Chevalier,  Nicolas  de 
Louviers,  maistre  Jehan  des  Molins^  par  lesquelz  le 
roy  escripvoit  à  ses  bons  bourgois,  manans  et  habi- 
tans  de  Paris,  en  les  merciant  de  leurs  bons  vouloirs 
et  loyautez,  en  les  priant  et  exhortant  de  bien  en 
mieulx  continuer.  Et  par  eulx  leur  mandoit  qu'il  leur 
envoieroit  la  royne  pour  acoucher  à  Paris,  comme  à 
ville  du  monde  que  plus  il  aymoit. 

Et,  le  jeudi  xxx®  et  penultime  jour  de  may  l'an 
mil  CGGGLXV,  advint  que  à  ung  mouHn,  qui  est 
pardelà  Moret  en  Gastinoys^,  nommé  le  moulin  Basset, 
en  une  hostellerie  ilec  estant,  se  vindrent  loger  ung 
nommé  Jehan  Lahure,  marchant  de  la  ville  de  Sens, 
ung  sien  nepveu  et  autres  en  sa  compaignie.  Et,  en 
ladicte  hostellerie,  environ  mynuit,  vindrent  de  xxx 
à  XL  hommes  de  cheval,  tous  en  armes,  qui  estoient 
venus  desditz  heux  de  Saint-Morisse  et  Saint-Forgeau, 
qui  en  amenèrent  prisonniers  esdits  lieux  lesdits  La- 
hure et  ceulx  de  ladicte  compaignie,  ensemble  tous 
leurs  biens  et  bagues.  Et,  oudit  temps,  le  roy  ordonna 

une  erreur  de  date,  mais  il  est  probable  que  les  événements 
qu'il  raconte  ne  furent  connus  à  Paris  que  vers  l'Ascension. 

1.  L'eaî-chancelier  et  Etienne  Chevalier,  qu'on  a  vus  arrêtés  un 
moment  à  Moulins  par  ordre  du  duc  de  Bourbonnais,  avaient 
rejoint  l'armée  royale  sans  s'être  laissé  gagner  à  la  cause  des 
princes.  —  Jean  de  Moulins,  notaire  et  secrétaire  du  roi,  que 
Louis  XI  maria  à  sa  filleule  Louise  Jamin,  fut  élu  l'un  des  cent 
conseillers,  puis,  en  1464,  maire  de  Poitiers,  sur  l'ordre  du  roi 
(Vaesen,  LeUres  de  Louis  XI,  II,  181  et  188). 

2.  Aujourd'hui  Moret-sur-Loing,  dép.  de  Seine-et-Marne,  arr. 
de  Fontainebleau. 


1465J  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  45 

de  rompre  et  abatre  les  ponts  de  Chamois,  de  Beau- 
mont  sur  Oize  et  autres^. 

Et,  le  jeudi  vi*  jour  de  juing,  oudit  an  mil  III^  LXV, 
advint  à  Paris,  en  la  rue  Saint-Denis,  devant  la  Barbe 
d'Or,  que  ung  ancien  homme,  bonnetier,  nommé  Jehan 
Marceau  se  pendit  et  estrangla  en  sa  maison,  et  fut 
le  corps  trouvé  mort;  si  fut  despendu  et  apporté  ou 
Chastellet  de  Paris  pour  estre  ilec  visité,  et,  après 
ladicte  visitacion  faicte,  fut  envoie  et  porté  pendre 
ledit  corps  au  gibet  de  Paris.  Et,  en  ce  mesmes 
jour,  y  ot  ung  laboureur  demourant  à  Glignencourt^, 
nommé  Jehan  Petit,  qui  coppa  la  gorge  à  sa  femme. 

En  ce  temps,  le  bastard  de  Bourgongne  et  le 
mareschal  de  Bourgongne^,  acompaignez  de  grant 
quantité  de  gens  de  guerre  de  la  compaignie  dudit 
monseigneur  de  Charrolois,  commencèrent  à  courir 
sus  aux  villes  et  subgetz  du  roy  par  port  d'armes,  et 
vindrent  prendre  sur  le  roy  Roye  et  Montdidier^.  Et 

1.  Samois,  sur  la  Seine,  est  aujourd'hui  dans  le  dép.  de  Seine- 
et-Marne,  cant.  de  Fontainebleau.  Le  pont  de  Beaumont  (aujour- 
d'hui dép.  de  Seine-et-Oise,  cant.  de  l'Isle-Adam)  commandait 
la  route  d'Amiens  et  de  Beauvais  à  Paris. 

2.  Clignancourt,  ancien  village  situé  au  nord  de  la  butte  Mont- 
martre, est  aujourd'hui  compris  dans  le  XVIII^  arrondissement 
de  Paris. 

3.  Thibaut  IX,  seigneur  de  Neufchàtel-sur-Moselle  et  de  Bla- 
mont,  maréchal  de  Bourgogne,  était  fils  de  Thibaut  VIII  et 
d'Agnès  de  Montbéliard.  Il  mourut  vers  1469,  Le  21  mai  1465, 
le  maréchal  de  Bourgogne  était  encore  à  Chàtel-sur-MoselIe, 
d'où  il  faisait  sommer  les  gens  d'Épinal  {Mélanges  historiques, 
t.  II,  p.  273). 

4.  Le  15  mars,  le  duc  de  Berry  adressait  de  Nantes  au  duc 
Philippe  le  Bon  la  prière  de  faire  entrer  ses  troupes  en  France 
(Du  Glercq,  IV,  114).  Le  15  avril,  le  duc  de  Bourgogne  se  récon- 
ciUa  avec  son  fils  Charles,  et,  le  24  du  même  mois,  les  États, 


46  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

lors  monseigneur  le  conte  de  Nevers  et  Joachin 
Rouault,  mareschal  de  France,  et  estans  pour  le  roy 
dedens  la  ville  de  Peronne  à  tout  bien  mi'^  combatans, 
se  retrahirent  à  Noiom  et  Gompiengne  et  laissèrent 
audit  lieu  de  Peronne,  pour  la  garde  d'icelle,  des 
nobles  de  France  et  «inq  cens  frans  archers^. 

Et,  le  dimenche  xi®  ^  jour  dudit  moys  de  juing,  fut 
faicte  à  Paris  une  moult  belle  et  notable  procession  géné- 
rale, où  furent  portées  moult  de  sainctes  reliques;  et, 
entre  autres  sainctes  choses,  furent  portées  les  chasses 
de  madame  Saincte  Geneviefve  et  Saint  Marcel.  Et,  par 
belle  ordonnance  vindrent  en  la  grant  église  de  Paris, 
où  ilec  fut  chantée  une  haulte  messe  de  Nostre  Dame. 

convoqués  à  Bruxelles,  accordaient  au  duc  les  sommes  néces- 
saires pour  mettre  sus  une  armée  dont  le  commandement  devait 
appartenir  au  comte  de  Gharolais.  La  mise  en  marche  fut  fixée 
au  7  mai,  mais,  le  8,  l'armée  commençait  seulement  à  se  réunir 
{Mélanges  historiques,  II,  251).  Roye  se  rendit  aux  Bourguignons 
vers  le  6  juin  et  Montdidier  ouvrit  ses  portes  le  8  au  sire  de 
Hautbourdin  (Gommynes,  éd.  Dupont,  III,  218  et  suiv.). 

1.  Joachim  Rouault  et  Colart  de  Mouy,  bailli  de  Vermandois, 
arrivèrent  à  Amiens  le  12  mai  au  soir  et  le  15  à  Peronne,  que 
le  comte  de  Saint-Pol  menaçait  de  fort  près.  «  Et  vous  asseure,  » 
écrit  le  lendemain  le  maréchal  au  chancelier,  «  qu'il  estoit  besoing 
que  y  vensissions,  car  à  ce  matin  ilz  feussent  entrez  dedans  » 
(Mélanges  historiques,  II,  258,  263,  266).  Jean  de  Bourgogne, 
comte  de  Nevers,  avait  reçu  du  roi  la  mission  d'assurer  la 
défense  de  la  frontière  du  nord  contre  son  cousin  Gharolais. 
Quand  celui-ci  fut  enfin  sur  le  point  de  passer  la  Somme  (le 

6  juin,  à  Bray,  Gommynes,  éd.  Lenglet,  II,  181),  Nevers,  Rouault 
et  Mouy,  craignant  d'être  enfermés  dans  Peronne,  abandonnèrent 
cette  place  dans  la  nuit  du  5  au  0  juin  avec  1,400  chevaux  (Gha- 
rolais aux  magistrats   de  Maliues,  de  Lihons-en-Sangterre,  le 

7  juin,  dans  Gommynes,  éd.  Dupont,  III,  218.  Gf.  la  lettre  adres- 
sée le  2  juin  (et  non  le  9)  par  Rouault  à  Morvilliers,  Mélanges 
historiques,  II,  289). 

i.  Lisez  IX^. 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  47 

Et  ilec  prescha  au  peuple  maistre  Jehan  de  l'Olive, 
docteur  en  théologie^  qui  declaira  que  ladicte  assem- 
blée et  congregacion  se  faisoit  pour  la  santé  et  bonne 
prospérité  du  roy,  et  aussi  de  la  royne  et  du  fruit  qui 
estoit  autour  d'elle^,  et  pour  la  paix  et  bonne  union 
estre  mise  entre  le  roy  et  les  princes  et  pour  les  biens 
de  terre. 

Oudit  temps,  le  roy,  estant  en  Bourbonnois,  s'en  tira 
à  Saint-Poursain,  ouquel  lieu  madame  la  duchesse  de 
Bourbonnois  et  d'Auvergne,  sa  seur,  s'en  ala  pour 
parler  à  lui,  comme  desplaisant  du  discord  qu'elle 
veoit  estre  entre  le  roy  son  frère  et  monseigneur  de 
Bourbon,  son  mary,  et  pour  y  cuider  trouver  aucun 
bon  moien,  ce  qui  ne  se  peut  faire  lors.  Et  cependant 
ledit  monseigneur  le  duc  wida  hors  dudit  lieu  de  Mohns 
et  s'en  ala  à  Riom^. 

1.  Et  chancelier  de  l'église  de  Paris. 

2.  La  reine  était  ou  croyait  être  alors  enceinte,  comme  on  l'a 
vu  plus  haut. 

3.  C'est  à  Saint-Pourçain  (AlUer),  où  il  séjourna  une  douzaine 
de  jours  à  la  fin  de  mai  et  au  commencement  du  mois  suivant, 
que  Louis  XI  reçut,  non  sans  répugnance,  la  -visite  de  la  duchesse 
de  Bourbon  sa  sœur,  et  celle  de  M™«  de  Bourbon  l'aînée,  Agnès 
de  Bourgogne  (Vaesen,  Lettres  de  Louis  XI,  II,  312  et  suiv.). 
Ajouta-t-il  plus  de  foi  à  la  sincérité  des  ouvertures  que  son 
ancien  favori,  Jacques  d'Armagnac,  et  Pierre  d'Amboise,  sei- 
gneur de  Ghaumont,  lui  apportèrent  de  la  part  du  duc  Jean? 
Oui,  sans  doute,  car  il  ne  leur  pardonna  pas  de  l'avoir  trompé. 
Le  29  mai,  il  croyait  encore  que  Bourbon  viendrait  en  personne 
à  Varennes-sur- Allier  apporter  sa  soumission  (Vaesen,  Lettres  de 
Louis  II,  n,  3111;  mais  la  trêve  consentie  par  Louis  XI,  «  en 
espérance  de  bon  appointement  »  et  à  la  condition  expresse  que 
l'accès  du  Bourbonnais  serait  interdit  aux  Bourguignons,  fut 
aussitôt  violée  par  Jean  II,  qui  hâta  la  marche  du  contingent 
envoyé  par  le  maréchal  de  Bourgogne  et  fit  ouvrir  à  ses  alliés 
les  portes  de  Moulins.  Dès  qu'il  fut  assuré  de  leur  arrivée,  il 


48  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

Oudit  temps,  fut  ordonné  en  l'ostel  de  la  ville  de 
Paris  que  les  portes  de  Saint-Martin,  Montmartre,  le 
Temple,  Saint-Germain  des  Prez,  Saint-Victor  et  Saint- 
Michel  seroient  toutes  murées  et  qu'on  feroit  guet  de 
nuit  dessus  les  murs  d'icelle  ville. 

Oudit  temps,  fut  envoyé  mettre  le  siège  devant  Saint- 
Morisse,  tenu  et  ocupé  par  l'adveu  dudit  conte  de 
Dampmartin^  A  tenir  lequel  siège  y  estoit  le  bailly  de 
Sens,  nommé  messire  Charles  de  Meleun  et  plusieurs 
communes^  avecques  lui.  Et  encores  y  fut  de  rechef 
envoyé  Anthoine,  bailly  de  Meleun^,  qui  y  mena 
avecques  lui  aucuns  archers  et  arbalestriers  dudit  lieu 
de  Paris.  Et,  tantost  après  que  ledit  de  Meleun  et  iceulx 
archers  et  arbalestriers  furent  ainsi  arrivez  devant 
ladicte  place,  ceulx  dudit  Saint-Morisse  se  rendirent 
par  composition  et  baillèrent  ladicte  place. 

Oudit  temps  aussi,  advint  que  ung  nommé  maistre 
Loys  de  Tilleres,  notaire  et  secrétaire  du  roy,  et  tréso- 
rier de  Garcassonne  et  grenetier  de  Selles  en  Berry,  qui 
estoit  serviteur  de  messire  Anthoine  de  Ghasteauneuf, 
seigneur  du  Lau^,  fut  tué,  par  maie  fortune,  d'un  archer 

quitta  en  hâte  Varennes  et  courut  à  Moulins,  qu'il  abandonna 
peu  de  jours  après  pour  se  porter  au  sud  à  la  rencontre  du  comte 
d'Armagnac  (Ibid.,  317  et  suiv.). 

1.  Voy.  Interpolations  et  variantes,  §  IX.  —  Saint-Maurice-sur- 
Tholon,  aujourd'hui  dép.  de  l'Yonne. 

2.  C'est-à-dire  des  milices  fournies  par  les  communes,  des 
francs-archers, 

3.  Antoine,  frère  cadet  de  Charles  de  Melun,  chevaher,  sei- 
gneur de  la  Borde-le-Vicomte  après  la  mort  de  son  père  Philippe 
de  Melun. 

4.  Antoine  de  Castelnau,  chevalier,  seigneur  du  Lau,  etc., 
conseiller  et  chambellan  du  roi,  grand  bouteiller  de  France, 
grand  sénéchal  de  Guyenne  (1466),  fut  l'un  des  principaux  favo- 


1465]  OU  CHRONIQUE   SCANDALEUSE.  49 

qui  essaioit  ung  arc,  duquel  il  tiroit  une  flesche  contre 
ung  huis  qui  estoit  devant  lui,  à  l'eure  que  ledit  maistre 
Loys  ouvroit,  et  lui  vint  passer  la  flèche  tout  au  travers 
du  corps.  Et  incontinent  s'en  ala  getter  dessus  une 
couchete  estant  en  la  chambre,  dessus  laquelle  il  ren- 
dit l'ame  à  Dieu  incontinent  après. 

Et,  le  jour  Saint  Jehan  Baptiste,  xxnn®  jour  de  juing, 
aucuns  qui  se  baignoient  à  leurs  plaisances  en  la 
rivière  de  Seine,  par  maie  fortune,  se  noierent.  Et, 
pour  cause  de  ce,  fut  crié  par  les  carrefours  de  Paris 
que  de  là  en  avant  nul  ne  feust  si  hardi  de  soy  aler 
plus  baigner  en  ladicte  rivière,  et  que  chascun  tenist 
de  jour  devant  son  huis  ung  seau  d'eaue,  sur  peine 
de  prison  et  de  lx  sous  parisis  d'amende^. 

Et,  le  lendemain,  xxv®  jour  dudit  moys  de  juing, 
fut  ordonné  en  ladicte  ville  de  Paris  que  toutes  les 
chaynes  des  rues  de  ladicte  ville  seroient  abatues  et 
laissées  gésir  sur  terre  es  lieux  où  elles  sont  ordonnées, 
pour  estre  toutes  prestes,  et  regardé  là  où  il  y  avoit 
faulte,  pour  les  amender  et  y  pourveoir  à  les  trouver 
toutes  prestes,  quant  besoing  en  seroit  :  ce  qui  fut 
fait.  Et  si  fut  aussi  ordonné  et  enjoinct  à  ung  chacun 
de  ladicte  ville  qu'ilz  se  armassent  et  eussent  provi- 
ns de  Louis  XI  avant  le  Bieu-Public.  Disgracié  pour  le  rôle 
louche  qu'il  joua  à  cette  époque,  et  arrêté  ainsi  qu'on  le  verra 
plus  loin,  il  réussit  à  s'échapper.  Il  rentra  en  grâce,  exerça  les 
fonctions  de  sénéchal  de  Beaucaire  et  de  î^îmes  et  mourut  entre 
le  19  août  et  le  7  octobre  1484  (Voy.  Vaesen,  Catalogue  du  fonds 
Bourré,  p.  167,  note). 

1.  On  trouve  au  Livre  rouge  vieil  du  Chàtelet  (Arch.  nàt.,  Y^, 
fol.  IX"  vm  v°)  le  texte  d'un  semblable  «  cry  de  non  baigner  en 
la  rivière  de  Saine  et  de  mettre  de  l'eaue  à  l'uys,  pour  la  chaleur 
du  temps  »  (Premières  années  du  xv«  siècle). 


50  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [t465 

sion  d'armeures,  chacun  selon  son  estât,  pour  la 
garde  de  ladicte  ville  et  pour  estre  tous  prestz  quant 
mestier  en  seroit,  et  ce  par  cedules  envoiées  de  par 
ladicte  ville  à  ung  chacun  particulier. 

Oudit  temps,  tous  Bourguignons,  Picars  et  autres 
nacions,  de  l'obéissance  et  soubz  la  conduite  dudit 
monseigneur  de  Charrolois,  marchèrent  tant  en  France 
(ju'ilz  vindrent  et  arrivèrent  jusques  à  Pons  Saincte- 
Maixence,  qu'ilz  trouvèrent  moien  d'avoir,  et  que  ung 
nommé  Madré,  qui  en  estoit  capitaine  pour  maistre 
Pierre  L'Orfèvre,  seigneur  d'Ermenonville,  leur  bailla 
par  composicion  et  argent  qu'il  en  print  dudit  seigneur 
de  Charrolois^.  Et,  à  ceste  cause,  vindrent  et  passè- 
rent parmy  l'isle  de  France,  qui  par  les  dessusdiz  fut 
fort  dommagée,  non  obstant  qu'ilz  disoient  partout 
où  ilz  passoient  qu'ilz  venoient  pour  affranchir  le  pays 
de  France  et  pour  le  bien  publique. 

Et,  incontinent  après  ledit  passage  fait  audit  Pont 
Saincte-Maixence,  lesdiz  Bourguignons  orent  la  place 
de  Beaulieu,  qui  longuement  avoit  tenu  contre  iceulx 
Bourguignons  par  aucuns  de  la  charge  et  compaignie 
de  Joachin  Rouault,  qui  s'en  alerent  par  composition, 
eulx  et  leurs  biens  saufz^. 

1.  Gharolais,  laissant  sur  sa  gauche  Noyon  occupé  par  Rouault, 
parvint  le  28  juin,  par  Ressons,  Saint-Remy  et  Fresnoy,  à  Pont- 
Sainte-Maxence,  où  le  sire  de  Hautbourdin  s'était  introduit  trois 
jours  avant,  «  ains  que  ceulx  de  la  ville  en  sceuissent  riens  »  (Du 
Glercq,  IV,  152). 

2.  C'est  par  erreur  que  le  comte  de  Gharolais  annonçait  le 
7  juin  aux  magistrats  de  Malines  la  prise  de  Beaulieu,  «  à  deux 
lieues  de  Nosles,  une  belle  et  forte  place  »  (Gommynes,  éd.  Dupont, 
III,  219).  Beaulieu  se  rendit  le  24,  quand  le  comte  lui-même  y 
eut  tenu  le  siège  pendant  quatre  jours  (Gommynes,  éd.  Lenglet,  II, 
183).  La  place  appartenait  au  seigneur  de  Nesles,  A  l'approche 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  51 

Et  lesdiz  Bourguignons,  ainsi  venus  en  ladicte  Isle 
de  France,  s'espandirent  en  divers  lieux  en  icelle  et  y 
prindrent  Dampmartin,  NantouUet,  Villemonble  et 
autres  menues  places  ^  et  puis  alerent  à  Laigny  sur 
Marne,  où  ilz  firent  plusieurs  explois  comme  de  ardre 
et  brûler  tous  les  papiers  qu'ilz  trouvèrent  sur  le  fait 
des  aides,  et  ordonnèrent  en  ladicte  ville  que  tout  y 
seroit  franc.  Et  si  ordonnèrent  que  le  sel  qui  estoit 
ou  grenier  dudit  lieu  pour  le  roy  feust  baillé  et  dis- 
tribué à  tous  ceulx  qui  en  vouldroient  avoir,  en  paiant 
le  droit  du  marchant  seulement^. 

Et,  le  dimenche,  derrenier  jour  dudit  moys  de  juing, 
oudit  an  LXV,  Joachin  Rouault,  mareschal  de  France, 
à  tout  cent  et  dix  lances,  vindrent  et  arrivèrent  en  la 
ville  de  Paris  pour  la  garde  d'icelle,  combien  qu'il 
n'en  estoit  gueres  de  mestier,  car  les  habitans  d'icelle, 
qui  tous  estoient  bien  unis  et  loyaulx  au  roy,  estoient 
assez  souffisans  pour  ladicte  garde  d'icelle  ville  ^. 

des  Bourguignons,  les  défenseurs  du  château  mirent  le  feu  aux 
maisons  d'alentour  «  et  ardirent  le  plus  beau  et  le  meilleur  de  la 
"Ville.  »  Ils  ne  se  rendirent,  vies  et  bagues  sauves,  qu'après  une 
forte  canonnade  (Du  Glercq,  IV,  152). 

1.  Interpolations  et  variantes,  §  X.  —  Dammartin-en-Goële  et 
Nantouillet  sont  auj.  dans  le  dép.  de  Seine-et-Marne,  arr.  de 
Meaux;  Villemomble  est  dans  le  dép.  de  la  Seine,  cant.  de  Vin- 
cannes. 

2.  A  en  croire  Maupoint  {Journal,  p.  54),  ce  serait  le  30  juin 
que  Lagny  fut  livré  aux  Bourguignons,  mais  le  sire  d'Hennin, 
qui  faisait  partie  de  leur  avant-garde,  dit  qu'il  quitta  cette  ville 
le  25  de  ce  mois  (Barante,  Histoire  des  ducs  de  Bourgogne,  éd. 
Reiffenberg,  t.  VI,  p.  423).  Un  nommé  Jean  Guignon,  procureur 
du  roi  à  Lagny,  fut  accusé  plus  tard  d'y  avoir  introduit  l'en- 
nemi, mais  réussit  à  établir  son  innocence  (Bibl.  nat.,  ms.  fr. 
2921,  fol.  96). 

3.  Le  maréchal  n'avait  pu,  «  parce  qu'il  avoit  peu  de  gens,  » 

I  6 


52  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

Oudit  temps,  le  roy,  qui  estoit  oudit  pays  de  Bour- 
bonnoys,  mist  le  siège  devant  Riom  en  Auvergne, 
dedens  laquelle  y  estoient  mondit  seigneur  le  duc  de 
Bourbon,  le  duc  de  Nemoux,  le  conte  d'Armignac\  le 
seigneur  d'Albret  et  autres.  Et  avoit  le  roy  devant 
ladicte  ville  la  plus  belle  et  noble  armée  qui  onques 
fut  gueres  veue,  car  il  y  avoit  de  bonnes  gens  de 
guerre  et  de  grant  façon  xxim™  hommes  et  mieulx^. 

Et,  après  que  ledit  siège  ot  esté  ainsi  mis  devant 
ladicte  ville  de  Riom,  et  voiant  à  Paris  que  lesdits 

arrêter  la  marche  du  comte  de  Gharolais  sur  Paris  (Gommynes, 
éd.  Dupont,  I,  21).  Maupoint  dit  qu'il  fit  entrer  dans  la  capitale 
400  hommes  d'armes  «  bien  montés  et  de  grant  courage  »  (Jour- 
nal, p.  93). 

1.  Jacques  d'Armagnac,  comte  de  la  Marche  et  de  Castres,  duc 
de  Nemours,  fils  de  Bernard,  comte  de  la  Marche,  et  d'Éléonore 
de  Bourbon,  naquit  vers  1433  et  mourut  sur  l'échafaud  le  4  août 
1477.  Il  avait  épousé,  par  contrat  du  12  juin  1462,  Louise  d'An- 
jou, fille  de  Charles,  comte  du  Maine  (Voy.  Jacques  d'Armagnac, 
duc  de  Nemours...,  etc.,  dans  la  Revue  historique,  1890).  — Jean  V, 
comte  d'Armagnac,  succéda  à  Jean  IV,  son  père,  le  5  septembre 
1450  et  périt  à  Lectoure  le  6  mars  1473  (Voy.  Jean  V  d'Armagnac, 
etc.,  article  cité  de  la  Re\)ue  historique,  1888).  —  Charles  II,  sei- 
gneur d'Albret,  fils  de  Charles  I"  et  de  Marie  de  Sully,  mourut 
en  1471. 

2.  Le  21  juin,  les  ducs  de  Bourbon  et  de  Nemours,  le  comte 
d'Armagnac  et  le  sire  d'Albret  avaient  tenté  d'arrêter  la  marche 
de  l'armée  royale  en  faisant  présenter  à  Louis  XI  des  proposi- 
tions d'accommodement  qu'il  ne  jugea  pas  acceptables.  Effrayé 
par  la  réponse  du  roi,  Bourbon  se  déroba  encore  une  fois  et 
s'enfuit  de  Riom  à  Thiers  et  à  Moulins.  Il  n'était  donc  plus  à 
Riom  quand  Louis  XI  concentra  ses  forces  aux  environs  de  cette 
ville  (22  juin).  L'effectif  attribué  ici  à  l'armée  royale  doit  être 
exact,  car  Maupoint  (Journal,  p.  53)  l'estime  à  2,000  lances  et 
18,000  francs  archers  au  début  de  la  campagne,  soit  une  tren- 
taine de  mille  hommes,  dont  il  faut  défalquer  les  garnisons  que 
Louis  XI  avait  semées  dans  les  nombreuses  places  qu'il  avait 
occupées  chemin  faisant. 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  53 

Bourguignons  approuchoient  de  ladicte  ville,  fut 
ordonné  et  establi  en  icelle  ville  de  Paris  ung  grant 
guet  de  cheval,  qui  aloit  toutes  les  nuiz  sur  les  murs 
et  en  ladicte  ville,  depuis  l'eure  de  mienuit  jusques  au 
jour  apparant,  pour  la  conduite  duquel  guet  y  avoit 
cappitaines  ordonnez  par  icelle  par  chacune  nuit  de 
gens  de  façon  d'icelle.  Ouquel  guet  estoient  ordinai- 
rement de  vm^^  à  n<^  chevaulx,  aucunes  foiz  plus  et 
à  l'autre  foiz  moins. 

Et,  le  lundi  second^  jour  de  juillet,  oudit  an, 
maistre  Jehan  Balue,  evesque  d'Evreux,  fist  le  guet 
de  nuit  parmy  ladicte  ville,  et  mena  avecques  lui 
la  compaignie  dudit  Joachin  Rouault,  avecques  cle- 
rons,  trompetes  et  autres  instrumens  sonnans,  par 
les  rues  et  sur  les  murs,  qui  n'estoit  pas  acoustumé 
de  faire  à  gens  faisans  guet. 

Et,  le  mercredi  iiii^^  jour  dudit  moys  de  juillet, 
oudit  an  LXV,  le  roy,  estant  devant  ledit  heu  de 
Riom,  escripvy  à  messire  Charles  de  Meleun,  son 
lieutenant  audit  heu  de  Paris^,  audit  Joachin,  et  ausdiz 
habitans  de  Paris,  par  sire  Jehan  de  Harlay,  son  che- 
valier du  guet  audit  lieu  de  Paris  ^  :  par  lesquelles 

1 .  Lisez  premier. 

2.  Lisez  IIP. 

3.  Louis  XI  établit  Charles  de  Melun,  par  lettres  du  8  mars 
1465  (n.  st.),  son  gouverneur  et  lieutenant  général  à  Paris,  «  pour 
ce  que  nous  ne  pouvons  encore  bonnement  y  faire  nostre  rési- 
dence »  (Félibien,  Histoire  de  Paris,  V,  274).  Commynes,  qui, 
pas  plus  que  Jean  de  Roye,  n'a  admis  les  accusations  de  trahison 
portées  contre  Melun  par  ses  ennemis,  dit  qu'en  1465  il  servit 
Louis  XI  i  aussi  bien  que  jamais  subject  servit  le  roy  en  France 
en  son  besoing  »  (éd.  Dupont,  I,  22).  A  Paris,  en  particuher,  la 
tâche  était  malaisée,  car  un  parti  influent  travaillait  pour  les 
princes  rebelles  (ibid.,  p.  65). 

4.  Jean  de  Harlay,  écuyer,  qui  commandait  les  40  sergents 


54  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

lettres  le  roy  mercioit  moult  fort  sesdiz  habitans  de 
Paris  de  leurs  bonnes  loyaultez,  en  les  priant  et  ex- 
hortant de  tousjours  y  continuer  et  persévérer,  et  que, 
dedans  xv  jours  ensuivans,  lui  et  toute  son  armée 
seroit  à  Paris.  Et  si  leur  mandoit  de  bouche  par  ledit 
de  Harlay  certain  accord  qu'il  avoit  fait  avecques  lesdiz 
ducs  de  Bourbon  et  Nemours  et  les  sires  d'Armai- 
gnac  et  d'Albret,  et  comment,  en  faisant  ledit  accord, 
chacun  d'eulx  avoit  promis  au  roy  de  bien  et  loyau- 
ment  le  servir  et  de  vivre  et  mourir  pour  luy.  Et, 
par  lesdiz  appoinctemens,  iceulx  seigneurs  de  Bour- 
bon et  autres  dessus  nommez  promettoient  de  faire 
tout  devoir,  de  faire  faire  la  paix  au  roy  par  les  autres 
seigneurs  avecques  eulx  aliez  contre  lui,  et  que  pour 
ce  faire  seroient  envoiez  de  par  lesdiz  quatre  sei- 
gneurs certains  ambasseurs  devers  le  roy  à  Paris, 
dedens  le  jour  feste  de  myaoust  ensuivant,  pour  traic- 
ter  de  ladicte  paix,  et  que,  où  lesdiz  autres  seigneurs 
ne  vouldroient  entendre  à  icelle  paix,  ilz  promirent 
et  jurèrent  que  dorénavant  à  jamais  ilz  ne  s'arme- 
roient  contre  le  roy  et  qu'ilz  vivroient  et  mourroient 
pour  lui  et  son  royaume.  Et  fut  tout  ce  que  dit 
est  ainsi  promis  par  lesdiz  quatre  seigneurs  au  lieu 
de  Moissac,  près  dudit  Riom.  Et,  pour  plus  ample 

chargés  de  veiller  à  la  sûreté  intérieure  de  Paris,  était  fils  de 
Nicolas  de  Harlay,  écuyer,  et  de  Gaillarde  Le  Clerc.  Le  3  août 
1461,  par  lettres  datées  d'Avesnes,  Louis  XI  le  pourvut  de  l'otiice 
de  chevalier  du  guet  de  nuit.  En  1464,  il  fut  élu  premier  échevin 
de  la  ville  de  Paris  (Voy.  Anselme,  Histoire  généalogique,  VIU, 
797;  Longnon,  Villon,  p.  293;  Bibl.  nat.,  Pièces  orig.,  vol.  1484, 
doss.  Harlay).  Jean  de  Harlay  survécut  à  sa  femme,  Louise 
Luiliier,  et  mourut  vers  1500  (Arch.  nat.,  LL  437,  à  la  date  du 
23  décembre). 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  55 

promesse,  ilz  s'en  obligèrent  es  mains  de  deux  no- 
taires apostoliques,  voulans  et  accordans  estre  incon- 
tinent excommeniez,  se  par  eulx  ou  l'un  de  eulx  estoit 
fait  le  contraire*. 

Et,  pour  les  nouvelles  dessusdictes,  fut  ordonné  et 
délibéré  que,  le  vendredi  ensuivant  [o  juillet],  en 
seroient  faictes  processions  générales  en  l'église  de 
Saincte-Katherine  du  Val  des  Escoliers,  à  Paris,  laquelle 
y  fut  faicte  bien  honneste  et  solennelle,  et  y  prescha 
ledit  jour  maistre  Jehan  Painetchair,  docteur  en 
théologie^. 

1 .  Le  texte  de  cette  convention  est  rapporté  par  Lenglet  (Com- 
mynes,  II,  474  et  suiv.)  avec  la  date  du  23  juin  1465.  D'autres 
clauses  stipulaient  une  trêve  jusqu'au  15  août  pour  les  gens  de 
Bourges,  la  délivrance  des  sénéchaux  de  Poitou  et  de  Beaucaire 
détenus  par  le  duc  de  Bourbon,  celle  de  tous  les  prisonniers  faits  de 
part  et  d'autre,  enfin  l'évacuation  par  les  royalistes  des  domaines 
du  duc  Jean  II.  Louis  XI  poussa  la  condescendance  —  ou  la 
méfiance  de  ses  propres  forces  —  jusqu'à  promettre  aux  Bour- 
bonnais de  ne  point  entrer,  avant  le  15  août,  dans  le  duché  ou  la 
comté  de  Bourgogne,  dans  le  Gharolais,  la  seigneurie  de  Château- 
Ghinon  et  autres  terres  enclavées  dans  les  pays  de  Bourgogne 
voisins  de  ceux  du  duc  de  Bourbon. 

2.  Ce  docteur,  dont  le  nom  parait  d'origine  étrangère,  est  men- 
tionné à  plusieurs  reprises  dans  les  extraits  du  Livre  des  procu- 
reurs de  la  nation  d'Allemagne,  ad  annum  1465  (Jourdain,  Index 
chronol.  chartarum  pertinentium  ad  histor.  Universitatis  Parisien- 
sis.  Paris,  1862,  in-fol.,  p.  291  et  suiv.  Cf.  du  Boulay,  Histoire  de 
l'Université  de  Paris,  in-fol.,  t.  V,  p.  676).  —  Après  la  bataille  de 
Montlhéry,  quand  Louis  XI  fut  arrivé  à  Paris,  c'est  maître  Jean 
Painetcher  ou  Panetchair,  appelé  ailleurs  Penschier,  qui  fut  élu 
pour  le  haranguer  au  nom  de  l'Université  (28  juillet  1465).  Les 
mss.  et  les  éditions  imprimées  de  la  Chronique  Scandaleuse  ont 
découpé  le  nom  de  ce  docteur  en  trois  mots,  Pain-et-Chair,  ce 
qui  lui  donne  l'apparence  d'un  sobriquet.  —  L'église  de  Sainte- 
Catherine-du-Val-des-Écoliers  était  sise  rue  Saint- Antoine,  en 
face  la  rue  Saint-Paul. 


56  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

Et,  le  mercredi  ensuivant  ' ,  fut  publié  et  fait  savoir 
par  les  carrefours  de  Paris  que,  en  chacun  hostel 
de  celle  ville,  y  eust  une  lanterne  et  une  chandelle 
ardante  dedens  durant  la  nuit,  et  que  chacun  mes- 
nage  qui  auroit  chien  l'enfermast  en  sa  maison  et  sur 
peine  de  la  hart. 

Et,  le  venredi  ensuivant  [5  juillet],  la  compaignie 
ou  la  pluspart  desdiz  Bourguignons  vindrent  et  arri- 
vèrent à  Saint-Denis  en  France  eulx  loger  ilec.  Et,  ce 
jour,  venoit  à  Paris  xxx  chevaulx  de  marée,  dont 
lesdiz  Bourguignons  en  prindrent  les  xxii.  Les  autres 
huit  chevaulx  se  saulverent  et  vindrent  à  Paris.  Et, 
bientost  après  que  lesdiz  Bourguignons  orent  esté 
ainsi  arrivez  audit  heu  de  Saint-Denis,  partie  d'eulx 
s'en  alerent  devant  le  pont  de  Saint -Cloud  pour  le 
cuider  avoir,  ce  qu'ilz  n'eurent  point  pour  ceste  foiz, 
et  à  tant  s'en  retournèrent^. 

Et,  le  dimenche  vu®  jour  de  juillet,  oudit  an  LXV, 

1.  Le  mot  ensuivant  n'a  pas  de  sens.  Il  s'agit  ici  du  mercredi 
3  juillet. 

2.  Gharolais  demeura  à  Saint-Denis  jusqu'au  10,  attendant  les 
ducs  de  Berry  et  de  Bretagne,  mais  ils  ne  s'y  trouvèrent  pas, 
«  pour  l'armée  du  roy  de  Franche  qui  les  cottoyoit  de  touts  lez  » 
(Du  Clercq,  IV,  154).  L'Itinéraire  de  Charles  de  Bourgogne,  dans 
Commynes,  éd.  Lenglet,  II,  183,  et  Hennin,  dans  Barante,  éd. 
ReilTenberg,  VI,  424,  fixent  au  5  juillet  l'arrivée  du  comte  à 
Saint-Denis,  mais  une  lettre  de  Rouault  au  chancelier,  datée  du 
7  juillet,  fournit,  comme  notre  auteur,  la  date  du  4  (Mélanges  histo- 
riques, II,  346).  —  Ce  même  jour,  suivant  Hennin,  le  seigneur  de 
Fiennes  obtint  de  Gharolais  l'autorisation  de  «  courir  l'aventure.  » 
Il  se  mit  en  route  avec  cinquante  lances  et  suivit  quelque  temps 
la  Seine,  mais,  sur  le  conseil  du  siro  de  Geulis,  rentra  de  bonne 
heure  à  Saint-Denis  (Barante,  éd.  citée,  p.  424).  Il  est  possible 
que  cette  o  course  »  ait  mené  les  partisans  bourguignons  jusqu'à 
Saint-Gloud. 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  57 

lesdiz  Bourguignons  vindrent  voulster  devant  Paris 
et  n'y  gagnèrent  riens,  sinon  qu'il  y  en  eut  aucuns 
d'eulx  tuez  de  l'artillerie  estant  dessus  les  murs  d'icelle 
ville;  et  puis  s'en  retournèrent  audit  lieu  de  Saint- 
Denis''. 

Et,  le  lundi  ensuivant,  vm®  jour  dudit  moys  de 
juillet,  lesdiz  Bourguignons  vindrent  derechef  devant 
Paris,  et  deslogerent  tous  dudit  Saint-Denis,  et  en 
amenèrent  avecques  eulx  toute  leur  artillerie.  Et,  par 
grande  cautelle  et  subtilité  envoierent,  avant  qu'ilz  se 
monstrassent,  quatre  de  leurs  heraulx  aux  portiers  de 
la  porte  Saint-Denis,  de  laquelle  estoient  commissaires 
et  cappitaines  pour  le  jour  maistre  Pierre  L'Orfèvre, 
seigneur  d'Ermenonville,  et  maistre  Jehan  de  Pou- 
paincourt,  seigneur  de  Cercelles*.  Et  vindrent  lesdiz 
quatre  heraulx  demander  des  vivres  pour  leur  ost 
et  aussi  qu'on  leur  donnast  passage  parmy  ladicte 
ville,  et  dirent  que,  où  on  ne  leur  bailleroit  ledit  pas- 
sage et  lesdiz  vivres,  qu'ilz  entreroient  dedens  ladicte 

\.  Maupoint  est  plus  détaillé.  Il  dit  que,  ce  dimanche-là,  Cha- 
rolais  fit  par  deux  fois  donner  l'assaut  à  la  ville  de  Paris,  le  pre- 
mier au  point  du  jour  et  le  second  à  cinq  heures  après  midi;  mais 
les  bourgeois,  conduits  par  Charles  de  Melun  et  par  Rouault, 
«  qui  sceureut  bien  entretenir  le  peuple  de  Paris  en  amour  du 
roi,  »  contraignirent  l'ennemi  à  se  retirer  [Journal,  p.  54  et  suiv.). 
L'attaque  ne  fut  dirigée  que  contre  les  ouvrages  extérieurs  (Com- 
mynes,  éd.  Dupont,  I,  22).  Hennin,  qui  place  cette  première 
démonstration  des  Bourguignons  le  6  juillet,  témoigne  de  leur 
surprise  quand  les  Parisiens  refusèrent  d'ouvrir  les  portes  de  la 
ville  (Barante,  éd.  citée,  p.  42). 

2.  Jean  de  Popincourt,  seigneur  de  Sarcelles  et  de  Liancourt, 
quatrième  président  en  la  Chambre  des  comptes,  puis  troisième 
président  au  parlement  de  Paris,  avait  épousé  Catherine  Le 
Bègue.  Il  mourut  le  21  mai  1480  (Vaesen,  Lettres  de  Louis  XI, 
m,  92,  note). 


58  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

ville  au  deshonneur  et  grande  confusion  d'ieelle  ville 
et  de  ceulx  de  dedens.  Et,  ainsi  qu'on  escoutoit 
lesdiz  quatre  heraulx  sur  les  choses  dessusdictes,  et 
avant  qu'on  eust  peu  avoir  loisir  de  leur  rendre  au- 
cune response,  lesdiz  Bourguignons,  cuidans  prendre 
à  despourveu  les  habitans  de  ladicte  ville  et  mes- 
mement  ceulx  qui  gardoient  ladicte  porte  de  Saint-De- 
nis, vindrent  à  grande  fureur,  grosse  compaignie  et 
armée,  passer  jusques  à  Saint-Ladre  et  plus  avant, 
cuidans  gaigner  les  barrières  qui  aux  faulxbours  de 
ladicte  ville  devant  ladicte  porte  Saint-Denis  avoient 
esté  faictes,  et  venir  jusques  à  ladicte  porte  et 
dedens  ladicte  ville,  en  gettant  par  eulx  canons,  ser- 
pentines et  autres  traiz  :  à  quoy  leur  fut  moult  aspre- 
ment  et  vaillamment  résisté  par  les  bourgois  de  Paris 
et  autres  estans  ilec  de  par  ladicte  ville,  et  aussi  par 
les  gens  dudit  Joachin  et  de  luy  mesmes  qui  s'y 
vindrent  trouver.  Et  y  ot  lors  desdiz  Bourguignons 
tuez  et  navrez,  et  puis  s'en  retournèrent  aux  champs 
sans  autre  chose  faire,  et  se  mirent  en  bataille  devant 
ladicte  ville.  Et  lors  y  ot  beau  hurtebillis  de  canons, 
vulglaires,  serpentines,  coulevrines  et  autre  traict  qui 
leur  fut  envoie  de  ladicte  ville,  dont  il  en  ot  aucuns 
tuez  et  navrez^.  Et,  durant  ladicte  escarmouche,  y  ot 

1.  Du  Clercq  confirme  ce  récit  (IV,  155).  Rouault,  sorti  de 
Paris  pour  reconnaître  les  forces  bourguignonnes,  faillit  se  faire 
prendre  et  se  retira  prestement.  Gharolais  alors  «  feit  ruer  sur  la 
cauchée  deux  ou  trois  serpentines  qui  effrayèrent  ceulx  de  la 
ville,  combien  qu'ils  ne  blessèrent  personne  qu'on  sceuist.  »  Lui- 
même  se  porta  avec  toute  sa  bataille  jusqu'à  un  moulin  situé  près 
des  portes  et  demeura  là  une  partie  de  la  journée.  Il  se  retira 
ensuite  jusqu'au  Lendit,  et,  comme  les  baraques  de  la  foire 
•'laient  encore  en  place,  il  s'y  établit  en  faisant,  suivant  sa  cou- 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  59 

ung  paillart  sergent  à  verge  du  Chastellet  de  Paris, 
nommé  Casin  Cholet,  qui,  en  courant  fort  eschaufé 
par  plusieurs  des  rues  de  Paris,  crioit  à  haulte  voix 
telz  motz  :  «  Boutez  vous  tous  en  voz  maisons  et 
fermez  voz  huis,  car  les  Bourguignons  sont  entrez 
dedens  Paris.  »  Et,  à  cause  de  l'effroy  qu'ilz  fist,  y  ot 
plusieurs  femmes  grosses  qui  en  acoucherent  avant 
terme,  et  d'autres  en  moururent  et  perdirent  leur 
entendement^. 

Le  mardi  ensuivant  [9  juillet],  ne  fut  riens  fait 
devant  Paris,  sinon  que  le  conte  de  Saint-Pol,  qui 
estoit  audit  lieu  de  Saint-Denis  avecques  ledit  seigneur 
de  Charrolois,  se  parti  dudit  lieu  de  Saint-Denis  avec- 
ques aucuns  Picars  et  Bourguignons  estans  audit  Saint- 
Denis,  pour  s'en  aler  à  Saint-Gloud  et  pour  le  prendre 
et  avoir,  ce  qu'il  ne  pot  avoir  ce  jour. 

tume,  enclore  le  camp  par  son  charroi,  —  D'après  Maupoint, 
cette  démonstration  du  8  juillet  menaça  les  portes  Montmartre, 
Saint-Honoré,  Saint-Denis  et  Saint-Martin,  mais  Rouault,  avec 
60  lances  et  environ  80  hommes  de  trait,  empêcha  l'ennemi 
d'avancer.  A  Paris,  on  estima  que  Charolais  avait  aligné  de  8  à 
9,000  hommes  et  une  nombreuse  artillerie  et  que  ses  pertes  durent 
se  monter  à  400  hommes.  Les  officiers,  bourgeois  et  habitants  do 
Paris,  au  nombre  de  32,000,  se  tinrent  sur  les  murailles  «  et,  par 
puissance  de  trait,  canons,  vuglaires  et  coulevrines,  intimidèrent 
les  Bourguignons  »  (Journal,  p.  55).  «  Et  a  Mgr  (de  Charolais) 
trouvé  ceulx  de  Paris  tout  aultres  que  l'en  ne  cuidoit,  dont  il 
n'est  pas  bien  content  sur  eulx,  car  il  n'a  peu  finer  ne  avoir  d'eulx 
pour  ung  denier  de  vivres  »  (Lettre  de  G.  de  la  Roche,  officier  du 
comte,  dans  Mélanges  historiques,  II,  30). 

1.  Sur  ce  Casin  Cholet,  personnage  mal  famé,  tonnelier  de  son 
état  avant  d'être  sergent  au  Chàtelet,  voy.  Longnon,  Villon, 
p.  294,  et  Pièces  justif.,  p.  lxvi.  —  Commynes  dit  aussi,  à 
propos  de  cette  escarmouche  :  «  Il  y  eut  du  menu  peuple...  fort 
espoventé  ce  jour,  jusques  à  cryer  :  «  Hz  sont  dedans...;  »  mais 
c'estoit  sans  propos  »  (éd.  Dupont,  I,  22). 


60  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

Et,  le  mercredi  ensuivant  [10  juillet],  fut  menée 
audit  de  Saint-Pol  certaine  quantité  d'artillerie  dudit 
seigneur  de  Gharrolois  comme  de  l  à  lx  chariotz. 
Et,  ce  mesmes  jour,  aucuns  de  la  compaignie  de 
messire  Pierre  de  Breszé^  yssirent  dehors  Paris, 
pour  aler  à  leur  aventure  dessur  lesdiz  Bourguignons 
qui  ainsi  aloient  audit  Saint-Cloud.  Desquelz  Bour- 
guignons en  fut  par  eulx  tué  deux,  et  en  fut  prins 
cinq,  dont  l'un  d'iceulx  fut  fort  navré,  et  tellement 
que  tout  le  devant  de  son  visaige  lui  fut  abatu  d'un 
cop  d'espée,  et  lui  pendoit  le  visaige  à  sa  peau  sur 
sa  pettrine.  Et  par  iceulx  Bourguignons  fut  prins 
ung  archer,  serviteur  de  messire  Jehan  Mohier^,  che- 
vaher  de  la  compaignie  dudit  de  Breszé.  Et,  ledit 
jour  de  mercredi,  environ  six  heures  de  nuit,  lesdiz 
Bourguignons  baillèrent  une  escarmouche  terrible  et 
merveilleuse  au  boulevert  dudit  Saint-Gloud,  qui  fort 
espoventa  ceulx  de  dedens  qui  le  tenoient  pour  le 
roy,  tellement  qu'ilz  prindrent  composition  de  rendre 
ledit  pont  à  heure  présente,  ce  qu'ilz  firent,  et 
s'en  revindrent  à  Paris  eulx  et  leurs  biens  saufz.  Et 
si  promirent  de  délivrer  et  bailler  lesdiz  cinq  Bour- 

1.  Pierre  de  Brézé,  seigneur  de  la  Varenne  et  comte  de  Mau- 
levrier,  grand  sénéchal  de  Normandie,  fut  l'un  des  grands  servi- 
teurs de  Charles  VII  auxquels  Louis  XI  témoigna  le  plus  de  ran- 
cune. Enfermé  quelque  temps  à  Loches,  le  séduisant  Brézé  ne 
tarda  pas  à  vaincre  l'antipathie  de  son  nouveau  maître,  au  point 
que  ce  dernier,  on  l'a  vu,  fit  plusieurs  séjours  chez  lui,  à  Mauny 
et  à  Nogent.  Ghastellain  a  laissé  de  ce  protecteur  des  lettres  un 
magnifique  éloge.  Pierre  de  Brézé  avait  épousé  Jeanne  Grespin  et 
se  tit  tuer  à  Montlhéry  (voy.  ci-après  et  Anselme,  VIII,  271). 

2.  Jean  Morhier,  seigneur  de  Villiers-le-Morhier,  etc.,  avait 
épousé  Jeanne,  fille  naturelle  de  François  I«"",  duc  de  Bretagne 
(Anselme,  I,  i58). 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  61 

guignons  prins  ledit  jour.  Et,  pour  ce  faire,  demou- 
rerent  pour  hostages  Jaques  Le  Maire,  bourgois  de 
Paris,  qui  estoit  cappitaine  dudit  Saint-Cloud,  et  ung 
homme  d'armes  de  la  compaignie  dudit  de  Breszé, 
estant  aussi  audit  pont  de  Saint-Cloud''. 

Et,  le  vendredi  ensuivant  [12  juillet],  fut  tenu  en 
l'ostel  de  ladicte  ville  de  Paris  ung  grant  conseil, 
pour  délibérer  et  savoir  quelle  response  seroit  rendue 
ausdiz  Bourguignons,  sur  ce  qu'ilz  avoient  requis 
que  de  ladicte  ville  feussent  envoiez  aucuns  déléguez 
par  icelle  pardevers  ledit  seigneur  de  Gharrolois  et 
ceulx  de  sadicte  compaignie,  pour  leur  estre  dit 
par  eulx  de   bouche  et  en  secret   les   causes   pour 

1.  Au  camp  bourguignon,  la  résistance  inattendue  des  Pari- 
siens, le  8  juillet,  donna  à  réfléchir  aux  gens  prudents,  qui  firent 
valoir  en  faveur  d'une  retraite  immédiate  le  soulèvement  des  Lié- 
geois, le  manque  de  vivres  et  d'argent,  enfin  et  surtout  l'absence 
des  ducs  de  Berry  et  de  Bretagne,  qui  avaient  failli  au  rendez- 
v(jus  et  dont  on  commençait  à  suspecter  la  loyauté.  Le  comte 
de  Gharolais,  encouragé  par  Rouville,  vice-chancelier  de  Bre- 
tagne, qui  affirmait  la  prochaine  arrivée  de  son  maître,  refusa 
d'écouter  ces  conseils,  jurant  qu'au  besoin  il  passerait  la  Seine 
tout  seul  avec  un  page  (Hennin,  dans  Barante,  éd.  citée,  p.  426). 
—  Le  9  juillet,  Saint-Pol  et  ses  fils,  les  comtes  de  Marie  et  de 
Brienne,  le  seigneur  de  Fiennes  et  ceux  de  l'avant-garde  sai- 
sirent un  grand  chaland  chargé  de  foin  qui  remontait  à  Paris,  le 
vidèrent  et  passèrent  l'eau  du  côté  d'Argenteuil.  De  là,  ils  cou- 
rurent sur  la  rive  gauche  jusqu'à  Saint-Cloud,  dont  ils  ne  réus- 
sirent point  à  effrayer  les  défenseurs.  Le  lendemain,  10  juillet, 
Gharolais  longea  la  rive  droite  et  vint  prendre  à  revers  le  pont 
de  Saint-Cloud,  dont  la  possession  lui  était  indispensable,  le  pas- 
sage à  travers  Paris  lui  étant  refusé,  pour  assurer  ses  communi- 
cations avec  le  Sud.  Assaillie  des  deux  côtés,  la  garnison  se 
rendit,  après  quelques  coups  de  serpentine,  «  à  la  persuasion  de 
Mgr  Jacques  de  Luxembourg,  seigneur  de  Richebourg  »  (Hennin, 
témoin  oculaire,  l.  c).  —  Jacquet  Le  Maire,  qui  commandait  au 
pont  de  Saint-Cloud,  était  un  marchand  épicier  de  Paris. 


62  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

lesquelles  ilz  estoient  ainsi  venus  en  armes  oudit 
pays  de  France.  A  quoy  fut  conclud  que  on  feroit 
savoir  audit  de  Charrolois  qu'il  envoyast  bon  sauf- 
conduit,  à  Paris,  pour  ceulxqui  seroient  ordonnez  estre 
envoiez  pardevers  lui,  et,  ce  fait,  que  on  y  envoie- 
roit  gens  pour  les  oyr  et  escouter  tout  ce  qu'ilz  voul- 
droient  dire,  pour  au  surplus  le  faire  asavoir  au  roy, 
qui  estoitprès  d'Orléans,  ou  a  son  conseil  estant  audit 
lieu  de  Paris,  pour  leur  faire  telle  response  qu'il  seroit 
advisé  de  faire. 

Et,  ce  mesmes  jour,  vindrent  à  la  porte  Saint- 
Honnoré,  environ  cinq  heures  au  soir,  deux  heraulx 
de  par  ledit  seigneur  de  Charrolois,  pour  avoir  la  res- 
ponse de  ce  que  dit  est  ;  ausquelz  fut  dit,  comme 
devant  est  dit,  et  que  ledit  de  Charrolois  approuchast 
en  aucun  lieu  près  Paris  et  envoyast  ledit  saufconduit 
et  qu'on  yroit  à  lui  pour  l'escouter;  et  autre  chose 
n'eurent.  Et,  après  ces  choses,  ilz  requirent  avoir 
pour  argent  du  papier  et  parchemin  avecques  de 
l'encre,  dont  il  leur  fut  baillé.  Et  si  demandèrent  à 
avoir  du  sucre  et  autres  drogueries,  pour  aucuns 
gentilzhommes  qui  estoient  malades  en  leur  ost,  dont 
on  leur  fist  refus,  qui  s'en  tindrent  à  bien  mal  contens 
de  ceulx  de  ladicte  ville.  Et  à  tant  s'en  retournèrent 
iceulx  deux  heraulx. 

Et,  le  dimenche  ensuivant,  xiiii°  jour  dudit  mois  de 
juillet,  oudit  an  LXV,  arrivèrent  à  Paris  bien  matin 
monseigneur  de  la  Borde  et  messire  Guillaume  Cou- 
sinot^,  qui  apportèrent  lettres  de  par  le  roy  aux  bour- 

1.  Philippe  de  Melun,  chevalier,  conseiller  et  chambellan  du 
roi,  seigneur  de  la  Borde-le-Vicomle,  etc.,  maître  des  eaux  et 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  63 

gois,  manans  et  habitans  de  ladicte  ville,  par  la  teneur 
desquelles  le  roy  les  mercioit  comme  devant  de  leurs 
bons  vouloirs  qu'ilz  avoient  envers  lui  et  de  la  bonne 
et  grande  resistence  qu'ilz  avoient  faiete  à  l'encontre 
desdiz  Bourguignons,  et  qu'ilz  voulsissent  adjouster 
foy  ausdiz  de  la  Borde  et  Gousinot  de  tout  ce  qu'ilz  leur 
diroient  de  par  lui.  Laquelle  credence  estoit  en  affect 
que  le  roy  les  mercioit  moult  de  foiz  de  leurs  grandes 
loyaultez,  et  si  les  prioit  oultre  de  tousjours  de  bien 
en  mieulx  continuer,  et  que  dedens  le  mardi  ensui- 
vant il  seroit  à  Paris*,  comme  au  lieu  du  monde  que 
plus  il  desiroit  estre,  pour  donner  remède  et  provi- 
sion partout,  et  qu'il  aymeroit  mieulx  avoir  perdu 
la  moitié  de  son  royaume  que  mal  ne  inconvénient 
aucun  venist  en  ladicte  ville,  ou  possible  lui  seroit  de 
y  pourveoir.  Aussi  dist  et  pria  ledit  Gousinot,  de  par 
le  roy,  que  ceulx  de  Paris  pourveussent  au  logis  des 
gens  d'armes  et  de  trait  que  le  roy  avoit  et  amenoit 
avecques  lui,  et  aussi  de  mettre  pris  raisonnable  sur 
les  vivres.  A  quoy  lui  fut  respondu  par  maistre  Henry 
de  Livre,  prevost  des  marchans,  que  aussi  feroit  on. 

forêts  de  France  (1434),  mourut  en  1471.  Il  avait,  comme  Guil- 
laume Gousinot,  seigneur  de  Montreuil  (1400-vers  1484),  joué  un 
rôle  important  pendant  la  campagne  de  Louis  XI  en  Bourbon- 
nais. —  Sur  Gousinot,  voy.  la  notice  de  M.  Vaesen,  Lettres  de 
Louis  XI,  II,  215.  Ce  personnage  servit  aussi  fidèlement  Louis  XI 
que  Charles  VU  et  joua  encore  un  rôle  aux  états  généraux  de 
1484,  mais  il  était  alors  «  un  fort  ancien  homme.  » 

1.  G'est  ce  jour-là  (16  juillet)  que  fut  livrée  la  bataille  de  Mont- 
Ihéry.  Il  faut  conclure  des  termes  du  message  adressé  aux  Pari- 
siens que  Louis  XI  ne  prévoyait  pas,  au  moment  où  il  en  chargea 
les  seigneurs  de  la  Borde  et  de  Montreuil,  que  les  «  Gharolais  » 
lui  barreraient  la  route  de  Paris  (cf.  Du  Glercq,  IV,  162  et  suiv., 
et  Commynes,  éd.  Dupont,  I,  28,  30  et  suiv.). 


64  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [H65 

Et,  le  lundi  ensuivant  [15  juillet],  lesdiz  Bourgui- 
gnons, qui  estoient  deslogez  dudit  Saint-Gloud,  s'en 
alerent  loger  à  Montlehery  eulx  et  toute  leur  artillerie, 
cuidans  aler  eulx  joindre  avecques  les  compaignies  des 
ducs  de  Berry  et  de  Bretaigne,  le  conte  de  Dunois,  et 
autres  qui  s'en  venoient  audit  de  Gharrolois*.  Et  de  ce 
en  furent  portées  les  nouvelles  au  roy ,  qui  estoit  par  deçà 
Orléans  pour  s'en  venir  à  Paris  ;  lequel  et  à  toute  dili- 
gence vint  et  arriva  le  mardi  matin,  xvi®  jour  dudit 
moys  de  juillet,  à  Chastes  soubz  ledit  Montlehery^.  Et 
d'ilecques,  sans  soy  rafreschir  ou  que  bien  peu,  et 
sans  attendre  toute  sa  compaignie,  qui  estoit  pour 
gens  à  cheval  la  plus  belle  et  mieulx  en  point  que 

1.  Le  14  juillet,  Gharolais  écrivit  de  Saint-Gloud  à  Philippe  le 
Bon  qu'il  était  pressé  par  le  duc  de  Berry,  alors  près  de  Chartres, 
de  se  porter  au-devant  des  Bretons,  afin  d'unir  ses  forces  aux 
leurs  pour  attaquer  le  roi  avant  qu'il  pût  mettre  en  hgne  tout 
son  monde.  Charles  de  Bourgogne  annonçait  son  départ  dans 
la  direction  d'Étampes  pour  le  lendemain.  Le  15  au  matin,  G.  de 
la  Roche  annonce  que  le  comte  «  s'en  vat  au  Montlhery  et  de 
là  à  Etampes,  »  pour  rallier  les  Bretons,  et  il  ajoute  :  «  L'en  dit 
que  le  roi  approuche  très  fort  et  que  ses  gens  viennent  après  file 
à  file.  »  La  duchesse  d'Orléans  avait  en  eflet  informé  le  comte 
de  Gharolais  que,  le  jeudi  précédent  (11  juillet),  le  roi  avait  ouï 
la  messe  à  Notre-Dame  de  Cléry  (Mélanges  historiques,  II,  350. 
Cf.  Gommynes,  éd.  Dupont,  I,  24,  et  l'Itinéraire  de  Charles  de 
Bourgogne,  dans  Lenglet,  II,  183).  C'est  sans  doute  par  son  avant- 
garde,  logée  dès  le  13  à  Issy,  au  sud  de  Paris,  que  le  comte  eut 
avis  de  l'approche  des  Français  et  des  Bretons  (Hennin,  dans 
Barante,  éd.  citée,  p.  426).  —  La  garde  du  pont  de  Saint-Gloud, 
son  seul  trait  d'union  avec  le  Nord,  fut  confiée  par  Gharolais  à 
un  gentilhomme  hennuyer,  Oste  de  la  Mote  (Ibid.,  p.  427). 

2.  Le  roi  était  à  Orléans  le  13  juillet,  le  14  à  Éiampes,  et  le  15 
au  soir  il  venait  coucher  à  Étrechy,  à  plus  de  70  kilomètres  d'Or- 
léans. On  trouvera  en  appendice,  à  la  fin  de  la  présente  édition, 
une  note  étendue  sur  la  bataille  de  Montlhery. 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  65 

onques  avoit  esté  veue  par  avant  pour  autant  de  gens 
qu'il  y  avoit,  se  vint  fraper  et  bouter  dedens  l'armée 
desdiz  Bourguignons.  Et  ilec  à  l'aborder  y  ot  fait  des 
plus  beaulx  faiz  d'armes  qui  jamais  furent  veuz  pour 
ung  peu  de  gens,  car  aussi  c'estoient  tous  nobles 
hommes  vaillans  et  de  grant  eslite,  qui  tellement 
besongnerent  que  le  roy  gaigna  et  mist  en  fuite  toute 
l'avangarde  desdiz  Bourguignons.  Et  y  ot  d'iceulx 
Bourguignons  à  ladicte  rencontre  grant  quantité  de 
mors  et  de  prins.  Et,  d'icelle  desconfiture  en  vint 
incontinent  le  bruit  à  Paris  ;  de  laquelle  ville  en  yssit 
aux  champs  plus  de  xxx™  personnes,  partie  desquelz 
s'en  alerent  à  cheval  à  l'escart  et  trouvèrent  moult 
desdiz  Bourguignons  qui  furent  prins  et  desconfiz  par 
eulx,  et  aussi  par  ceulx  des  villages  d'autour  d'icelle 
ville,  comme  de  Vanves,  Yssy,  Sevré,  Saint  Gloud, 
Suresnes  et  autres  lieux.  Et,  en  ce  faisant,  fut  gaigné 
bien  grant  butin  sur  lesdiz  Bourguignons,  tant  en 
chariotz,  bahus,  maies,  boistes  que  autrement,  et  tant 
y  perdirent  lesdiz  Bourguignons  que  on  disoit  lors 
que  leur  perte  en  toutes  choses  montoit  à  plus  de 
11*^  mil  escuz  d'or. 

Et,  après  que  ladicte  avangarde  ot  esté  ainsi  des- 
confite, le  roy,  non  content  de  ce,  mais  cuidant  tous- 
jours  persévérer  et  avoir  le  bout  d'iceulx  Bourgui- 
gnons, et  sans  soy  rafreschir  ne  prendre  aucun  repos 
ne  lui  ne  ses  gens,  se  rebouta,  lui  sa  garde,  et  envi- 
ron iiii'^  lances  de  sa  compaignie,  dedens  lesdiz  Bour- 
guignons, qui  s'estoient  fort  rahez  par  le  moien  dudit 
conte  de  Saint-Pol,  qui  moult  bien  servy  ledit  de  Char- 
rolois  celle  journée.  Lesquelz  Bourguignons  recueilli- 
rent vigoreusement  le  roy  et  sadicte  compaignie,  car 


66  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

ilz  s'estoient  serrez  en  bataille  et  par  ordre  et  leur 
artillerie  aprestée,  de  laquelle  ilz  grevèrent  fort  les 
gens  du  roy  et  en  tuèrent  plusieurs  gens  de  bien  et 
aussi  de  ceulx  de  la  garde  du  roy,  qui  moult  vail- 
lamment s'i  portèrent  et  servirent  bien  le  roy,  qui  ot 
ilec  beaucop  à  faire  et  [fut]  en  grant  danger  par 
diverses  foiz  de  sa  personne,  car  il  n'avoit  q'un  peu 
de  gens  et  sans  artillerie  ;  et  tellement  y  fut  oppressé 
le  roy,  qui  tousjours  estoit  des  premiers  dedens, 
qu'il  ne  savoit  que  faire.  Et,  posé  ores  qu'il  n'avoit 
que  peu  de  gens,  si  maintenoient  plusieurs  que  s'il 
eust  eu  davantage  cinq  cens  frans  archers  à  pié  pour 
expédier  les  Bourguignons  qui  ilec  furent  gettez  par 
terre,  qui  après  se  relevoient,  qu'il  eust  mis  en  telle 
subjection  iceulx  Bourguignons  que  jamais  n'eust  esté 
mémoire  d'eux  en  armes.  Ledit  seigneur  de  Ghar- 
rolois  y  perdit  toute  sa  garde,  et  aussi  fist  le  roy 
beaucop  de  la  sienne.  Et  fut  tellement  suivy  ledit  de 
Gharrolois  que  par  deux  foiz  fut  prins  par  Geoffroy 
de  Saint  Belin  et  Gilbert  de  Grassay^  et  puis  fut  res- 
coux.  Et,  durant  ladicte  journée,  y  ot  grande  occi- 
sion  de  hommes  et  de  chevaulx,  dont  plusieurs  en 
furent  tuez  par  les  ribaulx  piétons  du  costé  dudit  de 
Bourgongne,  qui,  de  piques  et  autres  ferremens  les 
tuoient.  Et  y  mourut  de  gens  de  nobles  maisons  de 
costé  et  d'autre.  Et,  après  que  tout  fut  fait,  on  trouva 
que  oudit  champ  y  estoient  mors  m""  vi'=  hommes; 
Dieu  en  ait  les  âmes  ! 

Et,  vers  la  nuit,  les  Escossois  de  la  garde  du  roy, 

1.  Geoffroy  de  Saint-Belin,  chevalier,  conseiller  et  chambellan 
du  roi,  baron  de  Saxefontaine,  bailli  de  Ghaumont.  —  Gilbert  de 
Grassay,  conseiller  et  chambellan  du  roi,  seigneur  de  Gbampéroux. 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  B7 

voians  et  considerans  le  grant  danger  où  le  roy 
estoit  et  la  grant  perte  de  leurs  gens,  aussi  que 
lesdiz  Bourguignons  poursuivoient  fort  et  asprement, 
prindrent  le  roy,  qui  moult  estoit  las  et  afflict,  et  qui 
n'avoit  cessé  de  combatre  et  faire  grans  armes  toute 
la  journée  sans  boire  et  sans  menger,  et  le  menè- 
rent dedens  le  chastel  dudit  Montlehery.  Et,  pour  ce 
que  plusieurs  gens  de  l'armée  du  roy  n'avoient  point 
veu  qu'il  eust  ainsi  esté  mené  audit  Montlehery  et  ne 
le  savoient  où  trouver,  cuidoient  qu'il  feust  mort  ou 
prins,  et  à  ceste  cause  la  pluspart  d'iceulx  se  mirent 
en  fuite.  Et  lors  monseigneur  du  Maine,  monseigneur 
l'admirai  de  xMontauban,  le  seigneur  de  la  Barde  ^  et 
autres  cappitaines  qui  bien  avoient  de  vn  à  vm*^  lances, 
se  retrahirent  et  s'en  alerent  et  habandonnerent  ainsi 
le  roy,  et,  à  ladicte  journée,  nul  des  dessusdiz  n'y 
frapa  un  seul  cop  ;  et ,  à  ces  moiens ,  le  champ 
demoura  ausdiz  Bourguignons-. 

En  icelle  rencontre  et  ou  nombre  des  mors  y  furent 
trouvez  de  gens  de  façon  et  bonnes  maisons,  c'est 
assavoir  :  messire  Pierre  de  Breszé,  chevalier,  senes- 
chal  de  Normandie;  Geoffroy  de  Saint -Belin,  dit 
La  Hire,  bailli  de  Ghaumont;  Floquet,  bailly  d'Evreux, 
et  plusieurs  autres  chevaliers  et  escuiers  de  nom  de 
la  compaignie  du  roy^.  Et  aussi,  de  la  compaignie 

1.  Jean  de  Stuer  ou  d'Estuer,  chevalier,  seigneur  de  la  Barde, 
de  Montélimart,  etc.,  vicomte  de  Ribérac  et  d'Espeluche,  était 
fils  de  Jean  de  Stuer  et  de  Jeanne  de  Pons.  Il  épousa  Catherine 
Brachet  (Moréri). 

2.  Le  comte  de  Gharolais,  dit  Olivier  de  la  Marche  (éd.  Beaune 
et  d'Arbaumont,  t.  III,  p.  16),  «  garda  ce  jour  le  champ  de  la 
bataille  que  l'on  nommoit  anciennement  le  champ  de  Plours.  » 

3.  Le  lendemain  de  la  bataille,  Olivier  de  la  Marche,  envoyé 

I  7 


68  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

desdiz  Bourguignons,  y  en  ot  beaucop  de  mors  et 
de  prins  plus  que  de  ceulx  du  roy^. 

Et,  après  que  le  roy  ot  esté  ung  peu  rafreschi 
oudit  chasteau  de  Montlehery,  fut  mené  et  conduit 
d'ilec  jusques  en  la  ville  de  Corbueil,  où  il  séjourna 
jusques  au  jeudi  ensuivant,  xvni®  jour  dudit  moys  de 
juillet,  qu'il  arriva  sur  le  tart  en  sa  ville  de  Paris ^. 
Et  souppa  ce  jour  en  l'ostel  de  son  lieutenant  gênerai, 

au  village  de  Montlhéry  pour  faire  le  logis  du  comte  de  Charolais, 
trouva  sur  de  la  paille  les  cadavres  du  grand  sénéchal  de  Nor- 
mandie et  de  «  plusieurs  autres  nobles  et  bons  personnaiges  fran- 
çois.  »  Brézé,  La  Hire  et  Floquet  tombèrent  victimes  de  leur 
impétuosité,  qui  les  entraîna  «  sy  avant  en  la  bataille  qu'ils  ne 
peurent  retourner  »  (Du  Clercq,  IV,  170).  Gommynes  veut  que 
La  Hire  se  soit  fait  tuer  en  revenant  à  la  nuit  de  «  chasser  »  les 
fuyards  bourguignons  (éd.  Dupont,  I,  46).  Basin  prétend  que 
Brézé  fut  occis  dès  le  commencement  de  l'action  par  les  gens 
mêmes  du  roi.  Et,  bien,  ajoute-t-il,  que  ce  forfait  eût  été  accom- 
pli sans  que  Louis  XI  en  ait  rien  su,  la  veuve  du  grand  sénéchal 
et  nombre  d'autres  le  soupçonnèrent  d'avoir  ordonné  le  crime 
(II,  126).  C'est  cette  rumeur,  habilement  exploitée  par  les  rebelles, 
qui  fut  cause  plus  tard  de  la  trahison  de  Jeanne  Grespin  à  Rouen 
(voy.  plus  loin). 

1.  Les  morts  ayant  été  dépouillés  aussitôt,  il  fut  impossible 
de  savoir  lequel  des  deux  partis  avait  subi  les  plus  grosses 
pertes. 

2.  Louis  XI  arriva  à  Corbeil  le  17,  vers  dix  heures  du  matin 
(Du  Clercq,  IV,  172;  Hennin,  dans  ouvr.  cité,  p.  436).  Le  jeudi  18, 
il  ût  son  entrée  à  Paris  à  cinq  heures  du  soir  et  fut  reçu  «  à  grant 
joie  »  par  les  gens  d'Église  et  par  les  bourgeois.  Une  partie  de 
son  monde  l'avait  rallié;  l'autre  t  demeura  es  villages  environ 
Paris  pour  soy  rafreschir  »  (Maupoint,  Journal,  p.  58).  Louis  XI 
devait  exagérer  quelque  peu  lorsqu'il  écrivait,  le  27  juillet, 
aux  habitants  de  Poitiers  qu'il  avait  encore  avec  lui  1,500  à 
1,600  lances  de  la  grande  ordonnance,  sans  les  corps  d'armée  des 
comtes  de  Nevers  et  d'Eu  et  les  contingents  d'autres  seigneurs 
qui  étaient  venus  le  joindre  avec  300  lances  (Vaesen,  Lettres  de 
Louis  XI,  II,  339). 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  69 

messire  Charles  de  Meleun^  Et  avecques  lui  y  sou- 
perent  aussi  plusieurs  seigneurs,  damoiselles  et  bour- 
goises.  Auquel  lieu  il  recita  toute  son  adventure  ainsi 
advenue  audit  Montlehery,  et,  en  ce  faisant,  dist  et 
declaira  de  moult  beaulx  mots  et  piteux,  de  quoy 
tous  et  toutes  pleurèrent  bien  largement.  Et  si  dist 
plus  que,  au  plaisir  de  Dieu,  le  lundi  ensuivant,  il 
retourneroit  derechef  à  l'encontre  de  sesdiz  ennemis 
et  qu'il  mourroit  en  la  poursuite  ou  que  brief  en  aroit 
le  bout  :  dont  il  ne  se  fist  riens,  pour  ce  qu'il  fut  con- 
seillé pour  le  mieulx  du  contraire,  avecques  ce  qu'il 
fut  laschement  servy  de  ses  gens  de  guerre^;  et  ne 
tint  point  à  lui,  car  il  est^  assez  et  trop  vaillant. 

Et,  le  vendredi  ensuivant,  xix^  jour  dudit  moys  de 
juillet  oudit  an  LXV,  ung  gentilhomme,  nommé  Lau- 
rens  de  Mory,  seigneur  dudit  lieu  de  Mory,  près  de 
Mitry  en  France^,  qui  avoit  esté  constitué  prisonnier 
en  la  bastide  Saint  -  Anthoine ,  pour  occasion  de  ce 


1.  Interpolations  et  variantes,  §  XI. 

2.  La  défection  du  comte  du  Maine  et  de  l'amiral  de  Montau- 
ban  et  les  sentiments  douteux  d'une  partie  de  la  population  pari- 
sienne furent  la  cause  de  cette  abstention.  —  «  Vous,  et  les  autres 
qui  ont  charge  de  gens  de  guerre,  avez  dict  en  aucuns  conseilz  où 
estoie  présent  que  vous  n'estiez  pas  seur  de  voz  gens,  car  plu- 
sieurs en  y  avoient  qui  vous  avoieut  fait  la  poulie  à  Montlhery  » 
(Apostrophe  de  Jacques  Rebours,  procureur  de  la  ville  de  Paris, 
au  bâtard  du  Maine,  relatée  dans  sa  déposition  du  28  juillet  1468, 
au  procès  de  Charles  de  Melun.  Bibl.  nat.,ms.  fr.  2921.  Cf.  Basin, 
II,  123  et  suiv.). 

3.  Telle  est  la  leçon  du  ms.  fr.  5062,  fol.  20.  Le  ms.  fr.  2889, 
fol.  21,  porte  il  estait. 

4.  Ces-  deux  localités  forment  aujourd'hui  une  seule  commune 
sous  le  nom  de  Mitry-Mory  (Seine-et-Marne,  cant.  de  Glaye). 


70  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

qu'il  avoit  favorisé  lesdiz  Bourguignons  et  les  avoit 
induiz  et  menez,  en  divers  lieux,  en  plusieurs  maisons 
assises  en  divers  villages  d'autour  Paris,  appartenans 
à  aucuns  bourgois  dudit  lieu  de  Paris,  pour  icelles 
maisons  piller  et  prendre  les  biens  desdiz  bourgois 
de  Paris,  et  que,  en  ce  faisant,  avoit  fait  plusieurs 
larrecins,  fut  fait  son  procès  sur  lesdiz  cas,  audit  lieu 
de  la  Bastide,  par  aucuns  commissaires  à  ce  faire 
ordonnez.  Par  lesquelz  fut  dit  et  declairé  audit  de 
Mory  qu'il  estoit  crimineulx  de  crime  de  leze  majesté, 
et  comme  tel  le  condampnerent  à  estre  escartelé  es 
haies  de  Paris,  et  ses  biens  et  héritages  acquis  et 
confisquez  au  roy.  Dont  et  de  quoy  il  appella  en  la 
court  de  Parlement;  pour  révérence  duquel  appel  fut 
différé  d'estre  exécuté  pour  ledit  jour.  Et,  le  samedi 
ensuivant  [20  juillet],  par  la  court  de  Parlement  fut 
widé  ledit  appel,  et,  en  corrigant  icellui,  fut  dit  par 
arrest  de  ladicte  court  que  ledit  Laurens  de  Mory 
seroit  pendu  et  estranglé  au  gibet  de  Paris,  et  fut 
exécuté  cedit  jour. 

Et,  cedit  jour  de  samedi,  l'evesque  de  Paris,  nommé 
maistre  Guillaume  Ghartier,  et  autres  conseillers  et 
gens  d'église  de  ladicte  ville  furent  devers  le  roy  en 
son  hostel  des  Tournelles,  et  là  fut  proposé  devant 
lui  par  ledit  evesque  et  dictes  de  moult  belles  paroles, 
qui  toutes  tendoient  à  fin  que  le  roy  conduisist  de  là 
en  avant  toutes  ses  affaires  par  bon  conseil,  ce  que  le 
roy  acorda.  Et  fut  lors  ordonne  que  de  là  en  avant 
yroient  au  conseil  du  roy,  avecques  le  conseil  ordi- 
naire, c'est  assavoir  six  conseillers  bourgois  de  ladicte 
ville,  six  autres  conseillers  de  la  court  de  Parlement, 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  71 

et  six  clers  prins  en  l'Université  de  Paris^.  Et  aussi, 
pour  ce  que  le  roy  vit  qu'il  avoit  moult  d'ennemis  en 
son  royaume,  mist  en  délibération  de  trouver  des 
gens  de  guerre  avecques  ceulx  que  desja  il  avoit,  et 
aussi  combien  on  en  trouveroit  à  Paris.  Et  à  ceste 
cause  fut  ordonné  que  tous  ceulx  de  Paris  seroient 
prins  par  escript  et  par  dixaines,  pour  en  prendre  de 
chacune  dixaine  dix  hommes;  mais  il  ne  s'en  fist  rien. 
Et,  au  moien  de  la  venue  du  roy  à  Paris,  il  convint 
que  plusieurs  gens  de  guerre  qui  le  suivoient  feussent 
logez  es  villages  d'autour  Paris  et  de  Brie  et  autres 
lieux  voisins  ;  lesquelz  gasterent  et  destruisirent  tous 
lesdiz  villages  et  prindrent  de  fait  et  sans  riens  paier 
tous  vivres  qu'ilz  y  trouvèrent  et  autres  choses  qui 
appartenoient  tant  aux  habitans  desdiz  villages  que 
d'autres  demourans  à  Paris.  Et  aussi,  quant  le  roy  se 
trouva  à  Paris,  il  se  trouva  fort  chargié  de  gens  de 
guerre,  pour  lesquelz  paier  de  leursdiz  gaiges  et  soul- 
dées  lui  convint  finer  de  grant  somme  de  deniers,  car 
il  ne  recevoit  riens  d'aucunes  villes  sur  lesquelles  les- 
diz gaiges  estoient  assignez,  qui  estoient  tenues  et 
usurpées  par  aucuns  princes,  qui  ne  vouloient  riens 
souffrir  estre  cueilly  dudit  paiement  en  leurs  pays,  fut 
contraint  de  faire  emprunt  d'argent  sur  plusieurs  offi- 

1.  Ainsi  qu'on  le  verra  plus  loin,  Louis  XI  ne  pardonna  jamais 
à  l'évêque  Guillaume  Ghartier  le  rôle  qu'il  joua  pendant  le  Bien- 
Public  (voy.  à  la  date  du  15  mai  1472).  — Un  passage  d'une  lettre 
adressée  à  Louis  XI  par  Gharles  de  Melun  quelque  temps  aupa- 
ravant, pendant  le  procès  du  comte  de  Dammartin,  témoigne  de 
la  méliance  que  le  prélat  inspirait  déjà  à  l'entourage  du  roi  : 
«  Pleust  à  Dieu,  écrit  Melun,  que  le  pape  eust  translaté  l'evesque 
de  Paris  en  l'evesché  de  Jérusalem!  »  (Bibl.  nat.,  ms.  fr.  20855, 
fol.  103,  orig.). 


72  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

ciers  et  autres  de  la  ville  de  Paris,  ausquelz  de  par 
lui  fut  demandé  argent  à  prester  ;  de  quoy  ilz  furent 
refusans,  au  moins  de  si  grant  somme  comme  on 
leur  demandoit.  Et,  pour  leur  refus,  à  aucuns  d'eulx 
fut  dit  et  declairé  de  par  le  roy  que  de  lui  ilz  estoient 
privez  de  toutes  offices  royaulx,  comme  à  maistre 
Jehan  Cheneteau,  greffier  du  Parlement  \  maistre 
Martin  Picart,  conseiller  des  Comptes,  et  autres. 

Et,  le  mercredi  ensuivant,  xxiiii®  jour  de  juillet, 
audit  an  LXV,  le  roy  fist  bailler  commission  au  prevost 
forain  de  Senlis  pour  aler  abatre  les  arches  de  Pons 
Saincte-Maixence,  pour  ce  qu'il  estoit  grant  bruit  que 
le  seigneur  de  Saveuzes-  avec  grant  nombre  de  gens 
de  guerre  venoient  audit  lieu  pour  le  prendre  sur 
ceulx  qui  le  tenoient  pour  le  roy.  Et,  ce  mesme  jour, 
le  roy  en  avoit  donné  la  cappitainerie  à  Jehan  L'Or- 
fèvre, chastelain  dudit  lieu,  et  lui  donna  charge  d'aler 
garder  ladicte  place,  et  lui  defendi  bien  fort  que  riens 
ne  feust  rompu  dudit  pont. 

Et,  le  vendredi  ensuivant  [26  juillet],  le  roy  ordonna 
qu'il  demourroit  deux  cens  lances  à  Paris,  soubz  la 
charge  et  conduicte  dudit  bastard  d'Armaignac,  comte 
de  Gomminge,  de  messire  Giles  de  Saint-Symon,  bailli 

i.  C'est-à-dire  greffier  civil  du  Parlement.  Le  Parlement  et  la 
cour  des  Comptes  étaient  généralement  mal  disposés  à  l'égard  du 
roi  (voy.  Mélanges  historiques,  II,  p.  371  et  suiv.). 

2.  Pont-Sainte-Maxence  avait  été  repris  par  les  royalistes.  Phi- 
lippe de  Saveuses,  seigneur  de  Flesselles  et  de  Howair,  avait 
alors  soixante-douze  ans;  mais,  presque  seul  en  Picardie,  il  ne 
se  laissa  pas  décourager  par  le  bruit  de  la  défaite  du  conito  do 
Gharolais,  qui  fut  répandu  par  les  fuyards  de  l'armée  bourgui- 
gnonne. Il  leva  des  troupes  à  ses  frais,  se  mit  en  campagne  et, 
par  son  énergie,  conserva  au  duc  de  Bourgogne  plusieurs  places 
déjà  abandonnées  par  leurs  défenseurs. 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  73 

de  Senlis',  le  sire  de  la  Barde,  de  Charles  des  Marés^ 
et  dudit  messire  Charles  de  Meleun,  que  le  roy  conti- 
nua lieutenant  pour  lui  en  ladicte  ville,  à  la  relacion 
et  requeste  d'aucunes  gens  d'Eglise  et  des  prevost  des 
marchans  et  eschevins  de  ladicte  ville  ^. 

Et,  le  samedi  ensuivant,  xxvn^  jour  dudit  moys  de 
juillet,  oudit  an  LXV,  ung  nommé  Jehan  de  Bourges, 
qui  avoit  esté  clerc  et  serviteur  de  maistre  Jehan 
Berard,  conseiller  du  roy  nostre  sire  en  sa  cour  de 
Parlement,  et  qui  avoit  esté  mis  et  constitué  prison- 
nier avecques  Gacien  Meriaudeau  et  François  Meriau- 

1.  Gilles  de  Rouvroy,  chevalier,  seigneur  de  Saint-Simon,  fut 
pourvu  vers  1438  de  la  charge  de  bailli  de  Senlis,  et  mourut  dans 
cette  ville  le  18  décembre  1477.  Il  avait  épousé  Jeanne  de 
Flocques,  et  c'est  de  cette  union  qu'est  descendu  en  ligne  directe 
l'illustre  auteur  des  Mémoires  (voy.  la  notice  de  M.  de  Boislisle, 
Mémoires  de  Saint-Simon.  Paris,  Hachette,  t.  I,  appendice  I, 
p.  422  et  suiv.). 

2.  Charles  des  Marets,  écuyer,  l'un  des  héros  de  la  lutte  contre 
les  Anglais  en  Normandie,  capitaine  de  Dieppe  dès  1420,  reçut 
de  Louis  XI,  en  1462,  un  don  de  2,000  écus  d'or  en  récompense 
de  certaine  dépense  qu'il  avait  faite  à  Dieppe  pour  entretenir  des 
gens  de  guerre  l'année  où  les  Anglais  mirent  le  siège  devant 
cette  ville  (1442-1443)  (Bibl.  nat.,  ms.  fr.  26088,  n°  106.  Reçu  sur 
parch.  Cf.  Vallet  de  Viriville,  Histoire  de  Cliarles  VII,  II,  339  et 
suiv.  et  449,  et  III,  392  et  suiv.). 

3.  Ce  ne  fut  pas  sans  une  vive  opposition  de  la  part  de  certains 
membres  du  Parlement  et  de  la  Chambre  des  comptes.  Au  mépris 
d'une  délibération  prise  le  matin  même  à  l'hôtel  de  ville,  le  pré- 
vôt des  marchands  Henry  de  Livres  et  les  échevins  Jean  de  Har- 
lay,  Audry  d'Azy  et  Denis  Gibert,  tous  ardents  royalistes,  «  pour 
le  bien  de  la  ville  et  parce  que  Charles  de  Melun  avoit  obtenu  du 
roi  d'abattre  partie  des  aides,  »  supplièrent  Louis  XI,  alors  sur 
le  point  de  quitter  Paris,  de  laisser  la  lieutenance  à  Charles  de 
Melun  (voy.,  dans  Mélanges  historiques  cités,  H,  371,  la  déposi- 
tion de  Jean  Clerbout,  général  des  monnaies,  au  cours  d'une 
enquête  ouverte  vers  1467  sur  ces  événements). 


74  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

deau,  son  frère*,  pour  occasion  de  ce  qu'ilz  et  autres 
s'estoient  tirez  de  Paris  en  Bretaigne  pardevers  mondit 
seigneur  de  Berry,  en  conspirant  contre  le  roy,  fut 
icellui  Jehan  de  Bourges  tiré  hors  de  ladicte  Bastide 
et  ledit  François  Meriaudeau,  et,  par  la  sentence  du 
prevost  des  mareschaulx,  furent  noiez  en  la  rivière  de 
Seine  par  le  bourreau  de  Paris  devant  la  tour  de 
Billy^.  Et,  le  mardy  ensuivant,  xxix®^  jour  d'icellui 
moys,  ledit  Gacien,  qui  estoit  notaire  du  roy  ou  Chas- 
tellet  de  Paris,  aussi  prisonnier  audit  lieu  de  Paris  et 
pour  ledit  cas,  fut  pareillement  tiré  dudit  lieu  de  la 
Bastide,  comme  les  autres  dessus  nommez,  et  noie  ou 
lieu  dessusdit.  Et  pareillement  y  fut  aussi  noyé  ung 
povre  aide  à  maçon,  qui  avoit  esté  envoie  de  Paris  à 
Estampes,  de  par  la  femme  d'un  nommé  maistre  Odo 
de  Bussy*,  pour  porter  lettres  à  sondit  mary,  qui  lors 
estoit  advocat  ou  Ghastellet  de  Paris,  et  qui  estoit 
audit  lieu  d'Estampes  avecques  le  frère  dudit  seigneur 
de  Saint-PoP,  dont  il  estoit  serviteur,  estant  audit 
Estampes  avecques  les  autres  princes  et  seigneurs 
estans  contre  le  roy,  comme  dit  est  ;  et  lequel  aide  à 

1.  A  la  date  du  3  août  1456  et  à  celle  du  premier  février  1460, 
V.  st.,  on  trouve  un  Gacien  Meriaudeau  qualifié  de  clerc  notaire 
juré  du  roi  et  de  par  lui  établi  au  Ghâtelet  de  Paris  (Arch.  nat., 
LL  729,  fol.  162  v°  et  suiv.).  —  Son  frère  François  fut  remplacé 
par  Henri  Perdriel,  le  17  juillet  1465,  dans  les  fonctions  de  clerc 
civil  du  greffe  du  Cliàtelet  (Sauvai,  ouvr.  cité,  III,  386). 

2.  La  tour  de  Billy,  qui  flanquait  la  porte  Barbeel,  terminait 
l'enceinte  de  Paris  au  bord  de  la  Seine,  sur  la  rive  droite. 

3.  Lisez  lA'A». 

4.  Voy.  plus  loin,  à  l'année  1477,  la  fin  tragique  de  ce  person- 
nage. 

5.  Il  s'agit  ici  de  Jacques  de  Luxembourg,  seigneur  de  Riche- 
bourg,  mort  le  20  août  1487. 


i465j  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  75 

maçon  rapporta  response  desdictes  lettres  à  ladicte 
femme  dudit  maistre  Odo,  qui  avoit  gaigné  par  cha- 
cun jour  qu'il  avoit  vacqué  à  aler  audit  lieu  d'Estampes 
et  retourner  à  Paris  ii  sous  parisis  par  chacun  jour. 
Pour  lequel  cas,  ledit  aide  à  maçon  fut  aussi  condempné 
à  mourir,  et  fut  noyé  au  devantdit  lieu  après  les  autres 
dessus  nommez.  Et,  le  lendemain,  fut  fait  commande- 
ment à  icelle  femme  dudit  maistre  Odo  de  wider  hors 
de  la  ville  de  Paris,  ce  qu'elle  fîst,  et  s'en  ala  à  Saint- 
Anthoine  des  Champs  hors  Paris  \  où  tousjours  depuis 
s'est  tenue  jusques  à  ce  que  l'appoinctement  fut  fait 
entre  le  roy  et  les  princes  et  seigneurs,  qui  depuis 
vindrent  à  Saint-Mor,  Gonflans^  et  devant  Paris. 

Et,  après  que  ladicte  rencontre  ot  ainsi  esté  faicte 
audit  lieu  de  Montlehery,  lesdiz  princes  tous  ensemble 
ainsi  estans  contre  le  roy,  que  dit  est,  furent  et  demeu- 
rèrent ensemble,  se  mirent  audit  lieu  d'Estampes  et  s'i 
tindrent  par  l'espace  de  quinze  jours  ^.  Et  après  se  des- 

1.  Fondée  vers  la  fin  du  xir  siècle,  cette  célèbre  abbaye  était 
située  au  delà  de  la  porte  Saint-Antoine. 

2.  Auj.  Gonflans-l'Archevêque,  dép.  de  la  Seine,  comm.  de 
Gharenton,  au  confluent  de  la  Marne  et  de  la  Seine. 

3.  loe  17  juillet,  lendemain  de  la  bataille,  le  comte  de  Charolais 
demeura  à  Montlhéry,  où  ses  gens  affamés  trouvèrent  encore 
quelques  vivres.  «  Croyez,  dit  Hennin,  que  plusieurs  d'eulx  n'at- 
tendoyent  point  la  moustarde!  »  Les  chevaux  n'avaient  pas  été 
débridés  depuis  quarante-huit  heures!  —  Le  18,  le  comte  coucha 
à  Châtres  (Arpajon)  et  le  lendemain  à  Étampes,  où  il  reçut  des 
nouvelles  des  Bretons.  Robinet  du  Ru,  écuyer,  qui  avait  la  garde 
de  la  tour  d'Étampes,  la  rendit  à  la  première  sommation,  et  avec 
elle  une  partie  des  bijoux  de  Louis  XI,  qui  avaient  été  déposés  là 
avant  la  bataille  (Hennin,  dans  ouvr.  cité,  p.  436,  et  Mélanges  his- 
toriques, II,  353).  Le  21,  les  ducs  de  Berry  et  de  Bretagne  appa- 
rurent enfin,  non  sans  provoquer  les  railleries  des  «  Charolais  », 
qui   ne   se   gênaient   pas   pour   dire   que   leurs   alliés   eussent 


76  JOURiNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

logèrent  et  prindrent  le  chemin  par  devers  Saint-Mathe- 
lin  de  l'Archant,  xMoret  en  Gastinois*,  Provins  et  le  pays 
d'environ.  Et,  quant  le  roy  en  ot  oy  les  nouvelles,  il 
envoya  à  Meleun,  Monstereau  et  à  Sens  et  autres  villes 
d'environ  des  gens  de  guerre  et  de  l'artillerie  pour 
garder  lesdiz  lieux  et  pour  faire  des  saillies  sur  les 
dessusdiz  quant  ilz  verroient  leur  avantage^. 

Et  le  samedi,  tiers  jour  d'aoust,  oudit  an  LXV,  le 
roy,  aiant  singulier  désir  de  faire  des  biens  à  sa  ville 
de  Paris  et  aux  habitans  d'icelle,  remist  le  im®  du  vin 
vendu  à  détail  en  ladicte  ville  au  \aii®,  et  voult  que 
tous  privilégiez  peussent  joyr  de  leurs  privilèges  tout 
ainsi  qu'ilz  avoient  fait  durant  la  vie  dudit  defunct  roy 
Charles.  Et,  en  oultre,  ordonna  toutes  les  impositions 
qui  avoient  cours  en  ladicte  ville  estre  abatues,  fors  et 
excepté  les  denrées  de  six  fermes  vendues  en  gros  en 
icelle  ville,  c'est  assavoir  les  fermes  de  la  busche,  du 
pié  fourché, 'le  drap  vendu  en  gros,  le  vin  en  gros,  le 
poisson  de  mer  et ^.  Et,  cemesmesjour,  ces  choses 

mieux  fait  de  ne  pas  venir  du  tout  que  d'arriver  après  la 
bataille  (Hennin,  ouvr.  cité.  Cf.  Lenglet,  II,  484  et  487).  Le  24, 
François  II,  duc  de  Bretagne,  confirma  et  renouvela  son  alliance 
avec  le  comte  de  Gharolais  contre  le  roi  (voy.  le  texte  dans  Len- 
glet, II,  490,  et  les  considérants  audacieusement  menteurs  qui 
l'accompagnent).  Après  quinze  jours  perdus  à  Étampes  («  quae 
repausatio...  non  parum  damnosa  atque  incommoda  exstitit,  » 
dit  Basin,  II,  122),  les  alliés  se  remirent  en  route  le  31  juillet 
(Commynes,  éd.  Lenglet,  II,  183;  éd.  Dupont,  I,  58  et  suiv.). 

1.  Saint-Mathurin-de-Larchant  est  auj.  Larchant  (Seine-et- 
Marne,  arr.  de  Fontainebleau).  —  Moret-sur-Loing  (même  arr.). 

2.  Et  surtout  pour  défendre  le  cours  de  la  Seine,  sur  lequel  ces 
trois  villes  sont  situées. 

3.  «  Les  aides  comprenaient  essentiellement  deux  taxes,  l'une 
d'un  huitième  ou  d'un  quart  sur  le  prix  de  vente  des  vins  et  autres 
boissons  et  l'autre  d'un  vingtième  sur  le  prix  de  vente  de  certains 


|l465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  77 

furent  publiées  à  son  de  trompe  par  les  carrefours  de 
Paris,  en  la  présence  de  sire  Denis  Hesselin,  esleu  sur 
le  fait  des  aides  à  Paris.  Et,  incontinent  après  ledit 
cry,  tout  le  populaire,  oyant  icellui,  crioient  de  joye 
et  de  bon  vouloir  Noël.  Et  en  furent  faiz  les  feux 
parmy  les  rues^. 

Et,  le  dimenche  ensuivant,  quart  jour  d'aoust,  Reve- 

objets  de  consommation  (bétail  à  pied  fourché,  draps,  poissons, 
bois)  »  (Jacqueton,  Documents  relatifs  à  l'administration  financière 
cités,  p.  vin).  L'ordonnance  du  3  août  1465,  dont  le  texte  est 
reproduit  au  tome  XVI  de  la  collection  des  Ordonnances,  p.  341 
et  suiv.,  détaille  encore  nombre  d'autres  denrées  sur  lesquelles 
un  impôt  était  perçu  au  grand  déplaisir  des  Parisiens.  —  Le  blanc 
laissé  par  notre  auteur  est  ditiicile  à  remplir;  il  faut  sans  doute 
n'en  pas  tenir  compte  et  lire  plus  haut  cinq  fermes  au  lieu  de  six. 
—  Le  30  juillet,  Louis  XI  avait,  suivant  Maupoint  [Journal, 
p.  58),  restitué  aux  gens  d'Église,  Université,  nobles  et  officiers 
royaux  à  Paris  une  franchise  qu'il  leur  avait  enlevée  en  1461, 
celle  de  pouvoir  vendre  du  vin  au  détail  sans  payer  le  quatrième. 
1.  Maupoint  témoigne  de  la  satisfaction  avec  laquelle  on  accueil- 
lit cette  ordonnance,  car,  dit-il,  auparavant  il  n'y  avait  pas  à 
Paris  moins  de  soixante-six  fermes,  dont  les  habitants  de  la  ville 
et  des  faubourgs  étaient  fort  travaillés  {Journal  cité,  p.  60).  — 
Sur  la  biographie  de  Denis  Hesselin,  né  vers  1425,  mort  après 
1506,  élu  sur  le  fait  des  aides  dès  le  3  août  1456  (Arch.  nat., 
LL  729,  fol.  163),  panetier  du  roi,  puis  prévôt  des  marchands 
(1470-1474),  clerc  et  receveur  de  la  ville  de  Paris  (1474-1500),  il  y 
a  peu  de  chose  à  ajouter  à  ce  qu'a  dit  M.  Vitu,  qui  a  considéré, 
à  tort  selon  nous,  ce  personnage  comme  l'auteur  de  la  Chronique 
Scandaleuse  (La  Chronique  de  Louis  XI,  etc.,  citée.  Cf.  l'Introduc- 
tion à  la  présente  édition).  Denis  Hesselin  paraît  avoir  épousé 
Jeanne  de  Torrettes.  Une  minute  de  Bourré  (Bibl.  nat.,  ms, 
fr.  20494,  fol.  50)  nous  apprend  qu'à  une  date  qui  n'est  pas  pré- 
cisée, Hesselin  rendit  à  Louis  XI  «  ung  balay  (rubis)  cabochon 
sur  le  quarre,  à  une  belle  face  plate  et  une  grosse  fosse  d'un  des 
costez,  pesant  vi^^xui  karaz  et  demy,  »  que  Charles  V  avait  remis 
jadis  à  feu  Jacques  de  Lallier,  Germain  Vivien  et  autres,  pour 
gage  d'un  prêt  de  5,001  1.  Il  s.  8  d.  t. 


78  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

rend  Père  en  Dieu  maistre  Jehan  Balue  fut  sacré  à 
evesque  d'Evreux  en  l'église  Notre-Dame  de  Paris.  Et, 
ce  mesmes  jour,  le  roy  souppa  en  l'ostel  de  son  tré- 
sorier des  finances,  maistre  Estienne  Chevalier. 

Et,  le  mardi  ensuivant  [6  août],  fut  exécuté  es  haies 
de  Paris  ung  jeune  compaignon  nommé  Pierre  Gue- 
roult,  natif  de  Lesignen,  et  ilec  escartelé  par  la  sen- 
tence du  prevost  des  mareschaulx,  pour  occasion  de 
ce  qu'il  avoit  confessé  estre  venu  de  Bretaigne  à  Paris, 
et  ilec  envoie  de  l'ordonnance  du  duc  de  Bretaigne 
pour  dire  et  advertir  le  roy  que  plusieurs  cappitaines 
et  chefz  de  guerre  de  son  ordonnance  et  retenue 
estoient  à  lui  contraires,  pour  et  afin  de  mettre  dis- 
sencion  entre  le  roy  et  lesdits  gens  de  guerre,  et  aussi 
pour  accuser  aucunes  notables  personnes  de  Paris  de 
non  estre  à  lui  feaulx;  et  avecques  ce  pour  espier  et 
regarder  quelz  gens  de  guerre  et  puissance  le  roy 
avoit,  pour  tout  ce  que  dit  est  le  rapporter  ausdiz 
princes  et  seigneurs  au  roy  contraires,  pour  mieulx  et 
plus  aisieement  exécuter  contre  lui  leur  dampnée  entre- 
prinse.  Et,  pour  ledit  cas,  fut  ainsi  exécuté  que  dit 
est,  ses  biens  et  heritaiges  au  roy  acquis  et  confisquez. 

Oudit  temps,  lesdiz  Bretons  et  Bourguignons  passè- 
rent les  rivières  de  Seine  et  Yonne  par  bateaulx  qu'ilz 
trouvèrent  à  Moret  en  Gastinois  et  ailleurs.  Et,  audit 
passage  faisant  se  y  trouva  Salezart  et  aucuns  de  la 
compaignie  de  Joachin  Rouault  pour  cuider  empescher 
ledit  passage,  mais  ilz  n'estoient  que  peu  de  gens  et 
sans  artillerie,  et  les  ennemis  du  roy  en  avoient  large- 
ment, par  quoy  les  convint  reculer  et  retraire.  Et, 
audit  passage,  fut  tiré  par  lesdiz  Bretons  contre  lesdiz 
gens  du  roy  une  serpentine,  qui  d'un  cop  emporta  le 


1465]  OU  CHROMQUE  SCANDALEUSE.  79 

bras  d'un  page,  et  après  vint  fraper  un  gentilhomme 
nommé  Painabel,  parent  dudit  Joachin  Rouault,  tout 
parmy  le  petit  ventre,  et  en  après  en  tua  trois  autres 
hommes  de  guerre'^. 

Et,  le  jeudi  ensuivant,  vm®  jour  d'aoust,  monsei- 
gneur de  Pressigny,  conseiller  du  roy  notre  sire  et 
président  en  sa  chambre  des  Comptes  à  Paris  %  et 
Ghristofle  Paillart,  aussi  conseiller  dudit  seigneur  en 
sadicte  chambre,  que  le  roy  a  voit  envolez  pardevers  le 
duc  de  Calabre,  qu'ilz  trouvèrent  ou  pays  de  l'Auxer- 
rois,  pour  lui  porter  lettres  de  par  le  roy,  s'en  retour- 
nèrent à  Paris  pardevers  le  roy,  à  toute  la  response 
qu'ilz  avoient  eu  dudit  de  Calabre  ^. 

1.  Suivant  Maupoint  (Journal,  p.  59),  les  princes  tentèrent 
de  traverser  la  Seine,  le  1"  août,  au  pont  de  Samois,  mais  les 
Français  avaient  rompu  le  pont  et  s'opposèrent  au  passage.  C'est 
le  dimanche  4  août  que  les  alliés  réussirent  à  franchir  la  rivière 
à  Moret  (voy.  le  récit  de  Gommynes,  éd.  Dupont,  I,  58  et  suiv.). 
L'objectif  des  princes  était  de  tendre  la  main  au  duc  de 
Calabre,  qui  arrivait  de  l'est  par  l'Auxerrois  et  rejoignit  ses 
alliés  le  8  août.  Ils  demeurèrent  à  Saint-Mammès,  en  Brie,  jus- 
qu'au samedi  10  (Maupoint,  Journal,  p.  60). 

2.  Bertrand  de  Beauvau,  chevalier,  seigneur  de  Précigny, 
reçut  des  lettres  de  provision  pour  l'office  de  premier  président 
aux  Comptes  en  date  de  Chinon,  le  6  juin  1462,  avec  le  titre  de 
garde  et  grand  conservateur  du  domaine  royal  (Ordonnances, 
t.  XV,  p.  492  et  suiv.).  Il  mourut  en  1474. 

3.  Ils  avaient  apporté  aussi  à  Jean  d'Anjou,  duc  de  Calabre  et 
de  Lorraine,  une  lettre  que  le  roi  René,  son  père,  lui  écrivait 
pour  le  détourner  de  combattre  Louis  XI  (Commynes,  édit.  Len- 
glet,  U,  423).  Maupoint  attribue  l'aniraosité  dont  le  duc  de 
Calabre  ût  preuve  à  l'égard  du  roi  de  France  au  fait  que  ce  der- 
nier avait,  au  début  de  son  règne,  contracté  alliance  avec  le  roi 
Don  Juan,  compétiteur  de  Jean  d'Anjou  au  trône  d'Aragon  (Jour- 
nal cité,  p.  51).  Le  prétexte  paraît  léger,  étant  donné  que  Louis  XI 


80  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

Et,  le  samedi  ensuivant,  x®  jour  dudit  moys,  le  roy 
s'en  party  de  Paris  pour  aler  à  Rouen,  Evreux  et 
autres  lieux  en  Normandie,  et  ala  ce  jour  à  Pontoise. 
Et,  à  son  parlement  de  Paris,  ordonna  plusieurs  frans 
archers  qui  estoient  venus  dudit  pays  de  Normandie, 
et  environ  iiif  lances  des  compaignies  de  feu  Floquet, 
du  conte  de  Boulongne,  de  feu  Geoffroy  de  Saint-Belin, 
du  seigneur  de  Graon*  et  du  seigneur  de  la  Barde  estre 
et  demourer  à  Paris  pour  la  tuicion  et  garde  de  ladicte 
villes 

Et,  ledit  jour  du  parlement  du  roy,  se  tint  et  assem- 
bla ung  grant  conseil  en  l'Ostel  de  ladicte  ville  de 
Paris.  Et,  en  icellui  tenant,  vint  et  arriva  audit  conseil 
ung  gentilhomme  de  par  le  roy,  nommé  le  seigneur 
de  Buisset,  qui  vint  dire  à  tout  le  conseil  ainsi  assem- 
blé que  le  roy  leur  mandoit  de  par  lui  qu'il  avoit 
changié  propos,  et  que  le  mardi  ensuivant  il  seroit  de 
son  retour  audit  lieu  de  Paris^. 

Et,  au  regard  desdiz  frans  archers  de  Normendie, 

avait  promis  à  son  cousin,  pour  son  fils  Nicolas,  marquis  de  Pont, 
la  main  d'Anne  de  France,  sa  fille,  et  que  le  duc  avait  touché  déjà, 
en  tout  ou  en  partie,  la  dot  de  100,000  écus  d'or  que  le  roi  don- 
nait à  sa  fille  (Bibl.  nat.,  ms.  fr.  26088,  n*  181.  Quittance  sur  par- 
chemin signée  Jehan). 

1.  Georges  de  la  Trémoille,  seigneur  de  Graon,  de  Jonvelle,  etc., 
comte  de  Liguy,  chevalier  de  l'Ordre,  mort  en  1481,  était  fils 
de  Georges  de  la  Trémoille  et  de  Catherine  de  l'Isle-Bouchard  et 
avait  épousé  Marie  de  Montauban.  —  Bertrand  VI  de  la  Tour, 
comte  de  Boulogne,  avait  servi  vaillamment  Charles  VU.  Il  mou- 
rut le  26  septembre  1494. 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  XII. 

3.  Averti  de  l'état  de  l'opinion  à  Paris,  Louis  XI  jugea  pru- 
dent de  ne  pas  rester  plus  longtemps  éloigné. 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  81 

qui  estoient  des  bailliages  de  Caen  et  Alançon,  ils 
furent  logez  par  distribucion  :  c'est  assavoir  ceuix  de 
Caen,  qui  avoient  jaquetes  où  estoit  escript  dessus  de 
broderie  Caen,  furent  mis  et  logez  tous  dedens  l'ostel 
et  pourpris  du  Temple,  et  les  autres  dudit  bailliage 
d'Alençon,  qui  avoient  jaquetes  où  estoit  dessus  escript 
aussi  de  broderie  Audi  partent,  furent  logez  ou  quar- 
tier dudit  Temple,  partout  où  ilz  peurent  estre  logez, 
oultre  l'ancienne  porte  dudit  Temple  ^ 

En  ce  temps,  maistre  Jehan  Berard,  conseiller  du 
roy  en  sa  court  de  Parlement,  s'en  party  et  ala  oudit 
pays  de  Bretaigne,  pardevers  mondit  seigneur  de 
Berry^,  pour  ce  qu'il  disoit  qu'on  avoit  arrestée  pri- 
sonnière sa  femme  à  Paris  et  fait  wider  hors  ladicte 
ville,  pour  ce  qu'on  la  chargoit  d'avoir  favorisé  mon- 
dit seigneur  de  Berry  et  autres  ses  serviteurs  contre 
le  roy. 

Oudit  temps  fut  pubhé  et  crié  par  les  carrefours  de 
Paris  que  tous  ceulx  de  ladicte  ville  qui  avoient  ma- 
retz^  aux  champs  d'icelle  ville  feissent  copper  et 
abatre  tous  les  saulx  et  autres  arbres  estans  en  iceulx, 
et  tout  ce  dedens  deux  jours,  ou  autrement  tous  iceulx 
saulx  et  autres  arbres  estoient  habandonnez  à  tous 
ceulx  qui  les  vouldroient  abatre. 

Et,  ce  mesmes  jour,  vint  et  arriva  à  Paris  monsei- 
gneur le  conte  d'Eu  comme  lieutenant  du  roy,   et 

1.  Maupoint  dit  aussi  que  les  capitaines  qui  commandaient  pour 
le  roi  à  Paris  avaient  sous  leurs  ordres  500  lances  et  "2,300  francs 
archers  de  Caen  et  d'Alençon  (Journal,  p.  61.  Cf.  Mélanges  histo- 
riques, II,  377). 

2.  Le  duc  de  Berry  n'était  plus  en  Bretagne,  mais  en  Brie, 
avec  ses  alliés  du  Bien-Public. 

3.  C'est-à-dire  des  jardins  maraîchers. 


82  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

comme  tel  y  fut  receu  ledit  jour,  qui  estoit  le  xui®  jour 
d'aoustlIIPLXV^ 

Et,  le  mardi  ensuivant,  xiin®  jour^  dudit  moys 
d'aoust,  ledit  Gasin  Cholet,  dont  devant  est  parlé ^, 
pour  le  cas  dessusdit  d'avoir  crié  en  courant  par  les 
rues  de  Paris  :  «  Boutez  vous  en  vos  maisons  et  fer- 
mez voz  huis,  car  les  Bourguignons  sont  dedens 
Paris  !  »  et  qui  a  cause  de  ce  avoit  depuis  esté  cons- 
titué prisonnier  par  sentence  du  prevost  de  Paris,  fut 
condampné  à  estre  batu  par  les  carrefours  de  ladicte 
ville  et  privé  de  toutes  offices  royaulx,  et  à  estre  ung 
mois  encores  en  prison  au  pain  et  à  l'eaue.  Et  fut 
ainsi  mené  que  dit  est  batre  par  lesdiz  carrefours 
dedens  ung  ort,  vilain  et  paillart  tumbereau  dont  on 
venoit  de  porter  la  boe  en  la  voierie.  Et,  en  le  bâtant 
par  lesdiz  carrefours,  comme  dit  est,  le  monde*  crioit 
à  haulte  voix  au  bourreau  :  a  Bâtez  fort  et  n'espar- 
gnez  point  ce  paillart,  car  il  a  bien  pis  desservy!  » 

Et,  ce  mesmes  jour,  arriva  à  Paris  ce  archers,  tous 
à  cheval,  dont  estoit  cappitaine  Mignon^;  tous  lesquelz 

1.  C'est  à  Pontoise,  le  12  août  1465,  que  Louis  XI  signa  cette 
nomination,  considérant  qu'il  lui  était  nécessaire  de  se  rendre  à 
Rouen,  «  pour  recouvrer  gens  d'armes,  »  et  qu'en  son  absence  la 
garde  de  Paris  et  des  pays  de  France,  Brie,  Vimeu,  bailliage  de 
Senlis  et  duché  de  Normandie  devait  être  confiée  à  un  seigneur 
du  sang  (Félibien,  Histoire  de  Paris,  V,  275). 

2.  Lisez  xiij^  jour  ou  mercredi  xiv«  jour  d'août. 

3.  Voy.  ci-dessus,  p.  59. 

4.  Et  non  le  roy,  comme  portent  les  anciennes  éditions. 

5.  Jean  Mignon  avait  fait,  à  la  tête  des  francs  archers  de  Niver- 
nais, de  Gien  et  d'Orléans,  la  campagne  de  Bourbonnais  (mandats 
de  paiement  adressés  par  le  roi  à  Antoine  Raguier  et  datés  d'Is- 
soudun,  3  mai,  et  de  Montluçon,  19  mai  [1465],  dans  ms.  fr.  20496, 
fol.  19  et  29,  orig.). 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  S3 

estoient  assez  bien  en  point,  ou  nombre  desquelz  y 
avoit  plusieurs  crennequiniers,  vougiers  et  couleuvri- 
niers  à  main^.  Et,  tout  derrière  icelle  compaignie, 
aloient  aussi  à  cheval  huit  ribauldes  et  ung  moyne 
noir,  leur  confesseur^. 

En  ce  temps,  messire  Charles  de  Meleun,  qui  avoit 
esté  lieutenant  pour  le  roy  audit  lieu  de  Paris  durant  le 
temps  dessusdit,  fut  desappoincté  de  sa  charge^,  et 
fut  baillée  audit  monseigneur  d'Eu.  Et,  ou  lieu  dudit 
estât  de  lieutenant,  le  roy  le  fîst  son  grant  maistre 
d'ostel,  et  si  lui  bailla  le  bailliage  et  la  cappitainerie 
d'Evreux  et  la  cappitainerie  de  Honnefleu. 

En  ce  temps,  aucuns  desdiz  Bourguignons  et  Bre- 
tons, qui  s'estoient  rafreschis  en  la  ville  de  Provins, 
s'en  retournèrent  à  Laigny  sur  Marne  le  jour  feste  de 
my-aoust.  Et,  le  vendredi  ensuivant,  vindrent  loger  à 
Gretueil,  Maisons  sur  Seine,  Gheele  Saincte-Bapteur  et 
autres  lieux  ilec  environ^.  Et,  pour  ce  qu'on  doubtoit 
fort  lesdiz  Bourguignons  et  Bretons  retourner  devant 
Paris,  et  qu'il  fut  raporté  que  maistre  Girault,  canon- 

1.  Le  cranequin  était  une  sorte  d'arbalète  à  pied;  le  vouge,  une 
pique  à  fer  long  et  assez  large,  aigu  et  tranchant;  la  couleuvrine, 
tantôt  une  arme  à  feu  portative,  tantôt  un  canon  long  et  mince. 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  XIII. 

3.  Interpolations  et  variantes,  §  XIV.  — C'est  pour  donner  satis- 
faction aux  adversaires  de  Charles  de  Melun  que  Louis  XI  lui 
enleva  la  lieutenance  de  Paris. 

4.  Créteil  et  Maisons-Alfort  (Seine,  cant.  de  Charenton-le-Pont). 

—  Chelles  (Seine-et-Marne,  cant.  de  Lagny)  tirait  son  nom  de 
Chelles- Sainte -Bapteur  ou  Bauteur,  d'une  célèbre  abbaye  de 
filles  fondée  en  662  par  la  reine  Bathilde,  femme  de  Clovis  II. 

—  Le  11  août,  les  alliés  occupèrent  Nogent-sur-Seine,  Bray  et 
Provins.  Le  15,  le  seigneur  de  Hautbourdin  rentra  dans  Lagny 
(Maupoint,  Journal  cité,  p.  60  et  suiv.). 

I  8 


84  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

nier,  s'estoit  vanté  de  asseoir  et  assortir  de  son  artil- 
lerie à  la  voierie  devant  la  porte  Saint-Denis  et  celle 
de  Saint-A.nthoine,  pour  fouldroier  aucuns  lieux  de 
ladicte  ville  et  au  long  des  murs,  fut  ordonné  ce  jour 
en  ladicte  ville  que  chacune  personne  alast  le  lende- 
main en  ladicte  voierie,  garnis  de  piques  et  pelles, 
pour  ruer  et  espandre  icelle  voierie  ou  ce  qu'on  en 
pourroit  faire,  et  ainsi  fut  fait;  mais  on  n'y  fist  que 
peu  ou  néant,  et  fut  tout  laissé.  Et,  à  ceste  cause, 
furent  faiz  dessus  lesdiz  murs  plusieurs  tauldis,  boule- 
vers  et  trenchées  au  long  desdiz  murs  pour  la  seureté 
et  défense  de  ladicte  ville  et  des  habitans  d  icelle,  et 
aussi  de  ceulx  qui  se  emploieroient  à  la  garde  et 
défense  d'icelle^. 

Et,  le  samedi  ensuivant  [1 7  août],  plusieurs  notables 
personnes  et  de  divers  estas  de  ladicte  ville  furent 
pardevers  mondit  seigneur  le  conte  d'Eu,  lieutenant 
pour  le  roy  en  ladicte  ville,  auquel  ilz  firent  de  moult 
belles  remonstrances,  qui  concluoient  qu'il  lui  pleust, 
pour  le  bien,  prouffit  et  utilité  du  roy,  de  ladicte  ville 

1.  Les  monceaux  d'immondices  qui,  au  moyen  âge,  garnissaient 
les  abords  des  portes  des  villes  et  s'entassaient  parfois  plus  haut 
que  la  muraille  elle-même,  constituaient,  en  cas  de  siège,  un 
véritable  péril  et  favorisaient  les  surprises  (voy.  dans  le  Jouvencel 
la  prise  d'Escallon,  éd.  Favre  et  Lecestre  (Soc.  de  l'hist.  de 
France),  1. 1,  p.  115  et  suiv.).  —  Par  une  ordonnance  datée  d'Or- 
léans, le  2  novembre  1466  {Collection  des  ordonnances,  XVI,  521), 
Louis  XI,  pour  avoir  «  vu  et  cognu  à  l'œil  que  les  mottes  qui 
sont  près  et  joignans  des  fossez  de  la  ville  de  Paris,  mesmemeut 
à  l'endroit  des  portes  de  Saint-Antoine,  Saint-Denis  et  Saint- 
Honoré,  »  nuisaient  à  la  sécurité  des  habitants,  manda  au  prévôt 
de  Paris  et  aux  gens  des  Comptes  d'interdire  aux  bourgeois  de 
continuer  «  à  porter  gravois,  immondices  et  mottes  alentour  des- 
dits fossés.  » 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  85 

et  des  subgez  d'icelle  et  du  royaume,  de  adviser  façon 
et  moien  pardevers  lesdiz  seigneurs  de  Berry,  Bour- 
gongne,  Bretaigne  et  autres  devant  nommez,  d'avoir 
avecques  eulx  aucune  bonne  pacificacion  de  paix  ou 
accord  à  l'onneur  du  roy  et  au  soulagement  et  bien 
dudit  royaume^.  A  tous  lesquelz  ledit  monseigneur 
d'Eu  fist  response  telle  que  le  roy  l'avoit  mis  et  laissé 
à  Paris  pour  y  estre  son  lieutenant,  et,  en  son  absence, 
pour  donner  de  tout  son  povoir  provision  à  tout  ce 
qui  seroit  neccessaire  tant  au  roy  que  au  fait  dudit 
royaume,  et  que  à  ce  faire  estoit  bien  tenu  et  obligié, 
et  que  à  tout  ce  que  possible  lui  seroit  il  mettroit  toute 
possibilité  de  pourchasser  ledit  accord  et  bonne  union 
avecques  les  seigneurs  dessusdiz,  et  que,  se  mestier 
estoit,  lui  mesmes  se  offroit  de  y  aler  en  personne.  Et 
plusieurs  autres  choses  leur  fut  dit  de  par  mondit  sei- 
gneur d'Eu  et  maistre  Jehan  de  Poupaincourt,  son 
conseiller. 

Et,  le  lundi  ensuivant  [19  août],  lesdiz  Bretons  et 
Bourguignons  et  autres  de  leurdicte  compaignie  vin- 
drent  devant  le  pont  de  Charenton,  ouquel  lieu  ilz 
assirent  plusieurs  pièces  d'artillerie,  et  d'icelle  tirèrent 
aucuns  cops  contre  la  tour  dudit  pont.  Et,  incontinent 
ce  fait,  ceulx  qui  avoient  la  garde  dudit  pont  l'aban- 
donnèrent et  s'en  vindrent  à  Paris  ;  par  quoy,  et  qu'ilz 
n'orent  nulle  resistence,  passèrent  incontinent  par 
dessus  ledit  pont  avecques  leurdicte  artillerie. 

1.  «  Le  peuple  se  veit  espoventé,  et  d'aucuns  aultres  estatz 
eussent  voulu  les  Bourguignons  et  les  aultres  seigneurs  estre 
dedans  Paris,  jugeans,  à  leur  advis,  ceste  entreprinse  bonne  et 
proutïitable  pour  le  royaulme  »  (Commynes,  éd.  Dupont,  I,  65; 
cf.  p.  71). 


86  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

Et,  ce  mesmes  jour,  environ  vespres,  iceulx  Bretons 
et  Bourguignons  vindrent  vouster  pardevant  Paris,  et 
là  y  ot  deux  des  frans  archers  de  Gaen  qui  y  furent 
tuez.  Et  aussi  y  ot  aucuns  desdiz  Bretons  et  Bourgui- 
gnons prins  et  amenez  à  Paris.  Et,  celle  nuit,  aucuns 
des  dessusdiz  Bretons  et  Bourguignons  s'alerent  loger 
dedens  le  parc  du  bois  de  Vinciennes,  environ  de  trois 
à  mi'"  hommes^. 

Et,  le  mardi  ensuivant  [%0  août],  mondit  seigneur 
d'Eu  envoya  devers  lesdiz  seigneurs  ung  nommé  le 
seigneur  de  Rambures^  pour  savoir  de  leur  intencion 
et  qu'ilz  vouloient  dire.  Et,  le  lendemain,  ledit  sei- 
gneur de  Rambures  retourna  à  Paris  ;  mais  de  ce  qu'il 
fist  pardevers  lesdiz  seigneurs  en  fut  peu  de  bruit.  Et, 
ce  jour,  vindrent  voulster  devant  Paris.  Et  aussi  yssi 
aux  champs  des  gens  de  guerre  de  Paris,  mais  il  n'y 
ot  riens  fait,  sinon  qu'il  y  ot  ung  franc  archer  d'Alen- 
çon  qui  fut  tué  par  lesdiz  Bourguignons. 

Et,  le  jeudi  ensuivant,  xxii^  jour  dudit  moys  d'aoust, 
lesdiz  Bretons  et  Bourguignons  vindrent  escarmou- 

1.  C'est  Hautbourdin  qui,  venant  de  Lagny,  gagna  la  tour  et 
le  pont  de  Charenton.  Les  trois  jours  suivants,  les  Bourgui- 
gnons lirent  plusieurs  courses  devant  Paris  et  perdirent  quelques 
hommes  (Maupoint,  Journal,  p.  61).  — On  trouve,  dans  le  Viaggo 
a  Parigi  degli  ambasiatori  Fiorentini  nel  Ikôl,  p.  p.  G.  Milanesi, 
dans  VArchivio  storico  italiano,  3*  série,  vol.  I  (1864),  p.  34  et  suiv., 
une  description  de  la  forteresse  de  Vincennes.  Le  parc  attenant 
au  château  était  entouré  de  murs  qui  avaient  quatre  railles  de 
développement  et  renfermait  un  bel  étang  et  de  hautes  futaies 
remplies  de  bêtes  sauvages.  Le  tout  formait  un  ensemble  «  che 
tutta  Francia  non  a  simile.  »  Charles  de  Melun  était  capitaine  du 
bois  de  Vincennes. 

2.  Jacques,  seigneur  de  Rambures,  etc.,  chevalier,  conseiller 
et  chambellan  du  roi,  né  vers  1428,  mort  après  1488,  avait  épousé 
Marie  de  lierghes  (Vaeseu,  Lellres  de  Louis  XI,  t.  II,  p.  224). 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  87 

cher,  et  yssi  de  Paris  plusieurs  gens  de  guerre  aux 
champs*,  et  là  y  ot  ung  Breton,  archer  du  corps  de 
monseigneur  de  Berry,  qui  estoit  habillé  d'unes  bri- 
gandines  couvertes  de  veloux  noir  à  doux  dorez,  et  en 
sa  teste  ung  bicoquet  garny  de  boulions  d'argent  doré^, 
qui  vint  fraper  ung  cheval  sur  quoy  estoit  monté  ung 
homme  d'armes  de  l'ordonnance  du  roy  par  les  flans 
et  la  cuisse,  tellement  que  ledit  homme  d'armes,  en 
s'en  retournant  à  Paris,  ledit  cheval  cheut  soubz  lui 
tout  mort  dessoubz  les  galeries  des  Tournelles.  Et, 
incontinent  que  ledit  Breton  ot  ainsi  navré  ledit  che- 
val, vint  à  lui  ung  archer  de  la  compaignie  de  mondit 
seigneur  d'Eu,  qui  le  traversa  tout  oultre  le  corps 
d'une  demie  lance,  et  incontinent  cheut  à  terre  tout 
mort,  et  fut  son  cheval  amené  et  habillement  apporté 
à  Paris  et  le  corps  laissié  mort  en  chemise.  Et,  bientost 
après,  vint  ung  herault  à  la  porte  Saint-Anthoine,  qui 
requist  avoir  ledit  corps  mort,  ce  qui  lui  fut  octroyé, 
et  le  fist  porter  à  Saint-Anthoine  des  Champs  hors 
Paris,  où  ilec  fut  inhumé  et  son  service  fait. 

Et,  cedit  jour,  mondit  seigneur  de  Berry,  qui  estoit 
logié  à  Beauté^  avecques  plusieurs  desdiz  seigneurs  de 
son  sang,  envoya  ses  heraulx  à  Paris,  qui  apportèrent 
de  par  lui  quatre  lettres,  les  unes  aux  bourgois,  ma- 
nans  et  habitans  d'icelle  ville,  unes  à  l'Université,  les 
autres  aux  gens  d'EgHse  et  les  autres  à  la  court  de 

1.  Interpolations  et  variantes,  §  XV.  —  Cf.  Maupoint,  Journal, 
p.  62. 

2.  Le  bicoquet  était  une  sorte  de  calotte,  garnie  dans  le  présent 
cas  d'ornements  ciselés  en  argent  doré;  la  briyandine,  un  pour- 
point couvert  de  plaquettes  de  métal. 

3.  Beautc-sur-Marne,  maison  royale  attenante  au  bois  de  Vin- 
cennes. 


88  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

Parlement,  qui  contenoient  en  efFect  que  lui  et  ceulx 
de  son  sang  avecques  lui  tout  assemblez  estoient  ilec 
venus  pour  tout  le  bien  universel  du  royaume  de 
France,  et  que  par  ladicte  ville  lui  feussent  envolez 
cinq  ou  six  hommes  notables  pour  oyr  les  causes  pour- 
quoy  lui  et  ceulx  de  sondit  sang  estoient  ainsi  venus 
que  dit  est*.  En  obtempérant  ausquelles  lectres,  et 
pour  icelles  oyr  et  escouter,  furent  esleuz  et  déléguez 
pour  ladicte  ville  maistre  Jehan  Choart,  lieutenant 
civil  ou  Ghastellet  de  Paris,  maistre  François  Halle, 
advocat  en  Parlement,  et  Arnault  Luiller,  changeur  de 
Paris;  pour  l'église  de  Paris,  maistre  Thomas  de  Cour- 
celles,  doien  de  Paris,  maistre  Jehan  de  l'Olive,  doc- 
teur en  théologie,  et  maistre  Eustace  Luiller,  aussi 
advocat  en  ladicte  court  de  Parlement  ;  et,  pour  ladicte 
court  de  Parlement,  maistre  Jehan  le  Boulenger, 
maistre  Jehan  le  Seellier,  archidiacre  de  Brie,  et 
maistre  Jaques  Fournier  ;  et,  pour  l'Université,  maistre 
Jaques  Juing,  lisant  pour  la  Faculté  des  Ars,  maistre 
Jehan  Luiller,  pour  Théologie,  maistre  Jehan  de  Mon- 
tigny,  pour  Décret,  et  maistre  Enguerran  de  Parenti, 
pour  Medicine.  Tous  iceulx  nommez  dessus  estoient 
nommez  et  conduiz  par  Révérend  Père  en  Dieu  le 
devant  nommé  Guillaume,  evesque  de  Paris,  qui  ot  la 
charge  de  présenter,  mener  et  conduire  tous  iceulx 
nommez^. 

1.  Maupoint  fournit  de  curieux  détails  sur  cet  épisode  (Journal, 
p.  61-67).  Ces  hérauts,  qui  furent  reçus  et  festoyés  par  les  repré- 
sentants du  comte  d'Eu  et  de  la  ville  de  Paris,  apportaient  des 
lettres  closes  adressées  au  lieutenant  général,  à  l'évèque,  au  Par- 
lement, à  l'Université,  au  doyen  et  au  chapitre  de  Paris,  au 
prévôt  des  marchands  et  aux  bourgeois. 

2.  Jean  Choart,  licencié  en  décret  et  en  loi,  lieutenant  civil  de 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCAND.iLLEUSE.  89 

Cedit  jour  y  ot  ung  archer  du  seigneur  de  la  Barde, 
monté  à  cheval,  armé  et  délibéré  d'aler  à  son  adven- 

la  prévôté  de  Paris  (11  sept.  1461),  seigneur  d'Epinay-sur-Seine, 
épousa  Jeanne  Le  Clerc  et  mourut  en  1483  (Arch.  nat.,  X*»  1490, 
fol.  333  ;  Bibl.  nat.,  Pièces  orig.,  vol.  75-5,  doss.  Choart,  et  Sauvai, 
III,  362).  —  François  Halle,  aussi  licencié  en  décret  et  en  loi, 
avocat  au  Parlement,  grand  archidiacre  de  Paris,  puis  arche- 
vêque de  Narbonne  (1484),  chanceUer  de  l'ordre  du  roi,  prési- 
dent de  l'Échiquier  de  Normandie,  fut  l'un  des  serviteurs  les 
plus  actifs  de  Louis  XI,  surtout  à  la  fin  du  règne.  Le  roi  fai- 
sait alors  grand  cas  de  ses  services  (voy.  Arch.  nat.,  Xi»  1490, 
fol.  223  v°).  —  Arnaud  Luillier,  bourgeois  de  Paris,  conseiller 
du  roi,  changeur  (c'est-à-dire  receveur  des  revenus)  de  la  ville, 
trésorier  et  receveur  ordinaire  de  la  sénéchaussée  de  Carcassonne 
et  de  Béziers  (1465),  était  seigneur  de  Vez  en  Valois  et  de  Saint- 
Mesmin  près  Troyes.  Il  épousa  Catherine  Phelippes  et  vivait 
encore  en  janvier  1486,  n.  st.  (Moréri  et  Bibl.  nat.,  Pièces  orig., 
vol.  1772  et  1964,  doss.  Luillier  et  Milglos).  —  Eustache  Luillier, 
frère  d'Arnaud,  chanoine  de  Saint-Germain-I'Auxerrois,  habitait 
près  de  la  rue  «  par  oii  l'on  va  du  pont  Saint-Michel  aux  Augus- 
tins  »  (Arch.  nat.,  LL  729,  fol.  35  v°).  — Jean  Le  Boulanger,  con- 
seiller au  Parlement  de  Paris  (1454),  président  (1456),  premier 
président  (1471),  mourut  le  24  février  1481  (voy.  Blanchard,  Les 
Présidents  à  mortier  au  Parlement  de  Paris.  Paris,  1749,  in-foL). 
Il  était  seigneur  d'Isles-sur-Marne  (Arch.  nat.,  JJ  200,  u®  198). 

—  Jean  Le  Sellier,  chanoine  de  Paris,  conseiller  au  Parlement 
et  président  aux  enquêtes,  fut  chargé  par  Louis  XI  de  composer 
avec  Jean  Henry  un  traité  touchant  la  Pragmatique  sanction 
(Bibl.  nat.,  ms.  fr.  3887,  fol.  55  et  suiv.,  pap.,  xv^  s.  Cf.  Pièces 
orig.,  vol.  2679,  doss.  Le  Sellier,  et  Arch.  nat.,  X*»  1490,  fol.  97  v°). 

—  Jacques  Fournier  était  conseiller  au  Parlement  (voy.  Pièces 
orig.,  vol.  1226,  doss.  Fournier,  et  Arch.  nat.,  LL  437).  —  Jacques 
Juing,  docteur  en  décret,  curé  de  Saint-Jean-en-Grève,  conseil- 
ler au  Parlement,  président  des  enquêtes  (déc.  1478.  Arch.  nat., 
Xia  1488,  fol.  150  vo),  disputa  l'évôché  d'Auxerre  à  Jean  Baillet 
et  reçut  la  provision  de  l'évéché  de  Sens  [Gallia  christiana,  XII, 
c.  331).  —  Jean  Luillier,  docteur  en  théologie,  était  chanoine  de 
Paris;  Jean  de  Montigny,  docteur  en  décret,  chanoine  de  Sens  et 
conseiller  au  Parlement  de  Paris;  Enguerrand  de  Parenti,  maître 
es  arts,  docteur  en  médecine  et  chanoine  de  Paris.  —  Le  vendredi 


90  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

ture,  [qui]  vint  à  la  porte  Saint-Anthoine.  Auquel 
archer  le  bastard  du  Maine  ^  quigardoit  ladicte  porte 
Saint-Anthoine,  dist  et  défendit  qu'il  n'y  alast  point. 
Lequel  archer  lui  respondi  que  si  feroit,  et  qu'il  n'es- 
toit  point  à  lui  ne  soubz  lui,  mais  estoit  audit  de 
la  Barde,  son  maistre  et  cappitaine.  Et  lors,  pour  son 
refuz,  ledit  bastard  du  Maine  tira  son  espée  pour  fraper 
icellui  archer,  et  ledit  archer  tira  aussi  la  sienne  pour 
se  revencher,  et  alors  ledit  bastard  du  Maine  cria  à  ses 
gens  et  autres  estans  à  ladicte  porte  :  «  Prenez  ce 
ribault  et  le  tuez  !  »  Et  incontinent  fut  couru  sus  audit 
archer,  et  ilec  le  tuèrent  tout  mort. 

Ce  jour  aussi  vint  nouvelles  que  maistre   Pierre 
d'Oriole,  gênerai  des  finances  du  roy,  l'avoit  délaissé 

matin,  23  août,  l'évêque  de  Paris  célébra  solennellement  une 
messe  du  Saint-Esprit  à  Sainte-Catherine-du-Val-des-Ecoliers, 
en  face  des  Tournelles.  Puis,  accompagné  des  délégués  susnom- 
més, il  partit  pour  Beauté.  C'est  Dunois  qui  prit  la  parole  au 
nom  des  princes  assemblés.  Il  protesta  contre  l'alliance  conclue 
par  le  roi  avec  le  duc  de  Milan,  dont  les  bandes  venaient  de 
pénétrer  en  Bourbonnais,  «  pour  destruire  toutes  les  nobles  mai- 
sons de  France,  »  contre  les  mariages  que  le  roi  faisait  contrac- 
ter entre  «  personnes  de  non  pareil  estât,  »  contre  son  refus  d'as- 
sembler les  états.  Il  revendiqua  pour  les  princes  le  gouvernement 
de  toutes  les  finances  du  royaume,  la  distribution  des  offices,  la 
direction  de  l'armée  ;  il  osa  réclamer  la  remise  en  leurs  mains  de 
la  personne  royale,  enfin  Paris,  pour  en  faire  «  à  leur  voulenté,  » 
et  termina  en  annonçant  aux  délégués  un  assaut  général  pour  le 
lundi  suivant,  si,  le  dimanche  soir,  les  Parisiens  n'ouvraient  pas 
leurs  portes.  Tout  ce  qu'il  fut  possible  d'obtenir  fut  une  trêve  de 
trois  jours  (Maupoint,  Journal,  p.  63). 

1.  Louis  d'Anjou,  chevalier,  seigneur  et  baron  de  Mézièrcs-en- 
Brenue,  sént-chal  et  gouverneur  du  Muiue,  conseiller  et  cham- 
bellan du  roi,  était  fils  naturel  de  Charles  I*"",  comte  du  Maine. 
Il  épousa  Anne  de  la  Trémoille  et  mourut  en  1489.  Il  avait  été 
légitimé  en  1468  (Anselme,  I,  235). 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  91 

et  s'en  estoit  aie   rendre  à  monseigneur  de  Berry. 

Gedit  jour  aussi,  les  ambasseurs  de  Paris,  qui 
ainsi  estoient  alez  à  Beauté  pardevers  les  seigneurs 
devantditz,  s'en  retournèrent  à  Paris  et  vindrent  arri- 
ver en  l'ostel  des  Tournelles,  où  ilz  trouvèrent  mondit 
seigneur  d'Eu,  auquel  ilz  dirent  ce  qui  leur  avoit  esté 
dit  et  proposé. 

Et,  le  samedi  ensuivant  [24  août],  furent  tous  les 
dessus  nommez  ambasseurs  en  l'ostel  de  ladicte  ville, 
où  y  estoient  assemblez  plusieurs  notables  personnes 
pour  oyr  ce  qui  leur  avoit  esté  dit  par  les  dessusdiz 
princes  et  seigneurs.  A  quoy  ne  fut  riens  conclud 
pour  la  matinée,  mais  fut  ordonné  que  ledit  jour  après 
disner  seroient  assemblez  en  ladicte  ville  l'Université, 
l'Eglise,  la  court  de  Parlement  et  autres  officiers  et  le 
corps  de  ladicte  ville,  tous  lesquelz  s'i  trouvèrent,  et 
conclurent  que,  au  regard  des  trois  estas  que  reque- 
roient  estre  tenus  lesdiz  princes  et  seigneurs,  dirent 
que  la  requeste  estoit  juste,  et  en  oultre  que  passage 
leur  seroit  baillé  à  Paris  et  des  vivres  en  les  paiant, 
et  aussi  en  baillant  par  eulx  bonne  caucion  que  nul 
mal  ou  esclande  ne  seroit  fait  par  eulx  ou  leurs  gens 
en  ladicte  ville  ne  aux  habitans  d'icelle,  sauf  sur  tout 
le  bon  plaisir  du  roy.  Et  à  tant  iceulx  ambasseurs 
retournèrent  pardevers  lesdiz  princes  leur  dire  leur 
deliberacion.  Et  est  assavoir  que,  durant  que  ledit 
conseil  fut  en  ladicte  ville  à  ladicte  heure  d'après  dis- 
ner, furent  tous  les  archers  et  arbalestriers  de  Paris 
en  armes  devant  ledit  hostel  pour  garder  d'oppresser 
les  opinans  audit  conseil  ^ . 

1 .  En  réalité,  le  sang-frgid  et  l'adresse  du  prévôt  des  marchands, 


92  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

Et,  ledit  jour  de  samedi,  les  gens  d'armes  et  de  trait 
de  l'ordonnance  du  roy,  estans  en  icelle  ville,  firent 
leurs  monstres  au  long  de  ladicte  ville,  et  tous  mar- 
chans  les  ungs  après  les  autres  par  ordre,  ce  qui  fai- 
soit  bien  bon  veoir.  Et,  premièrement,  aloient  les 
archers  à  pie  dudit  Normandie  et  puis  les  archers  à 
cheval,  et  en  après  les  hommes  d'armes  des  compai- 
gnies  de  mondit  seigneur  d'Eu,  de  monseigneur  de 
Graon,  du  seigneur  de  la  Barde  et  dudit  bastard  du 
Maine,  et  povoient  bien  estre  en  tout  de  quatre  à  cinq 
cens  lances  bien  en  point  sans  ceulx  de  pié,  qui  bien 
estoient  xv<^  hommes  et  mieulx*. 

Et,  ce  mesme  jour,  le  roy  escripvy  lettres  à  ceulx 
de  Paris,  par  lesquelles  leur  mandoit  qu'il  estoit  à 
Chartres  avecques  son  oncle  monseigneur  du  Maine, 
à  tout  bien  grant  nombre  de  gens  de  guerre,  et  que 
dedens  le  mardi  ensuivant  il  seroit  à  Paris.  Et,  ce 

Henri  de  Livres,  empêchèrent  seuls  les  partisans  des  princes  de 
faire  voter  l'admission  dans  Paris  du  duc  de  Berry.  Excité  par 
les  gens  du  roi,  le  peuple  de  Paris  se  souleva  «  tout  esmeu  de 
tuer  les  ambassadeurs  et  autres  bourgeois  »  qu'il  accusait  de  tra- 
hison. Enfin,  le  dimanche  25  août,  vers  une  heure  après  midi, 
l'évèque  et  les  autres  ambassadeurs  retournèrent  à  Beauté  avec 
l'assentiment  du  comte  d'Eu,  mais  «  en  grans  pleurs  et  en  grant 
fraieur.  »  Ils  étaient  chargés  de  déclarer  que  «  les  gens  du  roi  » 
refusaient  de  répondre  aux  sommations  des  princes  avant  d'avoir 
consulté  le  roi.  On  conçoit  quelle  irritation  cette  fin  de  non-rece- 
voir  excita  au  camp  du  Bien- Public.  Dunois  s'écria  que,  puisqu'il 
en  était  ainsi,  les  seigneurs  livreraient  dès  le  lendemain  l'assaut 
«  le  plus  fort  et  le  plus  criminel  dont  ilz  se  pourroient  adviser  et 
que  il  cousteroit  les  vies  de  100,000  hommes  et  de  cliascun  prince 
la  chevance...  avant  qu'ilz  ne  obtinsent  à  leur  intention  »  (Mau- 
point,  Journal,  p.  65-69), 

1.  Maupoint  estime  qu'il  y  avait  à  ce  moment  dans  F^aris,  en 
outre  de  la  milice  bourgeoise,  1,200  lances  et  3,000  francs-archers. 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  93 

mesme  jour,  vint  et  arriva  à  Paris  l'admirai  de  Mon- 
tauban  et  grant  quantité  de  gens  de  guerre  avec- 
ques  lui. 

Ce  jour,  se  desloga  de  Beauté  mondit  seigneur  de 
Berry  pour  aler  à  Saint-Denis,  et  depuis  s'en  retourna 
audit  lieu  de  Beauté,  pour  ce  qu'on  lui  dist  qu'il  seroit 
plus  seurement  audit  Beauté,  où  près  d'ilec  estoient 
logez  lesdiz  ennemis,  que  d'estre  seul  audit  Saint- 
Denis,  et  aussi  cju'on  lui  ala  dire  que  le  roy  venoit  et 
retournoit  audit  lieu  de  Paris. 

Et,  le  mercredi  ensuivant  [28  août],  le  roy  retourna 
à  Paris  et  amena  avecques  lui  son  oncle  du  Mayne, 
monseigneur  de  Penthievre^  et  autres.  Et  ramena  son 
artillerie  qu'il  avoit  menée  aveccjues  lui  et  grant 
nombre  de  pionniers  prins  ou  pays  de  Normandie, 
qui  tous  furent  logez  en  l'ostel  du  roy  à  Saint-Pol.  Et, 
de  ladicte  venue  que  fist  le  roy  en  sadicte  ville  de 
Paris,  fut  le  populaire  d'icelle  moult  fort  resjouy,  en 
criant  à  haulte  voix  partout  où  il  passoit  par  ladicte 
ville  Noel^. 

1.  Jean  II  de  Brosse,  chevalier,  seigneur  de  Sévère,  de  Bous- 
sac,  etc.,  comte  de  Penthièvre  par  sa  femme  Nicole  de  Blois,  qu'il 
avait  épousée  le  18  juin  1437. 

2.  Louis  XI,  étant  à  Rouen,  reçut  de  ses  gens  à  Paris  l'avis 
que,  s'il  ne  venait  promptement  à  leur  secours,  ils  se  trouveraient 
en  grand  péril  (Du  Clercq,  IV,  184).  Le  roi,  dit  Commynes,  arriva 
à  Paris  t  en  Testât  qu'on  doit  venir  pour  reconforter  le  peuple  » 
(éd.  Dupont,  I,  72).  Il  amenait  avec  lui  12,000  bons  combattants 
de  Normandie,  60  chariots  d'artillerie  et  700  muids  de  farine.  Au 
reste,  les  vivres  abondaient  à  Paris,  et  le  bois  seul  se  vendait  un 
peu  cher  (Maupoint,  Journal,  p.  70).  «  Et  ainsi  fut  ceste  praticque 
rompue  et  tout  ce  peuple  bien  mué;  depuis  ne  se  fust  trouvé 
homme  de  ceulx  qui  paravant  avoient  esté  devers  nous  qui  plus 
eust  osé  parler  de  la  marchandise  »  (Commynes,  éd.  Dupont, 
I,  73). 


94  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

Et,  le  lendemain  bien  matin,  lesdiz  Bourguignons 
et  Bretons  vindrent  bailler  une  raverdie^  devant  le 
bolevert  de  la  tour  de  Billy  ;  et  avoient  avecques  eulx 
clerons,  trompetes,  haulx  menestrelz  et  autres  instru- 
mens  dont  ilz  faisoient  grant  bruit.  Et  ilec,  et  devant 
la  bastide  Saint-Anthoine^,  vindrent  faire  ung  grant 
bruit  et  cry,  en  criant  à  l'assault  et  à  l'arme,  dont 
chacun  fut  fort  espoventé,  et  s'en  ala  chacun  sur  les 
murs  et  en  sa  garde.  Et,  ledit  jour  aussi,  vindrent  les- 
diz Bretons  et  Bourguignons  voulster  devant  Paris, 
dessus  lesquelz  yssirent  grant  nombre  de  gens  de 
guerre  de  l'ordonnance  du  roy,  et,  tant  par  port 
d'armes  que  de  grosses  serpentines  du  roy,  qui  fort 
tirèrent,  y  ot  ce  jour  plusieurs  desdiz  Bretons  et  Bour- 
guignons tuez. 

Et,  le  vendredi  ensuivant  [30  août],  vindrent  et 
arrivèrent  à  Paris  des  farines  et  autres  vitailles  du  pays 
de  Normandie.  Et,  entre  les  autres  choses,  y  fut  amené 
de  la  ville  de  Mante  deux  chevaulx  chargez  de  pastez 
d'anguilles  de  gort'^,  qui  furent  vendus  devant  le  Chas- 
tellet  de  Paris,  en  la  place  à  la  Volaille^. 

1.  Une  aubade. 

2.  La  grande  forteresse  parisienne  qui  flanquait  la  porte  Saint- 
Antoine  formait  un  parallélqgramme  ceint  de  larges  fossés  et  de 
huit  tours,  dont  quatre  du  coté  de  Paris  et  quatre  sur  la  campagne. 
—  En  dépit  des  menaces  de  Dunois,  les  alliés  s'étaient  bornés  le 
lundi  précédent  à  planter  leurs  tentes  au-dessus  du  val  de  Fécamp, 
à  Bercy  et  vers  la  Grange-aux-Merciers.  Il  se  livra  là  quelques 
escarmouches  sans  importance  (Maupoint,  Journal,  p.  69  et  suiv.). 

3.  La  pêche  de  l'anguille  au  gord,  c'est-à-dire  en  plantant  dans 
le  lit  du  fleuve  deux  rangs  de  perches  qui  forment  un  angle  dont 
le  sommet  est  fermé  par  une  nasse,  est  encore  usitée  en  Seine. 

4.  Ce  vendredi,  Louis  XI  alla  entendre  la  messe  à  Sainte-Calhe- 
rine-du-Val-des-Écoliers,  et,  après  la  messe,  Jean  Jouffroy,  car- 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  95 

Et  ce  mesme  jour,  après  disner,  yssirent  dehors 
Paris  Ponset  de  Rivière^  et  ceulx  de  sa  compaignie, 
qui  bien  povoient  estre  de  trois  à  quatre  cens  che- 
vaulx,  cuidans  trouver  lesdiz  Bretons  et  Bourguignons  ; 
mais  point  ne  s'i  trouvèrent,  et  ne  fut  lors  riens  fait 
qui  soit  digne  de  mémoire.  Et,  la  nuit,  les  Bourgui- 
gnons, qui  estoient  logez  à  la  Granche  aux  Merciers-, 

dinal  d'Albi,  abbé  de  Saint-Denis,  lui  remit  l'oriflamme  avec  le 
cérémonial  accoutumé.  Le  roi,  la  bannière  en  main,  fit  son  orai- 
son devant  l'autel  Mauloué,  puis,  remettant  l'oriflamme  à  son 
chapelain,  il  le  fit  porter  derrière  lui  jusqu'à  son  hôtel  (Maupoint, 
Journal,  p.  73). 

1,  Sur  Poncet  de  Rivière,  chevalier,  conseiller  et  chambellan 
du  roi,  capitaine  de  gens  d'armes  et  de  trait,  bailli  de  Montferrand 
etd'Usson  (1465),  voy.  la  notice  de  M.  Vaesen,  Lettres  de  Louis  XI, 
II,  306.  Ghastellain  le  qualifie  (1461)  de  «  gentil  escuier  et  homme 
de  grand  bruit,...  issu  d'un  tronc  dont  la  famé  avoit  esté  claire  » 
(IV,  53),  et  le  biographe  de  Gaston  IV,  comte  de  Foix,  Guillaume 
Leseur  :  «  Bon  chief  de  guerre,  bel  et  adroit  gendarme,  grant 
homme  et  puissant,  et  de  sa  personne  couraigeux  et  vaillant  » 
(Bibl.  nat.,  ms.  fr.  4992,  fol.  117  et  suiv.).  Sur  sa  disgrâce  méri- 
tée par  ses  intrigues  avec  les  rebelles  pendant  le  Bien-Public, 
son  voyage  au  mont  Sinaï,  ses  séjours  en  Bourgogne,  puis  en 
Bretagne,  voy.  Vaesen,  loc.  cit.  Pardonné  non  sans  efforts,  Pon- 
cet fut  impliqué  encore  dans  le  complot  tramé  par  Jean  Hardy 
contre  la  vie  de  Louis  XI  (voy.  plus  loin,  à  la  date  de  janvier 
1474),  mais  obtint  des  lettres  de  rémission  (31  oct.  1477.  Arch. 
nat.,  K  72,  n^  102)  et  rentra  définitivement  en  grâce  auprès  du 
roi.  Au  mois  de  mars  1478,  bien  qu'encore  en  Bretagne,  il 
fut  autorisé  à  reconstruire  la  place  de  Ghàteau-Larcher  (dép.  de 
la  Vienne),  dont  il  possédait  la  seigneurie  et  que  Louis  XI  avait 
fait  raser.  Il  figura  dans  le  conseil  de  Charles  VIII  dès  le  27  no- 
vembre 1483  (Valois,  Bibl.  de  l'École  des  chartes,  t.  XLIII,  p.  10) 
et  mourut  après  le  12  juin  1487  (Vaesen,  loc.  cit.). 

2.  A  Bercy.  Maupoint  dit  que  les  Bourguignons  abattirent  les 
bergeries  et  les  étables  de  la  Grange-aux-Merciers  et  plusieurs 
bonnes  maisons  au  pont  de  Gharenton,  à  Maisons  et  aux  envi- 
rons, et  en  employèrent  les  matériaux  à  la  construction  d'un 


96  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

s'en  desiogerent,  pour  ce  que  l'artillerie  du  roy  por- 
toit  de  Paris  jusques  en  ladicte  Granche,  et  au  deslo- 
ger abatirent  toute  la  couverture  dudit  lieu,  et  en 
emportèrent  toutes  les  poultres,  solives,  huys,  portes, 
fenestres  et  tout  le  portatif,  pour  eulx  taudir  et  pour 
ardoir. 

Et,  ce  jour,  le  roy  fist  dire  à  cinq  des  devant  nom- 
mez, qui  avoient  esté  à  Beauté  devers  lesdiz  princes, 
après  la  deliberacion  ainsi  faicte  que  dit  est  devant 
oudit  hostel  de  la  ville,  qu'ilz  s'en  alassent  et  widas- 
sent  hors  de  ladicte  ville.  Desquelles  cinq  personnes 
les  noms  s'ensuivent  :  c'est  assavoir  maistre  Jehan 
Luiller,  curé  de  Saint-Germain  l'Auxerrois;  maistre 
Eustace  Luiller  et  Arnault  Luiller,  ses  frères  ;  maistre 
Jehan  Ghoart  et  maistre  François  Halé,  aussi  advocat 
en  Parlementa 

Et,  le  samedi  ensuivant,  derrenier  jour  d'aoust,  y 
ot  moult  belles  saillyes  faictes  par  les  portes  de  Saint- 
Anthoine  et  Saint-Denis.  Et,  du  costé  de  ladicte  porte 
Saint-Denis,  y  ot  ung  archer  de  l'ostel  du  roy  tué.  Et, 
du  costé  desdiz  Bretons  et  Bourguignons,  y  en  ot  aussi 
de  tuez  et  navrez.  Et  si  advint  que  ung  gentilhomme, 
nommé  le  seigneur  de  Saint-Quentin^,  fut  en  ladicte 

fort  boulevard  sur  la  rive  droite  de  la  Seine,  en  face  du  Port-à- 
l'Anglais  {Journal,  p.  72). 

1.  Cf.  Maupoint,  Journal,  p.  71.  —  Les  Luillier  furent  exilés  à 
Orléans  pour  avoir  opiné  en  faveur  de  l'admission  à  Paris  du 
duc  de  Berry.  C'est  à  cette  exécution  que  se  rapporte  le  passage 
de  Commynes  :  «  Aux  aucuns  en  print  mal.  Toutesfois  le  roy  ne 
usa  de  nulle  cruaulté  en  ceste  maliore,  mais  aucuns  perdirent 
leurs  ollices,  les  aultres  envoya  demourer  ailleurs  »  (Éd.  Dupont, 
I,  73). 

2.  Peut-être  le  Dauphinois  Claude  de  Beaumont. 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  97 

saillie  ou  escarmouche  abatu  de  dessus  ung  bon  cour- 
sier dessur  lequel  il  estoit  monté,  et  après  fut  rescoux, 
mais  il  perdi  sondit  coursier  et  deux  autres  bons  che- 
vaulx.  Mais,  du  costé  de  ladicte  porte  Saint-Anthoine, 
n'y  fut  riens  fait.  Et,  ce  jour,  le  roy  saillit  aux  champs 
du  costé  de  son  boulevert  de  la  tour  de  Billy.  Et  ilec 
fist  passer  au  travers  de  Seine,  de  l'autre  costé,  de 
trois  à  niic  piétons  pionniers,  qui  estoient  venus  du 
pays  de  Normandie,  pour  aler  pionner  à  l'endroit  du 
Port  à  l'Englois  et  devant  Conflans,  tout  devant  le 
siège  desdiz  Bourguignons,  à  l'endroit  de  la  rivière, 
car  on  disoit  que  lesdiz  Bourguignons  avoient  inten- 
cion  de  faire  ung  pont  pour  passer  ladicte  rivière.  Et 
oudit  lieu  le  roy  ordonna  certain  nombre  de  gens  de 
guerre  pour  garder  et  défendre  de  faire  ledit  pont  et 
passer  ladicte  rivière.  Et,  après  lesdiz  pionniers  ainsi 
passez  que  dit  est,  le  roy  aussi  passa  après  eulx  ladicte 
rivière,  tout  à  cheval  dedens  ung  bac,  sans  descendre 
de  dessus  ledit  cheval. 

Et,  le  dimenche  ensuivant,  premier  jour  de  sep- 
tembre, lesdiz  Bourguignons  mirent  et  assirent  ung 
pont  pour  passer  ladicte  rivière  audit  Port  à  l'Anglois. 
Et  advint  que,  à  l'eure  qu'ilz  avoient  délibéré  de  passer 
par  dessus  ledit  pont,  arriva  audit  Port  à  l'Anglois 
certain  grant  nombre  de  frans  archers  et  autres  gens 
de  guerre  pour  le  roy,  qui  vindrent  asseoir  engins  au 
bout  dudit  pont,  dont  ilz  tirèrent  a  l'encontre  desdiz 
Bourguignons  et  en  tuèrent  et  navrèrent,  et  les  con- 
vint reculer.  Et,  de  l'autre  costé  de  la  rivière,  du  costé 
desdits  Bourguignons,  passa  à  nage  ung  Normant,  qui 
ala  copper  les  chables  ordonnez  à  porter  ledit  pont, 
et,  partant,  ledit  pont  s'en  ala  aval  l'eaue.  Ce  jour 


98  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

aussi  fiit  tiré  grant  quantité  d'artillerie  dedans  l'ost 
desdiz  Bourguignons,  pour  quoy  les  convint  reculer 
plus  arrière^.  Ce  jour  aussi,  lesdiz  Bourguignons  tirè- 
rent de  leur  artillerie  aux  gens  du  roy  estant  audit 
Port  à  l'Anglois,  et  y  ot  ung  gentilhomme  de  Nor- 
mendie  qui  ot  la  teste  emportée  d'un  cop  de  serpen- 
tine. Aussi  vindrent  et  arrivèrent  à  Paris  pardevers 
le  roy  deux  ambassades,  l'une  pour  le  duc  de  Nemoux 
et  l'autre  pour  le  conte  d'Armaignac^.  Ledit  jour  aussi 
fut  faicte  belle  saillie  aux  champs  par  messire  Charles 
de  Meleun  et  Maleortie^  et  ceulx  de  leur  compaignie. 

1.  Cf.  Gommynes,  éd.  Dupont,  I,  76  et  suiv.  —  Cette  canonnade 
du  Port-à-l'Anglais,  village  situé  sur  la  rive  gauche  de  la  Seine,  un 
peu  en  amont  de  Gharenton,  fut  une  des  affaires  les  plus  sérieuses 
de  cette  guerre  d'escarmouches  et  d'intrigues.  Les  pionniers  nor- 
mands établirent  probablement  leur  retranchement  entre  Port- 
à-l'Anglais  et  Carrières,  village  construit  en  face  de  Conflans. 
Charolais  logeait  à  Conflans,  et  par  deux  fois  le  canon  des  roya- 
listes porta  jusque  dans  la  chambre  où  il  dinait.  «  Je  n'ay  jamais, 
dit  Commynes,  tant  veu  tirer  pour  si  peu  de  jours  >  (Éd.  Dupont, 
I,  78). 

2.  Les  routiers  de  Jacques  et  de  Jean  d'Armagnac  et  ceux  du 
sire  d'Albret,  mal  payés,  mal  nourris,  se  tenaient  à  Nogent,  à 
Bray-sur-Seine,  à  Provins  et  aux  environs,  coupant  les  vignes 
et  les  arbres  fruitiers  et  ravageant  les  campagnes  jusqu'aux 
portes  de  Troyes,  de  Chàlons  et  de  Reims  (Maupoint,  Journal, 
p.  73;  cf.  Vaesen,  Lettres  de  Louis  XI,  II,  362).  «  Ils  estoient  bien 
six  mil  hommes  de  cheval  qui  faisoient  merveilleusement  de 
raaulx  »  (Gommynes,  éd.  Dupont,  I,  76).  Nemours  et  son  cousin 
Armagnac  venaient  de  rallier  l'armée  du  Bien- Public  devant 
Paris  et  tentaient  de  reprendre  le  rôle  de  conciliation  peu  sincère 
qu'ils  avaient  essayé  de  jouer  à  Riom  et  à  Aigueperse.  —  On  trou- 
vera la  réponse  de  Louis  XI  à  leurs  ambassadeurs  dans  Jacques 
d'Armagnac...  (Extrait  de  la  Revue  historique,  cité,  p.  41.) 

3.  Robert  de  Malortie,  comte  de  Couches  et  de  la  Baulme,  sei- 
gneur de  la  Tour  du  Pin  (16  mai  1468.  Bibl.  nat.,  ms.  fr.  26091, 
n°  705,  parch.  signé). 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  99 

Et  ledit  jour  aussi  arriva  à  Paris  les  voulgiers  et  cren- 
nequiniers  du  pays  d'Anjou,  qui  bien  povoient  estre 
un"  hommes,  qui  aussi  ledit  jour  furent  aux  champs 
pour  escarmoucher  lesdiz  Bretons  et  Bourguignons, 
et  y  ot  à  ceste  foiz  deux  archers  de  l'ordonnance  du 
roy  tuez  et  ung  prins,  et  les  gens  du  roy  prindrent 
sept  Bourguignons  et  en  tuèrent  deux. 

Ledit  jour  encores  fut  à  Paris  à  seureté  pardevers 
le  roy  le  conte  de  Sommerset,  anglois,  qui  estoit  en 
l'ost  desdiz  Bourguignons,  et  parla  au  roy,  qui  estoit 
à  la  bastide  Samt-Anthoine,  assez  longuement^.  Et 
puis  lui  fut  donné  à  boire  et  print  congié  du  roy,  qui, 
au  partir,  pour  ce  qu'il  plouvoit,  lui  donna  sa  cappe, 
qui  estoit  de  veloux  noir. 

Et,  le  lundi  ensuivant,  second  jour  de  septembre, 
oudit  an  LXV,  monseigneur  du  iMaine,  qui  estoit  logé 
à  Paris  devant  l'ostel  du  roy,  envoya  à  monseigneur 
le  duc  de  Berry  deux  muys  de  vin  vermeil,  quatre 
demies  queues  de  vin  clairet  de  Beaune  et  ung  cheval 
chargé  de  pommes  de  chou  et  de  raves. 

Et,  le  mardi  ensuivant  [3  septembre],  furent  nom- 
mez et  esleuz  ambaxeurs  pour  le  roy  et  lesdiz  sei- 
gneurs pour  communiquer  sur  leurs  differens;  c'est 
assavoir,  pour  le  roy,  furent  esleuz  mondit  seigneur 
du  Maine,  le  seigneur  de  Pressigny,  président  des 
Comptes,  et  maistre  Jehan  Dauvet,  président  du  Par- 
lement de  Thoulouze-;  et,  du  costé  desdiz  princes  et 

1.  Edmond  Beaufort,  comte  de  Somerset,  était  parent  du  comte 
de  Charolais.  En  1461,  il  avait  été,  par  une  circonstance  for- 
tuite, quelque  temps  prisonnier  de  Louis  XI.  Invité  à  «  venir 
devers  luy  à  Tours,  il  fut  très  privé  et  familier  depuis  avecques 
le  roy  »  (Chastellain,  IV,  69). 

2.  Conseiller  et  procureur  général  de  Charles  VII,  Jean  Dauvet 

I  9 


100  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

seigneurs  contraires,  furent  nommez  le  duc  de  Calabre, 
le  conte  de  Saint-Pol  et  le  conte  de  Dunoys^. 

Et,  ce  jour  aussi,  par  cas  de  fortune,  fut  mis  et  bouté 
le  feu  dedens  la  pouldre  à  canon  qui  estoit  à  la  porte 
du  Temple,  qui  en  emporta  le  comble  de  ladicte  porte 
et  fîst  descharger  huit  pièces  d'artillerie  estans  en 
ladicte  porte,  qui  à  ladicte  heure  estoient  toutes 
chargées^. 

Et,  incontinent  que  lesdiz  seigneurs  ambasseurs 
furent  ainsi  esleuz  et  nommez,  pourparlerent  ensemble 
sur  l'accord  et  pacificacion  d'entreulx,  et  fu  fait  trêve 
jusques  au  jeudi  ensuivant  [5  septembre].  Pendant 
laquelle  tresve  ne  fut  faicte  aucune  guerre  de  costé  ne 
d'autre;  mais,  durant  icelle,  chacun  mist  peine  de  sa 
part  de  soy  fortifier^.  Et,  durant  icelle  trefve,  y  ot 

fut  commis  par  Louis  XI  à  l'oiïice  de  premier  président  au  Par- 
lement de  Toulouse  (23  septembre  1461);  il  prêta  serment  le 
16  octobre  suivant  (vidimus  sur  parch.  à  la  Bibl.  nat.  Pièces  orig., 
vol.  981,  doss.  Dauvet).  En  novembre  1465,  il  fut  reçu  président 
au  Parlement  de  Paris.  Il  avait  épousé  Jeanne  Boudrac  et  mourut 
le  23  novembre  1471  (voy.  Vaesen,  Lettres  de  Louis  XI,  II,  114). 

1.  Interpolations  et  variantes,  §  XVI. 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  XVII. 

3.  Le  roi  fit  élever  un  boulevard  entre  la  tour  de  Billy  et  la 
Seine  et  fermer  les  barrières  qui  ouvraient  sur  la  campagne  entre 
la  chaussée  de  Saint-Antoine  et  la  rivière.  Sur  la  rive  gauche, 
on  construisit  un  retranchement  et  ou  creusa  de  profondes  tran- 
chées vers  Ivry  et  le  Port-à-l'Anglais,  en  face  des  redoutes 
bourguignonnes  (Maupoint,  Journal,  p.  73  et  suiv.).  De  son  côté, 
l'ennemi  fortiha  i'Isle-Saint-Denis  et  employa  les  loisirs  de  la 
trêve  à  piller  les  églises  de  Gonesse,  de  Louvres,  de  Sarcelles,  de 
Saint-Brice,  de  Pierrelitte,  causant  mille  maux  aux  paysans 
de  l'Ile-de-France.  —  A  Paris,  du  4  septembre  au  31  octobre,  les 
marchands,  autorisés  par  le  roi,  vendirent  aux  alliés  des  vivres, 
des  vùLements  et  jusqu'à  des  harnais  de  guerre  en  grande  quan- 
tité. La  misère  était  si  grande,  au  camp  du  Bien-Public,  «  que 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  101 

plusieurs  alées  et  venues  falotes  de  costé  et  d'autre  et 
jusques  audit  jour  de  jeudi  que  ladicte  trefve  devoit 
faillir,  que  mondit  seigneur  du  Maine,  en  retournant 
de  l'ost  desdiz  Bourguignons,  dist  aux  portiers  de 
ladicte  porte  Saint-Anthoine  qu'ilz  feissent  tous  bonnes 
chères,  et  que,  au  plaisir  de  Dieu,  avant  qu'il  feust 
huit  jours  lors  à  avenir,  tous  auroient  cause  de  joye 
et  de  crier  «  Noël.  »  Et,  cedit  jour,  ladicte  trefve  fut 
continuée  jusques  au  mercredi  ensuivant  ^ . 

Et,  le  vendredi  [6  septembre]  après,  furent  tous 
iceulx  seigneurs  consulter  ensemble  en  la  Granche  aux 
Merciers,  dessoubz  ung  paveillon  pour  ceste  cause  ilec 
ordonné^.  Et,  cependant,  lesdiz  Bretons  et  Bourgui- 
gnons en  grant  nombre,  comme  deux  mil  ou  environ 
et  des  plus  honnestes,  venoient  en  grant  pompe  eulx 
monstrer  devant  Paris  jusques  au  fossé  de  derrière 
Saint-Anthoine  des  Champs.  Et  aussi  yssy  hors  de  Paris 
plusieurs  personnes  pour  les  aler  veoir  et  parler  à 
eulx,  nonobstant  que  le  roy  l'eust  défendu,  et  en  fut 
bien  mal  content;  et,  voiant  ces  choses,  fut  meu  de 
leur  faire  gecter  plusieurs  canons  et  serpentines  qui 
estoient  chargées  en  la  tour  de  Billy  et  près  d'ilec.  Et, 
quant  lesdiz  de  Paris  retournèrent  en  la  ville,  il  en  fist 
prendre  les  noms  de  plusieurs  par  escript^. 

ilz  ne  en  povoient  plus  endurer  sens  mort  ou  sens  eulz  enfouir  » 
{Ibid.,  p.  93  et  suiv.). 

1.  11  septembre. 

2.  Cf.  Bibl.  nat.,  ms.  fr.  2921  cité,  fol.  51. 

3.  Le  13  septembre  1466,  une  main  inconnue  déposa  sur  la 
douve  d'un  fossé,  qui  courait  du  monastère  aux  dames  de  Saint- 
Antoine-des-Ghamps  jusqu'à  la  Seine,  près  d'une  planche  qui 
servait  à  traverser  l'eau  pour  se  rendre  de  Paris  à  Saint-Maur, 
une  pierre  avec  l'inscription  suivante  :  «  L'an  1465,  ou  mois  de 


102  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

Et,  le  dimenche  ensuivant,  viii®  jour  de  septembre, 
feste  de  Nostre-Dame,  le  roy  parti  de  son  hostel  des 
Tournelles  pour  aler  en  la  grant  église  Notre-Dame, 
et,  en  y  alant,  passa  par  l'église  de  la  Magdaleine,  où 
ilec  il  se  fist  frère  et  compaignon  de  la  grant  confrarie 
aux  bourgois  de  Paris,  et  avecques  lui  s'i  mirent  mon- 
seigneur l'evesque  d'Evreux  et  autres'. 

Et,  le  lundi  ensuivant,  ix®  jour  dudit  moys  de  sep- 
tembre, lesdiz  Bretons  et  Bourguignons  furent  es  ter- 
rouers  de  Clignencourt,  Montmartre,  la  Gourtille-  et 
autres  vignobles  d'autour  Paris,  prendre  et  vendenger 
toute  la  vendenge  qui  y  estoit,  ja  soit  ce  qu'elle  n'es- 
toit  point  meure,  et  en  firent  du  vin  tel  quel  pour 
leur  boire.  Et  à  ceste  cause  furent  ceulx  de  Paris  con- 
trains de  vendenger  les  autres  vignes  partout  autour 

septembre,  fut  cy  tenu  le  lendit  des  traïsons,  et  fut  par  une  trêve 
que  on  print.  Mauldit  soit  il  qui  en  fut  cause!  »  (Maupoint, 
Journal,  p.  102).  L'allusion  au  comte  du  Maine  est  transparente. 
C'est  lui  qui  conseillait  Louis  XI  à  cette  époque,  et  le  roi  le  qua- 
lifiait devant  Charles  de  Melun  «  d'homme  d'estrange  condition  et 
fort  à  entretenir  »  (Procès  de  Melun,  dans  ms.  fr.  2921,  fol.  75). 
C'est  lui  aussi  qui,  en  sous-main,  poussait  les  princes  à  deman- 
der «  et  leur  pourchassa  à  avoir  lesd.  treuves,  lesquelles  leur 
furent  à  grant  secours  »  (Maupoint,  Journal,  p.  94).  Du  côté  des 
rebelles,  c'est  Saint-Pol  qui  conduisit  l'intrigue  (Commynes,  éd. 
Dupont,  I,  81  et  suiv.). 

1.  L'église  de  la  Madeleine  en  la  Cité  était  entre  le  pont  Notre- 
Dame  et  le  Petit-Pont,  à  l'angle  de  la  Juiverie  et  de  la  rue  des 
Marmousets  (plan  dit  de  la  Tapisserie).  —  La  confrérie  de  Notre- 
Dame,  ou  Grande -Confrérie  aux  bourgeois  de  Paris,  comptait 
dans  ses  rangs  les  membres  des  familles  de  la  haute  bourgeoisie. 
L'initiative  prise  par  Louis  XI  en  celte  occasion  fut  un  coup  de 
politique  fort  habile. 

2.  Les  villages  suburbains  de  Montmartre  et  de  Clignancourt 
étaient  situés  au  delà  de  la  porte  Montmartre;  la  Courtille  en 
dehors  de  la  porte  du  Temple. 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  103 

de  Paris,  qui  n'estoient  pas  à  demy  meures,  et  aussi 
le  temps  leur  fut  fort  contraire.  Et  fut  ladicte  année 
la  plus  meschante  et  povre  vinée  qui  longtemps  fut 
sceue  en  France,  et  l'appelloit  on  le  vin  de  l'année 
des  Bourguignons  ^ 

En  ce  temps  vindrent  aussi  à  Paris  plusieurs  des 
nobles  de  Normandie  pour  servir  le  roy  en  ses  guerres, 
tous  lesquelz  furent  logez  aux  faulxbourgs  de  Saint- 
Marcel  lez  Paris^,  entre  lesquelz  y  en  avoit  aucuns  par- 
ticuliers qui  firent  moult  de  maulx  et  larrecins,  et  de 
ce  en  furent  aucuns  d'eulx  reprins  par  aucuns  des 
bourgois  de  ladicte  ville,  et  qui,  contre  leur  gré  et 
voulenté,  y  vouloient  entrer.  Et,  pour  le  refus  qui  leur 
en  fut  fait  par  lesdiz  bourgois,  leur  dirent  iceulx  de 
Normandie  plusieurs  injures  et  mauvaises  paroles  en 
eulx  rebellant  à  l'encontre  d'eulx,  et  en  les  appellant 
traistres  Bourguignons,  et  qu'ilz  les  mettroient  bien 
en  point,  et  qu'ilz  n'estoient  venus  dudit  pays  de  Nor- 
mandie à  Paris  que  pour  les  tuer  et  piller.  Desquelles 
choses  informacion  fut  faicte  à  la  plaincte  de  ceulx 
dudit  Paris,  qui  desdictes  paroles  se  sentirent  fort 
injuriez^.  Et,  veue  icelle,  le  principal  malfaicteur  et 
prononceur  desdictes  paroles  fut  condempné  à  faire 
amende  honnorable,  devant  l'ostel  de  ladicte  ville,  au 
procureur  d'icelle  pour  toute  ladicte  ville,  nue  teste, 
desseint,  une  torche  ou  poing,  en  disant  par  lui  que 

1.  Cf.  Du  Glercq,  IV,  299. 

2.  Au  sud-est  de  la  ville  et  aujourd'hui  compris  dans  le 
X1II«  arr. 

3.  Sur  cet  incident,  on  lira  dans  la  déposition  du  procureur 
Jacques  Rebours,  au  procès  de  Charles  de  Melun,  des  détails 
précis  confirmant  les  dispositions  douteuses  d'une  partie  de  la 
garnison  de  Paris  (Bibl.  nat.,  ms.  fr.  2921,  fol.  28  v»  et  suiv.). 


104  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

faulsement  et  mauvaisement  il  avoit  menty  en  disant 
lesdictes  paroles,  en  priant  et  requérant  icelles  lui 
estre  remises  et  pardonnées.  Et  après  ot  la  langue  per- 
cée dont  il  avoit  proféré  lesdictes  paroles,  et  ce  fait, 
fut  banni. 

Et,  le  lundi  ensuivant  [9  septembre],  les  Bourgui- 
gnons se  vindrent  monstrer  devant  Paris,  entre  les- 
quelz  y  estoit  monseigneur  de,  Saint-Pol,  pour  parler 
auquel  le  roy  yssy  dehors  Paris,  et  parlèrent  ensemble 
bien  deux  heures^.  Et,  pour  s'en  retourner  seure- 
ment,  le  roy  bailla  pour  lui  en  hostage  monseigneur 
le  conte  du  Maine,  qui  demoura  en  l'ost  desdiz  Bour- 
guignons jusques  au  retour  dudit  monseigneur  de 
Saint-Pol.  Et,  ce  mesmes  jour,  le  roy,  en  retournant 
des  champs,  dist  à  plusieurs  de  Paris  estans  à  ladicte 
porte  Saint-Anthoine  que  lesdiz  Bourguignons  ne  leur 
donn[er]oient  plus  tant  de  peine  qu'ilz  avoient  fait  et 
qu'il  les  en  gardoit  bien.  Et  lors  ung  procureur  de 
Chastellet,  nommé  Pierre  Beron,  lui  respondi  :  «  Voire! 
sire,  mais  ilz  vendengent  noz  vignes  et  menguent  noz 
roisins  sans  y  savoir  remédier  !  »  Et  le  roy  leur  répliqua 
qu'il  valoit  mieulx  qu'ilz  vendengassent  lesdictes  vignes 
et  mengassent  lesdiz  roisins  que  ce  qu'ilz  vensissent 
dedens  Paris  prendre  leurs  tasses  et  vaillant  qu'ilz 
avoient  mis  et  mussez  dedens  leurs  caves  et  celiers. 

Et,  le  venredi  ensuivant  [13  septembre],  vint  et 
arriva  es  halles  de  Paris  deux  cens  chevaulx  tous  char- 
gez de  marée  et  de  toutes  manières  et  sortes.  Et  y  vint 

1.  Au  delà  des  fossés  et  eu  dehors  de  la  porte  Sainl-Autoine. 
Le  roi  et  Saint-Pol  «  se  départirent  l'ung  de  l'autre,  faisant 
bonne  chère,  pourquoi  on  osperoit  que  paix  seroit  faictc  w  (Mau* 
point,  Journal,  p.  7i). 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  105 

aussi  plusieurs  saumons,  esturgons  et  du  herenc  frès, 
en  despit  et  maulgré  de  tous  lesdiz  Bourguignons, 
Bretons  et  autres  ainsi  estans  devant  Paris,  qui  avoient 
menacié  ceulx  de  ladicte  ville  de  leur  faire  menger 
leurs  chas  et  leurs  ras  par  famine. 

Et  depuis  fut  ladicte  trefve  continuée  par  deux  ou 
trois  foiz  jusques  au  xvm®  jour  de  septembre,  pendant 
laquelle  lesdiz  Bretons  et  Bourguignons  se  avitaillerent 
fort  en  leur  ost,  à  la  grant  charge  et  foule  du  pays  et 
du  peuple.  Et  n'est  point  à  doubter  que,  quant  le  roy 
eust  voulu  dire  Avant,  et  qu'il  eust  esté  bien  servy  des 
gens  de  guerre  prenans  ses  gaiges  et  souldées,  aveo 
ques  les  nobles  et  peuple  de  Paris  qui  bonne  devocion 
avoient  au  saint,  il  eust  subjugué  et  mis  tous  sesdiz 
ennemis  en  tel  estât  que  jamais  ne  feussent  retournez 
dont  ilz  estoient  partis  pour  venir  devant  ladicte  ville. 

Et,  ledit  jour  de  mercredi,  xviii^  jour  dudit  mois 
de  septembre,  nonobstant  le  pourparlé  desdiz  ambas- 
seurs  de  costé  et  d'autre,  fut  tout  rompu  et  perdu  le 
bon  espoir  qu'on  avoit  eu  auparavant^. 

Et,  cedit  jour,  fut  desemparé  le  siège  que  le  roy 
avoit  fait  audit  Port  à  l'Engloys,  ouquel  siège  avoient 
esté  faictes  de  belles  trenchées  et  bolevers,  tentes  et 
paveillons.  Et,  après  ledit  desemparement,  tous  les 
gens  de  guerre  estans  oudit  siège  s'en  vindrent  retraire 

1.  La  trêve  conclue  le  4  septembre  devait  expirer  le  vendredi  6, 
soleil  levant.  Elle  fut  d'abord  étendue  jusqu'au  mercredi  M, -soleil 
couchant,  puis  jusqu'au  14,  enfin  jusqu'au  18  septembre.  Après 
plusieurs  réunions  «  des  états  »  consultés  par  Louis  XI,  les  pré- 
tentions des  rebelles  furent  définitivement  repoussées.  «  Ilsdeman- 
doient  trop  grans  choses,  et  trop  à  la  charge  et  au  deshonneur 
du  roy  et  du  royaulme  et  à  la  diminucion  de  sa  preeminance  et 
de  son  demmaine  »  (Maupoint,  Journal,  p.  72-76). 


106  JOUR]V:\L  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

et  loger  aux  Chartreux  près  Paris^  dedens  lequel  lieu 
des  Chartreux  furent  logez  yi^  hommes  de  guerre  et 
leurs  chevaulx,  et  tellement  en  fut  remply  ledit  lieu 
que  les  sains  hommes  religieux  de  leans  furent  dechas- 
sez  et  boutez  hors  de  leurs  celles  et  lieux  de  devocion. 

Et  le  lendemain,  jour  de  jeudi  [19  septembre],  les- 
diz  Bretons  et  Bourguignons  passèrent  ladicte  rivière 
audit  Port  à  l'Anglois  et  vindrent  au  point  dudit  jour 
escarmoucher  lesdictes  gens  de  guerre  du  roy  ainsi 
logez  à  Saint-Marcel,  les  Chartreux  et  Saint-Victor,  et 
y  en  ot  de  costé  et  d'autre  de  mors,  navrez  et  de 
prins^. 

Et  ce  mesmes  jour  se  fîst  ung  grant  conseil  et  assem- 
blée en  la  Chambre  des  Comptes^,  ouquel  furent 
assemblez  avecques  autres  les  seize  quarteniers  d'icelle, 
les  cinquanteniers,  et  de  chascun  desdiz  quartiers  six 
hommes  notables,  avecques  aucuns  conseillers  de  la 
court  de  Parlement,  officiers  et  autres.  Et  ilec  mons. 
le  chancellier  Morviller'*  dist  et  exposa  de  parle  roy 

1.  A  Vauvert,  au  sud  de  Paris. 

2.  Ce  jour-là,  «  la  guerre  fut  criée  et  publiée  ouverte  à  plain 
estandart,  »  et  aux  50,000  combattants  de  Paris  fut  commandé, 
de  la  part  du  roi,  «  que  chacun  alast  à  son  guet  et  à  sa  garde  sur 
painne  de  la  mort.  »  Le  même  jour,  Louis  XI  rer.ut  «  les  linances  » 
do  Languedoc,  «  dont  gens  de  guerre  furent  joieux.  »  On  se  battit 
en  dehors  de  la  porte  Saint-Antoine,  entre  Reuilly,  Bercy  et  la 
Grange-aux-Merciers,  et  aussi  du  côté  de  la  porte  Saint-Jacques, 
vers  Gentilly,  Vitry  et  Ivry,  «  en  tirant  vers  le  Port-à-l'Anglois.  » 
Les  Bourguignons  eurent  «  du  pis  »  et  les  prisonniers  qu'ils  per- 
dirent furent  noyés  (Maupoint,  Journal,  p.  77). 

3.  La  Chambre  des  Comptes  occupait  au  Palais  l'emplacement 
où  se  trouve  actuellement  la  Préfecture  de  Police. 

4.  Chastellain  le  dit  «  homme  fort  partial  et  tout  propre  au  roy 
et  à  ses  mœurs.  »  Époux  de  Jeanne  Boucher,  il  était  ainsi  allié 
à  plusieurs  faniillcs  de  la  haute  bourgeoisie  parisienne. 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  107 

comment  il  s'estoit  grandement  mis  en  son  devoir 
d'avoir  offert  aux  princes  et  seigneurs,  qui  estoient 
devant  Paris,  aux  demandes  qu'ilz  lui  faisoient  pour 
l'ampanage  de  mons.  le  duc  de  Berry,  pour  lequel 
ilz  demandoient  avoir  la  duchié  de  Guienne,  Poitou  et 
le  pays  de  Xanctonge  ou  la  duchié  de  Normandie^.  A 
quoy  leur  fut  dit  et  respondu  par  ledit  conseil  ainsi 
assemblé  que  le  roy  ne  leur  povoit  pas  bailler  ne  des- 
membrer  de  la  couronne.  Et  depuis,  le  roy  leur  offrit 
bailler  le  pays  de  Champaigne  et  Brye,  réservé  à  lui 
Meaulx,  Monstereau  et  Meleun,  pour  ledit  ampanage. 
Et  ausdiz  de  Gharrolois  et  autres  seigneurs  fîst  de  grans 
offres  pour  leurs  defraiemens,  ce  qu'ilz  ne  dévoient 
point  refuser;  ce  qu'ilz  ne  vouldrent  accepter^.  Et 
demoura  tout  jusques  au  vendredi  matin  ensuivant, 
auquel  jour  le  jeune  seneschal  de  Normandie^  yssit 
dehors  Paris  à  tout  bien  six  cens  chevaulx,  pour 
escarmoucher  et  soy  monstrer  devant  les  dessusdiz. 
Et  pareillement  se  monstrerent  de  l'autre  costé  de  la 
rivière  grant  quantité  de  gens  de  guerre  devant  lesdiz 
Bourguignons,  qui  fort  tirèrent  engins  celle  journée, 

1.  Peut-être  faut-il  lire  et  le  duché  de  Normandie.  (Voy.  les 
Remontrances  du  chancelier  des  offres  faites  par  le  roi,  analysées 
par  Lenglet  (II,  510)  d'après  les  registres  du  Parlement,  à  la 
date  du  19  septembre  1465.)  Pour  refuser  la  Normandie  à  son 
frère,  Louis  XI  invoqua  l'ordonnance  de  novembre  1361,  par 
laquelle  le  roi  Jean,  réunissant  ce  duché  au  domaine  de  la  cou- 
ronne, en  interdit  à  jamais  l'aliénation. 

2.  Au  Bourguignon  les  villes  de  la  Somme,  le  comté  de  Bou- 
logne et  200,000  livres  payables  en  quatre  annuités. 

3.  Jacques  de  Brézé,  comte  de  Maulévrier,  fils  de  Pierre,  tué 
à  Montlhéry,  et  de  Jeanne  Grespin,  avait  épousé  en  1462  Char- 
lotte, fille  naturelle  du  roi  Charles  VII  et  d'Agnès  Sorel.  Il  mou- 
rut le  14  août  1494. 


108  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

dont  ilz  tuèrent  ung  gentilhomme  de  Poictou  de  la 
compaignie  de  mons.  de  Penthievre  qui  se  nommoit 
Jehan  Chaureau,  seigneur  de  Pampehe^.  Et  dedens  les 
vignes  près  Saint-Anthoine  des  Champs  furent  prins 
bien  xx  ou  xxiiii  povres  paillars  Galabriens  -  et  Bour- 
guignons tous  nuz  et  mal  en  point,  qui  furent  venduz 
au  butin,  et  en  donnoit  on  quatre  pour  ung  escu,  qui 
est  audit  pris  vi  sous  vi  deniers  parisis  la  pièce. 

Et  le  samedi  ensuivant  [21  septembre],  au  point  du 
jour,  ung  nommé  Loys  Sorbier  ^  qui  estoit  à  Pontoise 
lieutenant  de  Joachin  Rouault,  mareschal  de  France, 
par  faulse  et  mauvaise  trahison  qu'il  fist  et  conspira 
contre  le  roy  son  souverain  seigneur,  bouta  dedens 
ladicte  ville  les  Bretons  et  autres  ennemis  du  roy.  Et, 
en  faisant  par  lui  ladicte  trahison,  mist  en  son  appoinc- 
tement  que  ceulx  qui  estoient  audit  lieu  de  Pontoise, 
de  la  compaignie  dudit  Joachin,  qui  ne  vouldroient 
demourer,  s'en  yroient  franchement  eulx  et  leurs  biens 
saufz.  Et  incontinent  qu'il  ot  ainsi  baillée  ladicte  ville 
de  Pontoise,  il  s'en  parti  lui  et  aucuns  de  sadicte  com- 
paignie, et  alerent  devant  Meulenc^  porter  et  mons- 

1.  Pamplie  (Deux-Sèvres,  cant.  de  Ghampdeniers). 

2.  G'est-à-dire  appartenant  à  l'armée  du  duc  de  Galabre,  qui 
avait  amené  des  aventuriers  allemands  et  suisses. 

3.  Louis  Sorbier,  seigneur  de  Paray,  était  originaire  du  Berry 
et  comme  tel  bien  disposé  à  l'égard  de  Charles  de  France.  Quand 
Louis  XI  donna  le  duché  de  Guyenne  à  son  frère,  Louis  Sorbier 
fut  créé  grand  écuyer,  conseiller  et  chambellan  du  nouveau  duc 
et  capitaine  des  50  lances  de  sa  garde.  Après  la  mort  de  Gharles 
de  France,  il  prêta  serment  de  lidélité  à  Louis  XI  sur  le  chef  de 
saint  Eutrope  (29  mai  1472.  Bibl.  nat.,  ms.  l'r.  20491,  loi.  50)  et 
fut  créé  conseiller  et  chambellan  du  roi  et  son  sénéchal  en  l*éri- 
Rord  (Bibl.  nat..  Pièces  orig.,  vol.  2715,  doss.  Sorhiet'). 

4.  Meulan  (Seine-et-Oiso,  arr.  de  Versailles). 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  109 

trer  l'enseigne  dudit  Joachin,  afin  que  ceulx  estans 
oudil  lieu  les  boutassent  dedens  sans  en  faire  difficulté, 
en  cuidant  par  lui  qu'ilz  n'eussent  point  encores  esté 
advertis  de  sadicte  trahison  ;  mais  avant  qu'il  vint,  ceulx 
dudit  Meulenc  estoient  bien  advertis  d'icelle  trahison. 
Et  incontinent  qu'il  fut  apperceu  par  lesdiz  de  Meu- 
lenc, qui  desjà  estoient  en  armes  dessus  les  murs^ 
d'icelle  ville,  crièrent  à  haulte  voix  audit  Sorbier  : 
«  Alez,  faulx  et  mauvais  traistres!  »  et  leur  gecterent 
des  engins  dudit  lieu,  et  partant  fut  contraint  de  soy 
en  retourner  audit  lieu  de  Pontoise  à  toute  sa  honte. 
Et,  cedit  jour,  ledit  Sorbier  escripvit  unes  lettres  audit 
Joachin,  par  lesquelles  lui  escripvoit  qu'il  avoit  mis 
et  bouté  lesdiz  Bretons  et  autres  audit  Pontoise,  et  qu'il 
avoit  esté  conseillé  de  ainsi  le  faire  pour  le  mieulx,  et 
que  de  la  faulte  qu'il  avoit  faicte  lui  et  le  roy  le  lui 
pardonnassent.  Et  sur  la  superscripcion  desdictes 
lettres  estoit  escript  :  a  A  vous  et  au  roy^.  » 

Et,  ce  jour,  fut  faicte  saillie  de  Paris  sur  lesdiz  Bre- 
tons et  Bourguignons,  et  y  en  ot  de  prins,  navrez  et 
tuez  de  costé  et  d'autre.  Et  si  ot  ung  cheval  de  pris 
qui  estoit  tout  bardé  de  cuir  bouilly,  qui  fut  tué  d'un 
cop  de  coulevrine  que  lui  baillèrent  lesdiz  Bourgui- 
gnons^. 

1.  Interpolations  et  variantes,  §  XVIII. 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  XIX.  —  Basiu  (II,  126)  dit  que 
Louis  XI  fut  extrêmement  affecté  de  la  perte  de  Pontoise  :  c  eo 
quod  adversariis  suis  transitus  apertus  foret  per  quem,  transmissa 
Isara,  Normanniam  aggredi  possent.  »  C'est  ce  qu'ils  ne  tardèrent 
point  à  faire,  en  effet. 

3.  Ce  vendredi  20  septembre,  on  escarmoucha  assez  chaude- 
ment, mais  sans  autre  résultat  que  la  mort  d'une  trentaine 
d'hommes.  Le  lendemain,  Charles  do  Louviers,  échanson  du  roi 


110  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

Et  le  dimenche  ensuivant  [22  septembre] ,  au  point 
du  jour,  les  dessusdiz  ennemis  vindrent  faire  ung  res- 
veii  devant  ladicte  ville,  du  costé  de  ladicte  porte 
Saint-Anthoine,  et  vindrent  bien  grant  nombre  jusques 
audit  Saint-Anthoine  des  Champs.  Et,  pour  les  faire 
desplacer,  leur  furent  gectez  d'iceile  ville  plusieurs 
traiz  de  canons,  serpentines  et  autre  artillerie  d'iceile 
porte  Saint-Anthoine  et  de  ladicte  Bastide,  et  autre 
chose  n'y  fut  fait. 

Et,  le  lundi  ensuivant  [23  septembre],  de  nuit,  appa- 
rut à  ceulx  qui  faisoient  le  guet  et  arrière  guet  en 
ladicte  ville  une  comète,  qui  vint  des  parties  dudit  host 
cheoir  dedens  les  fossez  d'iceile  ville  à  l'environ  de 
l'ostel  d'Ardoise,  dont  plusieurs  furent  espoventez,  non 
sachans  que  c'estoit,  mais  cuidans  que  ce  eust  esté  une 
fusée  ardant  ilec  gectée  et  envolée  par  lesdiz  Bour- 
guignons. Si  en  furent  portées  les  nouvelles  au  roy  en 
son  hostel  des  Tournelles,  qui  incontinent  monta  à 
cheval  et  s'en  ala  dessur  les  murs  au  droit  dudit  hos- 
tel d'Ardoise,  et  y  demoura  grande  espace  de  temps, 
et  fist  assembler  tous  les  quartiers  de  Paris  pour  aler 
chacun  en  sa  garde  dessus  lesdiz  murs.  Et  à  ceste 
heure,  courut  bruit  que  lesdiz  ennemis,  ainsi  estans 
devant  Paris,  s'en  aloient  et  deslogoient,  et  que  à  leur- 
dit  partement  mettoient  peine  de  brusler  et  endom- 
mager ladicte  ville  partout  où  possible  leur  seroit.  Et 
fut  trouvé  que  de  tout  ce  il  n'estoit  rien^. 

et  plus  tard  l'un  de  ses  cent  gentilshommes  (Bibl.  nat.,  ms. 
fr.  21448,  ad.  ann.  1471),  fils  de  sire  Nicolas  de  Louviers,  mar- 
chand et  bourgeois  de  Paris,  combattit  la  lance  au  poing  et  tua, 
à  son  grand  honneur,  messire  .îosse  de  Lalaing,  un  chevalier 
renommé  du  Hainaut  (Maupoint,  Journal,  p.  77  et  suiv.). 
1.  Le  dimanche  et  le  lundi,  il  n'y  eut  pas  d'engagements  aux 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  IM 

Oudit  temps,  lesdiz  ennemis,  ainsi  logez  devant 
Paris,  firent  plusieurs  balades,  rondeaux,  libelles  dif- 
famatoires et  autres  cboses,  pour  diffamer  aucuns  bons 
serviteurs  estans  autour  du  roy,  afin  que  à  ceste  cause 
le  roy  les  prinst  en  sa  malvueillance  et  les  deschassast 
de  son  service. 

En  ce  temps,  les  gens  de  guerre  de  l'ordonnance  du 
roy  estans  logez  à  Paris  y  firent  de  grandes  chères,  et 
en  lieu  de  passetemps  y  séduisirent  plusieurs  femmes 
et  filles,  qui  par  leur  moien  en  laissèrent  et  déguer- 
pirent leurs  mesnages  et  enfans,  et  les  autres  jeunes 
filles  servans  leurs  maistres  et  services,  pour  suivre 
iceulx  gens  de  guerre.  Et  entre  autres,  y  ot  une  jeune 
fille,  qui  estoit  fille  d'un  procureur  du  Chastellet  de 
Paris,  nommé  Eustace  Fernicle,  qui  avoit  prins  habit 
de  damoiselle  et  grant  estât,  pour  ce  qu'elle  avoit 
fiancé  ung  nommé  Le  Chien,  natif  de  Carenten  en  Nor- 
mandie, et  serviteur  d'un  nommé  le  seigneur  de  Saincte- 
Marie*  ;  laquelle,  pour  ce  que  ledit  Chien  mettoit  trop 
à  l'espouser,  s'acointa  d'un  archer  qui  avecques  lui 
l'en  amena,  et  accordèrent  leurs  vyeles  ensemble.  Mais 
les  père  et  mère  de  ladicte  fille,  non  contens  de  ce 

champs,  parce  que  le  comte  du  Maine,  Rouault,  Montauban, 
Jouvenel  des  Ursins,  Gousinot,  Jean  Dauvet  et  autres  c  gens 
sages  »  poursuivaient  avec  les  fédérés  des  pourparlers  de  paix 
qui  furent  continués  jusqu'au  jeudi  suivant  (Maupoint,  Journal, 
p.  78). 

1.  Le  Chien  est  bien  un  nom  du  Cotentin.  Un  Durant  Le  Chien 
figure,  à  la  date  du  14  juillet  1475,  parmi  les  100  hommes  d'armes 
de  la  grande  ordonnance  commandés  par  Jean  d'Estouteville, 
seigneur  de  Briquebec.  Un  autre  Le  Chien,  Jean,  est  nommé 
parmi  les  archers  (Bibl.  nat.,  Titres,  Montres,  vol.  1414,  fol.  63  y° 
et  suiv.).  La  seigneurie  de  Sainte-Marie-du-Mont  (auj.  dép.  de  la 
Manche,  cant.  de  Sainte-Mère-l'ÉgUse)  appartint  au  xv*  siècle  à 
la  famille  des  Espaules,  puis  aux  Blosset. 


112  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

que  dit  est,  s'en  alerent  plaintifz  pardevers  le  roy, 
mais  ilz  n'en  eurent  autre  chose. 

Et  cedit  jour,  au  soir,  environ  deux  heures  de  nuit, 
mons.  l'evesque  d'Evreux,  Balue,  fut  guetté  et  acueilly 
par  aucuns  ses  ennemis  en  la  rue  de  la  Barre  du  Bec  S 
à  l'environ  de  la  porte  de  derrière  de  feu  maistre 
Bureau  Boucher-,  lesquelz  chargèrent  sur  lui  et  de 
première  arrivée  vindrent  oster  et  souftler  deux 
torches  qu'on  portoit  devant  lui.  Et  après  vindrent 
audit  Balue,  qui  estoit  monté  dessus  une  bonne  mule 
qui  le  saulva  et  gaigna  au  fouir,  car  tous  ses  gens  à 
l'effroy  l'abandonnèrent  pour  paour  des  horions.  Et 
en  emporta  ladicte  mule  sondit  maistre  Balue  jusques 
au  cloistre  Notre-Dame,  en  son  hostel  dont  elle  estoit 
partie  ;  et,  avant  ladicte  fuite,  il  ot  deux  cops  d'espée, 
l'un  au  plus  hault  de  ses  biens  et  ou  milieu  de  sa  cou- 
ronne^, et  l'autre  en  l'un  de  ses  dois.  Et  sesdittes  gens, 
qui  ainsi  s'en  aloient  courans  aval  la  rue,  crioient 
A  Vanne!  et  Au  murdre!  afin  que  le  peuple  saillist  pour 
donner  secours  à  leur  maistre.  Et  dudit  cas  le  roy  en 
fut  courroucié  et  ordonna  que  l'en  en  feist  informa- 
cion  et  que  la  chose  feust  sceue,  mais  tout  en  demoura 
ainsi  sans  en  savoir  autre  chose,  combien  que  aucuns 
disoient  depuis  que  ce  avoit  fait  faire  mons.  de  Villers 
le  Boscage,  pour  l'amour  de  ladicte  Jehanne  du  Bois, 
dont  il  estoit  amoureux^. 


1.  C'est  aujourd'hui  la  partie  de  la  rue  du  Temple  comprise 
entre  la  rue  de  la  Verrerie  et  la  rue  Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie . 

2.  Bureau  Bouclier,  seigneur  de  Piscop  et  d'Orsay,  était  mort 
en  1461. 11  avait  épousé  Gilette  Raguier  (Bibl.  nat.,  Pièces  orig., 
vol.  433,  doss.  Boucher). 

3.  C'est-à-dire  au  milieu  de  sa  tonsure  cléricale. 

4.  On  verra  aux  Inlerpolalions  ci  variantes,  §  XX,  et  l'interro- 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  ii3 

Celle  nuit,  aucuns  Bretons  et  Bourguignons  furent  à 
Sevré*,  où  ilz  trouvèrent  aucuns  Escossois  de  la  com- 
paignie  Robert  de  Gonyhan,  lesquelz  ilz  tuèrent  et  leur 
copperent  à  tous  les  gorges. 

En  ce  temps,  ung  nommé  Alixandre  Lorget,  natif 
de  Paris,  qui  estoit  homme  d'armes  de  l'ordonnance 
du  roy  notre  sire  soubz  la  charge  et  compaignie  du 
seigneur  de  la  Barde,  s'en  ala  et  absenta  de  Paris  pour 
soy  aler  rendre  à  Saint-Denis  à  mons.  de  Berry,  qui 
ilec  estoit,  et  si  en  ala  à  lui  cinquième,  et  avecques  lui 
en  emporta  toutes  ses  bagues  et  sa  male^. 

Et,  le  jeudi  ensuivant  [26  septembre],  vindrent  en 
l'ostel  de  ladicte  ville  plusieurs  grandes  plaintes  par 

gatoire  de  Charles  de  Melun  confirme  ce  dire  (Bibl.  nat.,  ms. 
fr.  2921  cité),  que  l'ex-lieutenant  général  du  roi  à  Paris  fut  for- 
mellement accusé  d'avoir  commandé  cette  «  bapture  >  de  l'évêque 
d'Évreux,  dont  il  était  le  rival  auprès  «  d'une  jeune  femme  de 
Paris  que  le  cardinal  aymoit  bien  et  veoit  voluntiers.  »  Melun 
nia  cet  attentat  et  prétendit,  au  contraire,  qu'un  jour,  pour  con- 
vaincre Balue  que  cette  jeune  femme  ne  l'aimait  pas,  il  lui  avait 
présenté  un  petit  rubis  «  en  façon  de  cueur  en  annel  »  et  plu- 
sieurs lettres  qu'il  tenait  d'elle.  Le  prêtre  devint  a  blanc  comme 
ungdrappeau  »  et  de  ce  jour  fut  son  ennemi  mortel.  Sur  Jeanne 
du  Bois,  voy.  ci-dessus,  p.  33. 

1.  Maupoint  dit  «  à  Suresnes  »  et  ajoute  que  30  Ecossais  de 
l'ordonnance  y  furent  massacrés  {Journal,  p.  78).  —  Robert 
Guningham,  déjà  capitaine  des  archers  écossais  de  Charles  VU, 
fut  mêlé  à  une  conspiration  ourdie  contre  le  roi.  Condamné  au 
bannissement  en  1455,  il  fut  réintégré  dans  son  emploi  par 
Louis  XI  (voy.  Beaucourt,  Charles  VII,  t.  VI,  p.  27  et  suiv.). 

2.  Alexandre  Lorget,  écuyer,  grènetier  du  grenier  à  sel  de 
Ponioise  dès  1457,  avait  été,  à  la  date  du  17  janvier  1465  (n.  st.), 
par  un  acte  de  faveur,  tenu  quitte,  jusqu'à  concurrence  de 
700  livres  parisis,  de  tout  ce  qu'il  pouvait  devoir  au  trésor 
royal.  En  octobre  1471,  on  le  retrouve  écuyer  d'écurie  du  duc 
de  Guyenne  (Bibl.  nat.,  Pièces  orig.,  vol.  1747,  doss.  Lorget). 


114  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

aucuns  des  bourgois  de  ladicte  ville  de  plusieurs  mau- 
vaises paroles  malsonnans  que  disoient  et  publioient 
plusieurs  gens  de  guerre  estans  en  ladicte  ville  contre 
lesdiz  bourgois,  manans  et  habitans  d'icelle,  pour  y 
donner  provision.  Et  estoient  lesdictes  paroles  telles, 
proférées  et  dictes  par  iceulx  gens  de  guerre  :  «  Je 
regny  Dieu,  les  biens  qui  sont  à  Paris  ne  aussi  la  ville 
ne  sont  point  ne  appartiennent  à  ceulx  qui  y  sont 
demourans  ne  residens,  mais  à  nous  gens  de  guerre 
qui  y  sommes,  et  voulons  bien  que  vous  sachez  que, 
malgré  voz  visaiges ,  nous  porterons  les  clefz  de  voz 
maisons  et  vous  en  bouterons  dehors,  vous  et  les 
vostres,  et,  se  vous  en  caquetez,  nous  sommes  assez 
pour  estre  maistres  de  vous*.  »  Et  ce  mesme  jour  y  ot 
ung  fol  Normant  qui  dist  à  la  porte  Saint-Denis  que 
ceulx  de  Paris  estoient  bien  folz  de  penser  que  leurs 
chaynes  de  fer,  tendues  au  travers  de  leurs  rues,  leur 
peust  valoir  à  l'encontre  de  eulx.  Pour  lesquelles  paroles 
ainsi  malsonnans  que  dit  est  fut  soudainement  ordonné 
par  aucuns  estans  en  l'ostel  de  ladicte  ville,  à  qui  les- 
dictes paroles  furent  ainsi  dictes  et  rapportées,  (jue 
ceste  nuit  chacun  quartenier  de  Paris  feroit  faire  beaulx 
et  grans  feux  par  toutes  les  dixaines  de  son  quartier, 
et  que  ung  chacun  seroit  en  armes  et  sur  sa  garde 
durant  lesdiz  feux^.  Et  si  furent  ordonnées  toutes  les 
chaynes  des  rues  foraines  estre  tendues,  ce  qui  fut  fait, 
et  veilla  chacun  jusques  au  point  du  jour.  Et,  celle 

1.  Cf.  la  déposition  de  Jacques  Rebours,  procureur  de  la  ville 
de  Paris,  au  Procès  de  Ch.  de  Melun,  ms.  fr.  2921,  fol.  29  v». 

2.  Même  déposition,  fol.  31  v.  C'est  sur  l'initiative  de  Jacques 
Rebours  qu'en  l'absence  du  prévôt  des  marchands  les  échevins 
André  d'Azy  et  Denis  Gibert  expédièrent  aux  quarieniers  l'ordre 
d'allumer  les  feux. 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  115 

mesmes  nuit,  fut  grant  bruit  que  la  bastide  Saint- 
Anthoine  fut  laissée  ouverte  pour  laisser  entrer  dedens 
Paris  ceulx  qui  estoient  devant*.  Et  si  trouva  l'en 
ceste  nuit  aucuns  canons,  près  dudit  lieu,  dont  les 
chambres  estoient  enclouées,  à  ce  qu'ilz  ne  peussent 
servir  quant  mestier  en  seroit.  Et  desdiz  feux  et  du 
grant  guet  qui  fut  fait  et  ainsi  ordonné  que  dit  est, 
furent  lesdiz  capitaines  qui  estoient  à  Paris  moult  esba- 
his,  et  dont  aucuns  s'en  alerent  en  la  chambre  du  roy 
en  son  hostel  des  Tournelles  savoir  à  lui  se  c'estoit  de 
son  ordonnance  et  commandement  que  lesdiz  feux  et 
guet  estoient  ainsi  fais  et  ordonnez,  ou  de  par  qui  : 
lequel  dist  et  respondi  que  non.  Et  tout  incontinent  il 
manda  venir  à  lui  sire  Jehan  Luiller,  clerc  de  ladicte 
ville,  qui  y  vint  et  lui  certiffia  que  lesdiz  feuz  et  guet 
estoient  faiz  à  bonne  fin,  et  de  ce  asseura  le  roy  et 
lesdiz  cappitaines.  Et  ce  nonobstant  ordonna  à  messire 
Charles  de  Meleun  qu'il  alast  en  l'ostel  de  la  ville  et 
par  tous  les  quartiers  d'icelle  dire  que  on  laissast  les- 
diz feux  et  que  chacun  s' alast  coucher  2,  dont  riens  ne 
vouldrent  faire,  mais  demeurèrent  ainsi  armez  jusques 
au  jour.  Et  maintenoient  plusieurs  depuis  que  ce  fut 
grâce  de  Dieu,  et  que,  s'ilz  s'en  feussent  alez  et  dépar- 
tis, ladicte  ville  estoit  perdue  et  destruicte  et  que  les- 
diz de  devant  Paris  y  feussent  entrez  par  ladicte  Bas- 

1.  Interpolations  et  variantes,  §  XXI.  —  Sur  cette  affaire,  qui 
ne  fut  jamais  bien  éclaircie,  on  trouvera  de  curieux  détails  dans 
la  déposition  de  Jacques  Rebours  (fol.  34).  Melun,  accusé  de  cette 
trahison,  la  nia  énergiquement.  Il  expliqua  que,  cette  nuit-là,  le 
roi  l'avait  envoyé  porter  un  message  au  comte  de  Charolais  et 
qu'il  était  effectivement  rentré  à  Paris  par  la  Bastille  {Procès 
cité,  fol.  69;  cf.  fol.  40  v*  et  suiv.  et  Maupoint,  Journal,  p.  79). 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  XXII. 

I  10 


116  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

tide,  et  par  ce  demourée  ladicte  ville  destruicte  et  du 
tout  désolée*. 

Et  le  vendredi  ensuivant  [27  septembre]  vindrent  à 
Paris  deux  poursuivans,  l'un  de  Gisors,  qui  vint  dire 
au  roy  qu'il  envoiast  secours  en  ladicte  ville  et  que 
devant  y  avoit  bien  cinq  ou  six  cens  lances,  et  que 
dedens  icelle  n'y  avoit  nulles  gens  de  guerre  de  par  le 
roy,  et  si  n'avoient  aussi  artiljerie,  pouldres  ne  autre 
défense.  Et  l'autre  poursuivant  estoit  aussi  envoyé  au 
roy  de  par  Hue  de  Vignes,  escuier,  homme  d'armes 
de  l'ordonnance  dudit  seigneur,  soubz  la  charge  et 
compaignie  du  seigneur  de  la  Barde,  lequel  Hue  estoit 
lors  à  Meulenc.  Par  lequel  poursuivant  estoit  mandé 
au  roy  que  ledit  de  Vignes  avoit  sceu  par  gens  dignes 
de  foy  que  les  Bretons  et  autres  avoient  entreprinse 
d'entrer  dedens  Rouen,  tout  ainsi  qu'ilz  avoient  fait  à 
Pon toise,  et  par  dedens  le  chastel  ou  palais  de  ladicte 
ville,  afin  qu'il  y  pourveust^. 

Et,  cedit  jour  de  vendredi,  lesdiz  ambasseurs  ordon- 
nez de  chacun  costé  disnerent  à  Saint-Anthoine  des 
Champs  dehors  Paris.  Et  là  leur  fut  envoyé  de  par  le 
roy  pain,  vin,  poisson  et  tout  ce  que  mestier  leur  estoit 
pour  ledit  disner.  Et  fut  aussi  ilec  porté  en  une  char- 
rete  plusieurs  des  comptes  jadis  rendus  en  la  Chambre 
des  Comptes  à  Paris  des  pays  et  villes  de  Champaigne 
et  Brye^. 

1.  Du  mardi  23  au  jeudi  25  septembre,  Gentiliy,  Vitry  et  Ivry 
furent  pillés  par  les  Bourguignons  et  par  les  Bretons,  tandis  que 
les  royalistes  saccageaient  Créteil,  Boissy  et  Malnoue  (Maupoint, 
Journal,  p.  78  et  suiv.). 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  XXIII.  —  Le  château  de  Rouen 
ou  Vieux  Palais  était  construit  sur  la  rive  droite  de  la  Seine,  en 
aval  de  la  ville. 

3.  Cf.  Mélanges  historiques  cités,  II,  387,  et  Mémoires  d'Olivier 


U65]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  HT 

Et,  le  samedi  ensuivant  [218  septembre] ,  lesdiz  ambas- 
sadeurs de  costé  et  d'autre  furent  derechef  assemblez 
en  deux  parties,  c'est  assavoir  monseigneur  du  May  ne  et 
ceulx  de  sa  compaignie  pour  la  partie  du  roy  avecques 
les  autres  princes  et  seigneurs  estans  dehors,  tous  en 
la  Granche  aux  Merciers.  Et,  pour  le  roy,  oudit  Saint- 
Anthoine  des  Champs  y  estoient  ordonnez  maistre 
Estienne  Chevalier,  trésorier  de  France,  maistre  Arnoul 
Boucher^  et  Ghristofle  Paillart,  conseillers  des  comptes  ; 
et  les  commissaires  de  l'autre  partie  estoient  Guillaume 
de  Biche  ^,  maistre  Pierre  d'Oriole,  maistre  Jehan 
Berart,  maistre  Jehan  Compain^,  ung  autre  licencié 

de  la  Marche,  éd.  de  la  Société  de  l'histoire  de  France,  III,  28.  — 
Les  gens  du  roi  firent  apporter  les  comptes  des  revenus  de  la 
Champagne  et  de  la  Brie,  afin  de  renseigner  le  duc  de  Berry  sur 
la  valeur  de  ces  pays  que  son  frère  offrait  de  lui  remettre  en 
apanage.  Maupoint,  qui  place  cet  épisode  le  samedi,  rapporte 
que,  le  même  jour,  le  comte  de  Gomminges,  Charles  de  Melun, 
le  bâtard  du  Maine  et  le  prévôt  des  marchands  réunirent  les 
quarteniers  et  les  centeniers  à  l'hôtel  de  ville  et  leur  firent  prêter 
serment  de  conserver  Paris  au  roi  {Journal,  p.  79  et  suiv.). 

1.  Arnoul  Boucher,  seigneur  du  Vivier,  de  Charenton,  etc., 
avocat  au  Parlement  dès  1455,  conseiller  et  maître  des  comptes 
(1461),  était  fils  de  Bureau  Boucher,  déjà  nommé.  Il  épousa 
Catherine  Hardouin  et  mourut  vers  1492  (Bibl.  nat.,  Pièces  orig., 
vol.  433,  doss.  Boucher). 

2.  Bische  était  né  à  Moulins-Engilbert  vers  1426  (Gommynes, 
éd.  Dupont,  I,  94).  Favori  du  comte  de  Gharolais,  fort  apprécié 
du  roi,  il  fut,  quoique  bourguignon,  nommé  par  Louis  XI  bailli 
de  Saint-Pierre-le-Moutier.  Il  était  seigneur  de  Clairy,  près 
Péronne  (voy.  Vaesen,  Lettres  de  Louis  XI,  II,  117.  Cf.  Ghastellain, 
IV,  115  et  suiv.). 

3.  Le  29  août  1465,  Louis  XI  avait  destitué  Jean  Compaing  de 
l'office  de  général  conseiller  sur  le  fait  de  la  justice  des  aides, 
pour  avoir  fait  plusieurs  visites  non  autorisées  et  s'être  enfin  défi- 
nitivement retiré  au  camp  des  rebelles  [Ordonnances,  XVI,  345  et 


H8  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

escumant  latin ^  et  maistre  Ythier  Marchant^.  Et  ce  jour 
ne  firent  que  peu  de  chose ^. 

Cedit  jour,  le  roy  receut  lettres  de  la  vefve  messire 
Pierre  de  Breszé,  par  lesquelles  lui  mandoit  qu'elle 
avoit  fait  prendre  le  seigneur  de  Broquemont,  cappi- 
taine  du  palais  de  Rouen,  pour  ce  qu'elle  se  souspe- 
connoit  dudit  cas,  et  qu'il  n'eust  aucune  doubte  de 
ladicte  ville  de  Rouen,  du  chastel  du  bout  du  pont,  du 

suiv.).  —  A  la  date  du  l^""  juin  1478,  on  le  retrouve  notaire  et 
secrétaire  du  roi  et  commis  à  la  recette  et  au  paiement  des  gages 
des  présidents  et  conseillers  au  parlement  de  Languedoc  (Bibl. 
nat.,  Pièces  orig.,  vol.  830,  doss.  Compaing). 

1.  On  dirait  familièrement  aujourd'hui,  dans  le  même  sens, 
«  écorchant  le  latin.  » 

2.  Cet  Ythier  Marchant,  deux  fois  mentionné  par  Villon  (éd. 
Longnon,  p.  7  et  61,  et  Index,  p.  323),  servait  le  duc  de  Berry  et 
devint  maître  de  sa  chambre  aux  deniers  en  Guyenne.  Après  la 
mort  de  son  frère,  Louis  XI  fit  tout  pour  attirer  ce  personnage  et 
lui  promit  1,000  livres  de  pension  et  un  otfice  de  maître  des 
comptes  ^(10  mai  1471.  Bibl.  nat.,  ms.  fr.  6964,  fol.  32,  orig.).  On 
verra  plus  loin  qu'il  fut  impliqué  dans  l'attentat  de  Jean  Hardy 
contre  la  vie  du  roi. 

3.  Dimanche  29  septembre,  grande  réunion  en  l'hôtel  du  roi, 
à  Paris,  de  «  plusieurs  nobles  et  de  grans  sages  hommes  de  tous 
estas.  »  Les  gens  du  roi  leur  firent  part  des  demandes  auxquelles 
s'étaient  «  restrains  »  Charles  de  France  et  ses  alUés,  ainsi  que 
des  bases  de  l'accord  proposé.  La  condition  capitale  était  la  ces- 
sion au  frère  de  Louis  XI  des  comtés  de  Champagne  et  de  Brie. 
Après  discussion,  l'assemblée  conseilla  au  roi,  «  afïin  de  ovier 
plus  grant  mal  et  de  avoir  paix,  »  de  souscrire  à  ces  conclusions. 
Il  y  consentit,  et  ainsi  «  fut  accordé  et  pariait  le  traité  de  la 
paix,  »  que  les  seigneurs  du  Bien-Public  allaient  s'empresser  de 
rejeter,  à  la  nouvelle  de  la  prise  de  Rouen.  Ce  même  jour,  Berry 
et  Charolais  se  logèrent,  avec  l'autorisation  du  roi,  au  château 
du  bois  de  Vincennes  pour  «  s'y  reposer  et  raffreschir  »  jusqu'au 
samedi  suivant,  dernier  jour  de  la  trêve  qui  avait  été  conclue  le 
vendredi  précédent  (Maupoint,  Journal,  p.  80). 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  119 

palais  ne  des  habitans  d'icelle,  et  que  tous  ilz  se  trou- 
veroient  bons  et  loyaulx  envers  lui^. 

Et,  le  dimenche  ensuivant  [29  septembre],  au  point 
du  jour,  se  vindrent  rendre  au  boulevert  de  la  tour  de 
Billy  sept  hommes,  qui  estoient  eschappez  prisonniers 
de  l'ost  desdiz  Bourguignons,  dont  il  en  y  avoit  quatre 
facteurs  de  marchans  d'Orléans,  deux  autres  facteurs 
de  marchans  de  Paris,  et  ung  Flamenc,  qui  tous  avoient 
esté  condempnez  à  estre  pendus  par  lesdiz  Bourgui- 
gnons, pour  ce  que  depuis  leur  prinse  n  avoit  eu  per- 
sonne qui  les  eust  pourchassez.  Et  rapportèrent  que  le 
mercredi  précèdent  fut  tirée  une  serpentine  de  la  tour 
de  Billy  dedens  l'ost  desdiz  Bourguignons,  laquelle, 
d'un  seul  cop,  tua  sept  Bourguignons  et  bleça  plu- 
sieurs. 

Ce  jour,  après  disner,  vindrent  nouvelles  au  roy 
que  Rouen  estoit  prins  par  monseigneur  le  duc  de 
Bourbon,  qui  y  entra  par  le  chastel  de  Rouen,  du  costé 
des  champs,  le  vendredi  au  soir  précèdent,  par  le 
moien  de  ladicte  vefve  messire  Pierre  de  Breszé,  à  qui 
le  roy  avoit  fait  moult  de  biens  et  où  il  avoit  grant 
fiance;  et  conduisoit  le  fait  d'icelle  vefve  l'evesque  de 
Bayeux,  et  ledit  maistre  Jehan  Hébert^  et  autres.  Et, 

1.  Le  Normand  Bracquet  de  Braquemont,  écuyer,  est  qualifié 
homme  d'armes  de  la  garde  du  corps  du  duc  de  Guyenne  en  1471. 
Un  autre  Guillaume  de  Braquemont,  aussi  écuyer,  servait  le 
même  prince  en  avril  1472  comme  maître  d'hôtel  (Bibl.  nat., 
Pièces  orig.,  vol.  494,  doss.  Braquemont).  On  peut  se  demander 
s'il  ne  se  joua  pas  à  Rouen  une  comédie  destinée  à  calmer  les 
soupçons  que  le  roi  avait  pu  concevoir  sur  la  fidélité  de  la  grande 
sénéchale  de  Normandie. 

2.  Jean  Hébert  ou  Herbert,  seigneur  d'Orsonville,  conseiller 
du  roi  et  général  des  finances  dès  1458,  naquit  vers  1415.  Il  était 


120  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

au  moien  de  ladicte  prinse,  quant  les  seigneurs  de 
dehors  Paris  sceurent  icelle,  ils  donnèrent  response 
au  roy  que  monseigneur  Charles,  frère  du  roy,  qui 
auparavant  se  feust  contenté  de  Ghampaigne  et  Brye^ 
n'aroit  point  autre  ampanaige  que  de  la  duchié  de 
Normendie.  Laquelle  chose  le  roy,  par  force  et  con- 
trainte et  pour  ce  qu'il  n'y  povoit  remédier,  bailla  à 
mondit  seigneur  Charles  pour  sondit  appanage  ladicte 
duchié  de  Normendie  et  reprint  à  lui  la  duchié  de 

fils  de  Jacques  Hébert  et  épousa  Jeanne  Guérin.  Envoyé  à  Rouen 
par  le  roi,  il  passa  au  parti  du  Bien-Public,  mais  réussit  plus 
tard  à  rentrer  en  grâce  et  reprit  ses  fonctions  de  général  des 
finances  de  Languedoc  (Vaesen,  Lettres  de  Louis  XI,  UI,  101  et 
175,  note.  Cf.  Sauvai,  Antiquités  de  Paris,  III,  342,  et  Bibl.  nat., 
Pièces  orig.,  vol.  1513,  doss.  Herbert].  — ■  C'est  bien  dans  la  nuit 
du  27  au  28  septembre  1465  que  Louis  de  Harcourt,  évêque  de 
Bayeux  et  patriarche  de  Jérusalem,  et  Jean  Hébert,  de  concert 
avec  la  grande  sénéchale,  ouvrirent  au  duc  de  Bourbon  le  château 
de  Rouen,  «  auquel  estoient  lors  les  clefs  des  portes  de  lad.  ville, 
qui  y  avoient  esté  portées  le  soir  de  devant,  ainsi  que  chacun 
jour  on  avoit  acoustumé  de  les  porter  pardevers  le  capitaine  du 
chastel  »  (Rémission  pour  la  comtesse  de  Maulévrier,  Jeanne 
Crespin,  donnée  à  Pont-de-l'Arche  au  mois  de  janvier  1466,  n.  st., 
dans  Lenglet,  Preuves  de  Commynes,  H,  556).  Le  château  ouvrait 
à  la  fois  sur  la  campagne  et  sur  la  ville  (Basin,  H,  128). 
Rouen,  dit  Commynes,  t  tost  se  consentit  à  ceste  mutation, 
comme  trop  désirant  d'avoir  prince  qui  demourast  au  pays  de 
Normandie  »  (éd.  Dupont,  I,  97).  L'exemple  de  la  capitale  du 
duché  ne  tarda  pas  à  être  suivi  par  les  villes  de  Dieppe,  de 
Fécamp,  de  Caudebec  et  de  Harfleur.  Honileur,  Lisieux,  Caen, 
Bayeux  et  presque  toutes  les  places  de  Basse-Normandie  se  sou- 
mirent sans  résistance  aux  lieutenants  de  Bourbon;  «  qui  pro- 
mitlendi  uberes  plurimum  et  copiosi  erant,  quemadmodum  ipsc 
etiam  erat,  »  dit  Basin,  qui  joua  à  Lisieux  un  rùle  que  Louis  XI 
ne  lui  pardonna  jamais  (vuy.  Chéruel,  Le  dernier  duché  de  Nor- 
mandie, dans  la  Revue  de  Rouen  et  de  Normandie,  1847,  l^r  sem.). 
1.  Interpolations  et  variantes,  §  XXIV. 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  121 

Berry*.  Et,  après  que  le  roy  et  baillé  ladicte  duchié  de 
Normendie  audit  monseigneur  Charles,  il  fut  après 
contraint  de  recompenser  tous  lesdiz  princes  et  sei- 
gneurs de  leurs  armées  et  interestz  qu'ilz  avoient  fais 
contre  lui,  qui  tous  le  butinèrent,  ainsi  qu'il  s'ensuit  : 
c'est  assavoir,  monseigneur  de  Gharrolois  ot  pour  son 
butin  les  villes  de  Peronne,  Roye  et  Mondidier,  pour 
estre  siennes  et  demourer  en  perpétuel  héritage.  Et 
si  lui  laissa  aussi  le  roy,  durant  le  cours  de  la  vie 
d'icellui  Gharrolois,  les  villes  et  terres  qu'il  avoit 
nouvellement  degaigées  de  CCGCXXV'"  escuz  d'or  de 
mons.  de  Bourgongne  son  père.  Et  oultre  lui  bailla 
et  laissa  les  contez  de  Guynes  et  Boulongne  sur  la  mer, 
aussi  en  perpétuel  héritage.  Et  après  fut  baillée  au 
duc  de  Calabre  certaine  grant  somme  de  deniers  et  des 
gens  de  guerre  du  roy  souldoiez  à  ses  despens,  pour 
les  exploicter  à  son  plaisir.  Et  à  mons.  de  Bourbon 
fut  baillé  et  laissé  sa  pension  telle  qu'il  avoit  du  temps 

1.  «  Valde  consternatus  est,  »  dit  Basin  de  Louis  XI  (II,  126 
et  suiv.),  «  principes  vero  exhilarati  et  spei  melioris  effecti  »  (cf. 
Gommynes,  éd.  Dupont,  I,  99).  La  reddition  de  Pontoise  et  surtout 
la  chute  de  Rouen  furent  de  véritables  coups  de  théâtre  qui,  du  jour 
au  lendemain,  renversèrent  les  situations  respectives  des  partis. 
C'est  ce  que  Louis  XI  exprimera,  par  la  bouche  des  ambassadeurs 
qu'il  envoya  en  1466  au  comte  de  Charolais  pour  légitimer  la 
reprise  du  duché  de  Normandie.  Tout  était  conclu,  diront-ils,  à  des 
termes  raisonnables  avec  les  conseillers  de  Mgr  Charles,  frère  du 
roi,  quand  la  trahison  de  la  comtesse  de  Maulevrier  détermina 
brusquement  ce  prince  à  rompre  tout  arrangement  et,  «  sans  qu'il 
eust  tiltre,  bail  ne  transport  du  roy,  de  son  auctorité  se  intitula 
duc  de  Normandie.  »  Il  n'en  voulut  plus  démordre,  et  le  roi  dut 
céder,  ayant  été  informé  que  son  porte-parole,  le  comte  du  Maine, 
avait  tout  accordé  et  que,  s'il  refusait  de  ratifier  cette  concession, 
il  courait  «  grant  dangier  de  sa  personne  et  de  la  perdicion  do 
son  royaume  »  (Mélanges  historiques,  II,  437  et  suiv.). 


122  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

du  roy  trespassé  et  les  gens  de  guerre  qu'il  tenoit 
oudit  temps,  et  assigné  du  paiement  à  lui  deu  pour  la 
reste  de  son  mariage,  et  autre  chose  ne  eut  du  roy  ; 
et  au  conte  de  Dunoys  tout  rendu  ce  qui  lui  avoit  esté 
osté  durant  la  division,  et  retenu  à  grant  pension.  Et  au 
conte  de  Dampmartin  fut  fait  de  beaulx  dons  de  par  le 
roy  et  restitué  en  toutes  ses  terres  qu'il  avoit  perdues 
et  confisquées  par  arrest  de  Parlement.  Et,  au  regard 
des  autres  seigneurs,  chacun  en  emporta  sa  pièce ^. 

Et,  le  mardi  premier  jour  d'octobre  ensuivant,  fut 
criée  et  publiée  la  trêve  à  tousjours  entre  le  roy  et  les- 
diz  princes^.  Et,  le  lendemain,  monseigneur  de  Saint- 
Pol  vint  à  Paris  et  disna  ce  jour  avecques  le  roy,  et 
ala  en  la  sale  dudit  palais,  et  là,  à  la  table  de  marbre, 
fut  créé  connestable  de  France^  et  fist  le  serement  en 
tel  cas  acoustumé  de  faire '^.  Et,  cedit  jour,  fut  crié  à 

1.  Les  morceaux  furent  très  inégaux.  Gomme  le  dit  iinement 
Gommynes,  «  il  n'y  eut  jamais  de  si  bonnes  nopces  qu'il  u"y  en 
eust  de  mal  disnez.  Les  ungs  feirent  ce  qu'ilz  voulurent  et  les 
aultres  n'eurent  riens  »  (éd.  Dupont,  I,  105). 

2.  C'est  Tristan  l'Ermite,  prévôt  des  maréchaux  de  France, 
qui  fit  publier  la  trêve  conclue  «  à  tousjours,  sauf  trois  jours  de 
desdit  »  (Maupoint,  Journal,  p.  81). 

3.  Interpolations  et  variantes,  §  XXV. 

4.  Les  lettres  royales  délivrées  en  faveur  du  comte  de  Saint- 
Pol  sont  imprimées  dans  les  Mélanges  historiques,  II,  393; 
elles  sont  datées  du  5  octobre  et  furent  enregistrées  au  Parle- 
ment le  13.  Il  y  est  dit  que  le  nouveau  connétable  avait  déjà 
prêté  serment.  Le  témoignage  de  Maupoint  (Journal,  p.  82) 
semble  infirmer  la  date  du  mercredi  2  octobre,  fournie  par  notre 
chroniqueur  pour  cette  cérémonie.  Ce  serait  le  12,  à  11  heures 
du  matin,  que  Saint-Pol  reçut  l'épée  de  France  de  la  main  du 
roi,  qu'il  baisa  sur  la  bouche  en  signe  d'hommage.  Le  connétable 
prêta  serment  ensuite  dans  la  Grand'Chambre,  où  sit'gcait  la  cour 
de  l*arlomont.  Ses  gages  furent  fixés  à  24,000  1. 1.,  tant  pour  son 
office  que  pour  les  autres  charges  qu'il  tenait  du  roi,  «  gouverne- 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  123 

Paris  de  par  îe  roy  que  chacun  portast  des  vivres  et 
autres  choses  pour  avitailler  et  revestir  iesdiz  Bour- 
guignons et  Bretons,  laquelle  chose  fut  faicte.  Et  incon- 
tinent que  ledit  cry  fut  fait,  plusieurs  marchans  de 
Paris  y  portèrent  grant  foison  de  vivres  aux  champs 
devant  Saint-Anthoine,  lesquelz  vivres  furent  inconti- 
nent moult  bien  recueillis  par  Iesdiz  de  l'ost  qui  y 
vindrent  de  toutes  pars  et  achetoient  iceulx  vivres  ce 
qu'on  leur  faisoit,  par  especial  pain  et  vin,  car  Iesdiz 
de  l'ost  estoient  tant  affamez,  les  joes  velues  et  si 
pendans  de  maleureté  qu'ilz  avoient  longuement  enduré 
que  plus  n'en  povoient,  et  la  pluspart  estoient  sans 
chausses  et  soulers,  pleins  de  poux  et  d'ordure^.  Et 
entre  autres  vindrent  et  arrivèrent  ausdiz  vivres  plu- 
ment des  pais  de  Champaigne,  Brye,  l'Isle  de  France,  Ghartrain 
et  tous  les  païs  de  deçà  la  rivière  de  Loire.  »  —  On  sait  que  la 
fameuse  table  de  marbre  était  placée  à  l'extrémité  septentrionale 
de  la  grand'salle  du  Palais. 

1.  Les  marchands  de  Paris  portèrent  à  Saint-Antoine-des- 
Champs,  «  cuidant  gangnier,  j  non  seulement  du  pain  et  du  vin, 
mais  des  draps,  des  chausses  et  des  souliers,  dont  Bretons  et 
Bourguignons  «  avoient  très  grant  nécessité.  Les  aulcuns  desdiz 
marchans  gangnierent  et  les  aultres  perdirent  de  leurs  denrées, 
lesquelles  leur  furent  emblées  »  (Maupoint,  Journal,  p.  81).  Com- 
mynes  insiste  sur  la  misère  qui  désolait  le  camp  des  princes. 
L'  «  ost  estoit  en  très  grant  nécessité  de  vivres  et  principallement 
d'argent,  et',  quant  cecy  (le  traité)  n'eust  esté,  tout  autant  qu'il  y 
avoit  là  de  seigneurs  s'en  fussent  tous  allez  honteusement  j  (éd. 
Dupont,  I,  100).  Au  reste,  le  pillage  était  à  l'ordre  du  jour.  De 
dépit  de  n'avoir  pu  mettre  Paris  à  sac,  les  aventuriers  du  Bien- 
Public  coururent  les  environs  du  2  au  5  octobre,  pillant  le  blé  en 
granges,  emportant  tout  ce  qu'ils  pouvaient  prendre,  emmenant 
avec  eux  hommes,  femmes  et  chevaux,  dépouillant  les  églises  et 
ravageant  les  vignobles  sur  les  deux  rives  de  la  Seine  (Maupoint, 
Journal,  p.  81). 


124  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

sieurs  liffreloffres*  Galabriens  et  Suisses,  qui  avoient 
telle  rage  de  fain  aux  dens  qu'ilz  prenoient  frommages 
sans  peler  et  mordoient  à  mesmes,  et  puis  buvoient 
de  grans  et  merveilleux  traiz  en  beaux  pos  de  terre  ; 
et  Dieu  scet  en  quelz  nopees  ilz  estoient,  mais  ilz  ne 
leur  estoient  pas  franches,  pour  ce  qu'ilz  paioient  bien 
leur  escot.  Et  plusieurs  autres  choses  ot  faictes  ce 
jour  qui  sont  cy  passées  pour,  cause  de  briefté;  mais 
chacun  doit  savoir  que  c'est  chose  incompréhensible 
et  inestimable  que  de  la  puissance  de  Paris,  car  lesdiz 
Bourguignons ,  Bretons ,  Galabriens ,  Bourbonnois, 
Picars  et  autres  ainsi  estans  devant  Paris  que  dit  est, 
que  on  estimoit  à  bien  C^  chevaulx,  après  l'appoincte- 
ment  fait,  et  ceulx  de  Paris,  qui  estoient  trois  foiz 
plus,  furent  tous  fournis  et  nourris  des  biens  de  ladicte 
ville  par  moult  grant  espace  de  temps  et  sans  riens 
enchérir,  et  après  leur  partement  y  fut  encores  beau- 
cop  meilleur  marchié  que  devant  n'avoit  esté^. 

Et  le  jeudi  ensuivant  [3  octobre]  ne  fut  riens  fait, 
sinon  que  tousjours  on  avitailloit  lesdiz  de  l'ost.  Et 
aussi ,  ce  mcsme  jour,  le  roy  à  privée  mesgnée  ala 
jusques  au  joignant  de  Conflans  parler  à  mondit  sei- 
gneur de  Charrolois,  laquelle  chose  sembla  à  toutes 
personnes  voulans  son  bien  estre  bien  simplement  fait 
à  lui.  Et  de  ce  se  farsoient  et  moquoient  les  Picars  et 
autres  de  leur  party,  qui  en  disoient  telz  motz  :  «  Et 

1.  Ce  mot  doit  tirer  son  origine  du  haut-allemand  làufer,  cou- 
ramment usité  alors  en  Suisse  pour  désigner  les  aventuriers  qui 
s'engageaient  à  l'étranger  à  titre  mercenaire. 

2.  Cf.  Gommynes,  éd.  Dupont,  t.  I,  p.  74.  —  11  est  douteux 
que  le  nombre  total  des  forces  qui  assiégeaient  Paris  dépassât 
51,000  hommes,  chitïre  fourni  par  Maupoint. 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  125 

rewoitiez  vo  roy  qui  parle  à  no  seigneur  de  Gharrolois, 
et  a  passé  à  deux  heures  qu'ilz  y  sont.  Et  par  foy,  se 
voulions,  il  est  bien  en  no  commandement*  !  » 

Et  le  vendredi  ensuivant,  quart  jour  dudit  moys,  le 
roy  ordonna  aux  portiers  de  laditte  porte  Saint- 
Anthoine  qu'on  laissast  entrer  desdiz  Bourguignons  en 
icelle  ville,  dont  plusieurs  y  vindrent  à  ceste  cause  et 
en  grant  nombre,  qui  y  firent  plusieurs  excès  et  mais- 
trises,  ce  qui  ne  leur  eust  pas  esté  souffert  qui  bien 
eust  sceu  que  le  roy  ne  s'en  feust  point  courroucié-. 
Et,  à  cause  de  la  permission  d'icelle  entrée,  y  ot  ung 
bourguignon  entre  autres  qui  voult  entrer  en  icelle 
ville  par  ladicte  porte  Saint-Anthoine  contre  le  gré  des 
portiers  ilec  estans,  et  mesmement  d'un  archer  de  la 
compaignie  dudit  bastard  du  Maine  qui  gardoit  le  gui- 
chet de  ladicte  porte  Saint-Anthoine.  Et,  pour  le  refus 
que  fist  ledit  archer  audit  Bourguignon  d'entrer  dedans 
ladicte  porte  et  en  icelle  ville,  ledit  bourguignon  bailla 
à  icellui  archer,  en  entrebaillant  ledit  guichet,  d'une 
dague  dedens  le  ventre.  Et  incontinent  ledit  bourgui- 
gnon fut  prins  et  merveilleusement  batu  et  navré,  et 
le  voulurent  plusieurs  tuer,  ce  qui  leur  fut  défendu. 
Mais  on  fist  asavoir  ces  choses  au  roy,  qui  ordonna  que 
on  le  menast  audit  seigneur  de  Gharrolois  pour  en 
faire  justice;  lequel  y  fut  incontinent  mené  et,  tout 
aussitost  qu'il  fut  vers  lui  arrivé,  le  fist  pendre  et 
estrangler  à  la  Justice  estant  près  du  pont  de  Gha- 
renton. 

Ce  jour  aussi,  le  roy  ordonna  que  en  chacun  quar- 

1.  Cf.  Gommynes,  éd.  Dupont,  I,  99,  et  Mélanges  historiques 
cités,  U,  391. 

2.  Cf.  Maupoint,  Journal,  p.  84. 


126  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

tier  de  Paris  feust  fait  des  feux  et  ceulx  dudit  quartier 
estre  ilec  en  armes,  et  que  en  chacun  desdiz  carrefours 
y  eust  ung  notable  homme  esleu  pour  parler  aux  pas- 
sans  parmy  les  rues  et  savoir  qui  ilz  estoient  et  où  ilz 
aloient.  Et  ce  jour  fut  éclipse  de  lune. 

Et,  le  dimenche  ensuivant  [6  octobre],  plusieurs  des 
seigneurs  de  l'ost  vindrent  souper  à  Paris  avecques  le 
roy,  en  l'ostel  de  sire  Jehan  Luiller,  clerc  de  ladicte 
ville,  et  là  s'y  trouvèrent  plusieurs  dames,  damoi- 
selles,  bourgoises  et  autres  notables  femmes  d'icelle 
ville  ^ 

Et,  cedit  jour,  Salezart,  cappitaine^,  et  vingt  hom- 
mes d'armes  de  sa  compagnie  furent  aux  champs 
dehors  Paris  et  yssirent  par  la  bastide  Saint-Anthoine, 
pour  ce  que  la  porte  estoit  gardée,  et  défendu  de  par 
le  roy  que  homme  n'yssist  hors  d'icelle  ville  ;  mais,  à 
les  bouter  dedens,  on  n'y  en  mettoit  que  dix  à  une 
foiz,  que  on  levoit  le  pont  levis  devers  ladicte  place, 
et  les  menoit  on  aux  champs,  et  puis  revenoit  on 
quérir  les  autres  dix  pour  aussi  faire  passer  aux 
champs.  Tous  lesquelz  vint  hommes  d'armes  estoient 
vestus  et  habillez  de  hoquetons  de  camelot^  violet  à 

1.  Il  est  piquant  de  constater  que  l'édition  gothique  a  supprimé 
le  mot  bourgeoises  et  changé  notables  en  nobles.  Signe  des  temps 
et  qui  fait  apprécier  la  différence  qui  a  existé  entre  les  mœurs  de 
Louis  XI  et  celles  de  ses  successeurs. 

2.  Le  biscayen  Jean  de  Salazar,  chevalier,  conseiller  et  cham- 
bellan du  roi,  seigneur  de  Saint-Just,  etc.,  et  capitaine  de  cent 
lances,  s'était  distingué  à  la  guerre  sous  Charles  VII.  Il  avait 
épousé  Marie,  bâtarde  de  la  Trémoille,  et  mourut,  le  12  no- 
vembre IWJ  (Vaesen,  LelLres  de  Louis  XI,  II,  G3).  Sa  femme,  la 
seconde  peut-être,  est  désignée  sous  le  nom  de  Marie  Braque 
dans  le  registre  X^»  1490  des  Arch.  nat.,  fol.  338  v». 

3.  Étoffe  mélangée  de  soie  et  de  laine. 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  127 

grans  croix  blanches,  et  avoient  belles  chaynes  d'or 
autour  du  col,  et  en  leurs  testes  cramignolles^  de 
veloux  noir  à  grosses  houppes  de  fil  d'or  de  Ghippre 
dessus,  et  tous  leurs  chevaulx  estoient  couvers  de 
grosses  campanes  d'argent.  Et,  au  regard  dudit  Sal- 
lezart,  pour  différence  de  ses  gens,  il  estoit  monté 
dessus  ung  beau  coursier  à  une  moult  belle  housseure 
toute  couverte  de  trenchouers^  d'argent,  dessur  cha- 
cun desquelz  y  avoit  une  grosse  campane  d'argent 
dorée.  Et  tout  devant  ladicte  compaignie  aloit  la  trom- 
peté dudit  Salezart  monté  dessus  ung  cheval  grison, 
lequel,  en  courant  au  long  des  fossez  d'entre  ladicte 
porte  Saint-Anthoine  et  le  bolevert  de  la  tour  de  Bill  y, 
ledit  cheval  cheut  dessoubz  ladicte  trompeté  si  très 
lourdement  que  icelle  trompeté  se  rompy  le  col. 

Et,  le  lundi  ensuivant  [7  octobre],  vint  nouvelles  à 
Paris  que  le  seigneur  de  Halbourdin  et  le  seigneur  de 
Saveuzes  avoient  prins  Peronne  et  le  conte  de  Nevers 
qui  estoit  dedens^.  Et,  cedit  jour,  eschapperent  trois 
prisonniers  des  prisons  de  Thiron  *,  dont  l'un  avoit 
esté  cause  avecques  Loys  Sorbier  de  bouter  les  Bre- 
tons et  autres  dedens  Pomtoise,  et  estoit  de  la  com- 
paignie de  Joachin  Rouault.  Ce  jour  aussi  se  print  le 

1.  Sorte  de  toques  (Quicherat,  Histoire  du  costume  en  France, 
p.  298). 

2.  Plaques  rondes  ou  carrées,  de  forme  semblable  aux  tran- 
choirs sur  lesquels  on  découpait  les  viandes. 

3.  Jean  de  Bourgogne,  comte  de  Nevers,  fut  soupçonné  d'avoir 
livré  Péronne  à  l'ennemi,  mais,  pour  sauver  les  apparences,  il 
se  fit  prendre  dans  son  lit  (voy.  Mélanges  historiques,  II,  379,  395, 
et  du  Glercq,  IV,  213  et  suiv.). 

4.  L'hôtel  appartenant  à  l'abbaye  de  Tiron  en  Beauce  était 
situé  dans  la  rue  Tiron,  près  de  l'hôtel  de  ville. 


128  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

feu  à  Paris  en  une  maison  en  Champ  Gaillart',  dont  le 
roy  ot  ung  peu  de  paour,  et  ordonna  pour  ceste  cause 
que  on  feist  faire  des  feux  par  tous  les  quartiers  de 
Paris  et  les  habitans  armez  devant  iceulx,  et  que  le 
guet  feust  renforcié  ;  ce  qui  fut  fait. 

Oudit  moys  d'octobre  furent  aucunes  gens  de  guerre 
du  parti  dudit  de  Bourgongne  devant  la  ville  de  Beau- 
vais,  pour  sommer  les  prélat  et  populaire  d'icelle  de 
eulx  rendre  et  mettre  es  mains  dudit  seigneur  de 
Bourgongne,  et  ladicte  place  aussi.  Lesquelz  prélat  et 
habitans  prindrent  ladicte  sommacion  par  escript  et 
l'envoierent  au  roy,  qui  incontinent  l'envoya  audit 
seigneur  de  Gharrolois-,  avecques  lequel  il  avoit  fait 

1.  Le  Ghamp-Gaillart  était  dans  Paris,  contre  l'enceinte,  entre 
les  portes  Saint- Victor  et  Bordelle  (Plan  de  tapisserie). 

2.  Le  traité  dit  de  Conflans  n'est  connu  que  par  les  patentes 
royales  du  5  octobre,  datées  de  Paris,  que  Lenglet,  après  Gode- 
froy,  a  imprimées  aux  Preuves  de  son  édition  de  Gommynes  (II, 
500-505).  Ces  lettres  portent  donation  au  comte  de  Gharolais  des 
villes  de  la  Somme,  des  comtés  de  Ponthieu,  de  Boulogne  et  de 
Guines,  de  Péronne,  de  Montdidier  et  de  Roye.  L'enregistrement 
en  eut  lieu  au  Parlement  le  12  octobre,  sur  l'ordre  exprès  du  roi  et 
malgré  la  protestation  formelle  de  ses  gens  contre  cette  aliénation 
d'une  fraction  du  domaine  (Lenglet,  II,  511  et  suiv.).  Cette  pro- 
testation visa  également  le  transport  consenti  par  Louis  XI,  au 
même  prince,  des  prévôtés  de  Vimeu,  de  Beauvaisis  et  de  FouUoy. 
Quoi  qu'en  ait  dit  M.  Fagniez  (Maupoint,  Journal,  p.  86,  note  5), 
il  ne  faut  pas  considérer  ce  que  Lenglet  a  imprimé  (II,  499) 
d'après  Legrand,  sous  le  titre  de  :  «  Copies  et  appointements  faits 
par  le  roy  aux  princes  »,  avec  la  date  du  2  octobre,  comme  un  acte 
otiiciel.  C'est  seulement  le  rapport  d'un  personnage,  plus  ou  moins 
bien  informé,  sur  les  conditions  de  l'accord  telles  qu'elles  avaient 
été  discutées  le  29  septembre  dans  la  grande  assemblée  tenue  en 
l'hôtel  du  roi  (Maupoint,  p.  80).  11  est  même  certain  que  plu- 
sieurs des  clauses  relatées  dans  ce  rapport  —  celles  notamment 
en  faveur  des  ducs  de  Bretagne  et  do  Nemours  —  ne  furent  pas 
confirmées. 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  129 

paix  ou  trefve.  Lequel  Charrolois  rendi  response  que 
ce  n'estoit  point  de  par  lui  qu'on  faisoit  lesdictes  som- 
macions,  en  disant  que  le  dyable  peust  emporter  ceulx 
qui  faisoient  telz  choses,  et  qu'ilz  faisoient  plus  qu'on 
ne  leur  commandoit.  Et  dist  le  roy  audit  seigneur  de 
Charrolois  que,  puisque  appoinctement  avoit  esté  fait 
entre  eulx,  qu'il  ne  faloit  plus  user  de  telles  voyes,  et 
si  lui  dist  plus  le  roy  qu'il  lui  donroit  ladicte  ville  de 
Beauvais  s'il  vouloit. 

Et,  le  mercredi  ensuivant,  ix^  jour  dudit  moys,  fut 
ordonné,  de  par  les  prevost  des  marchans  et  eschevins 
de  ladicte  ville,  que  chacun  quartenier  et  dizinierd'icelle 
ville  feissent  faire  des  feux  es  lieux  acoustumez  de  les 
faire,  et  que  toutes  les  chaynes  des  rues  foraines 
feussent  tendues,  et  que  chacune  personne  feust  veil- 
lant devant  lesdiz  feux,  laquelle  chose  fut  faicte. 

Et,  le  jeudi  ensuivant  [10  octobre],  vint  ledit  sei- 
gneur de  Saveuzes  et  arriva  en  l'ost  desdiz  Bourgui- 
gnons, à  tout  grant  puissance  de  gens  qui  amenoient 
certaine  grant  somme  d'or  et  argent  pour  faire  le  paie- 
ment des  gens  de  guerre  dudit  seigneur  de  Charro- 
lois''. —  Et,  ce  jour  aussi,  le  duc  de  Bretaigne  ot  son 
appoinctement  avecques  le  roy  de  ses  vacacions,  fraiz 
et  mises  de  lui  et  son  armée,  pour  estre  venu  contre 
lui  et  son  royaume  devant  Paris  avecques  les  autres 
princes  et  seigneurs  devant  nommez.  Et,  en  faisant  ledit 
appoinctement,  lui  fut  rebaillée  sa  conté  de  Montfort^ 
et  autres  choses  avecques  grant  somme  de  deniers. 

1.  Mélanges  historiques,  II,  396.  Saveuses  amenait  avec  lui 
120  hommes  d'armes  et  1,500  archers  avec  120,000  écus  (Gom- 
myaes,  éd.  Dupont,  I,  100). 

2.  Le  comté  de  Monlfort-l'Amaury. 


130  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

Et,  le  venredi  ensuivant  [11  octobre],  vint  en  l'os- 
tel  de  ladicte  ville  maistre  Jehan  le  Boulenger,  prési- 
dent en  Parlement,  dire  ilec  de  par  le  roy  qu'on  feist 
assavoir  aux  quarteniers  et  dixeniers  de  ladicte  ville 
et  de  main  en  main  au  populaire  d'icelie  qu'on  ne 
s'esbahist  point  se  on  veoit  la  puissance  des  Bourgui- 
gnons venir  ce  jour  devant  Paris,  et  que  ce  seroit  pour 
ilec  faire  leurs  monstres  ;  et  nonobstant  ce  n'y  vin- 
drent  point  ce  jour,  mais  les  firent  depuis  le  pont  de 
Charenton  jusques  au  bois  de  Vinciennes,  et  se  mons- 
trerent  grant  puissance  ' .  Et  là  le  roy  se  trouva  pour 
veoir  icelles  monstres  bien  simplement,  comme  de 
lui  quatriesme  seulement,  c'est  assavoir  le  roy,  le  duc 
de  Galabre,  le  seigneur  de  Gharrolois  et  monseigneur 
de  Saint -Pol.  Et,  quant  lesdictes  monstres  furent 
faictes,  le  roy  s'en  retourna  à  Paris  par  eaue.  Et, 
avant  son  parlement  et  en  sa  présence,  ledit  seigneur 
de  Gharrolois  dist  à  tous  sesdictes  gens  de  guerre  ces 
motz  :  «  Messeigneurs,  vous  tous  et  moy  sommes  au 
roy  mon  souverain  seigneur,  qui  cy  est  présent,  pour 
le  servir  toutes  les  foiz  que  mestier  en  aura-.  » 

Et,  le  samedi  ensuivant,  xif  jour  dudit  moys  d'oc- 
tobre IIIPLXV,  vint  nouvelle  que  la  ville  d'Evreux 
avoit  esté  baillée  et  hvrée  aux  Bretons  par  ung  nommé 
messire  Jehan  le  Beuf,  chevalier,  qui  les  bouta  en 
ladicte  ville  le  mercredi  précèdent,  jour  de  Saint- 
Denis,  ainsi  que  les  bourgois  et  habitans  de  ladicte 

\.  Interpolations  et  variantes,  §  XXVI. 

2.  Le  11  octobre,  le  comte  de  Charolais  fit  passer  à  ses  gens 
d'armes  la  Seine  et  la  Marne.  Le  roi  vint  les  voir  rangés  en 
bataille  devant  leur  artillerie  et  les  «  prisa  moult  »  (Mélanges 
histor.,  II,  396). 


1465J  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  131 

ville  aloient  en  une  procession  hors  d'icelle  ville.  Et 
ainsi  qu'ilz  yssoient  par  l'une  des  portes  d'icelle,  en 
alant  à  ladicte  procession,  lesdiz  Bretons  entroient  en 
ladicte  ville  par  une  autre  porte*. 

Et,  le  x\f  jour  d'icellui  moys  d'octobre,  advint 
qu'on  advertit  le  roy  qu'il  y  avoit  entreprise  faicte  sur 
sa  personne  par  aucuns  ses  ennemis  de  le  prendre  ou 
tuer  dedens  ladicte  ville;  et,  pour  soy  en  garder  et 
dormir  seurement,  ordonna  expressément  qu'on  feist 
grant  guet  et  garde  en  ladicte  ville,  tant  sur  la  mu- 
raille que  dedens,  et  que  par  chacun  quartier  et  rue 
feussent  faiz  les  feux  ;  ce  qui  fut  fait  2.  —  Et  vint  aussi 
nouvelles  que  la  ville  de  Caen  et  autres  de  Normendie 
s'estoient  remises  et  reduictes  en  l'obéissance  de  mon- 
dit  seigneur  de  Berry^.  Et,  depuis  ce,  le  roy  envoya 
en  la  ville  de  Mante  grant  quantité  de  gens  de  guerre 
et  de  frans  archers. 

En  ce  temps,  le  roy  fist  aler  la  royne  à  Orléans, 
qui  lors  estoit  à  Amboise^.  Et,  le  jeudi  ensuivant, 
xvui^  jour  dudit  moys°,  le  roy  souppa  en  l'ostel  du 

1.  D'après  Maupoint  (Journal,  p.  83  et  suiv.),  Louis  XI  apprit 
le  lundi  14  octobre  seulement  que  le  bâtard  de  Bourbon  était 
entré  à  Évreux,  «  tant  par  tradicion  que  par  force.  » 

2.  Le  lundi  14,  Bretons  et  Bourguignons  avaient  commencé  à 
circuler  dans  Paris.  Ils  ne  commirent  aucune  déprédation,  les 
bourgeois  faisant  bon  guet  au  nombre  de  30,000  bommes  bien 
armés  (Maupoint,  Journal,  p.  84  et  suiv.). 

3.  Voy.  ci-dessus  et  Basin,  II,  130.  Cf.  l'Instruction  donnée  au 
seigneur  de  Chaumont,  pour  Mgr  Charles  de  France,  par  le  duc  de 
Bourbon  et  datée  du  château  de  Rouen,  lî  octobre  1465  (Bibl. 
nat.,  ms.  fr.  6963,  fol.  59  et  suiv.;  orig.). 

4.  Elle  demeura  à  Amboise  pendant  la  campagne,  confiée  par 
le  roi  à  la  garde  des  bourgeois  de  cette  ville  (Et.  Cartier,  Essai 
historique  sur  Amboise.  Poitiers,  1842,  in-8°,  p.  23  et  suiv.). 

5.  Lisez  :  xvij^  jour  dud.  mois. 

I  11 


132  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

seigneur  d'Ermenonville,  où  il  fist  grant  chère,  et  y 
mena  avecques  lui  le  conte  du  Perche,  Guillaume  de 
Biche \  Guiot  d'Urie,  Jaques  de  Crevecuer,  mons.  de 
Craon,  messire  Yves  du  Fau,  messire  Gastonnet  du 
Léon,  Waste  de  Monpedon,  Guillaume  le  Ceinte  et 
maistre  Regnault  des  Dormans^.  Et,  pour  femmes,  y 
estoient  madamoiselle  d'Ermenonville,  la  Longuejoe, 
la  Duchesse  et  de  Longueil^  et,  pour  bourgoises, 
Estiennette  de  Paris,  Perrette  de  Chaalon  et  Jehanne 
Baillette^ 

1.  Interpolations  et  variantes,  §  XXVII, 

2.  René,  comte  du  Perche,  fils  de  Jean,  duc  d'Alençon,  et  de 
Marie  d'Armagnac,  succéda  au  duché  en  1476  et  mourut  en  1492. 
Il  épousa  en  1488  Marguerite  de  Lorraine.  —  Guiot  d'Urie,  ou 
mieux  d'Urre  en  Dauphiné,  seigneur  de  Molans  et  de  Baumettes, 
écuyer  d'écurie  de  Louis  XI,  l'avait  accompagné  en  Flandres.  Il 
épousa  Jeanne  d'Alauson  (Moréri).  —  Jacques  de  Grèvecœur 
étant  mort  dès  1441,  il  doit  s'agir  ici  de  l'un  de  ses  fils,  Antoine 
et  Philippe,  qui  avaient  combattu  à  Montlhéry  (Anselme,  t.  VII, 
p.  107).  —  Yves  du  Fou,  chevalier,  conseiller  et  chambellan  du 
roi,  seigneur  de  laRamenteresse,  sénéchal  de  Poitou,  grand  veneur 
de  France,  gouverneur  d'Angoumois,  capitaine  de  100  lances,  etc., 
épousa  Anne  Mourant  et  mourut  vers  1489  (Bibl.  nat..  Pièces 
orig.,  vol.  1208,  doss.  Du  Fou;  cf.  ms.  fr.  20432,  fol.  5).  —  Gas- 
ton du  Lyon,  chevalier,  conseiller  et  chambellan  du  roi  et  son 
premier  valet  tranchant,  seigneur  de  Bezaudun,  etc.,  fut  sénéchal 
de  Saintonge  (14G5),  puis  de  Toulouse  et  d'Albi.  —  Guillaume 
Le  Comte,  écuyer,  était  grèneticr  du  grenier  à  sel  de  Paris  (Bibl. 
nat.,  Pièces  orig.,  vol.  832,  doss.  Le  Comte,  et  vol.  830,  doss.  Corn- 
pains;  cf.  ms.  fr.  6963,  fol.  69).  —  Regnault  de  Dormans,  sei- 
gneur de  Nozay,  Saint-Remy,  etc.,  remplissait  les  fonctions  de 
maître  des  requêtes  ordinaires  de  l'hùtel  et  appartenait  à  une 
famille  parisienne  bien  connue. 

3.  Geofrine,  fille  de  Jean  Baillet,  seigneur  de  Sceaux,  avait 
épousé  Pierre  L'Orfèvre,  seigneur  d'Ermenonville,  et  sa  sœur, 
Geneviève,  était  récemment  mariée  à  Jean  Longuejoue,  le  jeune, 
seigneur  d'Iverny,  conseiller  au  parlement  de  Paris.  —  Le  nom 
ia  Duchesse,  désignant  ici  la  femme  de  Guillaume  Le  Duc,  con- 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  133 

Et,  le  mardi  xxn®  jour  dudit  moys,  le  roy  ala  par- 
deverslesdiz  princes,  à  privée  mesgnée,  sans  sa  garde, 
jusques  à  la  Granche  aux  Merciers,  sauf  que  mons.  de 
Berry  n'y  estoit  point. 

Et,  le  jeudi  ensuivant  [214  octobre],  mons.  Je  duc 
de  Bourbon  vint  parler  au  roy  en  la  place  devant  Paris, 
pardeça  le  fossé  de  la  Granche  de  Rully.  Et  estoit  le 
roy  ce  jour  le  plus  honnestement  habillé  qu'on  l'avoit 
point  veu  devant,  car  il  estoit  vestu  d'une  robe  de 
pourpre  desceinte  et  toute  fourrée  d'ermines,  qui  lui 
seoit  beaucop  mieulx  que  ne  faisoient  les  cours  habis 
qu'il  avoit  portez  par  avants 

Et,  le  samedi  ensuivant  [216  octobre],  mondit  sei- 
gneur de  Gharrolois  se  départi  de  son  ost  et  fîst  crier 
par  tout  icellui,  sur  peine  de  la  hart,  que  tous  ceulx  de 

seiller  au  Parlement,  a  donné  lieu  à  de  singulières  bévues  de  la 
part  des  divers  éditeurs  de  la  Chronique  Scandaleuse  ;  ils  ont  pris  ce 
nom  de  famille  pour  un  titre  et  ont  imprimé  la  duchesse  de  Longueil, 
et  même  de  Longueville.  —  Marie  de  Marie,  fille  d'Arnault  de  Marie, 
président  au  Parlement,  avait  épousé  Jean  de  Longueil,  le  jeune, 
conseiller  au  Parlement,  seigneur  de  Maisons,  de  Rancher  et 
de  la  Rivière  (Pièces  orig.,  vol.  1741,  doss.  Longueil).  —  Étien- 
nette  de  Paris  était  la  femme  de  Henri  de  Paris,  marchand,  bour- 
geois de  Paris,  échevin  en  1461  ;  elle  était  fille  de  Guillaume  de 
Besançon,  procureur  au  Parlement  (Pièces  orig.,  vol.  2198,  doss. 
Paris,  et  vol.  321,  doss.  Besançon).  —  Perrette  de  Chaalon,  qua- 
lifiée plus  loin  bourgeoise  de  Paris,  passe  à  tort  ou  à  raison  pour 
avoir  joui  de  la  faveur  de  Louis  XI.  Enfin,  Jeanne  Le  Viste  avait 
épousé  Thibaud  Baillet,  chevalier,  conseiller  puis  président  au 
parlement  de  Paris  (Pièces  orig.,  vol.  168,  doss.  Baillet). 

1.  Interpolations  et  variantes,  §  XXVIII.  —  Louis  XI  portait 
habituellement  un  pourpoint  fort  court,  des  chausses  et  des  bot- 
tines (voy.  la  représentation  qui  servit  de  modèle  pour  son  tom- 
beau à  Cléry,  dans  l'éd.  de  Commynes  de  M"«  Dupont,  III,  340). 
—  La  grange  de  Reuilly  était  située  à  l'est  de  Paris,  en  dehors 
de  l'enceinte. 


134  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

son  armée  et  compaignie  feussent  incontinent  prestz 
pour  l'aler  servir  à  l'encontre  des  Liegois,  qui  gas- 
toient  et  mettoient  à  feu  et  à  l'espée  tout  ce  qu'ilz 
trouvoient  es  pays  dudit  seigneur  de  Gharrolois^. 

Et,  les  dimenche,  lundi  et  mardi  ensuivants  [27-219  oc- 
tobre], monseigneur  de  Berry,  qui  estoit  logié  à  Saint- 
Mor  des  Fossez,  fut  ung  peu  malade  d'une  fièvre  qui 
le  tint  durant  lesdiz  trois  jours,  et  puis  fut  guery.  Et, 
pareillement  que  devant,  le  roy  fist  faire,  ledit  jour 
de  lundi,  les  feux  et  le  guet  parmy  ladicte  ville  et 
tendre  les  chaynes  de  toutes  les  rues  foraines. 

Et,  le  mercredi  ensuivant,  xxx®  et  penultime  jour 
d'octobre,  oudit  an,  furent  leues  et  publiées  les  lettres 
de  la  paix  ou  trêve  faicte  entre  le  roy  et  lesdiz  princes 
en  la  court  de  Parlement,  où  ilec  elle  fut  enregistrée^. 
Et,  ce  mesme  jour,  le  roy  parti  de  Paris  pour  aler  au 
bois  de  Vincennes  pardevers  lesdiz  princes,  et  là  mon- 


1.  La  nouvelle  de  la  défaite  du  comte  de  Gharolais,  semée  à 
Liège  par  les  agents  de  Louis  XI,  après  Montlhéry,  avait  mis  les 
armes  aux  mains  des  gens  de  Liège  et  de  Dinant,  dont  les  meneurs 
étaient  soudoyés  par  l'or  français.  Avant  de  quitter  Conflans, 
Gharolais  expédia  de  tous  côtés  des  lettres  par  lesquelles  il  enjoi- 
gnit aux  vassaux  du  duc  de  Bourgogne  d'être  en  armes  le  15  no- 
vembre à  Mézières  (Ardennes),  pour  entrer  au  pays  de  Liège  (Du 
Glercq,  IV,  239). 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  XXIX.  —  Les  articles  de  l'ac- 
cord passé  entre  Louis  XI  d'une  part  et  le  duc  de  Berry  et  ses 
adhérents  de  l'autre,  Gharolais  excepté,  sont  reproduits  par  Len- 
glet(II,  512  et  suiv.),  sous  forme  de  patentes  portant  approbation 
desdits  articles,  avec  la  date  de  Paris,  27  octobre  1465.  Outre  cer- 
taines clauses  générales  et  l'institution  des  trente-six  réforma- 
teurs du  Bien-Public,  sont  ratifiées  diverses  dispositions  en  faveur 
des  comtes  de  Dunois,  du  Maine  et  de  Dammartin.  C'est  cet 
ensemble  d'articles  que  les  princes  approuvèrent  à  leur  tour  à  la 
date  du  29  octobre,  à  Saint-Maur-des-Fossés. 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  135 

dit  seigneur  de  Berry  lui  fîst  hommage  de  la  duchié 
de  Normendie,  qui  baillée  lui  avoit  esté  pour  sondit 
appanage*.  Et,  cedit  jour,  fut  ladicte  ville  de  Paris 
fort  gardée;  et  fîst  on  armer  tous  les  archers  et  les 
arbalestriers  d'icelle  et  autres,  pour  garder  les  portes 
de  ladicte  ville,  jusques  à  ce  que  le  roy  feust  retourné 
en  icelle  de  devers  lesdiz  princes  où  il  s'en  estoit  ainsi 
simplement  aie.  Et  délibéra  le  roy,  ce  mesme  jour, 
de  coucher  la  nuit  audit  lieu  du  boys,  et  envoya  qué- 
rir son  lit  à  Paris ^.  Mais  le  prevost  des  marchans  et 
eschevins  de  ladicte  ville  lui  envolèrent  message  exprès 
lui  humblement  prier  et  requérir  qu'il  n'y  couchast 
point  pour  moult  de  causes,  ce  qu'il  leur  accorda,  et 
s'en  retourna  au  giste  audit  lieu  de  Paris  ^. 

Et,  le  jeudi  ensuivant  [31   octobre],  monseigneur 

1.  Les  lettres  d'hommage,  datées  de  Vincennes,  le  30  octobre 
1465,  sont  imprimées  dans  Lenglet,  II,  532, 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  XXX. 

3.  Craignant  pour  la  sécurité  du  roi,  Henri  de  Livres,  prévôt 
des  marchands,  et  les  quatre  échevins  firent  secrètement  armer 
les  archers,  arbalétriers,  canonniers,  coulevriniers,  bourgeois  et 
gens  de  métier,  jusqu'au  nombre  de  22,000  hommes.  Louis  XI 
quitta  Paris  à  dix  heures  du  matin  avec  plusieurs  gentilshommes, 
suivi  de  sa  garde,  composée  de  200  lances  et  de  300  archers,  et 
de  12,000  hommes,  l'élite  des  troupes  parisiennes.  Le  reste  demeura 
pour  garder  les  murailles  de  Paris.  Le  roi  pénétra  au  château  de 
Vincennes  avec  les  seigneurs  de  son  hôtel,  tandis  que  son  escorte 
occupait  Montreuil,  Gharonne,  Bagnolet  et  Nogent-sur-Marne. 
Les  Parisiens  s'étabUrent  autour  du  parc  de  Vincennes.  Ce 
déploiement  de  forces  fit  craindre  un  moment  aux  princes  que 
le  roi  ne  voulût  leur  faire  «  quelque  déplaisir;  »  mais  la  journée 
se  passa  tranquillement.  Vers  onze  heures  du  matin,  Charles  de 
France  fit  hommage  à  son  frère  pour  le  duché  de  Normandie 
(cf.  Mélanges  historiques,  U,  437  et  suiv.).  Le  roi  soupa  à  Vin- 
cennes et  rentra  à  Paris  vers  dix  heures  du  soir  (Maupoint, /owr- 
nal,  p.  88  et  suiv.). 


136  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

de  Berry,  monseigneur  de  Gharrolois  et  autres  se 
départirent  de  devant  Paris  et  s'en  alerent  en  divers 
lieux  :  c'est  assavoir  mondit  seigneur  Charles  s'en  ala 
en  Normendie,  et  le  convoia  le  roy  bien  loing  sur  le 
chemin  de  Pontoise,  et  puis  s'en  tira  lui  et  ledit  de 
Gharrolois  vers  Villers  le  Bel,  où  ilz  furent  deux  ou 
trois  jours^.  Et  puis  s'en  ala  ledit  de  Gharrolois  ou 
pays  de  Picardie,  et  de  là  s'en  ala  faire  guerre  aux 
Liegois. 

Et,  le  jeudi-  ensuivant,  messire  Robert  d'Estou- 
teville,  chevalier,  seigneur  de  Beyne,  qui  avoit  esté 
prevost  de  Paris  du  temps  du  feu  roy  Gliarles,  et 
à  qui  le  roy  l'avoit  ostée  et  baillée  à  Jaques  de  Vil- 
lers, seigneur  de  l'Isle  Adam,  fut  remis  et  restitué 
oudit  office  de  prevost  de  Paris^.  Et,  ce  mesmes  jour, 
fut  en  l'ostel  de  ladicte  ville  pour  les  affaires  du  roy, 
et  là  lui  fut  baillé  le  nom  de  la  nuit  comme  à  prevost 
de  Paris. 

Et,  le  mardi  ensuivant  [5  novembre],  le  roy  souppa 
en  l'ostel  d'icelle  ville,  où  il  y  ot  moult  beau  service 
de  char  et  poisson.  Et  y  soupperent  avecques  lui  plu- 
sieurs gens  de  grant  façon,  invitez  et  mandez  avec- 
ques leurs  femmes*.  Et,  avant  ledit  soupper,  le  roy 

1.  Jeudi  31  octobre,  à  huit  heures  du  matin,  Louis  XI  s'en  fut 
à  Carrières  sous  Gharenton,  et  Charolais  vint  à  sa  rencontre 
«  en  grant  révérence.  »  Les  deux  princes  se  mirent  aussitôt 
en  route  «  très  joyeulx  »  et  s'en  furent  au  gîte  à  Villiers-le-Bel, 
où  ils  passèrent  ensemble  la  Toussaint.  Le  roi  rentra  à  Paris  le 
3  novembre  (>raupoint,  Journal,  p.  90.  Cf.  Lenglet,  II,  185;  du 
Glercq,  IV,  237,  et  Commyncs,  éd.  Dupont,  I,  105). 

2.  Lisez  lundi  (4  novembre). 

3.  «  A  plus  grans  gages  et  prollid  que  il  u'avoit  onques  esté  » 
(Maupoint,  Journal,  p.  95). 

4.  Interpolations  et  variantes,  §  XXXI. 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  137 

proposa  à  aucuns  quarteniers  et  dixeniers  pour  ce 
aussi  mandez,  disant  qu'il  les  mercioit  tous  en  gênerai 
et  particulier  de  la  grant  feaulté  et  loyauté  qu'il  avoit 
trouvée  en  eulx,  et  que,  pour  eulx,  il  estoit  du  tout 
disposé  de  faire  tout  ce  que  possible  lui  seroit,  et  que, 
pour  ce  que  durant  la  guerre  et  division  qui  avoit 
esté  devant  ladicte  ville,  il  avoit  donnez  et  conférez  à 
icelle  aucuns  privilèges,  et  que  aucuns  pourroient 
avoir  ymaginacion  qu'il  auroit  ce  fait  pour  la  nécessité 
où  il  s'estoit  trouvé  d'avoir  d'eulx  secours,  et  que, 
après  ladicte  paix  ou  accord,  les  leur  pourroit  oster, 
il  leur  declaira  pour  ceste  cause  dès  lors  pour  main- 
tenant, et  dès  maintenant  pour  lors  à  tousjours,  il  les 
leur  avoit  donnez  et  laissez,  sans  jamais  avoir  espé- 
rance de  les  rappeller  ne  venir  contre,  et  que,  se 
mieulx  vouloient  avoir  de  lui,  qu'ilz  le  demandassent, 
et  il  le  leur  octroieroif.  Et  leur  dist  encores  qu'il 
laissoit  en  ladicte  ville  le  seigneur  de  Beyne  comme 
prevost  de  Paris,  auquel  il  vouloit  qu'ilz  obéissent 
comme  à  lui,  et  leur  dist  qu'il  l'avoit  moult  bien 
servy  à  la  journée  de  Montlehery,  et  pour  autres  causes 
qu'il  declaira  ausdiz  prevost  des  marchans  et  esche- 
vins  de  Paris,  en  les  priant  de  tousjours  estre  bons  et 
loyaulx  envers  lui  et  à  la  couronne  de  France,  sans  ce 
que  aucune  parcialité  soit  trouvée  en  ladicte  ville.  — 

1.  A  la  date  du  9  noveml)re  1465,  Louis  XI  confirma  aux  Pari- 
siens l'exemption  de  ban  et  d'arrière-ban,  à  la  condition  de  se 
tenir  en  état  de  participer  à  la  défense  de  leur  ville  [Ordonnances, 
XVI,  434  et  suiv.).  Quelques  jours  plus  tôt,  il  leur  confirmait  une 
franchise  dont  ils  avaient  joui  de  temps  immémorial,  mais  qui, 
vu  les  circonstances,  avait  été  peu  respectée  dans  les  derniers 
temps,  celle  de  l'exemption  du  logement  des  gens  d'armes  (Ibid., 
XVI,  425). 


138  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

Et  ilec  ce  jour  fut  fiancée  la  fille  naturelle  du  roy*  à 
mons.  le  bastard  de  Bourbon;  et,  après  souper,  y 
furent  faictes  plusieurs  joyeusetez,  dances  et  autres 
plaisances,  et  là  mondit  seigneur  le  bastard  y  dança 
et  y  fist  grande  et  bonne  chère 2. 

Et,  le  jeudi  ensuivant,  viP  jour  de  novembre,  oudit 
an  IIIPLXV,  ledit  messire  Robert  d'Estouteville  fut 
amené  ou  Ghastellet  de  Paris  par  messire  Charles  de 
Meleun  et  maistre  Jehan  Dauvet,  premier  président 
du  parlement  de  Thoulouze.  Auquel  président  le  roy 
mandoit  qu'il  avoit  receu  le  serement  dudit  d'Estou- 
teville à  prevost  de  Paris  ou  lieu  de  Jaques  de  Villers, 
seigneur  de  l'Isle  Adam,  auquel  il  avoit  donné  ladicte 
prevosté  à  son  joyeulx  advenement,  et  qu'il  le  mist  et 
instituast  en  possession  et  saisine  dudit  office  de  pre- 
vost de  Paris.  Et,  après  que  les  lectres  de  don  dudit 
office  furent  leues  au  grant  parc  de  Ghastellet,  icellui 
d'Estouteville  fut  mis  et  institué  en  possession  dudit 
office,  sans  préjudice  de  la  cause  d'appel  dudit  de 
Villers. 

Et,  tantost  après  ces  choses  ainsi  faictes,  le  roy 
manda  venir  à  lui  les  presidens  de  sa  court  de  Parle- 
ment, ausquelz  il  dist  telles  ou  semblables  paroles  : 
«  Il  est  vray  que,  après  que  je  vins  à  mon  joyeux 

4.  Interpolations  et  variantes,  §  XXXII. 

2.  Louis,  fils  bâtard  de  Charles  I^'^,  duc  de  Bourbon,  et  de 
Jeanne  de  Bournon,  comte  de  Roussillon,  etc.,  avait  été  légitimé 
par  patentes  royales  datées  de  Pontoise,  au  mois  de  septembre 
1463  (Ordonnances,  XVI,  80).  Son  contrat  de  mariage  avec  Jeanne, 
fille  naturelle  du  roi,  porte  la  date  du  jeudi  7  novembre  1465;  il 
est  imprimé  dans  Lenglol,  II,  54 i.  Cette  union  scella  la  réconci- 
liation entre  le  roi  et  la  maison  de  Bourbon  (La  Mure,  llist.  des 
ducs  de  Bourbon,  etc.,  éd.  Chantelauze,  t.  II,  p.  224,  n.  2). 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  139 

advenement  à  la  couronne,  je  fis  le  premier  président 
en  ma  court  de  Parlement  messire  Helye  de  Thoretes^ 
qui  tantost  après  ala  de  vie  à  trespas.  Et,  à  l'eure  que 
je  le  fis,  j'avoye  mon  affection  singulière  de  y  mettre 
en  son  lieu  maistre  Jehan  Dauvet,  nostre  premier  pré- 
sident à  Thoulouse,  qui  cy  est  présent;  mais,  tant  par 
importunité  de  requerans  que  aussi  à  la  prière  et 
requeste  de  messire  Jehan  Bureau,  nous  y  meismes 
le  président  de  Nanterre^,  qui  depuis  y  a  esté  jusques 
à  la  venue  devant  nostre  ville  de  Paris  d'aucuns  sei- 
gneurs de  nostre  sang,  qui  nous  firent  dire  et  remons- 
trer  que  en  nostre  royaume  avoient  esté  faictes  plu- 
sieurs grans  injustices  et  mesmement  en  nostre  court 
de  Parlement.  Pour  quoy  et  autres  causes  qui  nous 
meuvent,  declairons  que  ledit  de  Nanterre  ne  sera  plus 
nostre  premier  président  en  nostredicte  court  de  Par- 
lement, et  que  pour  et  en  son  lieu  y  avons  mis  et 
créons  ledit  maistre  Jehan  Dauvet  pour  y  estre  et 
demourer.  » 

Et,  le  samedi  ensuivant,  ix®  jour  dudit  moys  de 
novembre,  messire  Pierre  de  Morviller,  chevalier,  qui 

1.  Élie  deTorrettes  ou  de  Tourrettes,  conseiller  du  roi  et  lieu- 
tenant du  sénéchal  de  Saintonge,  fut  l'un  des  commissaires  char- 
gés d'instruire  et  de  juger  le  procès  de  Jacques  Cœur  (1451).  Plus 
tard,  en  1458,  on  le  voit  siéger,  en  qualité  de  président  au  Par- 
lement de  Paris,  parmi  les  juges  du  duc  d'Alençon.  Il  prêta  ser- 
ment le  11  septembre  1461,  en  qualité  de  premier  président, 
ollice  auquel  il  avait  été  nommé  le  3  du  même  mois  (Ordonnances, 
XV,  p.  12,  note). 

2.  Mathieu  de  Nanterre,  fils  de  Simon,  aussi  président  au  Par- 
lement de  Paris,  fut  transféré  à  Toulouse,  puis  rappelé  à  Paris, 
où  il  tint  la  place  de  second  président.  Il  mourut  en  1487  (voy. 
Blanchard,  Éloges  des  premiers  présidents  du  Parlement  de  Paris, 
1647,  in-fol.).  Il  avait  épousé  Guillemette  Le  Clerc. 


140  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

avoit  esté  chancellier  de  France,  fut  desappoincté 
dudit  office,  et  y  fut  mis  en  son  lieu  messire  Jetian* 
Juvenel  des  Ursins,  qui  aussi  avoit  esté  chancelier  de 
France,  et  qui  encores  l'estoit  au  jour  du  trespas  dudit 
feu  roy  Charles'.  —  En  ce  temps  aussi,  le  roy  desap- 
poincta  messire  Pierre  Puy  de  l'office  de  maistre  des 
requestes  ordinaire  de  son  hostel ,  et  donna  ledit 
office  à  maistre  Regnault  des  Dormans. 

Après  ces  choses,  le  roy  se  parti  de  Paris  pour  aler 
à  Orléans  et  en  amena  avecques  lui  Arnault  Luiller, 
changeur  et  bourgeois  de  Paris,  auquel  il  charga  très 
expressément  de  le  suivre  et  estre  tousjours  près  de 
lui.  Et  si  y  mena  aussi  maistre  Jehan  Longuejoe  le 
jeune,  nouvellement  marié  à  demoiselle  Geneviefve, 
fille  de  maistre  Jehan  Baillet,  pour  estre  de  son  grant 
conseil^.  Et,  à  l'eure  dudit  partement,  il  créa  trésorier 

1.  Lisez  Guillaume. 

2.  Les  lettres  royales  portant  réintégration  de  Guillaume  Jou- 
venel  en  l'office  de  chancelier,  avec  4,000  livres  de  gages,  sont 
datées  du  9  novembre  et  imprimées  aux  Mélanges  historiques.  II, 
403.  Maupoint,  en  notant  le  fait  dans  son  Journal,  ajoute  que  ce 
fut  à  la  grande  joie  des  gens  de  bien  (p.  95).  Morvilliers  fut  accusé 
d'avoir  à  plusieurs  reprises  renseigné  le  patriarche  de  Jérusalem 
sur  ce  qui  se  passait  à  Paris  et  même  d'avoir,  étant  à  Rouen 
avec  Louis  XI,  engagé  les  Rouennais  «  à  parler  roidement  au  roi 
pour  appoincter.  »  Interrogé  par  le  premier  président  Dauvet,  à 
Paris,  le  13  mars  1466,  n.  st.,  il  nia  tout  et  ne  parait  pas  avoir 
été  inquiété  bien  sérieusement  {Mélanges  historiques,  II,  445  et 
suiv.  Cf.  Vaesen,  Lettres  de  Louis  XI,  III,  127). 

3.  Le  dimanche  10  novembre,  Louis  XI,  accompagné  des  ducs 
de  Bourbon  et  de  Nemours  et  du  comte  d'Armagnac,  se  rendit  en 
pompe  à  Notre-Dame,  où  il  entendit  deux  grand'mcsses  et  trois 
basses.  Les  deux  jours  suivants,  il  ht  grande  chère  avec  les 
nobles  qui  l'avaient  servi  et  les  hauts  bourgeois  de  Paris.  Eulin, 
le  mercredi  13  novembre,  le  roi  partit  t  en  grant  noblesce  et  tira 
à  Meleun,  »  où  il  demeura  deux  ou  trois  jours,  et  de  là  à  Orléans 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  141 

de  France  maistre  Charles  d'Orgemont,  seigneur  de 
Mery  ' ,  et  fîst  ledit  Arnault  Luiller  trésorier  de  Gar- 
cassonne,  et  maistre  Pierre  FreteP,  mary  de  Tréteau, 
maistre  des  requestes  de  son  hosteP,  sans  gaiges  et 
in  herbis. 

Et,  le  lundi  ensuivant,  xviii®  jour  dudit  moys, 
advint  à  Paris,  à  dix  heures  de  matin,  que  une  comète 
y  chey  en  resplendisseur  de  feu  qui  dura  longuement, 
et  estoit  telle  qu'il  sembloit  que  toute  ladicte  ville 
feust  en  feu  et  en  flambe.  Et,  de  ceste  espoventable 
et  merveilleuse  chose,  ung  homme,  en  la  place  de 
Grève,  qui  à  ladicte  heure  aloit  oyr  messe  au  Saint- 
Esperit^,  fut  de  ce  si  très  espoventé  qu'il  en  devint 
fol  et  perdi  son  sens  et  entendement. 

Et,  après  toutes  ces  choses,  mondit  seigneur  Charles, 
qui  ainsi  estoit  party  de  Paris  pour  aler  en  Normendie, 
s'en  ala  jusques  à  Saincte- Katherine  du  Mont  de 
Rouen ,  où  il  séjourna  ilec  par  diverses  journées, 
attendant  que  ceulx  de  Rouen  eussent  préparé  ce 
qu'ilz  avoient  en  intencion  de  faire  pour  son  entrée^. 

et  à  Gléry,  pour  accomplir  un  vœu  qu'il  avait  fait  le  jour  de 
Montlhéry.  Le  duc  de  Bourbon  accompagnait  le  roi  (Maupoint, 
Journal,  p.  96). 

1.  Charles  d'Orgemont,  écuyer,  seigneur  de  Méry-sur-Oise  et 
de  Champs-sur-Marne,  fils  de  Philippe  d'Orgemont,  chevalier,  et 
de  Marie  Boucher,  conseiller  et  maître  des  comptes,  avait  épousé 
Jeanne  Dauvet  (Bibl.  nat.,  Pièces  orig.,  vol.  2149,  doss.  Orge- 
mont). 

2.  Il  est  dit  avocat  au  Parlement  et  seigneur  de  Mareuil  en  la 
comté  de  Montfort,  à  la  date  du  22  janvier  1468  (v.  st.)  (Arch. 
nat.,  X2a  35). 

3.  Interpolations  et  variantes,  §  XXXIII. 

4.  Derrière  l'Hôtel  de  Ville. 

5.  Charles  de  France  et  le  duc  de  Bretagne  avec  leurs  gens 


ai  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

Mais,  cependant,  se  meut  noise  entre  mondit  seigneur 
Charles,  le  duc  de  Bretaigne  et  le  conte  de  Damp- 
martin,  dont  fut  dit  audit  mons.  Charles  que  ledit  duc 
de  Bretaigne  et  conte  de  Dampmartin  avoient  entre- 
prins  de  le  prendre  et  remener  en  Bretaigne*.  Pour 
laquelle  cause  Jehan  Monseigneur  de  Lorraine  2,  qui 
de  ce  fut  adverti,  ala  incontinent  dire  ces  nouvelles  en 
l'ostel  de  ladicte  ville  de  Rouen,  qui  incontinent  y 
pourveurent  et  firent  armer  tous  ceulx  de  ladicte 
ville ^.  Et,  à  grant  port  d'armes,  ledit  monseigneur 
Jehan  de  Lorraine,  à  l'aide  desdiz  de  Rouen,  ala  en  la 
place  dudit  lieu  de  Saincte-Katherine ,  où  on  ne  le 
vouloit  laisser  entrer,  et  ilec,  maulgré  ledit  duc  de 

passèrent  par  Pontoise,  Vernon  et  Pont-de-l'Arche,  commettant 
de  grandes  pilleries  (Maupoint,  Journal,  p.  96,  et  Basin,  II,  143). 

1.  Basin,  témoin  oculaire,  dit  que  le  bruit  se  répandit  à  Rouen 
que  les  Bretons  prétendaient  livrer  le  duc  de  Normandie  au  roi 
de  France.  «  Indubitanter  creditum  est  quod,  nisi  ea  die  urbem 
introiisset,  Britones,  adveniente  nocte,  eum  ad  Pontem  Archae 
et  inde  ad  regem,  aut  alias  quo  voluissent,  abduxissent  »  (II, 
145  et  suiv.).  La  vérité  paraît  être  que  les  d'Harcourt  et  les  sei- 
gneurs normands,  soutenus  par  Bueil,  Ghaumont,  Daillon  et 
d'autres  Français  peu  sympathiques  aux  Bretons,  craignirent  de 
se  voir  évincés  du  gouvernement  du  duché  et  réussirent  à  éveil- 
ler la  méfiance  de  Charles  de  France  contre  ses  alliés  de  la  veille 
(Ganel,  la  Normandie  sous  Louis  XI,  art.  de  la  Revue  de  Rouen, 
octobre  1838,  p.  120).  Louis  XI  soufflait  le  feu,  «  car  il  estoit 
maistre  en  ceste  science  »  (Gommynes,  éd.  Dupont,  I,  108). 

2.  Jean,  comte  d'Harcourt,  second  fils  d'Antoine  de  Lorraine, 
comte  de  Vaudemont,  et  de  Marie,  comtesse  d'Harcourt  et  d'Au- 
male,  maréchal  héréditaire  de  Normandie,  mourut  sans  alliance 
au  commencement  de  l'année  1473.  Sur  ce  personnage,  qui  avait 
joué  un  rôle  brillant  à  l'époque  du  recouvrement  de  la  Nor- 
mandie par  Gharlcs  VII,  voyez  une  notice  du  comte  de  Pange 
dans  la  Bibl.  de  l'École  des  chartes,  t.  LI  (1890),  p.  569  et  suiv. 

3.  Interpolations  et  variantes,  §  XXXIV. 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  143 

Bretaigne  et  conte  de  Dampmartin ,  sans  solertnité 
garder,  fîst  monter  mondit  seigneur  Charles  sur  ung 
cheval  garny  de  selle  et  harnoys  simplement,  sans 
aucune  housseure,  et  avoit  vestu  à  ceste  heure  une 
robe  de  veloux  noir.  Et  en  cest  estât  le  menèrent  en 
ladicte  ville  de  Rouen  tout  droit  en  l'église  Notre- 
Dame,  où  chanté  fut  Te  Deum  laudamus,  et  de  là  au 
chasteau  dudit  lieu*. 

En  ce  temps,  le  roy,  estant  à  Orléans,  fîst  plusieurs 
ordonnances  et  establissemens  et  desappointa  plu- 
sieurs cappitaines  de  guerre,  et  entre  les  autres  il 
osta  les  cent  lances  dont  Poncet  de  Rivière  avoit  la 
charge^  et  le  fîst  bailly  de  Montferrant,  et  à  d'autres 

1,  Lundi  25  novembre  1465,  au  soir  (voy.  de  Beaurepaire, 
Notes  sur  six  voyages  de  Louis  XI  à  Rouen,  dans  le  Précis  analy- 
tique des  travaux  de  l'Académie  des  sciences  de  Rouen,  1856-57, 
page  324).  —  Ce  jour  même,  Louis  XI  recevait  à  Gléry  une 
lettre  que  Charles  de  France  lui  avait  fait  remettre  par  Pierre 
Pavyot,  son  maître  d'hôtel.  Après  l'avoir  lue,  le  roi  la  tendit  au 
duc  de  Bourbon  en  disant  :  «  Je  croy  qu'il  me  faulra  reprenre 
ma  duché  de  Normandie.  Il  me  fault  aler  secourir  mon  frère  » 
(Maupoint,  Journal,  p.  96).  Plus  tard,  Louis  XI  soutiendra  que 
la  substance  du  message  apporté  par  P.  Pavyot  était  que  le  duc 
de  Normandie,  reconnaissant  avoir  assumé  un  fardeau  trop  lourd 
pour  ses  épaules,  se  déclarait  prêt  à  abandonner  le  duché  si  son 
frère  consentait  à  lui  fournir  un  autre  apanage.  Cette  interpréta- 
tion fut  d'ailleurs  contestée  par  Charles  de  France  (Instruction 
donnée  par  Louis  XI  à  ses  ambassadeurs  en  Bourgogne  (1466), 
dans  Mélanges  historiques,  II,  423  et  suiv.).  —  La  nuit  même  où 
le  duc  de  Normandie  faisait  son  entrée  à  Rouen,  le  duc  de  Bre- 
tagne, qui  avait  refusé  de  l'accompagner,  s'en  fut  à  Pont-de- 
l'Arche  et  de  dépit  envoya  des  ambassadeurs  (iniquissiinos  vii^os) 
au  roi,  accusant  les  Rouennais  d'avoir  voulu  l'attirer  dans  un 
piège  pour  le  tuer  et  demandant  à  Louis  XI  de  se  réconcilier 
avec  lui  (voy.  Basin  indigné,  II,  148  et  suiv.). 

2.  A  cause  de  ses  intrigues  avec  les  rebelles  pendant  le  Bien- 
Public. 


144  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

osta  aussi  les  charges  et  mit  d'autres  en  leurs  lieux. 
Et,  quant  ledit  Poncet  de  Rivière  se  vit  ainsi  desap- 
poincté  de  sadicte  charge,  il  s'en  ala  oultre  mer  ou 
saint  voyage  de  Jherusalem,  et  de  là  à  Saincte- 
Ratherine  du  Mont  de  Synay.  Et  si  remist  et  fist  le 
roy  le  seigneur  de  Loheac  mareschal  de  France,  comme 
autrefoiz  l'avoit  esté\  et  fut  mis  pu  lieu  du  conte  de 
Comminge,  bastard  d'Armaignac^. 

Et,  après  ces  choses  ainsi  faictes,  le  roy  se  parti 
d'Orléans  et  s'en  ala  en  Normendie  à  toute  son  armée, 
frans  archers  et  son  artillerie  grosse  et  menue,  et  s'en 
tira  vers  Argenten,  Exmes,  Falaise,  Caen  et  autres 
places  dudit  pays  pour  les  prendre,  saisir  et  mettre 
en  ses  mains.  Et  là  il  trouva  le  duc  de  Bretaigne,  qui 
furent  ensemble  une  espace  de  temps  ^ 

Et,  d'autre  part,  oudit  pays  de  Normendie  y  estoit 
pour  le  roy  mons.  de  Bourbon,  qui  ala  devant  Evreux 
pour  l'avoir,  qui  n'y  obéirent  point  de  première  venue, 
mais  depuis  traicterent  avecques  lui  et  le  boutèrent 
dedens  ladicte  ville,  lui  et  ses  gens.  Et  après,  d'ilec  se 

1.  «  Lequel  le  roy  avoit  débouté  par  son  plaisir,  qui  toutesvoies 
estoit  une  perle  de  chevalier  entre  mille  »  (Ghastellain,  IV,  114). 
—  Interpolations  et  variantes,  §  XXXV. 

2.  Jean,  fils  naturel  (légitimé  le  26  mai  1463)  d'Arnaud-Guilhem 
de  Lescun  et  d'Anne  d'Armagnac,  dite  de  Termes,  et  l'un  des 
compagnons  d'exil  de  Louis  XI,  fut  gouverneur  de  Dauphiné  et 
mourut  en  1473.  Il  avait  épousé  Marguerite  de  Saluées. 

3.  Louis  XI  quitta  Orléans  le  11  décembre  et  prit  sa  route  par 
la  Beauce.  Le  13,  il  était  à  Chartres,  le  17  à  Argentan,  le  20  à 
Caen.  Aucune  résistance  ne  lui  fut  opposée  dans  la  Basse-Nor- 
mandie, dont  toutes  les  places  étaient  aux  mains  des  Bretons. 
Le  23  décembre  1465,  un  traité  d'amitié  intervenait  entre  le  roi 
de  France  et  le  duc  de  Bretagne  [Ordonnances,  XVI,  448).  — 
Exmes  est  auj.  dans  le  dép.  de  l'Orne,  arr.  d'Argentan. 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  145 

party  et  s'en  vint  devant  Vernon  sur  Seine,  où  sem- 
blablement  lui  fut  fait  refus  de  première  venue,  et 
puis  le  mirent  dedens^.  Et,  d'une  autre  part,  estoit 
messire  Charles  de  Melun,  grant  maistre  d'ostel  du 
roy,  qui  aussi  prenoit  et  saisissoit  villes  et  places, 
comme  Gisors,  Gournay^  et  autres.  Et  si  rua  jus  envi- 
ron VII''*  Escossois,  qui  s'en  aloient  au  seigneur  de 
Bueil  pour  ledit  duc  de  Normendie,  et  fut  la  rencontre 
faicte  desdiz  Escossois  à  ung  village  du  bailliage  de 
Caux  nommé  Gailli^. 

En  ce  temps,  le  seigneur  d'Esternay,  qui  estoit 
gênerai  de  Normendie*^,  qui  s'en  estoit  party  hors  de 
la  ville  de  Rouen  pour  la  double  et  fureur  du  roy  et 
à  ce  qu'il  ne  feust  prins,  fut  rencontré  en  habit  de 
cordelier  de  l'Observance  par  aucunes  gens  de  guerre 

\.  Des  patentes  royales,  datées  d'Orléans,  2  décembre  1465, 
commirent  Jean,  duc  de  Bourbon,  à  se  transporter  en  Norman- 
die avec  de  pleins  pouvoirs  pour  paciûer  toute  querelle  entre  le 
roi  et  son  frère,  promettre,  bailler  et  donner  terres,  seigneuries, 
argent  ou  «  autres  choses  »  (Arch.  nat.,  P  1359^,  c.  702,  orig. 
parch.).  D'autres  lettres,  en  date  de  Courville,  15  décembre, 
ordonnèrent  le  duc  de  Bourbon  pour  délivrer  des  lettres  de  rémis- 
sion aux  nobles,  gens  de  guerre,  etc.,  qui  s'engageraient  pour 
l'avenir  à  servir  le  roi,  comme  aussi  pour  faire  cesser  les  pilleries 
des  gens  de  guerre  en  Normandie  (Arch.  nat.,  P  1359',  c.  792, 
orig.  parch.).  —  Évreux  et  Vernon  furent  occupés  par  stratagème 
(Basin,  II,  153  et  suiv.). 

2.  Gisors,  sur  l'Epte,  est  auj.  dans  le  dép.  de  l'Eure;  Gournay- 
en-Bray,  dans  la  Seine-Inférieure,  arr.  de  Neufchàtel. 

3.  Gailly,  auj.  Seine-Inférieure,  cant.  de  Glères. 

4.  Jean  Le  Boursier,  chevalier,  seigneur  d'Esternay,  était  fils 
d'Alexandre,  receveur  général  des  aides,  et  de  Colette  La  Por- 
tière. Élu  sur  le  fait  des  aides  en  Saintonge  (1426),  général  des 
finances  de  Normandie  (1450),  il  fut  remplacé,  à  l'avènement  de 
Louis  XI,  par  Jean  Arnoulfln.  Charles  de  France  lui  avait  confié 
les  fonctions  de  général  de  ses  finances. 


146  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

de  la  compaignie  dudit  grant  maistre  au  Pont  Saint- 
Pierre,  qui  est  à  quatre  lieues  de  Rouen  \  et  avoit 
avecques  lui  ung  Augustin.  Lesquelz,  après  qu'ilz 
orent  esté  saisiz,  furent  cerchez  par  lesdiz  gens  de 
guerre,  et  trouvèrent  sur  eulx  plusieurs  bagues  et  or 
monnoyé  content  qu'ilz  prindrent  et  saisirent. 

Et  après,  mondit  seigneur  Charles,  qui  s'en  estoit 
aie  de  Rouen  à  Louviers,  cuidant  y  trouver  mondit 
seigneur  de  Bourbon,  qu'il  n'y  trouva  point,  s'en 
retourna  audit  lieu  de  Rouen  ^.  Et,  après  son  retour 
audit  lieu  de  Rouen,  ceulx  de  ladicte  ville  le  receurent 
et  le  menèrent  en  l'ostel  de  leurdicte  ville,  où  ilec 
l'espouserent  à  leur  duc,  et  en  ce  faisant  lui  baillèrent 
ung  anneau  qu'ilz  lui  mirent  ou  doy,  que  à  ce  faire 
estoit  ordonné  ;  lequel  depuis  mondit  seigneur  Charles 
porta,  et  promist  lors  ausdiz  de  Rouen  de  les  entre- 
tenir et  garder  en  leurs  franchises  et  libériez,  et  leur 
donna  à  ceste  heure  la  moitié  de  tous  les  aides  que 
par  avant  sa  recepcion  ilz  avoient  paiez^.   Et,  ces 

1.  Auj.  dans  le  dép.  de  l'Eure,  cant.  de  Fleury-sur-Andelle. 

2.  Le  duc  de  Bourbon  avait  envoyé  de  Dreux  à  Rouen  un  mes- 
sage au  duc  de  Normandie  pour  l'aviser  de  la  mission  qu'il  avait 
reçue  d'aplanir  amiablement  toutes  les  dillicultés  qui  pouvaient 
exister  entre  le  roi  et  son  frère,  comme  entre  les  ducs  de  Nor- 
mandie et  de  Bretagne.  En  réponse,  Charles  de  France  fixa 
au  duc  de  Bourbon  un  rendez-vous  à  Louviers;  il  attendit  là 
vainement  pendant  deux  jours  son  ancien  allié,  puis  rentra  à 
Rouen  (Basin,  II,  152  et  suiv.).       ' 

3.  C'est  le  l*""  décembre  au  matin  que  fut  célébré  à  la  cathé- 
drale de  Rouen  le  mystère  de  l'institution  du  duc  de  Normandie 
(Beaurepaire,  Notes  sur  six  voyages  de  Louis  XI  à  Roueti  citées, 
p.  324).  La  messe  fut  dite  par  Louis  de  Harcourt,  patriarche  de 
Jérusalem.  Après  l'épitre,  le  duc  fit  le  serment  accoutumé  ;  puis 
Thomas  Basin,  évêque  de  Lisieux,  lui  mit  au  doigt  l'anneau 
et  l'épousa  au  nom  du  duché.  Le  comte  de  Tancarville,  con- 


1465]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  147 

choses  faictes,  lui  fut  dit  et  remonstré  par  les  gens 
d'église,  les  nobles,  bourgois  et  populaire  d'icelle  ville, 
qu'ilz  se  rendoient  et  demouroient  du  tout  ses  vrais 
et  loiaulx  subgetz,  tous  bien  délibérez  de  vivre  et 
mourir  pour  lui  et  jusques  au  derrenier  homme.  Et 
puis  lui  firent  lire  ung  article  contenu  en  une  cronique, 
qui  estoit  en  l'ostel  d'icelle  ville  publiquement  devant 
tous,  qui  contenoit  en  effect  que  jadis  y  ot  ung  roy  de 
France  qui  mourut,  et  après  son  trespas  demoura 
deux  filz,  dont  l'un  par  ainsnéesse  succéda  à  la  cou- 
ronne et  à  l'autre  fut  baillé  pour  son  appanage  la 
duchié  de  Normendie,  que  depuis  ledit  roy  de  France 
volt  ravoir,  et  en  print  guerre  contre  son  frère  et 
ceulx  de  ladicte  duchié,  qui  la  tindrent  bonne,  et  oultre 
pour  leurdit  duc  guerrierent  tellement  ledit  roy  de 
France  que  par  leur  puissance  d'armes  ilz  mirent  en 
exil  ledit  roy  de  France  et  firent  leurdit  duc  roy.  Et, 
après  ladicte  lecture,  lui  dirent  qu'il  ne  se  soussiast  de 
riens  et  que,  de  là  en  avant,  ceulx  de  ladicte  ville  le 
fourniroient  dedens  icelle  et  dessus  leurs  murs  d'en- 
gins et  autres  choses  defensables  et  de  tout  ce  que 
neccessité  leur  seroit  d'avoir,  tellement  que  aucun 
dommage  ou  esclandre  ne  leur  en  viendroit  * . 

nétable  héréditaire,  lui  ceignit  l'épée,  et  le  comte  de  Harcourt, 
maréchal,  présenta  la  bannière.  —  En  1469,  lorsque  la  question 
de  l'apanage  de  Charles  de  France  fut  réglée  par  l'abandon  que 
Louis  XI  lui  fit  du  duché  de  Guyenne,  le  comte  de  Saint- Pol  fut 
envoyé  à  Rouen  par  le  roi  avec  l'anneau  ducal  que  Charles  avait 
conservé  jusque-là.  Cet  anneau  fut  solennellement  brisé,  et  les 
fragments  en  furent  rendus  à  l'émissaire  du  roi  (Ganel,  art.  cité, 
p.  33). 

1.  L'  «  article  »  dont  il  s'agit  ne  fut  pas,  semble-t-il,  lu  «  pubU- 
quement  devant  tous,  »  mais  le  manuscrit  de  la  chronique  remis 
I  12 


148  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1465 

Et  le  lundi,  penultime  jour  de  décembre,  oudit  an, 
le  roy,  en  retournant  dudit  bas  pays  de  Normendie, 
vint  au  Pont  Audemer  et  de  là  en  la  champaigne  de 
Neufbourg^  et  envoya  mondit  seigneur  de  Bourbon 
devant  Louviers-.  Et,  le  mercredi  ensuivant,  premier 
jour  de  janvier,  ladicte  ville  de  Louviers  fut  rendue  à 

au  comte  d'Harcourt  fut  porté  au  nouveau  duc,  qui  en  prit  con- 
naissance et  le  rendit  le  même  jour  aux  échevins  de  Rouen 
(28  décembre  1465).  Ce  manuscrit  existe  encore;  de  la  biblio- 
thèque des  échevins  il  a  passé,  au  xvu*  siècle,  dans  celle  de 
Golbert,  et  il  porte  actuellement  le  n°  2623  des  mss.  français 
à  la  Bibliothèque  nationale.  C'est  un  superbe  volume  in-folio, 
sur  vélin,  de  115  feuillets,  exécuté  au  xv°  siècle  et  décoré  de 
belles  miniatures  et  d'arabesques  (voy.  Notice  sur  l'ancienne 
bibliothèque  des  échevins  de  Rouen,  par  Ch.  Richard,  dans  Mémoires 
de  l'Académie  de  RoueJi,  1845).  Cette  chronique  normande  s'ar- 
rête à  la  fin  du  xi«  siècle.  Les  faits  rapportés  fort  inexactement 
par  la  Chronique  Scandaleuse  sont  relatés  aux  folios  19  à  27. 
Charles  le  Simple  eut  un  fils,  Louis  IV  d'Outremer,  qui  monta 
sur  le  trône  de  France  après  lui  (936),  et  une  fille,  Gisèle, 
qui  fut  donnée  en  mariage  au  pirate  RoUon,  devenu  chrétien 
et  duc  de  Normandie  (911).  En  943,  après  la  mort  du  duc 
Guillaume  Longue-Épée,  Louis  d'Outremer  tenta  de  reprendre 
le  duché  ;  mais  la  résistance  patriotique  des  Rouennais  le  con- 
traignit à  en  investir  le  jeune  Richard,  fils  de  Guillaume.  D'autres 
tentatives  de  conquête  échouèrent  également,  et  en  945  le  roi 
Louis  demeura  quelque  temps  prisonnier  à  Rouen.  Un  traité 
intervint,  dans  lequel  il  fut  stipulé  que  le  duc  de  Normandie 
demeurerait  paisible  possesseur  de  son  héritage  et  jouirait  aussi 
de  la  seigneurie  de  Bretagne,  «  à  tenir  franchement  et  quitte- 
ment.  »  (Nous  devons  ces  indications  à  l'obUgeance  de  M.  F.  Bou- 
quet, vice-président  de  la  Société  d'histoire  de  Normandie.) 

1.  26  décembre  1465.  Voy.  Canel,  art.  cité  p.  124.  —  Pont-Aude- 
mer  est  auj.  un  chef-lieu  d'arr.  du  dép.  de  l'Eure;  le  Neubourg 
un  chef-lieu  de  cant.  du  même  dép.,  dans  le  petit  pays  qu'on 
nomme  encore  la  campagne  du  Neubourg,  à  quelques  kilomètres 
au  nord  d'Évreux. 

2.  Louviers,  auj.  chef-lieu  d'arr.  du  dép.  de  l'Eure. 


1465-1466]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  149 

mondit  seigneur  de  Bourbon  pour  le  roy,  et  ce  mesmes 
jour  le  roy  y  entra  après  disner*.  Et,  en  ce  mesme 
jour  aussi,  fut  mené  par  lesdittes  gens  du  grant  maistre 
d'ostel  ledit  seigneur  d'Esternay,  qui  aussi  en  cellui 
jour  fut  noyé  en  la  rivière  d'Ure^  et  ledit  augustin 
avecques  lui  par  les  gens  du  prevost  des  mareschaulx. 
Et  puis  fut  le  corps  dudit  d'Esternay  retiré  hors  de 
ladicte  rivière  et  mis  en  terre  en  l'église  Notre-Dame 
de  Louviers,  où  ilec  fut  fait  son  service^. 

Oudit  temps  furent  plusieurs  personnes,  officiers  et 
autres,  dudit  pays  de  Normendie  exécutez  et  noiez  par 
le  prevost  des  mareschaulx  pour  les  questions  du  roy 
et  mondit  seigneur  Charles^.  Et  après  le  roy  se  party 
dudit  Louviers  et  vint  mettre  le  siège  devant  la  ville 
du  Pont  des  Arches^,  qui  est  à  quatre  lieues  de  ladicte 
ville  de  Rouen. 

Et,  le  jeudi  ^  vi®  jour  du  moys  de  janvier,  fut  cryé 

1.  Le  texte  de  la  convention  passée  entre  le  lieutenant  général 
du  roi  et  Jean  de  Daillon,  chevalier,  seigneur  de  Fontaines,  capi- 
taine de  Louviers  pour  le  duc  de  Normandie,  est  rapporté  avec 
la  date  du  l^'"  janvier  1465,  v.  st.,  dans  Collection  des  Ordonnances, 
XVI,  457  et  suiv. 

2.  D'Eure. 

3.  Le  3  janvier,  le  roi  lit  inhumer  le  corps  de  messire  Jehan 
Le  Boursier  et  paya  le  service  et  luminaire  (Bibl.  nat.,  Titres, 
685,  fol.  260.  Communication  de  M.  Spont). 

4.  Cf.  Basin,  U,  158  et  suiv.,  et  Mélanges  historiques,  II,  437. 

5.  Auj.  Pont-de-l'Arche,  Eure,  arr.  de  Louviers.  — Après  avoir 
rapporté  la  reddition  de  Louviers,  Maupoint  ajoute  (Journal,  p.  97) 
que  Jean  de  Lorraine  et  ceux  qui  gouvernaient  le  duc  de  Nor- 
mandie envoyèrent  une  compagnie  de  gens  d'armes  au-devant  de 
l'armée  royale.  A  quelque  distance  de  Rouen,  ils  rencontrèrent 
Salazar  et  Malortie,  auxquels  ils  tuèrent  une  soixantaine  d'hommes, 
et  réussirent  à  se  jeter  dans  Pont-de-l'Arche. 

6.  Lisez  lundi,  ou  mardi  d'après  Maupoint  (Journal,  p.  98). 


150  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1466 

en  la  ville  de  Paris  que  tous  marchans,  acoustumez  de 
porter  vivres  en  l'ost,  portassent  vivres  en  l'ost  du 
roy  qui  estoit  devant  ladicte  ville  du  Pont  des  Arches, 
et  aussi  que  tous  pionniers  feussent  tous  prestz  à 
partir  le  lendemain  pour  aler  audit  lieu,  soubz  sire 
Denis  Gibert,  l'un  des  quatre  eschevins  de  ladicte 
ville,  à  la  conduicte  d'iceulx  ordonné. 

Et,  le  mercredi  ensuivant' [8  janvier],  les  gens  du 
roy,  qui  estoient  alez  à  leur  avantage  sur  les  champs, 
prindrent  quatre  hommes  d'armes  de  la  compaignie 
et  estans  soubz  ledit  mons.  Charles,  et  qui  autretbiz 
avoient  esté  en  l'ordonnance  du  roy,  et  l'un  d'iceulx 
estoit  nommé  le  Petit  Bailly,  qui  autrefoiz  avoit  esté 
de  la  compaignie  de  Joachin  Rouault,  mareschal  de 
France,  et  qui  avoit  esté  cause  de  la  prinse  de  Pon- 
toise  contre  le  roy^  ;  [ilz]  furent  menez  devers  le  roy, 
et  incontinent  fut  ordonné  qu'on  leur  coppast  les 
testes.  Et  lors  ilz  requirent  au  roy  que  il  leur  saul- 
vast  la  vie,  et  ilz  lui  feroient  rendre  ledit  Pont  des 
Arches;  ce  que  le  roy  leur  accorda,  à  la  requeste  de 
mondit  seigneur  de  Bourbon^.  Et,  ce  mesmes  jour,  le 
roy  et  sa  compaignie  entrèrent  dedens  ledit  Pont  des 
Arches,  et  ceulx  qui  estoient  dedens  ladicte  ville  se 
rctrairent  au  chasteau^,  entre  lesquelz  y  estoit  maistre 

1.  M.  Quicherat,  qui  cite  la  Chronique  Scandaleuse  en  note  de 
Basin  (t.  Il,  159),  a  identifié  à  tort  ce  Petit  Bailly  avec  Louis 
Sorbier,  dont  il  n'était  que  le  subordonné  à  Pontoise.  La  même 
note  du  savant  éditeur  appelle  d'autres  rectifications.  Ainsi  on 
li66,  ce  mercredi-là  tomba  le  8  et  non  le  9  janvier,  et  notre 
texte  est  d'accord  avec  Basin  en  indiquant  que  la  ville  même  de 
Punt-de-l'Arche,  et  non  pas  le  château  seul,  comme  le  veut 
M.  Quicherat,  fut  assiégée  par  l'armée  royale. 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  XXXVI. 

3.  Interpolations  et  variantes,  ^  XXXVII. 


1466]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  151 

Jehan  Hébert,  gênerai  des  finances  du  royaume  de 
France*.  Et,  trois  jours  après,  fut  rendu  au  roy  le 
chasteau  dudit  Pont  de  l'Arche  2. 

Et,  après  que  ladicte  ville  et  chasteau  orent  ainsi 
esté  rendus  au  roy,  ceulx  de  Rouen  envoierent  par- 
devers  lui  pour  parler  d'appoinctement ,  lequel  en 
charga  hault  et  bas  les  ducs  de  Bourbon  et  de  Bre- 
taigne^.  Et,  pour  ledit  appoinctement  avoir,  vindrent 
de  ladicte  ville  de  Rouen  aucuns  commissaires  ordon- 
nez de  par  icelle  pour  lui  faire  plusieurs  requestes  et 
remonstrances ,  et  entre  autres  que,  quelque  chose 
qu'ilz  eussent  fait,  le  roy  voulsist  estre  content  d'eulx 
et  qu'il  lui  pleust  declairer  qu'ilz  n'avoient  point  failly 

1.  Jean  Hébert,  Georges  de  Vouet  et  autres  avaient  reçu  mis- 
sion du  duc  de  Normandie  de  se  rendre  auprès  du  roi  pour  le 
supplier  de  laisser  le  duché  à  son  frère  (Instruction  originale 
datée  de  Rouen,  7  janvier.  Bibl.  nat.,  ms.  lat.  54143,  fol.  124. 
M.  Quicherat  l'a  imprimée  dans  les  Mélanges  historiques,  II,  410, 
mais  d'après  une  copie  de  Dupuy). 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  XXXVIII.  —  Après  la  prise  du 
château,  qui  se  rendit  après  un  assez  rude  assaut,  Louis  XI  se 
porta  sur  Rouen,  et  il  se  livra  aux  environs  de  cette  ville  plu- 
sieurs engagements,  où  les  Normands  perdirent  du  monde. 

3.  Interpolations  et  variantes,  §  XXXIX.  —  A  Gaen,  Louis  XI 
avait  fait  proposer  aux  mandataires  de  son  frère  60,000  livres  et 
le  comté  de  Roussillon,  à  condition  qu'il  fixât  sa  résidence 
dans  cette  province  lointaine.  Mais  le  duc  de  Normandie  préten- 
dait n'abandonner  son  duché  que  pour  le  Berry,  le  Poitou  et 
la  Saintonge,  ou  le  Berry,  la  Champagne  et  le  Vermandois.  Plus 
tard,  le  roi  consentit  à  s'en  rapporter  à  la  décision  des  ducs  de 
Bretagne  et  de  Bourbon  pour  fixer  l'apanage  de  son  frère,  mais  il 
réclama  avant  tout  la  reddition  de  Pont-de-l'Arche ,  promet- 
tant en  ce  cas  une  trêve  de  dix  jours.  Il  exigeait  aussi  que  Charles 
se  retirât  à  Honfleur  jusqu'au  règlement  du  litige.  Le  duc  de 
Normandie  hésita,  tergiversa  et  pendant  ce  temps  Louis  XI 
s'empara  de  Pont-de-l'Arche  {Mélanges  historiques,  II,  409,  417, 
423,  437). 


152  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1466 

ne  fait  chose  contre  lui  dont  il  leur  voulsist  donner 
pardon,  grâce  ou  remission,  et  que  le  roy  de  là  en 
avant  les  afranchist  en  la  manière  qu'il  avoit  fait  ceulx 
de  sa  ville  de  Paris,  et  plusieurs  autres  requestes 
firent  au  roy,  qui  leur  rendi  response  que  sur  tout  il 
y  aroit  son  advis  ^ . 

Et,  durant  ces  choses,  plusieurs  des  gens  du  roy 
aloient  et  venoient  en  ladicte  ville  et  les  ungs  avecques 
les  autres.  Et,  cependant,  mondit  seigneur  Charles, 
lui  et  plusieurs  autres  de  sa  compaignie,  vindrent 
dehors  de  ladicte  ville  et  s'en  tirèrent  à  Honnefleu  et 
à  Gaen,  où  il  fut  depuis  certaine  espace  de  temps ~.  — 
En  ces  entrefaictes,  ledit  Jehan  Monseigneur  de  Lor- 
raine s'en  cuida  eschapper  pour  aler  en  Flandres, 
mais  il  fut  rencontré  par  les  gens  du  roy,  qui  le  prin- 
drent  et  menèrent  vers  le  roy.  Et  donna  le  roy  la 
pluspart  des  offices  de  ladicte  duchié  et  y  fist  tous 
nouveaulx  officiers.  Et,  après  ledit  parlement  dudit 
mons.  Charles  de  ladicte  ville  de  Rouen  ^,  elle  fut 
remise  et  reduicte  au  roy*.  Et,  ce  fait,  le  roy  ren- 
voya tous  ses   frans  archers   et  leur  donna  congié 

1.  Interpolations  et  variantes,  §  XL.  —  Si  on  en  croit  Maupoint, 
le  comte  d'Harcourt,  le  patriarche,  le  sire  de  Chaumont  et  son 
fils  et  Jean  de  Daillon,  qui,  avec  le  clergé  et  la  haute  bourgeoisie 
rouennaise,  dirigeaient  le  parti  hostile  au  roi,  furent  expulsés 
par  un  soulèvement  des  petits  bourgeois  et  des  gens  de  métiers. 
La  comtesse  de  Maulevrier  fut  arrêtée  au  château,  puis  une  dépu- 
tation  fut  envoyée  à  Pont-de-l'Arche  avec  les  clefs  de  la  ville 
et  des  forteresses.  Le  roi  accueillit  les  Rouennais  avec  bonté 
(13  janvier)  et  les  confirma  dans  leurs  privilèges  et  libertés  {Jour- 
nal, p.  99.  Cf.  Mélanges  historiques,  II,  419). 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  XLI. 

3.  Interpolations  et  variantes,  §  XLII.  Cf.  Basin,  II,  160  et  suiv. 

4.  16  janvier  1466,  n.  st. 


1466]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  153 

jusques  au  premier  jour  de  mars  ensuivant,  et  ren- 
voya aussi  son  artillerie  à  Paris,  et  puis  print  son 
chemin  pour  aler  au  bas  pays  de  Normendie  et  vers  le 
Mont  Saint-MicheP. 

En  ce  temps,  Anthoine  de  Chabannes,  conte  de 
Dampmartin,  dont  dessus  est  faicte  mencion,  se  tint 
avecques  le  roy  et  y  ot  gouvernement  et  charge  de 
gens  d'armes  de  cent  lances,  dont  avoit  la  conduicte 
messire  Charles  de  Meleun,  grant  maistre  d'ostel  du 
roy,  et  si  lui  osta  l'office  de  grant  maistre  et  la  bailla 
à  monseigneur  de  Craon^,  jasoit  ce  que  moult  de  gens 
estoient  assez  d'opinion  que  ledit  de  Melun  eust  bien 
servy  le  roy  et  fait  de  moult  grans  services,  mesme- 
ment  à  la  grant  diligence  qu'il  print  en  la  garde  de  la 
ville  de  Paris,  en  l'absence  du  roy,  et  lui  estant  en 
Bourbonnois,  où  tant  et  si  bien  se  gouverna  et  main- 
tint que  plusieurs  estoient  d'opinion  que,  se  n'eust 
esté  sa  grant  diligence  et  bonne  conduite,  que  ladicte 
ville  eust  eu  beaucop  à  souffrir  ou  grant  dommage  du 
roy  et  du  royaume^. 

1.  Le  roi  poussa-t-il  jusqu'au  Mont -Saint -Michel?  D'après 
Maupoint,  il  se  rendit  directement  de  Pont-de-l'Arche  à  Pont- 
Audemer,  où  il  trouva  les  ducs  de  Bretagne  et  de  Bourbon  qui 
l'attendaient  pour  ordonner  des  offices  de  Normandie.  De  Pont- 
Audemer  il  s'en  fut  à  Rouen. 

2.  Lisez  Dammartin. 

3.  La  défaveur  de  Charles  de  Melun  fut  la  conséquence  immé- 
diate de  la  rentrée  en  grâce  de  son  ennemi  le  comte  de  Dam- 
martin. Maupoint  dit  que  plusieurs  autres  personnages  furent 
«  désappointés  »  et  que  les  ducs  de  Bretagne,  de  Bourbon  et  de 
Galabre,  les  comtes  de  Dunois  et  de  Dammartin  se  partagèrent 
30,000  francs  de  pensions  au  moins.  Le  bâtard  de  Bourbon  fut 
institué  amiral  «  à  grant  pension  d'argent,  dont  plusieurs  mur- 
muroyent  »  {Journal,  p.  100  et  suiv.). 


154  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1466 

Et,  en  ces  choses  faisant,  le  roy  fist  eschange  avec 
ledit  conte  de  Dampmartin  d'un  sien  chastel  qu'il  avoit 
en  Gascongne,  nommé  Blancaffort^  et,  à  l'encontre, 
le  roy  lui  bailla  tout  le  demaine  et  souveraineté  qu'il 
avoit  es  villes  de  Gonnesse,  Gournay  sur  Marne  et 
Grecy  en  Brye^.  Et  de  ce  lui  bailla  lettres  adreçans  à 
sa  court  de  Parlement,  pour  icelles  estre  par  eulx 
expédiées  et  pour  les  joindre  avecques  sadicte  conté 
de  Dampmartin. 

Oudit  temps,  le  roy  ordonna  que  la  place  de  Ghau- 
mont  sur  Loire,  qui  appartenoit  à  messire  Pierre 
d'Amboise,  seigneur  dudit  Ghaumont,  feust  mise  en 
feu  et  en  flambe  et  arrasée;  ce  qui  fut  fait^. 

Et,  le  lundi  tiers  jour  de  février,  ung  nommé  Gau- 
vain  Mauviel,  qui  estoit  lieutenant  gênerai  du  bailli  de 
Rouen,  fut  prins  en  ladicte  ville  et  mené  prisonnier 
au  Pont  de  l'Arche,  et  là,  par  le  prevost  des  mares- 
chaulx,  dessus  le  pont  dudit  lieu  fut  drecié  ung  eschaf- 

1.  Interpolations  et  variantes,  §  XLIII.  —  Il  s'agit  ici  de  la  ville 
de  Blanquefort  ea  Médoc  (auj.  dép.  de  la  Gironde,  arr.  de  Bor- 
deaux), prise  sur  les  Anglais  en  1453  et  donnée  par  Charles  VII 
à  Antoine  de  Chabannes.  L'échange  en  question  fut  fait  à  Pont- 
de-l'Arche  quelques  jours  avant  le  8  janvier  1466,  n.  st.  (Ordon- 
nances, XVI,  454,  note.  Cf.  Sauvai,  Antiquités  de  Paris,  III,  369). 
La  seigneurie  de  Blanquefort,  mise  en  la  main  du  roi  peu  de 
temps  après  son  avènement,  avait  été  donnée  par  lui  à  Du  Lau, 
alors  sénéchal  de  Guyenne  (Bibl.  nat.,  ms.  fr.  2921,  fol.  83  v^). 

2.  Gonesse  et  Gournay-sur-Marne  (Seine-et-Oise,  arr.  de  Pon- 
tuise).  Crécy-en-Brie  (Seine-et-Marne,  arr.  de  Meaux). 

3.  Interpolations  et  variantes,  §  XLIV.  —  Louis  XI  avait  con- 
fisqué le  château  de  Ghaumont  dès  le  commencement  du  Bien- 
Public,  car,  le  31  mai  1465,  il  en  avait  fait  don  à  la  duchesse 
d'Orléans  (Favre  et  Leceslre,  Z,e  Jouvencel,  éd.  cit.,  p.  cclvi,  n.  6, 
Cf.  Mélanges  historiques,  II,  283). 


1466]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  155 

fault,  dessus  lequel  ledit  Gauvain  fut  décapité  pour 
aucuns  cas  de  crime  à  lui  imposez,  et  dessus  ledit 
pont  fut  sa  teste  mise  au  bout  d'une  lance  et  son  corps 
gecté  en  la  rivière  de  Seine  ^. 

Et,  en  ce  temps,  le  hault  doien  de  l'église  de  Rouen 
et  autres  chanoines  de  ladicte  église,  jusques  au 
nombre  de  six,  furent  envoiez  hors  icelle  et  leur  fut 
ladicte  ville  interdicte,  et  furent  envoiez  demourer 
hors  la  duchié  de  Normendie^. 

Après  ce,  le  roy  se  parti  de  Rouen  et  s'en  ala  à 
Orléans,  où  la  royne  estoit,  et  y  demoura  par  long- 
temps, et  puis  s'en  ala  à  Jargueau  et  ilec  environ^. 
Et,  pendant  qu'il  y  fut,  arrivèrent  devers  lui  plusieurs 
ambaxadeurs  de  diverses  contrées  et  pour  divers  cas. 
Et,  durant  ce,  le  roy  dehbera  envoier  ambaxade  ou 
royaume  d'Angleterre  pour  aucunes  causes,  et,  pour 

1.  Gauvain  Mauviel,  écuyer,  lieutenant  général,  dès  le  mois  de 
novembre  1462,  de  Jean  de  Montespedon,  bailli  de  Rouen  (Bibl. 
nat.,  Pièces  orig.,  vol.  1902,  dossier  Mauviel).  En  janvier  1463, 
n.  st.,  sire  Gauvain  avait  reçu  pour  services  rendus  à  la  ville  de 
Rouen  un  don  gratuit  de  20  lions  d'or  (Arcli.  munie,  de  Rouen, 
Reg.  des  délibér.  de  l'hôtel  de  ville  A^,  fol.  207  v»).  Son  exécu- 
tion fut  la  conséquence  de  sa  conduite  antiroyaliste  pendant  le 
règne  éphémère  du  duc  de  Normandie. 

2.  Le  haut  clergé  rouennais  avait  témoigné  de  sentiments  très 
particularistes.  Les  registres  capitulaires  de  Notre-Dame  de 
Rouen  (Plumitif  du  chapitre,  t.  XXI,  fol.  44  v»)  mentionnent  un 
prêt  de  500  1.  t.  fait  au  duc  de  Normandie  «  des  deniers  des 
églises  »  (9  août  1466).  Le  doyen,  Nicolas  Dubosc,  s'était  parti- 
culièrement distingué  par  son  zèle  séparatiste  (Basin,  III,  267  ; 
IV,  247). 

3.  La  présence  de  Louis  XI  est  signalée  à  Orléans  le  25  février 
1466.  Il  séjourna  dans  cette  ville  tout  le  mois  suivant  et  arriva  à 
Jargeau  (Loiret)  au  commencement  d'avril  (Itin.  cité). 


156  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1466 

ce  faire,  eslut  le  conte  de  Roussillon,  bastard  de 
Bourbon  et  admirai  de  France,  le  sire  de  la  Barde, 
l'evesque  et  duc  de  Lengres^  maistre  Jehan  de  Pou- 
paincourt,  seigneur  de  Cercelles,  Olivier  Le  Roux,  con- 
seiller et  maistre  des  comptes^,  et  autres,  et  partirent 
pour  y  aler  ou  mois  d'avril  GGCCLXVP.  —  Et  oudit 
temps,  par  la  justice  ordinaire  de  Paris,  furent  prins 
plusieurs  povres  créatures,  larrons,  crocheteurs  et 
autres  malfaicteurs,  qui  pour  lesdiz  cas  furent  les 
aucuns  pendus  et  estranglez ,  et  les  autres  batus 
au  cul  de  la  charette  par  les  carrefours  de  ladicte 
ville. 

En  ce  temps,  damoiselle  Ysabeau  de  Gambray, 
femme  de  sire  Guillaume  Golombel,  puissant  et  riche 
homme,  fut  mise  et  constituée  prisonnière  en  la  con- 
ciergerie du  palais  royal  à  Paris,  à  la  requeste  et 
pourchas  de  sondit  mary,  qui  principalement  la  char- 
goit  de  trois  choses  :  la  première  qu'elle  s'estoit  for- 
faicte  et  habandonnée  à  autre  qu'à  luy;  la  seconde 
qu'elle  l'avoit  desrobé  de  ses  biens  en  grans  sommes 
de  deniers,  et  aussi  qu'elle  avoit  fait  et  compilé  plu- 
sieurs poisons  pour  l'empoisonner  et  faire  mourir. 
Et,  sur  ces  choses,  avoit  sondit  mary  fait  faire  ses 

1.  Guy  Bernard  occupa  le  siège  de  Langres  de  1453  au 
28  avril  1481. 

2.  Olivier  Le  Roux,  d'abord  notaire  et  secrétaire  du  roi  (l^""  août 
1461),  fut  reçu  conseiller  et  maître  des  comptes  le  24  novembre 
1464  (voy.  Vaesen,  Lettres  de  Louis  XI,  III,  158  n.). 

3.  Les  ambassadeurs  du  roi  de  France  et  ceux  du  roi  d'Angle- 
terre se  rencontrèrent  à  Calais.  Le  résultat  de  leurs  conférences 
fut  la  conclusion  d'une  trêve  de  vingt -deux  mois  (Maupoint, 
Journal,  p.  101). 


1466]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  157 

informacions  ;  après  lesquelles  veues  et  pour  lesdiz  cas, 
demoura  longuement  prisonnière  et  fut  sur  ce  geheyn- 
née.  Et  finablement,  veu  par  la  court  de  Parlement 
lesdictes  charges  et  informacions  sur  ce  faictes  et  sa 
confession  prinse,  par  arrest  et  jugement  diffînitif 
d'icelle  fut  dit  et  prononcé  que  lesdictes  charges,  par 
ledit  Golombel  imposées  à  sadicte  femme,  estoient 
souffisamment  prouvées  ;  pour  quoy  fut  declairé  par 
ledit  arrest  privée  de  toute  communaulté  de  biens  et 
douaire  avec  sondit  mary.  Et,  au  regard  des  poisons, 
furent  appoinctez  contraires,  de  quoy  elle  proposa 
erreur  et  consigna  vi^^  livres  parisis^. 

Le  dixiesme  jour  de  may,  oudit  an  LXVI,  messire 
Anthoine  de  Chasteauneuf,  seigneur  du  Lau,  qui  avoit 
eu  congié  du  roy  longtemps  par  avant,  fut  trouvé  par 
cas  d'aventure  par  le  seigneur  de  Chabesnays  et  autres 
es  pleines  de  Glery  près  Orléans.  Et,  pour  ce  que  lui 
et  ses  gens  furent  de  lui  apperceuz  en  habis  mes- 
congneuz,  fut  prins  prisonnier  et  mené  au  roy,  qui 

1.  Ysabeau  de  Cambray,  probablement  l'un  des  seize  enfants 
d'Adam  de  Cambray,  premier  président  au  Parlement  de  Paris, 
et  de  Charlotte  Alixandre,  avait  épousé  sire  Guillaume  Colombel, 
élu  de  Paris  dès  1454  et  commis  au  payement  des  gages  de  la 
cour  de  Parlement  {Ordonnances,  XVI,  439),  puis  conseiller  du 
roi.  L'arrêt  de  séparation  prononcé  en  Parlement  le  15  juillet 
1466  relate  minutieusement  les  faits  reprochés  par  Colombel  à 
sa  femme,  les  répliques  d'Ysabeau  et  les  nombreuses  vicissitudes 
du  procès,  qui  n'en  demeura  pas  à  ce  point.  (Voy.  Arch.  nat., 
X2a  34,  fol.  145  et  suiv.,  et  X2a  35,  à  la  date  du  21  octobre  1469. 
L'arrêt  est  cité  par  Longnon,  Villon,  Index,  p.  295.)  Cf.  ce  pas- 
sage d'une  lettre  du  premier  président  Jean  Dauvet  à  Louis  XI, 
en  date  de  Paris,  13  mars  (1466)  :  «  Nous  besoingnons  au  procès 
de  la  Colombelle,  auquel  il  y  a  beaucoup  de  folies  »  (Mélanges  his~ 
toriques,  II,  446). 


158  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1466 

l'envoya  avecques  ses  gens  prisonnier  en  ung  chastel 
près  Meun^. 

Et,  le  mercredi  [14  mai],  veille  d'Ascension  Nostre 
Seigneur,  par  l'ordonnance  du  roy,  maistre  Jehan  Le 
Prévost,  notaire  et  secrétaire  du  roy,  entra  dedens  la 
Bastide  Saint-Anthoine  par  moiens  subtilz,  et  d'ilec  en 
mist  et  gecta  hors  ung  nommé  Marc,  qui  en  estoit  lieu- 
tenant pour  mons.  de  la  Borde  ^,  et  lequel  Marc  avoit 
nouvellement  espousée  la  fille  naturelle  dudit  messire 
Charles  de  Melun,  qui  estoit  filz  dudit  seigneur  de 
la  Borde.  Et,  après  ce,  ledit  Marc  et  sadicte  femme  et 
mesnage  s'en  retournèrent  à  refuge  pardevers  ledit 
messire  Charles  en  la  ville  de  Melun . 

Et,  le  samedi  veille  de  Penthecouste ,  xxmi®  jour 
dudit  moys,  oudit  an  mil  IIIPLXVI,  furent  leues  et 
publiées  en  ladicte  ville  de  Paris,  par  les  carrefours 
d'icelle,  à  son  de  trompe  et  à  cry  publique,  le  mande- 
ment du  connestable  de  France,  dedens  lequel  estoit 
inséré  le  mandement  du  roy,  qui  contenoit  que  le  roy 
estoit  deuement  informé  que  les  Anglois,  ses  anciens 
ennemis,  en  grosse  et  merveilleuse  armée,  estoient 
délibérez  d'entrer  et  descendre  ou  royaume  de  France 
pour  destruire  et  gaster  icellui,  et  que,  pour  ce  faire, 
avoient  desjà  fait  grant  amas  de  navires;  et,  pour  ce, 
le  roy,  voulant  résister  à  leur  mauvaise  et  dampnée 
entreprinse,  et  pour  les  grever  et  nuire  en  tout  ce  que 

1.  Interpolations  et  variantes,  §  XLV.  —  Arrêté  par  Jean  de 
Vendôme,  seigneur  de  Chabanais,  Du  Lau  fut  enfermé  d'abord 
au  château  de  Sully-sur-Loirc,  puis  transféré,  au  mois  d'octobre 
suivant,  au  château  d'Usson,  d'où  il  réussit  à  s'échapper  (voy. 
plus  loin). 

2.  Philippe  de  Melun. 


1466]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE,  159 

possible  seroit,  mandoit  audit  connestable  que  par 
toutes  villes,  pays  et  lieux  dudit  royaume,  es  places 
où  l'en  a  acoustumé  de  faire  cry  publique,  il  fîst  assa- 
voir que  tous  nobles  tenans  du  roy  en  fief  et  arrière 
fief,  de  quelque  estât  ou  condicion  qu'ilz  feussent, 
feussent  en  armes  et  habillement  dedans  le  xv®  jour  de 
juing  ensuivant,  sur  peine  de  confiscacion  de  corps  et 
de  biens,  et  aussi  à  tous  frans  archers  à  estre  tous 
prests  audit  jour. 

En  ce  temps,  le  roy,  qui  ainsi  avoit  desappoincté 
ledit  seigneur  de  la  Borde  de  ladicte  cappitainerie  de 
la  Bastide  Saint-Anthoine,  donna  ladicte  cappitainerie 
au  seigneur  de  Blot,  seneschal  de  Bourbonnois,  que  on 
disoit  estre  homme  de  grant  conduicte^ 

En  ce  temps,  ledit  seigneur  de  Montauban  ^,  qui  avoit 
esté  admirai,  grand  maistre  administrateur  et  gênerai 
reformateur  des  eaues  et  foretz,  et  qui  avoit  esté  cause 
de  toute  la  noise  advenue  en  Bretaigne  et  par  consé- 
quent ou  royaume  de  France,  et  qui  avoit  eu  des 
biens  du  royaume  et  argent  inestimable,  mourut  à 
Tours  et  ne  fut  point  plouré^.  Et,  après  sa  mort,  le 
roy  donna  ses  offices,  c'est  assavoir  l'office  d'admiral, 
à  monseigneur  le  bastard  de  Bourbon^,  qui  avoit 
espousée  une  sienne  fille  naturelle,  et  l'office  de  grant 

1.  Cette  mutation  eut  lieu  vers  la  Saint-Barnabe  (11  juin)  1466 
(Maupoint,  Journal,  p.  101  et  suiv.).  —  Hugues  de  Chauvigny, 
chevalier,  seigneur  de  Blot,  sénéchal  d'Auvergne,  conseiller  et 
chambellan  du  roi,  s'intitule  capitaine  de  la  Bastille  en  date  du 
3  septembre  1466  (Bibl.  nat.,  ms.  fr.  26090,  n°  499,  parch.  signé). 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  XLVI. 

3.  Sur  ses  concussions  comme  général  réformateur  des  forêts, 
voy.  Basin,  U,  19  et  suiv.  (cf.  Vaesen,  Lettrçs  de  Louis  XI,  II,  221). 

4.  Interpolations  et  variantes,  §  XL VII. 


160  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1466 

maistre  des  eaues  et  forestz  fut  donnée  au  seigneur  de 
Ghastillon,  frère  du  mareschal  de  Loheac^. 

Oudit  temps  furent  prinses  trêves  avecques  lesdiz 
Anglois  durant  xxii  moys,  tant  par  mer  que  par  terre, 
et  furent  lesdictes  trêves  publiées-.  —  Et  aussi,  oudit 
temps,  monseigneur  du  Maine,  pour  aucunes  causes 
qui  meurent  le  roy,  fut  desappoincté  du  gouverne- 
ment de  Languedoc  et  fut  baillé  à  monseigneur  le  duc 
de  Bourbon^. 

Et,  après  ledit  mariage  fait  dudit  monseigneur  l'ad- 
mirai, le  roy  lui  donna  le  chastel  et  place  de  Usson  en 
Auvergne,  qu'on  dit  estre  la  plus  forte  place  du 
royaume,  avecques  les  cappitaineries  de  Honnefleu  et 
autres  places  de  Normandie^. 

Oudit  moys  de  juing,  que  les  fèves  florissoient  et 
deviennent  bonnes,  advint  que  plusieurs  hommes  et 

1.  Interpolations  et  variantes,  §  XLVIII.  —  Sur  Louis  de  Laval, 
seigneur  de  Ghàtillon,  gouverneur  de  Champagne,  voy.  Vaesen, 
Lettres  de  Louis  XI,  U,  348,  et  ms.  fr.  20494,  fol.  64. 

2.  Cf.  Vaesen,  IH,  89. 

3.  Louis  XI,  instruit  des  menées  du  comte  du  Maine  pendant 
le  Bien-Public,  le  fit  interroger  particulièrement  (Jean  de  Reilhac, 
par  le  comte  de  Reilhac,  I,  218  et  suiv.).  Le  H  octobre  1467,  le 
comte  du  Maine  prêta  serment  de  servir  le  roi  envers  et  contre 
tous  (Lenglet,  II,  637  et  suiv.).  —  Les  patentes  qui  lui  substi- 
tuèrent le  duc  de  Bourbon  dans  le  gouvernement  du  Languedoc 
furent  délivrées  le  5  juin  1460  (La  Mure,  Hist.  des  ducs  de  Bour- 
bon, éd.  Chantelauze,  II,  273,  note). 

4.  Aux  termes  du  contrat  de  mariage  passé  le  7  novembre 
1465,  Louis  XI  avait  déjà  assigné,  entre  autres  domaines,  à  sa 
fille  naturelle  Jeanne  les  château  et  seigneurie  d'Usson  pour 
assiette  de  6,000  1.  t.  de  rente  (Lenglet,  II,  545).  Cette  aliénation 
fut  ratifiée  par  le  duc  de  Bourbon  à  Orléans  le  18  mars  1465, 
V.  st.  (Arch.  nat.,  P  1362<,  c.  1000). 


1466]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  161 

femmes  perdirent  leur  bon  entendement',  et  mesme- 
ment  à  Paris  qu'il  y  ot  entre  autres  ung  jeune  homme, 
nommé  maistre  Marcial  d'Auvergne,  procureur  en  la 
court  de  Parlement  et  notaire  ou  Chastellet  de  Paris-, 
lequel,  après  qu'il  ot  esté  marié  trois  sepmaines 
avecques  une  des  filles  de  maistre  Jaques  Fournier, 
conseiller  du  roy  en  sadicte  court  de  Parlement,  perdi 
son  entendement  en  telle  manière  que,  le  jour  Saint- 
Jehan  Baptiste,  environ  ix  heures  de  matin,  une  telle 
frénésie  le  print  qu'il  se  getta  par  la  fenestre  de  sa 
chambre  en  la  rue,  et  se  rompit  une  cuisse  et  froissa 
tout  le  corps,  et  fut  en  grant  danger  de  mourir,  et 
depuis  persévéra  longuement  en  ladicte  frénésie,  et 
après  se  revint  et  fut  guery. 

Ou  moys  de  juillet  ensuivant  vindrent  et  arrivèrent 
à  Paris  plusieurs  prélats,  seigneurs,  chevaliers,  gens 
d'Eglise  et  autres  gens  de  conseil,  que  le  roy  ordonna 

1.  «  Les  fèves  sont  en  fleur,  les  fous  en  vigueur  »  (proverbe 
ancien  cité  par  Littré,  v°  Fève). 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  XLIX.  —  Gomme  le  porte  cette 
interpolation,  ce  Martial  d'Auvergne,  un  confrère  de  Jean  de 
Roye,  est  bien  le  célèbre  auteur  des  Vigiles  de  Charles  Vil,  des 
Arrêts  d'amour  et  des  Heures  de  la  vierge  Marie.  Né  vers  1440,  il 
mourut  le  13  mai  1508  (voy.  Anat.  de  Montaiglon,  préface  de 
V Amant  rendu  Cordelier  à  l'observance  d'amours.  Soc.  des  Ane. 
textes,  1881).  On  lit  précisément  dans  ce  poème,  qui  est  attri- 
bué à  Martial  d'Auvergne,  les  vers  suivants  : 

Doux  yeux  jectans  feu  aux  oreilles 

Qui  font  gallans  nuyt  et  jour  courre 

Et  entrer  es  fèves  nouvelles...  (P.  67,  vers  1541  et  suiv.) 
Martial  d'Auvergne  est  cité  à  la  date  de  1472  parmi  les  procu- 
reurs au  Parlement  de  Paris  chargés  des  affaires  du  duc  de 
Bourbon  (Huillard-BréhoUes  et  Lecoy  de  la  Marche,  Titres  de  la 
Tnaison  ducale  de  Bourbon.  Paris,  1867-74,  in-4'',  t.  Il,  n»  6505. 
Cf.  Arch.  nat.,  Xia  1489,  fol.  83  v»,  90,  209;  1491,  fol.  53). 


162  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1466 

venir  et  qu'on  disoit  qui  estoient  ordonnez  pour  mettre 
ordre  et  police  en  la  justice  et  reformer  en  toutes 
choses,  et  leur  fut  baillé  moult  grant  povoir.  Et  par 
icellui  estoient  nommez  xxi  commissaires,  dont  messire 
Jehan,  bastard  d'Orléans,  conte  de  Dunois  et  de  Lon- 
gueville,  estoit  l'un  et  le  premier  ;  et  duquel  nombre 
de  XXI  ne  povoit  estre  riens  fait  qu'ilz  ne  feussent  xiii, 
ledit  conte  de  Dunois  tousjours  présent  et  le  premier  ; 
et  les  appelloit  on  lors  les  reformateurs  du  Bien 
Publique.  Et,  sur  ladicte  commission  ainsi  à  eulx  bail- 
lée, commencèrent  à  besongner  le  mardi,  xvi®^  jour 
dudit  moys  de  juillet,  oudit  an  mil  IIIP  LXVI.  Et,  pour 
y  bien  commencer  et  mettre  tousjours  en  leurs  faiz 
Dieu  devant,  fut  fait  par  eulx  chanter  une  belle  messe 
du  Saint-Esperit,  en  la  Saincte-Ghapelle  du  Palais  royal 
à  Paris,  laquelle  fut  chantée  et  célébrée  par  l'arcevesque 
de  Reins,  JuveneP,  qui  estoit  esleu  et  nommé  l'un 
desdiz  commissaires.  Et,  à  cedit  jour  de  mardi,  avoit 
eu  ung  an  que  le  roi  rencontra  ledit  seigneur  de 
Charrolois  à  Montlehery^. 

Et  le  lendemain,  qui  fut  le  mercredi  xvi®  jour  dudit 
mois  de  juillet,  advint  en  la  court  dudit  Palais  que 
plusieurs  des  pages  des  conseillers  de  ladicte  court, 

1.  Lisez  xv«. 

2.  Jean  Jouvenel  des  Ursins. 

3.  La  bataille  fut  livrée  le  16  et  non  le  15  juillet  1465,  mais 
notre  auteur  entend  sans  doute  que  ce  mardi  15  juillet  1466  cor- 
respondait au  mardi  16  juillet  de  l'année  précédente.  —  Ce  n'est 
pas  21,  mais  36  personnes,  savoir  12  prélats  et  hommes  d'église, 
12  chevaliers  et  écuyers,  et  12  notables  hommes  de  conseil  et  de 
justice  que  Louis  XI  avait  nommés  pour  aviser  sur  les  «  répara- 
tions, provisions  et  remèdes  convenables  au  bien  public  du 
royaume  »  (voy.  la  liste  dans  Lenglet,  II,  514  et  suiv.). 


1466J  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  463 

ilec  attendans  leurs  maistres,  prindrent  noise  et  ques- 
tion [aux  pages]  desdiz  seigneurs  tenans  le  conseil 
dudit  Bien  Publique.  Et  se  meut  la  noise  d'entre  les- 
diz  pages  du  Palais  contre  lesdiz  pages  du  Bien 
Publique  sur  ce  qu'ilz  n'avoient  point  paie  leurs  bien- 
venues à  iceulx  du  Palais  et  de  ce  avoient  esté  refusans. 
Et  demoura  à  tant  ladicte  noise  jusques  au  lendemain, 
qui  fut  jeudi,  que  tous  lesdiz  pages  d'un  costé  et 
d'autre  retournèrent  en  icelle  court  et  remirent  sus 
leur  dicte  question.  Et,  en  pourparlant  d'icelle,  lesdiz 
pages  du  Bien  Publique  coururent  sus  ausdiz  pages 
du  Palais,  qui  se  revencherent,  et  baillèrent  les  ungs 
aux  autres  de  terribles  et  merveilleux  cops,  tant  de 
poings,  de  pierres,  basions,  cousteaulx  et  dagues,  et 
y  en  ot  plusieurs  navrez,  batus  et  les  yeulx  crevez; 
et  falut  fermer  les  portes  et  que  gens  de  bien  s'en 
meslassent  pour  les  défaire  et  appoincter.  Et  de  ce 
fut  dit  par  plusieurs  que  ces  choses  signifioient  le 
bout  de  l'an  de  la  rencontre  de  Montlehery. 

Ladicte  année  fut  fort  moiste,  et  en  divers  lieux 
en  France  v  crut  de  bons  blez,  et  en  autres  lieux  ne 
valurent  gueres  et  estoient  nuylez^;  et  y  ot  de  grans 
tempestes  en  divers  lieux,  tant  de  escler  que  de  ton- 
noirre,  vent,  pluies  et  autres  tempestes,  qui  firent 
moult  de  maulx  et  de  dommages  en  divers  lieux  dudit 
royaume,  et  par  especial  ou  pays  de  Soissonnois, 
où  elle  gasta  les  blez,  les  vins  et  autres  fruiz  et  des- 
truisy  plusieurs  belles  maisons,  manoirs,  couvertures 
d'églises  et  autres  maulx. 

1.  Niellés,  gâtés  par  la  nielle.  Il  en  fut  ainsi  dans  tout  le  Nord, 
mais  les  vins  furent  i  très  bons  et  si  en  fust  plenté  »  (Du  Glercq, 
IV,  299). 

I  13 


164  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1466 

En  ce  temps,  s'esmeut  grande  guerre  entre  les  Lie- 
gois  et  le  duc  de  Bourgongne,  qui  pour  ceste  cause  se 
mist  en  armes  et  leur  ala  faire  guerre,  et  se  y  fist 
porter  en  une  lictiere,  et  y  mena  avecques  lui  son  filz 
ledit  seigneur  de  Gharrolois^  avecques  tous  les  nobles 
hommes,  gens  de  guerre  et  autres  qu'il  pot  recouvrer 
et  tous  ses  harnez  et  artillerie,  et  fist  mettre  le  siège 
devant  la  ville  de  Dynan,  contre  laquelle  y  fut  inconti- 
nent fait  grans  approches,  et  sy  y  furent  faictes  de  belles 
saillies  et  grandes  escarmouches  de  costé  et  d'autre. 
Et,  au  commencement,  lesdiz  de  Dynam  firent  de  grans 
maulx  et  dommage  ausdiz  Bourguignons,  et  y  en 
demoura  plusieurs  mors,  qui  gueres  ne  furent  plains. 
Mais,  en  la  fin,  ceulx  de  ladicte  ville  de  Dynan,  par 
traison  et  autrement,  furent  surprins,  et  entrèrent  les- 
diz Bourguignons  dedens  icelle  ville,  qui  d'icelle  en 
gecterent  et  boutèrent  dehors  hommes,  femmes  et 
enfans,  et  retindrent  prisonniers  les  plus  notables  gens 
d'icelle  ville,  et  puis  la  pillèrent  tellement  qu'il  n'y 
demoura  rien.  Et  après  boutèrent  le  feu  parmy  toutes 
les  eghses  et  maisons,  et  y  firent  meschef  et  dommage 
irréparable-;  et,  après  que  tout  fut  bruslé  et  consumé, 


1.  Cf.  Gommynes,  éd.  Dupont,  I,  114  et  suiv.  Philippe  le  Bon 
quitta  Bruxelles  le  13  août  et  fit  son  entrée  à  Binant  le  25  du 
même  mois. 

2.  Le  29  août,  après  trois  jours  de  meurtres  et  de  pillage,  le  feu 
prit,  on  ne  sait  comment,  au  logis  d'Adolphe  de  Glèves,  et  les 
pillards,  préoccupés  de  sauver  leur  butin,  laissèrent  l'incendie 
accomplir  son  œuvre.  Il  n'est  pas  prouvé  que  le  comte  de  Gha- 
rolais  ait  donné  l'ordre  d'incendier  Dinant,  mais  en  France  on  l'en 
accusa  formellement  (voy.  Du  Glercq,  IV,  266  et  suiv.;  Gachard, 
Doc.  inéd.  concernant  l'hist.  de  Belgique,  II,  205  et  suiv.,  et  Mau- 
point,  Journal,  p.  103). 


1466J  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  165 

emplirent  les  fessez  des  murs  d'icelle.  Et,  à  cause 
d'icelle  destruction,  devindrent  les  povres  habitans 
d'icelle  mendians,  et  aucunes  jeunes  femmes  et  filles 
habandonnées  à  tout  vice  et  pechié  pour  avoir  leur  vie^ . 
En  ladicte  année,  es  mois  d'aoust  et  septembre,  fut 
grande  et  merveilleuse  chaleur,  au  moien  de  laquelle 
s'en  ensuivy  grande  mortalité  de  pestilence  et  autres 
maladies,  dont  et  de  quoy  il  mourut,  tant  en  la  ville, 
villages  voisins,  prevosté  et  viconté  de  Paris,  quarante 
mil  créatures  et  mieulx,  entre  lesquelz  y  mourut 
maistre  Arnoul,  astrologien  du  roy,  qui  estoit  fort 
plaisant  homme -,  plusieurs  médecins  et  officiers  du 
roy  en  ladicte  ville  de  Paris.  Et  si  grant  nombre  de 
créatures  furent  portées  enterrer  ou  cymitiere  des 
Sains-Innocens^,  en  ladicte  ville  de  Paris,  que,  tant 
des  mors  en  ladicte  ville  que  de  l'Ostel  Dieu,  tout  y 
fut  remply,  et  fut  ordonné  que  de  là  en  avant  on  por- 
teroit  les  mors  ou  cymitiere  de  la  Trinité*,  qui  est  et 
appartient  à  l'ostel  de  la  ville  de  Paris.  Et  continua 
ladicte  mort  jusques  en  la  fin  de  novembre,  que,  pour 
faire  cesser  et  prier  Dieu  que  ainsi  il  lui  pleust  de  le  faire, 
furent  faictes  de  moult  belles  processions  générales 

1.  Sur  les  horreurs  du  sac  de  Dinant,  voir  le  dramatique  récit 
de  Michelet  (Louis  XI  et  Charles  le  Téméraire.  Paris,  1857,  ia-8°, 
p.  200  et  suiv.). 

2.  En  1466,  Louis  XI  avait  mandé  à  l'Université  d'examiner 
certains  livres  traitant  d'art  magique  composés  par  maître  Arnould 
des  Marets,  astronome.  L'Université  ne  trouva  pas  que  ces  ouvrages 
fussent  «  consonants  à  la  doctrine  chrétienne  >  et  les  condamna 
(Du  Boulay,  Hist.  de  l'Université  de  Paris,  V,  678). 

3.  Près  les  Halles. 

4.  L'église  de  la  Trinité  était  située  rue  Saint-Denis,  non  loin 
de  la  porte  aux  Peintres. 


166  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1466 

à  Paris,  par  toutes  les  parroisses  et  églises  d'icelles, 
où  furent  portées  toutes  les  chasses  et  sainctes  reliques, 
et  mesmement  les  chasses  de  Nostre-Dame,  de  Saincte- 
Geneviefve  et  Saint-Marcel;  et  lors  cessa  ung  petit 
ladicte  mort*. 

En  ce  temps,  fut  grant  bruit  à  Paris  de  larrons  et 
crocheteurs,  alans  de  nuit  crocheter  huis,  fenestres, 
caves  et  celiers.  Et,  pour  lesdiz  cas,  en  furent  aucuns 
batus  au  cul  de  la  charrete  et  les  autres  pendus  et 
estranglez  au  gibet  de  Paris. 

Oudit  temps,  fut  pendu  et  estranglé  oudit  gibet  de 
Paris  ung  gros  Normant,  natif  de  Goustantin  en  Nor- 
mandie^, pour  ce  qu'il  avoit  longuement  maintenue  une 
sienne  fille  et  en  avoit  eu  plusieurs  enfans,  que  lui  et 
sadicte  fille,  incontinent  qu'elle  en  estoit  délivrée,  mur- 
drissoient  ;  et,  pour  ledit  cas,  fut  pendu,  comme  dit  est, 
et  sadicte  fille  fut  arse  à  Maigny  près  Pontoise^,  où  ilz 
estoient  venus  demourer  dudit  pays  de  Normendie. 

En  ce  temps,  furent  apportées  à  Paris  les  chasses 
de  saint  Grespin  et  saint  Grespinien,  pour  trouver 
remède  à  ladicte  maladie  de  pestilence,  et  aussi  pour 
eulx  quester,  afin  d'avoir  de  quoy  recouvrir  l'église 
desdiz  sains  audit  lieu  de  Soissons^,  que  ladicte  fouldre 

\.  Cette  épidémie  n'épargna  pas  les  provinces  (voy.  Bibl.  nat., 
ms.  fr.  3887,  pap.,  xv«  s.,  au  fol.  19, 1'  «  Ad  vis  des  medicins  demo- 
rans  à  Dijon  rapporté  à  Mess»"*  les  mayeur  et  eschevins  dudit 
Dijon,  le  xuii»  jour  d'octobre  l'an  mil  IIIIc  LXVI,  »  et,  au  fol.  20, 
un  «  Autre  advis  apporté  de  Paris  sur  la  matière  avant  dicte  »). 
Le  gonllement  des  glandes  était  un  des  signes  de  l'infection. 

2.  Du  pays  de  Gotentin,  en  Basse-Normandie. 

3.  Magny-en-'Vexin,  auj.  dép.  de  Seine-et-Oise,  arr.  de  Mantes. 

4.  Il  y  avait  à  Soissons  deux  églises  fondées  sous  l'invocation 


I 


1466-1467]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  167 

et  tempeste  avoit  ainsi  destruicte  et  abatue,  que  dit 
est  devant. 

Et,  durant  ce  temps,  le  roy  et  son  conseil  se  tindrent 
à  Orléans,  à  Chartres,  Bourges,  Meun,  Amboise  et 
autres  lieux^  Et,  durant  qu'il  y  fut,  vindrent  plusieurs 
ambassades  de  diverses  nacions,  comme  d'Angleterre, 
de  Bourgongne,  Bretaigne  et  autres.  Et  délibéra  lors 
le  roy  de  faire  guerre  ausdiz  duc  de  Bourgongne  et 
conte  de  Charrolois,  son  filz,  et,  pour  ceste  cause,  fist 
crier  es  villes  de  son  royaume  ban  et  arrière  ban,  et 
ordonna  et  créa  plusieurs  frans  archers  oultre  le 
nombre  ordinaire. 

Après  ce  que  dit  est,  le  roy  fist  plusieurs  ordon- 
nances et  establissemens  pour  la  tuicion  et  garde  de 
ses  pays  et  villes,  et  ordonna  monseigneur  le  mares- 
chal  de  Loheac  son  lieutenant  en  la  ville  de  Paris  et  en 
risle  de  France.  Et,  à  mons.  de  Ghastillon  fut  baillé  le 
pays  de  Ghampaigne'^,  et  la  garde  du  pays  et  duchié 
de  Normendie  fut  baillée  à  monseigneur  le  conte  de 
Saint-Pol,  connestable  de  France^,  qui  auparavant 
avoit  esté  ennemy  du  roy  avecques  le  duc  de  Bour- 
gongne. 

des  apôtres  du  Soissonnais.  Celle  de  Saint-Crépin-le-Grand  était 
la  plus  considérable. 

1.  Louis  XI  séjourna  à  Orléans  et  à  Meung-sur-Loire  pendant 
les  trois  derniers  mois  de  l'année  1466.  Il  fut  à  Bourges  et  à 
Mehun-sur-Yèvre  pendant  le  mois  de  janvier  et  la  première 
moitié  de  février  1467  (Itin.  cité). 

2.  M.  Vaesen  a  imprimé  la  lettre  par  laquelle  le  roi  notifia 
cette  nomination  aux  conseillers  de  Chàlons-sur-Marne  (Mehun- 
sur-Yèvre,  25  février  1467,  n.  st.,  Lettres  de  Louis  XI,  III,  134). 

3.  Le  connétable  prit  dès  lors  le  titre  de  lieutenant  et  gouver- 
neur du  roi  en  ses  pays  et  duché  de  Normandie.  C'est  le  15  dé- 
cembre 1466  que  lecture  fut  donnée  au  conseil  de  ville  à  Rouen 


168  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1467 

En  après,  ou  moys  de  février  mil  IIIPLXVI,  arriva 
une  ambaxade  de  Bretaigne  pardevers  le  roy  ;  lesquelz, 
après  qu'ilz  orent  par  lui  esté  oyz,  les  receut  très  bien, 
et  puis  s'en  alerent  en  Flandres,  devers  ledit  Bour- 
guignon et  le  conte  de  Charrolois,  son  filz.  Et  lors  fut 
grant  bruit  partout  qu'il  y  avoit  appoinctement  fait 
entre  le  roy  et  monseigneur  son  frère,  dont  plusieurs 
gens  de  bien  furent  moult  joieux^.  Et,  avant  ce,  le 
roy  avoit  envoyé  son  ambaxade  ou  pays  de  Liège; 
entre  lesquelz  y  estoit  ledit  maistre  Jehan  Hébert, 
l'evesque  de  Troies  et  autres^. 

Et,  en  icellui  temps,  advint  à  Paris  que  trois  ser- 
gens  à  verge  du  Chastellet,  qui  estoient  bien  mal 
renommez,  furent  de  nuit  prendre  ung  prestre  de 
l'église  monseigneur  Saint-Pol  à  Paris,  lequel  estoit 
paisiblement  couché  en  sa  chambre,  en  laquelle  par 

des  patentes  royales  délivrées  à  Orléans  le  13  novembre  précé- 
dent, par  lesquelles  le  comte  de  Saint-Pol  était  nommé  à  la 
capitainerie  de  Rouen  à  la  place  de  Jacques  de  Brézé,  comte  de 
MauleVrier,  lequel  avait  pris  possession  de  cette  charge  le  27  juil- 
let 1465,  quelques  jours  après  la  mort  de  son  père  (Arcli.  mun. 
de  Rouen,  Reg.  de  l'hôtel  de  ville,  A 8,  fol.  237  et  260  v). 

1.  La  mission  des  ambassadeurs  bretons  se  rattachait  sans 
doute  aux  négociations  poursuivies  pendant  l'année  1466  entre 
Louis  XI,  d'une  part,  le  duc  de  Bretagne  et  Charles  de  France, 
de  l'autre,  par  l'intermédiaire  du  duc  de  Calabre.  Louis  XI 
proposait  à  son  frère  le  Roussillon  ou  le  comté  d'Asti  avec 
60,000  livres  de  rente  s'il  consentait  à  résider  dans  l'une  de  ces 
possessions  lointaines  et  contestées.  Le  duc  de  Normandie  récla- 
mait le  Berry,  la  Champagne  et  la  Brie.  Aussi  n'y  avait-il  aucune 
chance  de  s'entendre.  Nous  n'avons  pas  trouvé  dans  Dom  Moricc 
la  mention  de  l'ambassade  dont  il  est  ici  question. 

2.  Inlcrpolations  el  varianles,  §  L.  —  L'ambassade  envoyée  à 
Liège  avait  pour  chef  l'évêque  de  Langres,  Gui  Bernard  (Len- 
glet,  II,  621  et  suiv.  et  631).  —  L'évêque  de  Troyes  se  nommait 
Louis  Raguier. 


1467]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  169 

force  et  violence  entrèrent  dedens,  et  ilec  le  bâtirent, 
et  puis  l'en  amenèrent  en  la  rue,  et  le  trainerent  au 
long  d'icelle  et  le  navrèrent  en  plusieurs  lieux,  et  puis 
le  laissèrent.  Et  après  ledit  prestre  les  en  poursuy 
par  justice,  et  tellement  qu'ilz  en  furent  constituez 
prisonniers  oudit  Chastellet,  où  leur  procès  fut  fait;  et 
furent  ilec  condampnez  à  estre  bannis  du  royaume  de 
France  et  leurs  biens  et  héritages  confisquez  et  à  faire 
amende  honnorable,  dont  et  de  quoy  ilz  appellerent 
en  la  court  de  Parlement  ;  dont  aussi  en  appella  le  pro- 
cureur du  roy  de  ce  qu'ilz  avoient  esté  trop  peu  jugez. 
Et  depuis,  par  arrest  d'icelle  court,  fut  dit  que,  avecques 
le  jugement  de  sentence  de  prevost  de  Paris,  qu'ilz 
seroient  batus  par  les  carrefours  de  Paris  :  ce  qui 
fut  fait. 

Et,  le  jeudi  xxiif  jour  d'avril  mil  CGGG  LXVII, 
Anthoine  de  Ghabannes,  conte  de  Dampmartin,  qui 
ainsi  estoit  eschappé  de  la  Bastide  Saint-Anthoine  et 
qui  depuis  fist  moult  de  maulx  au  roy  et  à  ses  subgets 
en  Auvergne  et  ailleurs,  venu  devant  Paris  avecques 
les  autres  princes,  fut  fait  et  créé  grant  maistre  d'ostel 
du  roy  ou  lieu  du  seigneur  de  Grouy,  en  déboutant 
de  ce  ledit  de  Grouy,  messire  Gharles  de  Meleun  et 
tous  autres  ;  et  lui  en  furent  baillées  lettres  par  le  roy, 
qui  certiffioit  que  ledit  Ghabannes  lui  avoit  fait  sere- 
ment  de  loyaument  le  servir  à  l'encontre  de  tous  * . 

1.  Lenglet  a  imprimé  aux  Preuves  de  Gommynes,  II,  323,  d'après 
le  ms.  fr.  de  la  Bibl.  nat.  2898,  les  lettres  par  lesquelles  Louis  XI 
donna  au  comte  de  I>dmmartin  l'office  do  grand  maître  d'hôtel  de 
France,  «  que  nagueres  tenoit  et  occupoit  Charles  de  Melun,  che- 
valier, et  lequel  avoit  par  avant  tenu  le  seigneur  de  Groy  comme 
vacant  par  le  décès  de  feu  le  sire  de  Gaucourt.  »  Ces  lettres  sont 


170  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1467 

Depuis  toutes  ces  choses,  ou  moys  de  juing,  oudit 
an  IIIPLXVII,  le  roy  se  parti  de  Paris  et  ala  en  Nor- 
mendie,  à  Rouen  et  ailleurs ^  Et,  lui  estant  à  Rouen,  fist 
venir  à  lui  le  conte  de  Warwik  hors  du  royaume 
d'Angleterre,  pour  aucunes  causes  qui  le  meurent; 
et  descendy  à  Honnefleu  et  à  Harefleu-  et  ilec  se  mist 
en  bateaulx  lui  et  sa  compaignye  et  vindrent  jusques 
à  la  Bouylle^,  assis  sur  la  rivière  de  Seine  à  cinq  lieues 
près  de  Rouen,  à  ung  samedi  vi®  jour  du  moys  de 
juing,  à  l'eure  de  disner,  lequel  trouva  ilec  son  disner 
tout  prest  et  le  roy  qui  estoit  ilec  aussi  arrivé  pour 
le  recevoir,  et  y  fut  moult  fort  festié  et  tous  ceulx  de 
sadicte  compaignie^.  Et  puis,  après  disner,  rentra 
ledit  Warwik  esdiz  basteaulx,  et  s'en  ala  ledit  Warwik 
par  la  rivière  de  Seine,  et  le  roy  s'en  ala  par  terre 
lui  et  sa  compaignie  jusques  audit  Rouen.  Et  alerent 
à  rencontre  ceulx  de  ladicte  ville  par  la  porte  du  cay 
Saint-Eloy,  où.  le  roy  lui  fist  faire  moult  grand  recueil 

datées  de  s  la  tour  des  Champs,  près  nostre  hostel  de  Mehun  sur 
Yeuvre,  le  viiujt  troisième  jour  de  février,  l'an  de  grâce  1466.  » 
Dammartia  prêta  serment  au  château  des  Montilz-Iez-Tours,  le 
28  mars  suivant  (voy.  V Interpolation  L). 

1.  Louis  XI  quitta  Paris  au  milieu  du  mois  de  mai  1467,  passa 
par  Chartres  et  arriva  à  Rouen  le  28  du  même  mois,  escorté  d'une 
suite  nombreuse  (De  Beaurepaire,  Notes  sur  six  voyages  de  Louis  XI 
à  Rouen,  art.  cité,  p.  305). 

2.  Ilonfleur  et  Harfleur  (qui  était  alors  un  port),  à  l'embouchure 
de  la  Seinç,  le  premier  sur  la  rive  gauche,  le  second  sur  la  rive 
droite. 

3.  La  Bouille,  auj.  dép.  de  la  Seine-Inférieure,  cant.  de  Grand- 
Couronne,  en  aval  de  Rouen. 

4.  Louis  XI  était  arrivé  à  la  Bouille  la  veille.  Warwick  n'y  .serait 
parvenu  que  le  7  juin,  mais  ses  l'uurriers  étaient  à  Rouen  avant  le 
2U  mai  (De  Beaurepaire,  Notes  citées,  p.  310.  Cf.  Basin,  II,  178). 


1467]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  171 

et  honnourable,  car,  de  toutes  les  parroisses  et  églises 
de  ladicte  ville,  furent  portées  au  devant  de  lui  les 
croix,  bannières  et  eaue  benoiste  et  tous  prestres 
revestus  en  chappes,  et  ainsi  fut  conduit  jusques  à  la 
grant  église  Nostre-Dame  de  Rouen,  où  il  fist  son 
offrande,  et  après  s'en  retourna  en  son  logis,  qu'on 
lui  avoit  ordonné  aux  Jacobins^  dudit  lieu.  Et  après 
vindrent  en  ladicte  ville  la  royne  et  ses  filles,  et 
demoura  ilec  le  roy  avec  ledit  Warwik  par  l'espace 
de  XII  jours.  Et  après,  ledit  de  Warwik  s'en  départi 
et  sa  compaignie  et  retourna  en  Angleterre;  et  ren- 
voya avecques  lui  monseigneur  l'admirai,  l'evesque 
de  Laon,  maistre  Jehan  de  Poupaincourt,  son  con- 
seiller, maistre  Olivier  le  Roux  et  autres^. 


1.  Sur  l'emplacement  du  couvent  des  Jacobins  s'élèvent  actuel- 
lement les  bâtiments  de  la  Préfecture.  Louis  XI  logeait  dans  un 
hôtel  voisin  de  la  porte  Saint-Éloi,  qui  appartenait  au  conseiller 
Robert  Brote  (De  Beaurepaire,  Notes,  loc.  cit.). 

2.  Warwick  passa  six  jours  à  Rouen,  se  rembarqua  le  16  juin 
et  reprit  la  mer  à  Honfleur  le  23  {Ibid.  Cf.  Vaesen,  Lettres  de 
Louis  XI,  m,  146  et  suiv.).  L'objet  des  négociations  poursuivies 
entre  Louis  XI  et  le  «  faiseur  de  rois  »  était  la  conclusion,  très 
redoutée  des  Bourguignons,  d'une  paix  définitive  entre  les  rois 
de  France  et  d'Angleterre  et  le  mariage  d'un  frère  d'Edouard  IV 
avec  la  seconde  fille  du  roi  de  France.  Basin,  toujours  mal  dis- 
posé à  l'égard  de  Louis  XI,  parle  en  ces  termes  des  caresses  pro- 
diguées au  grand  comte  :  «  Tantum  autem  honoris  reverentiœque 
ei  detulit  quantum  nec  ipsi  Anglorum  régi  sibi  fœderato,  sibi 
reconciliato  et  pacato,  rationabiliter  déferre  debuisset  »  (II,  178. 
Cf.  Rawdon-Brown,  Calendar  of  State  papers,  etc.,  t.  I,  p.  117). 
M.  de  Beaurepaire  fait  observer  que  ce  fut  non  pas  l'évoque  de 
Laon,  Jean  de  Jaucourt,  mais  l'archevêque  de  Narbonne,  Antoine 
du  Bec-Crespin,  qui  accompagna  en  Angleterre  l'amiral,  Popin- 
court,  Guillaume  de  Menypenny,  Olivier  Le  Roux  et  Alexandre 
Sextre.  La  mission  française,  qui  ne  comprenait  pas  moins  de 
300  personnes,  avait  charge  de  mener  à  bonne  fin  la  négociation 


172  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1467 

Et  est  assavoir  que,  durant  le  temps  que  ledit  de 
Warwik  et  ceulx  de  sadicte  compaignie  furent  et 
séjournèrent  à  Rouen,  que  le  roy  leur  fist  de  moult 
grans  dons,  comme  de  belles  pièces  d'or,  que  le  roy 
fist  forger,  qui  pesoient  dix  escuz  d'or  la  pièce,  une 
coupe  d'or  toute  garnye  de  pierreries  Et  monseigneur 
de  Bourbon  aussi  lui  donna  ung  moult  beau  riche 
dyamant  et  d'autres  choses,  et  si  fut  du  tout  défrayé 
de  toute  la  despense  que  lui  et  tous  ses  gens  avoient 
faicte  depuis  qu'ilz  descendirent  de  la  mer  à  terre 
jusques  à  ce  qu'ilz  remontassent  en  mer.  —  Et,  après 
ledit  partement  de  Rouen,  le  roy  s'en  retourna  à 
Chartres,  où  ilec  il  demoura  par  aucun  temps-. 

Oudit  moys  de  juing  dudit  an,  le  duc  de  Bour- 
gongne  mourut  en  la  ville  de  Bruges,  et  fut  son  corps 
porté  aux  Chartreux  de  Dijon  ^. 

Et  aussi  fist  et  ordonna  le  roy,  audit  lieu  de  Chartres, 
que  toutes  personnes  estanset  residens  à  Paris  feroient 
des  bannières,  et  que  en  chacune  desdictes  bannières 

entamée  à  Rouen.  On  verra  plus  loin  qu'elle  échoua  complète- 
ment (cf.  Vaesen,  Lettres  de  Louis  XI,  III,  143,  154  et  suiv.). 

1.  Voy.,  aux  Pièces  justif.  de  l'art,  cité  de  M.  de  Beaurepaire 
(n»  VIII),  un  rôle  des  sommes  payées  d'ordre  de  Louis  XI  par  Noël 
Le  Barge,  alors  receveur  général  des  finances  en  Normandie,  pour 
portion  de  la  dépense  de  Warwick  et  de  sa  suite,  ainsi  que  pour 
dons  à  eux  faits.  A  l'article  «  Deniers  paiez  par  l'ordonnance  du 
roy  »  est  mentionné  l'achat  d'une  coupe  d'or  fabriquée  à  Rouen 
par  ordre  du  roi  pour  le  prix  de  2,009  I.  13  s.  9  d.  t. 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  LI. 

3.  Lundi  l.ô  juin  14G7,  entre  neuf  ot  dix  heures  du  soir.  Phi- 
lippe le  Bon  avait  soixante-onze  ans.  Son  corps  tut  enterre  à 
Saint-Donat  de  Bruges  le  dimanche  suivant  (Leuglet,  II,  007  et 
suiv.,  620.  Cf.  du  Clercq,  IV,  302  et  suiv.),  puis  transporté  en 
l'église  des  Chartreux,  à  Dijon  (Lenglet,  II,  609). 


1467]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  Î73 

auroit  des  gouverneurs  qui  seroient  nommez  princi- 
paulx  et  soubz  principaulx,  qui  auroient  la  conduicte 
et  gouvernement  desdictes  bannières,  et  que  tous  les 
subgetz  estans  soubz  icelle  seroient  armez  de  jaques, 
de  brigandines,  sallades  et  harnoys  blanc,  voulges, 
haches  et  autres  choses  qui  y  appartiennent,  pour 
estre  bien  armez,  tant  gens  de  mestier,  officiers, 
nobles,  marchans,  gens  d'église  que  autres  :  laquelle 
chose  fut  faicte^ 

Et,  en  ce  mesmes  an,  ou  moys  de  juing,  le  roy  manda 
aler  pardevers  lui  au  Mellay  près  de  Chartres  plusieurs 
gens  notables  de  Paris,  entre  lesquelz  y  fut  maistre 
Jehan  Le  Boulenger  président  en  Parlement,  maistre 
Henry  de  Livres  conseiller  de  ladicte  court,  sire  Jehan 
Clerbout  gênerai  maistre  des  monnoyes.  Jaques  Re- 
bours procureur  de  ladicte  ville  de  Paris,  maistre 
Eustace  Milet  aussi  conseiller  en  ladicte  court ^,  Nicolas 
Laurens,  Guillaume  Roger,  Jehan  de  Hacqueville^  et 
plusieurs  autres  bons  marchans  que  le  roy  envoya 
à  Chartres  devers  le  conseil,  qui  depuis  y  furent  par 
aucun  temps,  durant  lequel  ung  nommé  Robert  de  la 

1.  Interpolations  et  variantes,  §  LU.  —  L'ordonnance  en  ques- 
tion a  été  imprimée  en  dernier  lieu  dans  l'Histoire  générale  de 
Paris,  Métiers  et  corporations  de  la  ville  de  Paris,  par  René  de  Les- 
pinasse,  1886,  in-4o,  1. 1,  p.  53.  —  Le  18  juillet  1467,  les  suppôts  de 
l'Université  se  réunirent  pour  protester  contre  l'injonction  que 
les  gens  du  roi  leur  avaient  transmise  de  sa  part  d'avoir  à  prendre 
les  armes  et  à  souffrir  que  des  armes  fussent  déposées  dans  les 
collèges  (Du  Boulay,  Hist.  de  l'Université,  V,  682). 

2.  Eustacho  était  fils  de  Jean  Milet,  maître  en  la  Chambre  des 
comptes  (Bibl.  nat.,  ms.  fr.  20494,  fol.  58). 

3.  Jean  de  Hacqueville  avait  épousé  Marie  Viole.  Sa  famille, 
établie  depuis  longtemps  à  Paris,  a  fourni  nombre  de  magistrats 
au  Parlement  de  Paris. 


174  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1467 

Mote  et  Jehan  Raoul,  qui  avoient  longuement  esté 
tenus  prisonniers,  par  l'accusacion  d'un  religieux  de 
Saint-Lo  de  Rouen,  nommé  maistre  Pierre  Le  Mares- 
chal,  qui  les  avoit  accusez  d'estre  ennemis  du  roy  et 
[d'avoir]  conspiré  contre  lui.  Et  avecques  eulx  en  avoit 
accusé  plusieurs  autres,  ce  qu'il  ne  peut  monstrer  ne 
enseigner,  mais  fut  trouvé  qu'il  avoit  menti  de  tout 
ce  qu'il  avoit  dit,  et  comme  feulx  accusateur  fut  jugié 
à  mort  et  fut  noyé  le  xiiii'^  jour  du  moys  de  juillet 
oudit  an.  Et,  après  ce,  furent  dépêchez  lesdiz  de  la 
Mote,  Jehan  Raoul  et  autres  et  renvoiez  en  leurs 
maisons. 

Et,  après  ce,  le  roy  envoya  à  Paris  ung  mandement 
pour  y  estre  scellé,  et  fut  signé  M.  de  Villechartre^ 
par  lequel  le  roy  vouloit  que,  pour  bien  repeupler  sa 
ville  de  Paris,  qu'il  disoit  avoir  esté  fort  depopulée, 
tant  pour  les  guerres,  mortalitez  et  autrement,  que 
toutes  gens  de  quelque  nacion  qu'ilz  feussent  peussent 
de  là  en  avant  venir  demourer  en  ladicte  ville,  et  en 
icelle  et  es  faulxbourgs  et  banlieue  ilz  peussent  joyr 
de  toutes  franchises  de  tous  cas  par  eulx  commis, 
comme  de  murdre,  furt,  larrecins,  piperies  et  tous 
autres  cas,  réservé  crime  de  lèse  majesté;  et  aussi 
pour  résider  ilec  en  armes  pour  servir  le  roy  contre 
toutes  personnes.  Lesquelles  lettres  furent  leues  et 
publiées  par  les  carrefours  de  Paris  à  son  de  trompe, 
et  tout  selon  le  privilège  donné  à  tous  bannis  residens 
et  demourans  es  villes  de  Saint-Malo  et  Valenciennes^. 

\.  Michel  de  Villechartre,  notaire  et  secrétaire  du  roi. 

2.  Au  tome  XVI  de  la  Collcclion  des  Ordonnances  des  rois  est 
imprimée,  d'après  les  registres  des  bannières  du  Chàtelet,  de  la 
p.  581  à  la  p.  685,  sous  la  date  de  Chartres,  au  mois  de  juin  1467, 


1467]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  175 

Et,  ce  mesme  moys  aussi,  le  roy  fist  crier  et  publier 
que  tous  nobles  tenans  fiefz  et  arrière  fiefz  feussent 
tous  prests  et  en  armes,  et  mesmement  ceulx  de  l'Isle 
de  France,  tant  en  la  ville  de  Paris  que  ailleurs,  au 
XV®  jour  d'aoust ,  pour  le  servir  et  estre  tous  prestz 
quant  mestier  en  aiiroit^ 

Et,  le  lundi  tiers  jour  d'aoust  oudit  an,  advint  à 
Paris  que  l'un  des  religieux  du  Temple  nommé  frère 
Thomas  Louette,  qui  estoit  receveur  dudit  Temple, 
eust  la  gorge  coppée  audit  lieu  du  Temple  par  ung  de 
ses  frères  et  compaignons  nommé  frère  Henry,  pour 
aucunes  noises  qu'il  avoit  conceu  contre  ledit  frère 
Thomas.  Et,  pour  raison  dudit  cas,  ledit  frère  Henry 
se  absenta,  et  ne  peut  estre  trouvé  qu'il  ne  feust  le 
X®  jour  dudit  moys,  que,  environ  dix  heures  de  nuit, 
ung  examinateur  du  Ghastellet  à  Paris,  nommé  maistre 
Jehan  Potin-,  accompaigné  de  trois  sergens,  en  fist  telle 
diligence  qu'il  le  trouva  mucié  en  l'ostel  de  Saint-Pol  à 

toute  une  série  d'ordonnances  (il  y  en  a  26)  qui  confirment  les 
statuts  anciens  des  métiers  de  Paris  ou  en  approuvent  d'autres 
nouvellement  établis  :  «  En  ce  temps  aussy,  »  dit  un  passage  d'une 
chronique  anonyme  (Bibl.  nat.,  ms.  fr.  20354,  fol.  183),  «  le  roy 
de  France  rendit  au  commun  de  Paris  leurs  bannières,  qui  long- 
temps par  avant  leur  avoient  esté  toUues  pour  les  grans  et  énormes 
maulz  qu'ilz  avoient  fais  au  temps  de  lors,  et  se  rendy  le  pays  à 
tous  les  banys  de  son  royaume  qui  le  vouldrent  aler  servir  et  tenir 
son  party,  et  sy  fist  publyer  par  tout  son  royaume  qu'il  donnoit 
franchise  à  la  ville  de  Paris,  tele  que  ceulz  qui  y  vouldroient 
retraire  et  demeurer  ne  pourroient  estre  poursieuvys  pour  debtes 
qu'ilz  deussent  depuis  qu'ilz  auroient  prinse  la  franchise  de  la 
ville.  » 

1.  Cf.  Maupoint,  Journal,  p.  103. 

2.  Jean  Potin  fit  partie,  au  mois  de  mai  1469  (voy.  plus  loin), 
de  la  commission  chargée  de  rechercher  et  de  faire  vendre  les 
biens  meubles  du  cardinal  Balue  (Bibl.  nat.,  ms.  fr.  4487,  fol.  13). 


176  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  fl46T 

Paris  dedens  unes  aumoires,  en  habillement  d'un  roquet* 
blanc  de  toile  et  ung  chapeau  noir,  et  en  cest  estât  fut 
mené  prisonnier  oudit  Chastellet  et  puis  rendu  en  la 
court  de  Parlement  pour  ce  qu'il  estoit  appellant  de 
sa  prinse  et  disoit  que  le  lieu  où  il  avoit  esté  prins 
estoit  lieu  de  franchise  et  que  on  l'y  devoit  remettre. 
Et  puis  fut  requis  par  les  religieux  du  Temple  leur 
estre  rendu,  ce  qui  fut  fait,  -et  fut  mené  es  prisons 
dudit  lieu  du  Temple  le  mercredi  xii®  jour  d'aoust, 
oudit  an  mil  1111°  LXVII.  Et,  le  jeudi  ensuivant,  le 
grant  prieur  de  France,  pour  ledit  cas,  acompaigné 
de  plusieurs  autres  seigneurs  de  leurdit  ordre,  [vint] 
pour  faire  le  procès  dudit  frère  Henry,  qui  depuis  fut 
par  eulx  condempné  à  demeurer  prisonnier  en  lieu 
ténébreux  et  d'avoir  ilec  pour  pitance,  tant  qu'il  y 
pourroit  vivre,  le  pain  de  douleur  et  eaue  de  tristesse. 
En  ce  temps,  retournèrent  du  royaume  d'Angle- 
terre lesdiz  monseigneur  l'admirai  et  autres  dessus- 
nommez,  qui  ainsi  s'en  estoient  alez  avec  ledit  de 
Warwik  oudit  pays  d'Angleterre,  lesquelz  y  demeu- 
rèrent longuement  et  n'y  firent  riens-.  Et  par  eulx 
ledit  roy  d'Angleterre  envoya  au  roy  des  trompes  de 

1.  Sorte  de  blouse. 

2.  L'influence  du  comte  de  Warwick  sur  le  roi  Edouard  IV  avait 
fait  place  depuis  deux  ans  à  celle  de  la  reine  Elisabeth  Woodville  et 
de  ses  parents.  Cette  défaveur  s'accentua  pendant  le  voyage  que 
Warwick  fit  en  Normandie.  En  conséquence,  les  ambassadeurs 
français  furent  très  froidement  reçus  par  le  roi  d'Angleterre,  qui 
s'occupait  alors  d'arranger  le  mariage  de  sa  sœur,  Marguerite 
d'York,  avec  le  nouveau  duc  de  Bourgogne,  Charles  (Basin,  II, 
182  et  suiv.).  Cet  échec  causa  une  vive  irritation  au  roi  de  France 
(voy.  la  Lettre  de  J.-P.  Panicharola  au  duc  de  Milan,  en  date  de 
Paris,  12  septembre  1467,  dans  R.  Brown,  Calcndar  of  State 
papers,  etc.,  t.  I,  p.  119). 


1467]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  177 

chace  et  des  bouteilles  de  cuir,  à  l'encontre  des  belles 
pièces  d'or,  coupes  d'or,  vaisselle,  pierrerie  et  autres 
belles  besongnes  que  le  roy  et  autres  seigneurs  avoient 
donnez  audit  de  Warwik  à  son  partement  de  Rouen. 

Et,  le  vendredi  xxviii"  jour  du  moys  d'aoust,  le  roy 
arriva  à  Paris  environ  huit  heures  du  soir;  et  estoit 
avecques  lui  mons.  le  duc  de  Bourbon  et  plusieurs 
autres  seigneurs. 

Et,  le  mardi  premier  jour  de  septembre,  la  royne 
aussi  arriva  à  Paris  en  bateaulx  par  la  rivière  de  Seine, 
et  vint  arriver  au  terrain  de  Nostre-Dame  ^ .  Et  ilec,  à 
l'arriver  qu'elle  fist,  trouva  tous  les  presidens  et  con- 
seillers de  ladicte  court  de  Parlement,  l'evesque  de 
Paris  et  plusieurs  autres  gens  de  façon,  tous  honnes- 
tement  vestus  et  habillez.  Et,  à  l'entrée  dudit  terrain, 
y  avoit  faiz  de  moult  beaux  personnages  ilec  riche- 
ment mis  et  ordonnez  de  par  la  ville  de  Paris.  Et  si 
est  à  savoir  que,  avant  que  ladicte  royne  se  meist 
esdiz  basteaux  pour  venir  à  Paris,  furent  au  devant 
d'elle  et  pour  la  recevoir  les  conseillers  et  bourgois 
de  ladicte  ville  en  grant  et  notable  nombre,  aussi  tous 
en  bateaulx,  qui  estoient  tous  richement  couvers  de 
belle  tapisserie  et  draps  de  soye,  et  dedens  iceulx 
estoient  les  petis  enfans  de  cuer  de  la  Saincte-Chap- 
pelle,  qui  ilec  disoient  de  beaux  virelais-,  chançons  et 
autres  bergeretes  moult  mélodieusement.  Et  si  y  avoit 
autre  grant  nombre  de  clairons,  trompetes,  chantres, 
haulz  et  bas  instrumens  de  diverses  sortes,  qui  tous 
ensemble  jouoient  chacun  en  droit  soy  moult  melo- 

1.  A  la  pointe  sud-est  de  la  Cité. 

2.  Rondeau  composé  de  vers  très  courts. 


178  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1467 

dieusement  à  l'eure  que  ladicte  royne,  ses  dames  et 
damoiselles  entrèrent  en  leur  basteau,  dedens  lequel, 
par  lesdiz  bourgois  de  ladicte  ville,  lui  fut  présenté 
ung  beau  cerf  fait  de  confiture,  qui  avoit  les  armes 
d'icelle  royne  pendues  au  col.  Et  si  y  avoit  plusieurs 
autres  beaux  dragouers  tous  pleins  d'espices  de  cham- 
bre et  belles  confitures  ;  grant  quantité  aussi  y  avoit 
de  fruiz  nouveaulx  de  moult  de  sortes,  violetes  fort 
odorans  gettées  et  semées  tout  parmy  le  basteau,  et 
vin  à  tous  venans  y  fut  baillé  et  distribué  tant  qu'on 
en  vouloit  avoir  et  prendre.  Et,  après  qu'elle  ot  faicte 
son  oroison  à  Nostre-Dame  de  Paris,  elle  se  rebouta  en 
son  bateau  et  s'en  vint  descendre  à  la  porte  devant 
l'église  des  Gelestins  * ,  où  aussi  elle  trouva  dessus 
ladicte  porte  de  moult  beaulx  personnages.  Et  elle, 
descendue  à  terre,  monta  et  ses  dames  et  damoiselles 
sur  chevaulx,  belles  haquenées  et  palefrois  qui  ilec 
l'atendoient,  et  puis  s'en  ala  jusques  en  l'ostel  du  roy, 
aux  Tournelles.  Et  devant  la  porte  dudit  hostel  trouva 
autre  moult  beau  personnage.  Et  celle  nuit  furent 
faiz  à  Paris  les  feuz  par  les  rues  d'icelles,  et  ilec  mises 
aussi  tables  rondes  et  donné  à  boire  à  tous  venans. 

Et,  le  jeudi  ensuivant,  iiii^^  jour  dudit  moys  de 
septembre  ensuivant,  maistre  Nicole  Balue,  frère  de 
monseigneur  l'evesque  d'Evreux,  fut  marié  à  la  fille 
de  messire  Jehan  Bureau,  chevalier,  seigneur  de  Mont- 
glat^,  et  fut  la  feste  desdictes  nopces  faicte  en  l'ostel 

1.  Sur  la  rive  droite  de  la  Seine,  en  face  l'ile  Louviers. 

2.  Lisez  ///«. 

3.  Nicole  Balue,  seigneur  de  Villepreux,  partageait  la  faveur 
de  son  frère,  l'évèque  d'Évreux,  que  Louis  XI  allait  faire  nom- 
mer cardinal-prêtre  au  titre  de  Sainte-Suzanne  (18  sept.  1467).  — 


1467]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  179 

de  Bourbon,  laquelle  fut  moult  belle  et  honneste.  Et 
lui  fut  ilec  fait  grant  honneur  ce  jour,  car  le  roy  et 
la  royne,  monseigneur  de  Bourbon  et  madame  sa 
femme,  monseigneur  de  Nevers,  madame  de  Bueil^ 
et  toute  leur  noblesse  qui  les  suivoient  y  furent  et  se 
y  trouvèrent.  Et  y  fut  fait  moult  grant  chère,  et  si 
leur  fist  on  de  moult  grans,  beaulx  et  riches  dons. 

Et,  depuis  ce,  le  roy  et  la  royne  firent  de  grans 
chères  en  plusieurs  des  hostelz  de  leurs  serviteurs  et 
officiers  en  ladicte  vijle.  Et,  entre  les  autres,  le  jeudi 
x^  jour  dudit  moys  de  septembre,  oudit  an  IIIP  LXVII, 
la  royne,  acompaignée  de  madicte  dame  de  Bourbon 
et  madamoiselle  Bonne  de  Savoye,  seur  de  la  royne  ^, 
et  plusieurs  autres  dames  de  sa  compaignie,  soup- 
perent  en  l'ostel  de  maistre  Jehan  Dauvet,  premier 
président  en  Parlement,  et  ilec  furent  receues  et  fes- 
tiées  moult  notablement  et  à  grant  largesse.  Et  y  ot 
faiz  quatre  moult  beaulx  baings  et  richement  aornez, 
cuidant  que  la  royne  se  y  deust  baigner,  dont  elle  ne 
fist  riens  pour  ce  qu'elle  se  senty  ung  peu  mal  dispo- 
sée et  aussi  que  le  temps  estoit  dangereux.  Mais  en 
l'un  desdiz  baings  se  y  baignèrent  madicte  dame  de 
Bourbon,  madamoiselle  Bonne  de  Savoye  ;  et  en  l'autre 

La  fille  de  Jean  Bureau   et  de  Germaine  Hesselin  qui  épousa 
Nicole  Balue  se  nommait  Philippe. 

1.  Il  s'agit  ici  de  la  troisième  des  filles  de  Charles  VU  et  d'Agnès 
Sorel,  Jeanne,  née  vers  1445,  laquelle  épousa,  par  contrat  du 
23  décembre  1461,  Antoine  de  Bueil,  fils  de  Jean  V  et  de  Jeanne 
de  Montejean  {Le  Jouvencel.  éd.  citée,  t.  I,  Introd.,  p.  ccxii). 

2.  Bonne,  fille  de  Louis  I*"",  duc  de  Savoie  et  d'Anne  de  Lusi- 
gnan,  et  sœur  cadette  de  la  reine  Charlotte,  épousa  en  1468  Galéas- 
Marie  Sforza,  duc  de  Milan. 

1  14 


180  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1467 

baing  au  joignant  se  baignèrent  madame  de  Monglat 
et  Perrete  de  Ghalon,  bourgoise  de  Paris. 

Et,  le  lundi  ensuivant,  xiiif  jour  dudit  moys  de 
septembre,  le  roy,  qui  avoit  ordonné  mettre  sus  les 
bannières  de  Paris,  comme  dit  est  devant,  fist  publier 
que  audit  jour  ilz  (sic)  feussent  toutes  prestes  pour 
estre  aux  champs  dehors  Paris,  en  faisant  savoir  à 
tous,  de  quelque  estât  ou  condicion  qu'ilz  feussent, 
depuis  l'aage  de  seize  ans  jusques  à  lx  ans,  yssissent 
dehors  ladicte  ville  en  armes  et  habillemens  de  guerre, 
et,  s'il  y  en  avoit  aucuns  qui  n'eussent  harnoys,  que 
neantmoins  ilz  eussent  en  leurs  mains  ung  baston 
defensable,  et  sur  peine  de  la  hart  :  ce  qui  fu  fait.  Et 
yssy  hors  de  ladicte  ville  la  pluspart  du  populaire 
d'icellui,  chacun  soubz  son  estendart  ou  bannière,  qui 
faisoit  moult  beau  veoir,  car  chacun  y  estoit  en  moult 
belle  ordonnance  et  sans  noise  ne  bruit,  et  estoient 
bien  de  lx  à  iiii^''  mille  testes  armées,  dont  il  y  en 
avoit  bien  xxx"^  tous  habillez  de  harnois  blans,  jaques 
ou  brigandines^  Et,  tous  estans  en  belle  bataille,  le 
roy  et  la  royne  et  leur  compaignie  qui  les  suivoient 
les  vindrent  veoir;  laquelle  chose  leur  pleut  moult, 
car  onques  n'avoient  veu  ystre  de  ville  du  monde  à 
beaucop  près  telle  ne  si  grant  armée.  Et  se  trouvèrent 
Lxvii  bannières^  des  mestiers,  sans  les  estendars  et 
guidons  de  la  court  de  Parlement,  de  la  Chambre  des 
comptes,  du  Trésor,  des  generaulx  des  Aides,  des 

1.  C'est-à-dire  d'armures  de  fer  ou  d'acier  poli,  de  pourpoints 
rembourrés  et  piqués  (jaques)  ou  couverts  de  plaquettes  de  métal 
(brigandinos). 

2.  L'ordonnance  de  Chartres  mentionnée  plus  haut  ne  compte 
que  soixante  et  une  bannières. 


1467]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  181 

Monnoyes,  du  Ghastellet  et  Hostel  de  la  ville,  soubz 
lesquelz  il  se  trouva  autant  et  plus  de  gens  de  guerre 
que  soubz  toutes  lesdictes  bannières.  Et  hors  Paris, 
en  aucuns  lieux  ordonnez,  le  roy  fist  porter  et  con- 
duire plusieurs  tonneaulx  de  vin,  qui  ilec  furent  défon- 
cez, pour  faire  boire  et  rafreschir  tous  ceulx  de  ladicte 
monstre,  qui  tenoient  moult  grant  pais,  car  ilz  estoient 
tous  en  bataille,  à  commencer  au  bout  de  la  voierie 
d'entre  la  porte  Saint-Anthoine  et  celle  du  Temple, 
depuis  les  fossez  de  Paris  en  montant  contremont 
jusques  à  ung  pressouer  devant  ladicte  voyerie,  et  de 
là  en  bataille  au  long  des  vignes  jusques  à  Saint- 
Anthoine  des  Champs,  et  puis  après  jusques  au  long 
des  murs  dudit  Saint-Anthoine  des  Champs  jusques  à 
la  granche  de  Rully,  et  d'icelle  granche  jusques  à 
Conflans,  et  dudit  Conflans  en  revenant  par  la  granche 
aux  Merciers  tout  au  long  de  la  rivière  de  Seine,  jus- 
ques au  boulevert  du  roy  de  la  tour  de  Billy,  et 
d'icellui  bolevert  tout  au  long  des  fossez  de  ladicte 
ville  par  dehors  jusques  à  la  Bastille  et  à  la  porte 
Saint-Anthoine.  Et  brief,  c'estoit  merveilleuse  chose  à 
veoir  du  monde  qui  estoit  en  armes  dehors  Paris,  et 
si  maintenoient  plusieurs  qu'il  en  estoit  à  peu  près 
demouré  autant  dedens  Paris  qu'il  en  y  avoit  dehors ^ 

1.  Interpolations  et  variantes,  §  LUI.  —  Maupoint,  qui  fournit 
aussi  des  détails  sur  cette  grande  revue  de  la  garde  civique  pari- 
sienne, estime  à  28,000  ou  30,000  hommes  le  nombre  des  gens 
armés,  cavaliers  et  piétons.  Ils  «  feirent  leurs  premières  monstres  » 
entre  la  porte  Saint-Antoine  et  le  village  de  Conflans.  L'évêque 
Balue,  «  sans  révérence  de  l'habit  episcopal,  »  y  joua  au  capitaine, 
ce  dont  plusieurs  furent  «  très  mal  édifiez  de  luy  et  disoient  que 
il  usurpoit  et  entreprenoit  l'exécution  de  l'office  et  sur  Testât  des 
mareschaux  de  France!  »  {Journal,  p.  104). 


182  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [U67 

Et,  le  mardi  ensuivant,  xxii®  jour  de  septembre, 
oudit  an  IIIIc  LXVII,  le  roy  party  de  Paris  après  dis- 
ner  pour  aler  à  pié  jusques  à  Saint-Denis  en  France. 
Et^avoit  avecques  lui,  aussi  à  pié,  mondit  seigneur 
d'Evreux,  monseigneur  de  GrussoH,  Philippe  Luiller^ 
et  autres.  Et,  entre  Paris  et  Saint-Denis,  le  roy,  alant 
à  son  pèlerinage,  trouva  trois  ribaulx  qui  lui  vindrent 
requérir  grâce  et  remission  de  ce  que  tout  leur  temps 
ilz  a  voient  esté  larrons,  murdriers  et  espieurs  de  che- 
mins^, laquelle  chose  le  roy  leur  accorda  benigne- 
ment.  Et  tout  ce  jour  demeura  audit  lieu  de  Saint- 
Denis  jusques  au  lendemain  après  vespres,  qu'il  s'en 
retourna  en  son  hostel  des  Tournelles,  et  d'ilec  s'en 
ala  souper  en  l'ostel  de  sire  Denis  Hesselin,  son  pen- 
netier  et  esleu  de  Paris,  qui  nouvellement  estoit  devenu 
compère  du  roy  à  cause  d'une  sienne  fille  dont  sa 
femme  estoit  accouchée^,  que  le  roy  fist  tenir  pour 
lui  par  maistre  Jehan  Balue,  evesque  d'Evreux  ;  et  pour 
commères  y  furent  madame  de  Bueil  et  madame  de 
Montglat.  Et,  oudit  hostel,  le  roy  y  fist  grant  chère  et 

1.  Louis,  seigneur  de  Crussol  et  de  Beaudiner,  grand  panetier 
de  France,  sénéchal  de  Poitou,  puis  de  Dauphiné,  avait  épousé 
Jeanne  de  Lévis  et  mourut  en  1473  (Anselme,  III,  766). 

2.  l'iiilippe  Luillier,  écuyer,  seigneur  de  Gailly,  de  Manicamp, 
etc.,  capitaine  de  la  Bastille,  était  fils  de  Jean  Luillier  et  de  Jeanne 
de  Vitry.  Il  épousa  :  i°  Anne  de  Morvilliers  (morte  vers  1481), 
fille  du  chancelier;  2°  Gabrielle  de  Villiers,  fille  de  Jacques,  sei- 
gneur do  risle-Adam.  Philippe  Luillier  était  mort  au  mois  de 
mai  1505  (Bibl.  nat.,  Pièces  orig.,  vol.  1772,  doss.  Luillier.  Cf. 
Arch.  nat.,  KK  59,  fol.  121,  128). 

3.  Voleurs  de  grands  chemins. 

4.  Cette  fille,  Louise  Hesselin,  épousa  son  cousin  Etienne  Bou- 
cher, qui  fut  élu  de  Paris  (Vitu,  la  Chronique  de  Louis  XI,  etc., 
p.  89). 


1467]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  183 

y  trouva  trois  beaulx  baings  honnestement  et  riche- 
ment atintelez^,  cuidant  que  le  roy  deust  ilec  prendre 
son  plaisir  de  se  baigner,  ce  qu'il  ne  fist  point,  pour 
aucunes  causes  qui  en  raison  le  murent,  c'est  assavoir 
tant  pour  ce  qu'il  estoit  enrumé  que  aussi  pour  ce  que 
le  temps  estoit  dangereux  ^ 

En  ce  temps  s'esmeut  grande  guerre  entre  les  Lie- 
gois  et  mons.  de  Bourgongne  et  leur  evesque,  cousin 
de  mondit  seigneur  de  Bourgongne  et  frère  de  mons. 
le  duc  de  Bourbon^.  Lequel  evesque  lesdiz  Liegois 
alerent  assiéger  dedans  une  ville  nommée  Huye  ;  et, 
après  que  iceulx  Liegois  orent  bien  longuement  esté 
devant  icelle,  ilz  la  prindrent  et  gaignerent,  et  en  ce 
faisant  eschapa  leurdit  evesque  estant  en  icelle.  Et, 
durant  ce  que  dit  est,  le  roy  ordonna  aler  au  secours 
et  aide  desdiz  Liegois  iiif  lances  de  son  ordonnance, 
dont  avoient  la  charge  le  conte  de  Dampmartin,  Sale- 
zart,  Robert  de  Conynghan  et  Stevenot  de  Vignoles*, 
avecques  six  mil  frans  archers  prins  et  esleuz  en  Cham- 
paigne,  Soissonnois  et  autres  lieux  en  l'Isle  de  France. 

Et,  après  ce  que  ledit  de  Bourgongne  ot  bien  sceu 

1.  C'est-à-dire  décorés. 

2.  «  Oudit  an  LXVII  fut  la  mortalité  d'epedemie  en  plusieurs 
bonnes  villes  parmy  le  royaume  de  France,  et  morurent  grant 
nombre  de  gens  es  bonnes  villes  et  villages  d'environ  »  (Chro- 
nique anonyme  citée,  ms.  fr.  20354,  fol.  183). 

3.  Louis,  évèque  de  Liège,  était  fils  de  Charles  I",  duc  de  Bour- 
bonnais, et  d'Agnès  de  Bourgogne,  elle-même  fille  de  Jean  Sans- 
Peur  et  sœur  de  Philippe  le  Bon.  L'évêque  et  le  duc  de  Bourgogne 
Charles  étaient  par  conséquent  cousins  germains. 

4.  Estcvenot  de  Tallauresse,  dit  de  Vignolles,  écuyer,  seigneur 
de  Hautmont,  conseiller  et  chambellan  du  roi  et  son  sénéchal  de 
Carcassonne  et  de  Béziers  (Bibl.  nat.,  ms.  fr.  26093,  n°  953  et 
suiv.,  ad  ann.  1470). 


184  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1467 

la  gaigne  que  lesdiz  Liegois  avoient  fait  de  ladicte  ville 
de  Huye,  et  qu'ilz  y  avoient  tué  plusieurs  Bourgui- 
gnons, il  assembla  tout  son  ost,  en  soy  délibérant 
d'aler  en  armes  sur  les  champs,  en  intencion  de  tout 
destruire  et  mettre  à  feu  et  à  sang  lesdiz  Liegois.  Et 
ainsi  le  fist  crier  et  publier  par  lous  ses  pays  ;  et  ceulx 
qui  faisoient  lesdictes  publicacions,  en  icelles  publiant, 
tenoient  en  une  main  une  espée  toute  nue  et  en  l'autre 
une  torche  alumée,  qui  signifioit  guerre  de  feu  et 
de  sang*. 

Oudit  temps,  ou  moys  de  septembre,  le  roy  bailla 
ses  lettres  à  ung  légat  ^  venu  de  Romme  de  par  le  pape 
pour  la  ronpture  de  la  Pragmatique  Sanxion  ;  lesquelles 

1.  La  ville  de  Huy  «  se  tenoit  et  s'estoit  toujours  tenue  pour 
l'evesque  contre  la  cité.  »  Averti  du  péril  que  Louis  de  Bourbon 
courait  si  Huy  était  pris  par  les  Liégeois,  le  duc  de  Bourgogne 
envoya  Pierre  de  Hénin,  sire  de  Boussut,  et  d'autres  seigneurs 
pour  dégager  la  ville.  Mais,  un  accord  s'étant  établi  entre  le  menu 
peuple  et  les  assaillants,  l'évêque  épouvanté  exigea  du  sire  de 
Boussut  qu'il  l'aidât  à  s'enfuir  à  Bruxelles.  L'évêque  parti,  Iluy 
ouvrit  ses  portes  aux  Liégeois,  qui  s'y  répandirent  «  comme  enra- 
gés et  visans  à  tout  mettre  à  mort  »  (sept.  1467).  Le  duc  Charles 
en  fit  «  matte  chère  »  et  jura  de  se  venger.  Il  publia  son  man- 
dement par  tous  ses  pays  pour  le  8  octobre  (  Chastellain ,  V, 
315-337).  Louis  XI  parut  disposé  un  moment  à  assister  les  Lié- 
geois et  chargea  d'une  mission  en  ce  sens  l'évêque  de  Langres 
et  le  comte  de  Dammartin  (Gn  juillet.  Bibl.  nat,,  ms.  fr.  5040, 
fol.  21,  orig.),  mais  il  est  fort  improbable  qu'il  ait  jamais  nourri 
sérieusement  le  projet  d'entrer  en  ligne  (Ibid.,  fol.  19,  et  Lenglet, 
II,  p.  621).  Dans  une  lettre  que  les  Liégeois  lui  adressèrent  le 
19  août,  ilsse  plaignent  de  ce  que  leur  évéque  «  poursuyt  et  por- 
chace  la  destruction,  dommaige,  vitupère  et  désolation  de  ces  cité 
et  pays  »  (Ms.  fr.  5040,  fol.  18,  orig.). 

2.  Ce  légat  se  nommait  Etienne  Nardino,  archevêque  de  Milan. 
Louis  XI  demanda  pour  lui  le  chapeau  de  cardinal  (Lettre  au  duc 
de  Milan,  en  date  du  Mans,  7  jaiiv.  (1468),  dans  Vaesen,  III,  193), 


1467]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  185 

lettres  furent  leues  et  publiées  ou  Chastellet  de  Paris 
sans  y  faire  aucun  contredit  ou  opposition. 

Et,  le  premier  jour  d'octobre  ensuivant,  maistre 
Jehan  Balue  fut  et  ala  en  la  sale  du  Palais  royal  à 
Paris,  la  court  de  Parlement  vacant,  pour  ilec  aussi 
faire  publier  lesdictes  lettres,  où  il  trouva  maistre 
Jehan  de  Saint-Rommain,  procureur  gênerai  du  roy 
nostre  sire^  qui  formellement  s'opposa  à  l'effect  et 
exécution  desdictes  lettres,  dont  ledit  Balue  fut  fort 
desplaisant,  et  pour  ceste  cause  fîst  audit  de  Saint- 
Rommain  plusieurs  menaces,  en  lui  disant  que  le  roy 
n'en  seroit  point  content  et  qu'il  le  desappoincteroit 
de  son  office.  De  quoy  ledit  de  Saint-Rommain  ne  tint 
pas  grant  compte,  mais  lui  dist  et  respondi  que  le  roy 
lui  avoit  donné  et  baillé  ledit  office,  laquelle  il  ten- 
droit  et  exerceroit  jusques  au  bon  plaisir  du  roy,  et 
que,  quant  son  plaisir  seroit  de  la  lui  oster,  que  faire 
le  pourroit,  mais  qu'il  estoit  du  tout  délibéré  et  bien 
résolu  de  tout  perdre  avant  que  de  faire  chose  qui  feust 
contre  son  ame,  ne  dommage  au  royaume  de  France 
ne  à  la  chose  publique  ;  et  dist  audit  Balue  qu'il  devoit 

mais  il  changea  d'avis  relativement  à  ses  mérites,  car,  le  13  mai 
suivant,  il  écrit  derechef  au  duc  de  Milan  que  le  légat  «  s'est  mon- 
tré parcial  »  en  faveur  des  ennemis  du  royaume  (Ibid.,  215). 

1.  Jean  de  Saint-Romain,  licencié  es  lois,  conseiller  et  procu- 
reur général  du  roi  en  sa  cour  de  Parlement,  prêta  serment  en 
cette  qualité  le  11  septembre  1461  (Vaesen,  Lettres  de  Louis  XI,  II, 
121.  Cf.  Bibl.  nat.,  Pièces  orig  ,  vol.  2776,  doss.  Saint'Romain, 
et  ms.  fr.  20692,  n*  914,  parch.).  Saint-Romain  tomba  en  défaveur 
et,  au  mépris  des  droits  que  lui  donnaient  ses  longs  services,  fut 
remplacé  dans  son  office  de  procureur  du  roi  par  Michel  de  Pons 
(Arch.  nat.,  Xi»  1489,  fol.  308  v»,  à  la  date  du  3  août  1481).  Il 
avait  épousé  Thierrye  Bureau  (Vitu,  ta  Chronique  de  Louis  XI,  etc., 
p.  54). 


186  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1467 

avoir  grant  honte  de  poursuivre  ladicte  expedicion. 

En  après,  le  recteur  de  l'Université  de  Paris  et  les 
suppos  d'icelle  alerent  pardevers  ledit  légat,  qui  de  lui 
appellerent,  et  de  l'effet  desdictes  lettres  au  saint 
concile  et  partout  ailleurs  où  ilz  verroient  estre  à 
faire;  et  puis  vindrent  oudit  Ghastellet,  où  pareille- 
ment autant  en  firent  et  dirent,  et  firent  ilec  enregis- 
trer leur  opposition. 

Oudit  temps,  le  roy  envoya  pardevers  ledit  de 
Gharrolois  lesdits  légat  et  evesque  d'Evreux,  qui 
nouvellement  avoit  esté  cardinal  à  Romme^  maistre 
Jehan  de  la  Driesche,  trésorier  de  France,  et  autres, 
pour  faire  de  par  lui  aucunes  choses  dont  il  leur  avoit 
donné  charge. 

Et,  le  jeudi  viif  jour  d'octobre,  oudit  an  mil 
IIII<=  LXVII,  ung  nommé  Sevestre  Le  Moyne,  natif  de 
la  ville  d'Aucerre,  pour  aucuns  cas  et  delitz  par  lui 
commis  et  imposez,  et  qui  par  aucun  temps  avoit  esté 
constitué  et  tenu  prisonnier  es  prisons  de  Thiron,  fut 
ledit  jour  tiré  hors  desdictes  prisons  et  fut  mené  noyer 
en  la  rivière  de  Seine,  près  de  la  Granche  aux  Mer- 
ciers, par  la  sentence  et  jugement  de  messire  Tristan 
L'Ermite,  prevost  des  mareschaulx  de  l'ostel  du  Roy  2. 

Et,  le  dimenche  xi®  jour  dudit  moys  d'octobre,  fut 
ung  grant  et  merveilleux  escler  et  tonnoirre,  environ 

1.  18  sept.  1467. 

2.  Tristan  l'Ermite,  chevalier,  seigneur  de  Beauvois,  de  Mon- 
dion,  etc.,  prévôt  des  maréchaux  de  France  peu  après  1436,  est 
qualiUé  par  l'Anglais  Robert  Nevil  «  le  plus  diligent  et  le  plus  vif 
esprit  et  le  plus  tin  du  royaulme...  C'est  le  chastie  fol  du  roy  » 
(Lettre  du  17  nov.  (1464),  imprimée  aux  Preuves  de  Commynes, 
éd.  Dupont,  III,  215.  Cf.  Vaeseu,  Leltres  de  Louis  XL  III,  86). 


1467J  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  187 

huit  heures  du  soir.  Et  par  avant  et  depuis,  durant 
ledit  moys,  furent  faictes  grandes  et  merveilleuses 
chaleurs  et  les  plus  extrêmes  que  homme  eust  veu  en 
sa  vie,  qui  sembloit  chose  moult  estrange  et  desna- 
turée. 

Et,  le  lundi  xn®  jour  dudit  mois  d'octobre,  oudit 
an  LVII,  le  roy  party  de  son  hostel  des  Tournelles  à 
Paris  pour  aler  en  l'église  Nostre-Dame,  où  il  oyt  les 
vespres.  Et,  après  icelles  dictes,  fut  faicte  procession 
par  l'evesque  et  chanoines  dudit  lieu,  et  puis  s'en  ala 
reposer  en  l'ostel  de  son  premier  président,  maistre 
Jehan  Dauvet,  oii  il  y  fut  certaine  espace  de  temps, 
et  puis  s'en  party  pour  s'en  retourner  en  sondit  hostel 
des  Tournelles.  Et,  à  l'eure  de  son  partement,  qui 
estoit  heure  de  noire  nuit,  il  vit  et  apparceut  ou  ciel 
une  estoile  tout  au  dessus  de  l'ostel  dudit  président, 
laquelle,  incontinent  que  le  roy  commença  à  marcher 
pour  s'en  retourner,  ladicte  estoile  le  suivoit  et  fut 
tousjours  après  lui,  jusques  à  ce  qu'il  fut  entré  en 
sondit  hostel.  Et,  incontinent  qu'il  y  fut  entré,  elle  se 
disparu  et  depuis  ne  fut  veue. 

Et,  le  jeudi  ensuivant,  xv®  jour  dudit  moys,  vint 
nouvelles  au  roy  que  certain  grant  nombre  de  Bretons 
estoient  venus  eulx  bouter  dedens  le  chastel  et  en  la 
ville  de  Caen,  et  puis  s'en  alerent  d'ilec  à  Bayeux^  et 

1.  Cf.  Vaesen,  ouvr.  cité,  III,  178.  Les  Bretons  attaquèrent 
Louis  XI  de  trois  côtés  à  la  fois  :  au  sud,  en  Poitou,  où  ils  péné- 
trèrent jusqu'à  Saint-Gilles,  en  saccageant  le  pays;  à  l'ouest,  où, 
le  11  octobre,  la  trahison  leur  ouvrit  les  portes  d'Alençon;  en 
Basse-Normandie,  où  ils  surprirent  Caen  et  Bayeux  et  occupèrent 
toutes  les  places  du  pays,  à  l'exception  de  Saint-Lô.  C'est  le  15  oc- 
tobre, à  Paris,  que  le  roi  apprit  la  brusque  agression  du  duc  de  Bre- 
tagne. Il  prit  aussitôt  les  mesures  que  comportait  la  situation  et  se 


188  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1467 

tindrent  lesdictes  villes  contre  le  roy,  dont  de  ce  il  fut 
courroucié,  et  en  renvoya  pour  ceste  cause  le  mares- 
chal  de  Loheac,  qui  lors  estoit  avecques  le  roy  et  qui 
avoit  cent  lances  de  Bretaigne  soubz  sa  charge,  es  dictes 
villes  de  par  le  roy  pour  y  pourveoir  et  mettre  provi- 
sion. Et  ausquels  Bretons...  le  duc  d'Alençon,  qui, 
comme  crimineux  de  crime  de  leze  majesté,  du  temps 
du  roy  Charles  derrenier  tresp'assé  avoit  esté  constitué 
prisonnier,  pour  aucuns  crimes  qu'il  avoit  machinez 
contre  lui  et  à  la  faveur  des  Anglois,  anciens  ennemis 
du  royaume,  en  la  ville  de  Vendosme,  le  lit  de  justice 
ilec  séant;  auquel  lieu,  après  ses  confessions  prinses 
et  procès  fait,  fut  condempné  à  mourir,  sauf  sur  ce  le 
bon  plaisir  du  roy^.  Et  lequel  d'Alençon,  depuis  le 
temps  de  lors  jusques  au  trespas  dudit  feu  roy  Charles, 
fut  tenu  prisonnier  ou  chasteau  de  Loches  ;  et,  après 
icellui  trespas  que  le  roy  vint  à  sa  couronne,  le  bouta 
hors  desdictes  prisons  et  lui  pardonna  tout,  en  vou- 
lant que  dudit  procès  ne  feust  jamais  nouvelles.  Et 
puis  advint  que  ung  boiteux^,  qui  avoit  accusé  ledit 

dirigea  de  sa  personne  sur  le  Mans  (Dupuy,  Hist.  de  la  réunion  de 
la  Bretagne  à  la  France.  Paris,  1881,  in-8%  t.  I,  p.  191). 

1.  Il  manque  un  ou  plusieurs  mots  à  cette  phrase  incorrecte  et 
tronquée,  mais  dont  le  sens  n'est  pas  douteux.  —  C'est  le  31  mai 
1456  que  Jean,  duc  d'Alençon,  fut  arrêté  à  Paris,  sous  l'accusa- 
tion d'avoir  appelé  les  Anglais  en  France.  Le  lit  de  justice  fixé 
au  le^'juin  1458,  et  qui  devait  se  tenir  à  Montargis,  fut  tenu  à 
Vendôme  dès  le  26  août  de  la  même  année.  Charles  VII  y  siégea 
entouré  de  ses  pairs  laïques  et  ecclésiasti(iues.  Condamné  à  mort, 
Alençon  vit  sa  peine  différée  en  considération  de  ses  services  pas- 
sés et  en  fait  commuée  en  un  emprisonnement  qui  cessa  pou  après 
l'avènement  de  Louis  XI  (11  oct.  1461.  Voy.  de  Beaucourt,  Uist. 
de  Charles  Vil,  VI,  passim). 

2.  Pierre  Fortin,  surnommé  le  Tors-Filcux,  parce  qu'il  boitait. 


1467]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  189 

d'Alençon  audit  defunct  roy,  craignoit  fort  que  ledit 
d'Alençon  ne  lui  feist  quelque  grant  desplaisir,  se  tira 
par  devers  le  roy  en  lui  suppliant  qu'il  lui  feist  avoir 
asseurance  dudit  d'Alençon,  laquelle  chose  il  fîst,  et 
ordonna  et  commanda  le  roy  de  sa  bouche  audit  duc 
d'Alençon  que,  sur  sa  vie,  il  ne  lui  meffist  ne  feist 
meffaire,  en  lui  disant  qu'il  le  mettoit  en  sa  main, 
protection  et  sauvegarde,  ensemble  sa  famille  et  biens. 
Laquelle  chose  ledit  d'Alençon  lui  promist  et  enconve- 
nança.  Mais,  tantost  après,  ledit  d'Alençon,  en  alant 
contre  sondit  serement,  fist  prendre  ledit  boiteux  et 
amener  devant  lui,  et,  nonobstant  les  défenses  ainsi  à 
lui  faictes  de  par  le  roy,  fist  incontinent  icellui  boiteux 
murdrir  et  mettre  à  mort.  Pour  laquelle  mort  la  femme 
dudit  boiteux  se  tira  devers  le  roy  lui  faire  savoir  ces 
choses  et  pour  estre  son  injure  reparée.  Dont  et  de 
quoy  le  roy  depuis  empescha  les  villes  et  terres  dudit 
d'Alençon;  mais,  bientost  après,  tout  lui  fut  délivré  et 
par  lui  tout  pardonné  comme  devant.  Et  puis  après, 
le  duc  d'Alençon,  pour  bien  le  rémunérer  de  toutes  ses 
grâces  et  biensfaiz,  bailla  ou  offrit  bailler  toutes  ses 
villes  et  pays  ausdiz  Bretons  et  à  monseigneur  Charles, 
contre  la  voulenté  du  roy  et  à  sa  grant  desplaisance^. 
En  ce  temps  aussi,  messire  Anthoine  de  Chasteau- 
neuf,  chevalier,  seigneur  du  Lau,  grant  bouteiller  de 
France  et  seneschal  de  Guienne,  qui  estoit  grant  cham- 
bellan du  roy  et  de  lui  plus  aymé  que  onques  n'avoit 
esté  autre,  et  à  qui  le  roy  fist  de  moult  grans  biens 
tant  qu'il  fut  autour  de  lui  et  en  son  service,  car  en 


1.  C'est  le  11  octobre  1467  que  le  duc  ouvrit  aux  Bretons  sa 
ville  d'Alfincon. 


190  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1467 

moins  de  cinq  ans  il  amenda  des  biens  du  roy  de  trois 
à  mi<=  mil  escuz  d'or,  qui  avoit  esté  fait  prisonnier  du 
roy  et  mis  ou  chasteau  de  Sully  sur  Loire*,  de  l'ordon- 
nance du  roy  fut  envoie  audit  lieu  oudit  mois  d'octobre 
messire  Tristan  l'Ermite,  prevost  des  mareschaulx  de 
l'ostel  du  roy,  et  maistre  Guillaume  Cerisay,  nouvel- 
lement greffier  civil  de  Parlement^,  pour  ilec  tirer 
hors  ledit  seigneur  du  Lau  et  le  mener  prisonnier  au 
chasteau  d'Usson  en  Auvergne.  Mais,  lorsqu'il  fut 
amené  au  dehors  dudit  lieu,  il  fut  grant  bruit  que  ledit 
seigneur  du  Lau  avoit  esté  noyé,  et  fut  ce  que  dit  est 
longuement  depuis  continué^. 

Et,  le  mardi  xx®  jour  dudit  moys  d'octobre,  le  roy 
se  parti  de  sa  bonne  ville  de  Paris  pour  aler  au  pays 
de  Normendie,  et  ala  ce  jour  au  giste  à  Villepereux^, 
et  le  lendemain  à  Mante.  Et,  avant  son  parlement, 


1.  Auj.  dép.  du  Loiret,  arr.  de  Gien,  sur  la  Loire.  On  trouvera 
dans  Y\o[\et-le-T)\ic  (Dictionnaire  d'architecture,  t.  III,  p.  162-165) 
la  description,  accompagnée  d'un  plan  et  d'une  vue  cavalière,  de 
ce  château  fort,  qui  est  un  des  types  achevés  de  la  construction 
militaire  du  xi\'  siècle.  La  baronnie  de  Sully  appartenait  alors  à 
Louis  de  la  Trémoille. 

2.  Sur  Guillaume  de  Cerisay,  écuyer,  baron  du  Hommet,  sei- 
gneur de  Cerisay,  etc.,  en  Normandie,  prolonotaire  et  secrétaire 
du  roi,  voy.  la  notice  de  M.  Vaesen,  Lettres  de  Louis  XI,  IV,  222. 
Louis  XI  avait  été  peu  satisfait  de  la  manière  dont  le  chancelier 
avait  mené  l'interrogatoire  de  Du  Lau  [Ihid.,  III,  84),  et  il  prit  le 
parti  de  remettre  le  prisonnier  en  des  mains  plus  fermes. 

3.  Il  est  exact  que  le  bruit  en  courut.  Vers  la  mi-carême  1468, 
frère  Guillaume  Romain  rencontra  dans  une  des  rues  de  Tours 
Poncet  de  Rivière,  qui  lui  annonça  que  Du  Lau  avait  fait  sa  paix 
avec  le  roi.  Fri-re  Guillaume  en  fut  tout  surpris,  car  il  croyait 
bien  que  du  Lau  était  mort  (Ms.  fr.  2921  cité,  fol.  37). 

4.  Auj.  dép.  de  Seine-et-Oise,  cant.  de  Marly-le-Roi. 


1467]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  191 

en  envoya  plusieurs  cappitaines,  qu'il  avoit  avecques 
lui,  quérir  toutes  les  gens  de  guerre  qui  estoient  soubz 
leurs  charges,  pour  venir  après  lui  oudit  pais  de  Nor- 
mendie  ou  autre  part,  quelque  lieu  qu'il  feust.  Et,  le 
jour  de  sondit  partement,  il  fist  et  ordonna  certaines 
lettres  et  ordonnances,  par  lesquelles  il  voult  et  ordonna 
que  de  là  en  avant  son  plaisir  estoit  que  tous  les  offi- 
ciers de  son  royaume  demourassent  paisibles  en  leurs 
offices,  et  que  nulle  office  ne  feust  dicte  vacant,  sinon 
par  mort,  resignacion  ou  confiscacion.  Et,  s'il  donnoit 
nulles  autres  lettres  au  contraire  par  importunité 
de  requerans  ou  autrement,  vouloit  qu'il  n'y  feust 
aucunement  obtempéré,  et  que,  de  là  en  avant,  toute 
justice  feust  faicte  et  ordonnée  à  ung  chacun.  Et  puis 
s'en  party  dudit  lieu  de  Mante  et  s'en  ala  à  Vernon 
sur  Seine ^ ,  où  il  demoura  ilec  depuis  par  certain  temps, 
durant  lequel  vint  et  arriva  devers  lui  monseigneur  le 
connestable,  lequel  trouva  moien  que  le  roy  bailla  et 
donna  trefve  entre  lui  et  monseigneur  de  Charrolois 
jusques  à  six  moys  lors  après  ensuivans,  sans  en  ce 
y  comprendre  les  villes  et  pays  de  Liège,  qui  desjà 
estoient  mis  sus  et  en  armes  à  l'encontre  dudit  sei- 
gneur de  Charrolois,  en  espérance  d'avoir  l'aide  et 
secours  du  roy,  ainsi  que  promis  leur  avoit  esté  :  et  à 
ceste  cause  demourerent  du  touthabandonnez.  Et  puis, 
après  ce  que  dit  est  ainsi  fait,  ledit  monseigneur  le 
connestable  s'en  retourna  pardevers  mondit  seigneur 
de  Bourgongne  lui  porter  les  nouvelles  desdictes 
trêves^. 

1.  Sa  présence  y  est  signalée  le  26  octobre  (Vaesen,  Lettres  de 
Louis  XI,  m,  179  et  suiv.). 

2.  Ce  fut  en  réalité  Charles,  duc  de  Bourgogne  (et  non  plus 


192  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1467 

Et,  ce  faict,  maistre  Jehan  Balue,  cardinal  d'Evreux, 
maistre  Jehan  de  la  Driesche  et  maistre  Jehan  Prévost 
retournèrent  devers  le  roy  audit  lieu  de  Vernon,  qui 
estoient  alez  en  Flandres  de  l'ordonnance  du  roy  par- 
devers  ledit  de  Bourgongne^.  Et,  tantost  après  ledit 
retour  fait,  le  roy  se  parti  dudit  lieu  de  Vernon  et  s'en 
ala  à  Chartres-,  où  il  fist  ilec  venir  et  arriver  la  plus 
grant  partie  de  son  artillerie,  qui  lors  estoient  à  Orléans, 
pour  envoier  à  Alençon  et  autres  villes  du  pays,  pour 
les  avoir  et  mettre  en  ses  mains.  Et,  après,  le  roy 
envoia  ledit  maistre  Jehan  Prévost  audit  lieu  de 
Flandres,  par  devers  ledit  de  Bourgongne,  pour  lui 
porter  et  bailler  les  lettres  desdictes  trêves. 


comte  de  Charolais),  qui  accorda  au  roi  une  trêve  de  six  mois 
(Ifi""  nov.  UôT-ler  mai  1468.  "Voy.  D.  Plancher,  Hist.  de  Bourgogne, 
t.  IV,  pr.  ccLYi).  Le  connétable,  envoyé  par  Louis  XI  à  Bruxelles, 
avait  signifié  «  roidement  »  au  duc  qu'il  eût  à  laisser  en  repos  les 
Liégeois.  Il  témoigna  aussi  à  Charles  le  Hardi  le  mécontentement 
que  sa  récente  alliance  avec  le  roi  d'Angleterre  avait  causé  en 
France.  Le  Bourguignon  le  prit  de  très  haut,  déclara  qu'il  était 
résolu  de  savoir  cette  fois  si,  à  Liège,  «  il  seroit  maître  ou  valet,  » 
et  accusa  nettement  Louis  XI  de  l'avoir,  par  ses  «  menaces  et 
legieres  paroles,  »  fait  devenir  Anglais  malgré  lui.  Tous  les  efiforts 
du  comte  de  Saint-Pol  pour  obtenir  une  trêve  d'une  année 
échouèrent  devant  l'obstination  du  duc.  Il  ne  fut  pas  plus  heureux 
à  Louvain  quand  le  roi  le  renvoya  une  seconde  fois  auprès  de 
Charles.  Menacé  d'une  intervention  française  en  faveur  des  Lié- 
geois, le  duc,  qui  se  sentait  appuyé  par  les  Anglais,  alla  jusqu'à 
menacer  le  connétable  de  sa  colère,  si  bien  que  Saint-Pol  «  ébahi  » 
finit  par  prendre  l'engagement  que,  pendant  les  douze  jours  sui- 
vants, le  roi  demeurerait  neutre.  Lui-même  employa  ce  délai  à 
obtenir  de  Louis  XI  qu'il  acceptât  une  trêve  de  six  mois  en  aban- 
donnant Liège  à  son  malheureux  sort  (Chastellain,  V,  338-348). 

1.  Balue  arriva  à  Bruxelles  pendant  l'automne  de  l'année  1467, 
à  l'époque  du  premier  voyage  qu'y  lit  le  connétable  (Ibid,,  349). 

2.  30  octobre  (Itin.  cité). 


1467J  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  193 

Et,  après,  vint  et  arriva  à  Paris,  le  vi®  jour  du  mois 
de  novembre,  ledit  mons.  le  cardinal,  ledit  trésorier 
de  la  Driesche,  maistre  Jehan  Berart  et  maistre  Geof- 
froy Alnequin  pour  faire  faire  les  monstres  des  ban- 
nières de  Paris  pardevant  eulx  et  pour  faire  autres 
charges  qui  leur  estoient  données  de  par  le  roy.  Et, 
après,  s'en  parti  dudit  lieu  de  Chartres  pour  aler  à 
Orléans,  Glery  et  autres  villes  près  d'ilec  et  puis  à  Ven- 
dosme,  et  de  là  jusques  au  Mont  Saint-Michel',  et 
avecques  lui  fist  mener  grande  quantité  de  sadicte 
artillerie,  et  si  aloient  avecques  lui  grant  nombre  de 
ses  gens  de  guerre. 

En  ces  entrefaictes,  les  Bretons  yssirent  tous  en 
armes  hors  de  leur  pays,  et  vindrent  en  Normendie 
jusques  à  la  cité  d'Avrenches  et  autres  villes  dudit  pays. 
Et,  après,  iceulx  Bretons  s'espandirent  par  ledit  pays 
de  Normendie,  comme  jusques  à  Caen,  à  Baieux,  Cons- 
tances et  autres  lieux-. 

Oudit  temps,  ledit  seigneur  de  Bourgongne,  au 
moien  desdictes  trêves  à  lui  baillées  par  le  roy,  esquelles 
n'estoient  aucunement  comprins  lesdiz  Liegois,  entra 
oudit  pays  du  Liège  avecques  toute  son  armée,  en 
persécutant  lesdiz  Liegois.  Tous  lesquelz,  pour  ce  que 
le  roy  leur  failli  de  secours  et  qu'ilz  veoient  clerement 
leur  destruction  advenue,  se  rendirent  audit  de  Char- 
rolois,  ensemble  toutes  leurs  villes,  avecques  lequel  ilz 
prindrent  composition,  et,  pour  ce  faire  et  avoir,  lui 
donnèrent  et  baillèrent  grant  somme  d'or,  et  si  orent 

1.  L'Itinéraire  indique  Orléans  (16  nov.),  puis  le  Mans,  du  19  no- 
vembre à  la  fin  de  janvier,  mais  il  est  fort  possible  que  Louis  XI 
ait  fait  pendant  ce  temps  un  pèlerinage  au  Mont-Saint-Michel. 

2.  Voy.  ci-dessus,  p.  187. 


194  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1467 

une  partie   de  leurs  portes   et  murailles  abatues^. 

En  après,  ledit  cardinal  Balue  et  commissaires  devant 
nommez  procédèrent  à  faire  les  monstres  des  ban- 
nières desdiz  mestiers  pardevant  iceuÎ!t  commissaires 
en  plusieurs  et  divers  lieux  de  ladicte  ville,  tant  dessus 
les  murs  d'icelle  d'entre  les  portes  du  Temple  et  Saint- 
Martin,  en  la  cousture  du  Temple,  sur  les  murs  d'entre 
la  tour  de  Bois  et  la  porte  Saint-Honoré,  devant  le 
Louvre,  au  Marché  aux  Brebis,  et  sur  les  murs  jusques 
à  ladicte  porte  Saint-Honoré^. 

Et,  le  samedi  ensuivant,  xxi''  jour  dudit  mois  de 
novembre,  le  roy  fist  crier  par  les  carrefours  de  Paris 
que  toutes  gens  qui  avoient  acoustumé  de  suivre  la 
guerre,  et  qui  avoient  esté  cassez  de  gaiges,  se  tirassent 
pardevers  certains  commissaires  qu'il  avoit  ordonnez 
pour  les  recevoir  et  mettre  à  ses  gaiges  et  souldées 
pour  le  servir  en  ses  guerres^. 

1.  Le  28  octobre  1467,  le  duc  battit  les  Liégeois,  qui  étaient 
venus  l'attaquer  devant  Saint-Trond,  qu'il  assiégeait.  Saint-Trond 
se  rendit  le  le""  novembre,  et  Tongres  le  6.  Charles  le  Hardi 
arriva  devant  Liège  le  M  novembre,  et,  dès  le  lendemain,  malgré 
les  efforts  de  l'envoyé  de  Louis  XI,  François  Royer,  bailli  de 
Lyon,  la  ville  se  rendit  à  discrétion  (Gommynes,  éd.  Dupont,  I, 
126  et  suiv.).  Le  17,  le  duc  fit  son  entrée  «  en  grant  triumphe,  et 
luy  fut  abbatu  vingt  brasses  de  mur  et  uny  le  fossé  au  long  de  la 
grant  bresche.  »  Cinq  ou  six  des  plus  compromis  furent  mis  à 
mort,  et  une  lourde  contribution  fut  levée  sur  la  cité,  dont  les 
tours  et  les  murailles  furent  rasées  (Ibid.,  1, 140  et  suiv.  Cf.  Miche- 
let,  ouvr.  cité,  p.  238  et  suiv.). 

2.  La  cousture  ou  culture  du  Temple  était  comprise  entre  la 
tour  du  Temple  et  l'enceinte  de  Paris.  La  tour  de  Bois  terminait 
cotte  enceinte  à  l'ouest,  sur  la  rive  droite  de  la  Seine.  Quant  à  la 
porte  Saint-Honoré,  elle  était  située  dans  la  rue  du  même  nom,  à 
la  hauteur  du  Louvre. 

3.  Ghastellain,  parlant  des  préparatifs  faits  de  part  et  d'autre  en 


1467]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  195 

Et,  le  lundi  ensuivant,  xxiii^  jour  de  novembre, 
maistre  Jehan  Prévost  retourna  de  devers  ledit  sei- 
gneur de  Gharrolois,  où  le  roy  l'avoit  envoie  porter 
les  lettres  des  trefves  qu'il  avoit  faictes  avec  lui  et  pour 
rapporter  au  roy  la  response  que  ledit  seigneur  de 
Gharrolois  avoit  faicte  audit  Prévost  touchant  le  fait 
desdictes  trêves^. 

Et,  le  jeudi  ensuivant,  xxvi^  jour  dudit  moys  de 
novembre,  partie  desdictes  monstres  furent  faictes 
dehors  Paris,  devant  l'église  et  abbaye  de  Saint-Ger- 
main des  Prez,  jusques  sur  la  rivière  de  Seine.  Esquelles 
monstres  y  avoit  grant  nombre  de  gens  à  pié  et  à 
cheval,  tous  bien  en  point  et  armez,  où  estoient  les  tré- 
soriers de  France,  les  conseillers  et  clers  des  Gomptes, 
les  generaulx  des  Monnoyes  et  des  Aides,  le  Trésor, 
les  esleuz  et  toute  la  court  de  Parlement,  tout  ensemble. 
Après  y  estoient  tous  les  praticiens  et  officiers  du  Ghas- 
tellet  de  Paris  en  bien  belle  et  grosse  compaignie.  Et, 
avec  les  compaignies  dessusdictes,  estoient  aussi  tous 
ceulx  estans  soubz  l'estandart  et  guidon  de  la  ville  de 
Paris ,  qui  estoient  moult  grant  nombre  de  gens  à  pié 

vue  de  l'expiration  des  trêves,  dit  que  le  roi  «  jà  de  longue  main 
avoit  pratiqué  en  tous  endroits  tout  l'effort  qu'il  pouvoit  mettre 
sus,  tant  de  nobles  gens  que  de  communes.  Et,  en  effet,  par  tous 
les  lieux  de  son  royaume,  là  où  on  soloit  lever  francs  archers,  il 
y  assist  de  les  lever  au  double  nombre  plus  que  par  avant.  Sy  on 
trouva  un  bien  grant  nombre,  bien  jusques  à  cinquante  mille,  bien 
embastonnés  et  bien  en  point,  avecques  ses  deux  mille  lances  ordi- 
naires, sans  les  autres  qu'il  pouvoit  avoir  par  mandement  de  ban  » 
(V,  386). 

1,  Colard  de  Moy  et  Jean  Le  Prévost,  «  qui  venoient  pour  faire 
semblables  requestes  et  commendemens  que  avoit  faict  le  connes- 
table  peu  de  jours  auparavant,  »  assistèrent  impuissants  à  la  prise 
de  Liège  (Gommynes,  éd.  Dupont,  I,  134). 

I  15 


196  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1467 

et  à  cheval.  Et  si  y  vindrent  pour  l'evesque,  Univer- 
sité, abbez,  prieurs  et  autres  gens  d'église  de  ladicte 
ville,  certaine  quantité  de  gens  en  armes.  Et,  en  icelles 
monstres,  y  avoit  grant  nombre  de  gens  bien  armez  ^. 

Et,  après  lesdictes  monstres  ainsi  faictes,  ledit  car- 
dinal et  commissaires  dessus  nommez,  maistre  Jehan 
de  la  Driesche,  trésorier  de  France,  maistre  Pierre 
rOrfevre,  seigneur  d'Ermenonville,  et  autres  officiers 
du  roy,  partirent  de  la  ville  de  Paris  pour  aler  devers 
le  roy,  qui  estoit  lors  entre  le  Mans  et  Alençon,  atout 
moult  grant  armée,  car  il  avoit  qui  le  suivoit  plus  de 
G'"  chevaulx  et  plus  de  xx™  hommes  à  pié-,  pour  résis- 
ter à  l'armée  desdiz  Bretons.  Et  fist  mener  le  roy  à  lui 
de  son  artillerie  grant  quantité  pour  mettre  le  siège  à 
Alençon.  Et,  en  ces  entrefaictes ,  fut  pourparlé  de 
trefves  qui  tindrent  le  roi  et  sadicte  armée  longuement 
sans  riens  faire  ;  et,  en  ce  faisant,  mengerent  et  des- 
truisirent  tout  le  plat  pays  bien  à  xx  ou  trente  heues 
dudit  lieu  du  Mans  et  d'Alençon^. 

Et,  durant  ce  que  dit  est,  ledit  seigneur  de  Gharro- 
lois,  qui  ainsi  avoit  destruit  lesdiz  Liegois  et  leur  pays, 
s'en  retourna  devers  Saint-Quentin  et  fist  crier  par 
tous  ses  pays  (jue  toutes  gens  de  guerre  de  sesdiz 
pays  s'en  tirassent  devers  Saint-Quentin,  pour  ilec 
faire  leurs  monstres  au  xv^  jour  du  mois  de  décembre, 
sur  bien  grosses  peines.  Et  si  fist  aussi  crier  par  tout 

1.  Interpolations  et  variantes,  §  LIV. 

2.  Ces  chiffres  sont  manifestement  fort  exagérés. 

3.  Celte  masse  d'hommes,  logée  autour  du  Mans,  ravagea  la 
contrée  à  vingt  lieues  à  la  ronde,  si  bien  que  la  pénurie  des  vivres 
et  des  fourrages  finit  par  contraindre,  non  seulement  le  roi  et  son 
armée,  mais  nombre  de  gens  du  pays,  à  se  transporter  ailleurs 
(Basin,  II,  185  et  suiv.). 


1467]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  197 

le  pays  de  Bourgongne  que  tous  nobles  et  autres  gens 
suivans  les  armes  feussent  tous  prestz  à  Montsaujon  \ 
pour  ilee  prendre  les  gaiges  et  souldécs  dudit  seigneur 
de  Charrolois  par  les  mains  de  ses  commissaires  que 
pour  ce  il  y  avoit  ordonnez,  et  ce  dedens  le  xx^  jour 
de  décembre  lors  prouchain  ensuivant,  et  pour  partir 
dudit  Monsaujon  et  aler  audit  Saint-Quentin  pardevers 
lui,  pour  l'acompaigner  et  lui  aider  à  secourir  son  très 
cher  et  amé  frère  monseigneur  Charles  de  France  et  le 
duc  de  Bretaigne  estant  avecques  lui,  à  l'encontre 
d'aucuns  leurs  malvueillans  ;  et  telle  substance  portoit 
ledit  cry.  Pour  occasion  duquel  cry,  les  marchans  et 
facteurs  des  marchans  de  Paris,  qui  estoient  alez  oudit 
pays  de  Bourgongne  pour  faire  leurs  emplettes,  s'en 
retournèrent  à  Paris  bien  hastivement  sans  riens  faire. 
Et,  derechef,  après  toutes  ces  choses,  ledit  de  Char- 
rolois fist  mander  à  lui  venir  toutes  ses  gens  de 
guerre  audit  Saint-Quentin,  au  iiif  jour  de  janvier 
ensuivant. 

Et,  le  lundi,  feste  des  Sains  Innocens,  xxviiP  jour 
de  décembre,  vint  et  arriva  à  Paris  monseigneur  le 
duc  de  Bourbon  de  par  le  roy,  pour  mettre  garnison 
en  plusieurs  villes  et  garder  les  Bourguignons  d'entrer 
es  pays  du  roy.  Et  vint  et  arriva  avecques  lui  mon- 
seigneur le  mareschal  de  Loheac,  qui  venoit  à  Paris, 
comme  on  disoit,  pour  estre  lieutenant  de  ladicte 
ville.  Lequel  de  Loheac  s'en  party  deux  jours  après 
pour  aler  à  Bouen  et  autres  villes  de  Normandie,  pour 
y  mettre  gardes  et  ordre  de  par  le  roy  ;  et  ilec  y 
demoura  par  certain  temps.  Et  mondit  seigneur  de 

1.  Montsaugeon,  auj.  dép.  de  la  Haute-Marne,  arr.  de  Langres. 


198  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1467 

Bourbon  depuis  demoura  à  Paris  par  certain  autre 
temps,  pendant  lequel  fut  festié  de  plusieurs  notables 
gens  de  ladicte  ville. 

Endementiers  *  la  ville  d'Alençon,  qui  estoit  tenue 
par  les  Bretons,  comme  dit  est  devant,  fut  rendue  et 
mise  es  mains  du  roy  par  le  conte  du  Perche,  filz  du 
duc  d'Alençon,  qui  tenoit  le  chasteau  dudit  Alençon, 
et  lesdiz  Bretons  tenoient  la' ville.  Mais,  durant  ce,  le 
roy  ne  parti  point  de  ladicte  ville  du  Mans.  Et,  durant 
qu'il  y  fut,  envoya  devers  mondit  seigneur  Charles, 
oudit  pays  de  Bretaigne,  le  légat  du  pape,  dont  parlé 
est  devant^,  et  Anthoine  de  Ghabannes,  conte  de 
Dampmartin,  le  trésorier  de  la  Driesche  et  autres, 
pour  cuider  trouver  aucun  bon  expédient^.  Et  enfin 
le  roy  se  condescendi  que  les  trois  estas  se  tendroient 
et  assembleroient  ;  et,  pour  ce  faire,  leur  fut  lieu  assi- 
gné en  la  ville  de  Tours,  pour  ilec  eulx  y  trouver  au 
premier  jour  d'avril  IIIP  LXVII.  Et  s'en  revint  le  roy 
dudit  pays  du  Mans  et  ala  aux  Montiz  lez  Tours,  à 
Amboise  et  ilec  environ^.  Et  puis  fut  l'assemblée  des- 

1.  C'est-à-dire  ])endani  ce  temps  (Godefroy,  Dictionnaire  de  l'an- 
cienne langue  française).  —  Malmené  par  les  Bretons,  René, 
comte  du  Perche,  entra  en  négociations  avec  le  roi  et  s'entendit 
secrètement  avec  les  bourgeois  d'Alençon,  qui  se  soulevèrent  et 
chassèrent  la  garnison  bretonne  (2  janv.  1468). 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  LV. 

3.  Lenglet  donne  aux  Preuves  de  Gommynes  (III,  1)  le  texte  de 
la  trêve  conclue  avec  le  duc  de  Bretagne  au  Mans,  13  janv.  1467, 
V.  st.  Cf.  la  pièce  suivante,  qui  développe  les  conditions  de  cette 
trêve,  négociée  par  l'archevêque  de  Milan,  légat  du  pape  (Mon- 
tils-!ès-Tours,  20  février  1467,  v.  st.). 

4.  Louis  XI  quitta  lo  Mans  à  la  fin  de  janvier  1468  (n.  st.)  et 
arriva  aux  Montils  le  31  du  même  mois.  —  La  prochaine  expira- 
tion de  la  trêve  bourguignonne,  qui  devait  prendre  lin  le  l»""  mai, 


1467]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  199 

diz  trois  estas  tenue  audit  lieu  de  Tours,  qui  pour  ceste 
cause  y  estoient  alez.  Et  ilec,  le  roy  présent,  fut  pour- 
parlé  et  conclud  sur  la  question  pour  laquelle  ilz 
estoient  assemblez  audit  lieu  de  Tours,  jusques  au 
jour  de  Pasques,  qui  fut  mil  IIIP  LXVIIP,  que  chacun 
d'eulx  ilec  venus  s'en  retournèrent  en  leurs  maisons, 
après  la  conclusion  par  eulx  prinse  sur  le  fait  de  ladicte 
assemblée.  Et  pour  ceste  cause  y  estoient  venus  le  roy 
premièrement,  le  roy  de  Cécile,  monseigneur  le  duc 
de  Bourbon,  le  conte  du  Perche,  le  cardinal  d'Angers, 
le  patriarche  de  Jherusalem  et  plusieurs  autres  sei- 
gneurs, barons,  arcevesques,  evesques,  abbez  et  autres 
notables  personnes  et  gens  de  grant  façon,  ensemble 
aussi  les  ambassadeurs  venus  audit  lieu  pour  ceste 
cause  de  la  pluspart  de  tout  le  royaume  de  France. 
Et  par  tous  iceulx  assembléement  et  à  grant  et  meure 
deliberacion  fut  dit  et  conclud  que,  au  regard  de  la 
question  d'entre  le  roy  et  mondit  seigneur  Charles 
touchant  son  appanage,  qu'il  auroit  et  recevroit  pour 
icellui  appanage  et  de  ce  se  tendroit  pour  bien  content 
de  xn"  livres  tournois  en  assiete  de  terre  par  an,  et 
tiltre  de  conté  ou  duchié  ;  et,  en  oultre,  que  le  roy  luy 
fourniroit  en  pension,  par  chascun  an,  jusques  à 
LX™  livres  tournois,  et  tout  sans  préjudice  aux  autres 
enfans,  qui  pour  le  temps  à  venir  pourroient  venir  à 

fit  avancer  la  réunion  des  états  généraux.  On  trouvera  dans  les 
Lettres  de  Louis  XI  (III,  198  et  suiv.)  le  texte  de  la  circulaire 
envoyée  de  parle  roi  aux  bonnes  villes.  Chacune  d'elles  dut  expé- 
dier à  Tours,  le  l^' avril  suivant,  quatre  députés,  dont  un  d'Église, 
pour  y  délibérer  sur  ce  qu'il  y  avait  à  faire  dans  le  but  de  mettre 
fin  aux  troubles  et  aux  divisions  qui  tendaient  «  à  la  foule  et 
oppression  du  peuple  »  (Cf.  Chastellain,  V,  387), 
1.  17  avril  1468. 


280  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1467 

la  couronne,  de  povoir  demander  tel  et  semblable 
appanage,  pour  ce  que  le  roy,  pour  avoir  paix  et  bonne 
amour  avecques  sondit  frère,  se  eslargissoit  à  lui  bail- 
ler si  grant  somme  que  de  LX""  livres  tournois  par  an. 
Et,  en  tant  que  touchoit  la  duchié  et  pays  de  Normen- 
die,  monseigneur  Charles  ne  l'auroit  point,  disans 
qu'il  n'estoit  pas  au  roy  de  la  bailler  ne  desmembrer 
de  sa  couronne.  Et  que  au, regard  du  duc  de  Bre- 
taigne,  qui  detenoit  mondit  seigneur  Charles  et  qui 
avoit  prinses  les  villes  du  roy  en  Normandie,  lequel 
on  disoit  avoir  intelligence  avecques  les  Anglois, 
anciens  ennemis  de  la  couronne  de  France,  fut  dit  et 
délibéré  par  lesdiz  trois  estaz  qu'il  seroit  sommé  de 
rendre  au  roy  lesdictes  villes,  et  que  où  il  en  feroit 
refus  et  que  le  roy  seroit  deuement  adverti  de  ladicte 
aliance  aux  Anglois,  que  incontinent  le  roy  recouvrast 
sesdictes  villes  à  main  armée  et  de  lui  courir  sus  ;  et 
que,  pour  ce  faire,  lesdiz  trois  estas  promisdrent  de 
secourir  et  aider  au  roy,  c'est  assavoir  les  gens  d'église 
de  prières  et  oroisons  et  biens  de  leur  temporel, 
et  les  nobles  et  populaire  de  corps  et  de  biens,  et 
jusques  à  la  mort  inclusivement.  Et  que,  en  tant  que 
touchoit  la  justice  de  tout  le  royaume,  le  roy  avoit 
singulier  désir  de  la  faire  courir  par  tout  sondit 
royaume,  et  fut  content  que  on  esleust  nobles  per- 
sonnes de  tous  estas  pour  y  mettre  remède  et  bon 
ordre.  Et  oultre,  furent  d'opinion  lesdiz  des  trois  estas 
que  à  ce  faire  ledit  seigneur  de  Charrolois  se  devoit 
fort  emploicr,  tant  à  cause  de  la  proximité  de  lignage 
qu'il  a  au  roy  comme  aussi  de  per  de  France^. 

1.  Lcnglct  donne  aux  Preuves  de  Cominynes  (III,  5)  un  extrait 


1468]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  201 

Et,  après  ladicte  deliberacion ,  le  roy  se  party  de 
Tours  et  s'en  ala  à  Amboise^  Et  puis  après  envoya  son 
ambaxade  par  devers  l'assemblée  estant  à  Cambray, 
afin  de  savoir  leur  vouloir  et  response  sur  la  delibe- 
racion prinse  par  lesdiz  trois  estas  ainsi  assemblez 
comme  dit  est^. 

Après  ces  choses,  le  jeudi,  v®  jour  de  may  mil 
GCGG  LXVIII,  dame  Ambroise  de  Loré,  en  son  vivant 
femme  de  messire  Robert  d'Estouteville ,  chevalier, 
prevost  de  Paris,  ala  de  vie  à  trespas  ce  jour,  environ 
une  heure  après  myenuit,  et  fut  fort  plainte,  pour  ce 
qu'elle  estoit  noble  dame,  bonne  et  honneste,  et  en 
l'ostel  de  laquelle  toutes  nobles  et  honnestes  personnes 
estoient  honorablement  receuz^. 

Et,  ce  mesme  jour,  environ  entre  ix  et  x  heures  de 
nuit,  se  bouta  le  feu  en  l'un  des  moulins  aux  Mus- 
niers,  de  Paris,  qui  appartenoit  au  prieur  de  Saint- 
Ladre,  et  fut  tout  le  comble  d'icellui  bruslé  par  ung 

du  procès-verbal  signé  par  Jean  Le  Prévost,  notaire  et  secrétaire 
du  roi,  commis  à  tenir  le  greffe  de  l'assemblée.  Ghastellain  nomme 
encore,  parmi  les  princes  présents  à  Tours,  le  comte  du  Maine, 
le  prince  de  Navarre  et  le  comte  d'Angoulême. 

1.  Réunis  le  6  avril,  les  états  siégèrent  huit  jours.  Le  roi  arriva 
à  Amboise  vers  le  24  du  même  mois  et  y  séjourna  jusqu'à  la 
mi-juin. 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  LVI.  —  La  conférence  de  Cam- 
brai s'assembla  le  8  avril,  mais  se  sépara  sans  rien  conclure  (Len- 
glet,  III,  6).  —  L'  «  abstinence  de  guerre  »  entre  le  roi  et  le  duc 
de  Bourgogne  fut  prorogée  d'abord  d'un  mois  jusqu'au  l^""  juin, 
puis  jusqu'au  15  juillet.  Le  pouvoir  donné  par  Louis  XI  au  comte 
de  Saint-Pol  pour  le  représenter  à  Cambrai  est  daté  d'Amboise, 
27  avril  1468  (Ibid.,  p.  7). 

3:  Voy.  ci-dessus,  p.  12. 


202         -  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1468 

paillart  varlet  musnier,  qui  avoit  ataché  une  chandelle 
contre  le  mur  de  son  lit,  qui  chey  dedens  icellui  lit  et 
y  brusla  tout,  réservé  ledit  paillart,  qui  se  saulva  et 
enfouy  comme  ung  renart^ . 

Le  xv^  jour  d'icellui  mois  de  may,  furent  faictes 
joustes  à  Paris  devant  l'ostel  du  roy,  aux  Tournelles, 
par  quatre  gentilzhommes  de  guerre  de  la  compaignie 
du  grant  seneschal  de  Normjendie,  qui  avoient  ordonné 
les  lisses  et  préparé  le  champ,  en  faisant  assavoir  à  tous 
qu'ilz  se  trouveroient  ilec  audit  xv^  jour  de  may,  pour 
attendre  tous  venans,  rompans  chascun  trois  lances  à 
rencontre  d'eulx.  Auquel  jour  y  vindrent  et  compa- 
rurent cinq  enfans  de  Paris,  desquelz  et  tout  le  pre- 
mier y  vint  et  arriva  Jehan  Raguier,  grenetier  de  Sois- 
sons  et  trésorier  des  guerres  ou  duchié  de  Normendie, 
filz  de  maistre  Anthoine  Raguier,  conseiller  et  tréso- 
rier des  guerres  du  roy-.  Lequel  Jehan  Raguier  vint  et 
arriva  à  bien  grant  haste  de  la  ville  de  Rouen,  où  il 
estoit,  pour  estre  et  comparoir  es  dictes  joustes.  Et 

1.  C'est-à-dire  comme  un  renard  enfumé  dans  sa  tanière.  — 
L'église  Saint-Ladre  était  située  en  dehors  de  la  porte  Saint-Denis, 
et  il  y  avait  des  moulins  entre  cette  église  et  la  porte  Montmartre 
(pian  dit  de  la  Tapisserie). 

2.  Jean  Raguier,  écuyer,  seigneur  de  la  Mothe  et  de  l'Hay,  con- 
seiller du  roi,  trésorier  des  guerres  en  Normandie,  fut  investi 
aussi,  de  1468  à  1480,  de  l'office  de  receveur  général  des  finances 
de  Normandie,  où  il  succéda  à  Noël  Le  Barge.  Maître  des  comptes 
sous  Charles  YIII  (li85|,  il  était  mort  au  commencement  de  1504. 
Il  avait  épousé  Marie  Beauvarlet,  était  neveu  de  Louis  Raguier, 
évoque  de  Troycs,  et  frère  de  Louis,  évêque  de  Lisieux.  Son  aïeul, 
Hémon  Raguier,  avait  été  trésorier  des  guerres  sous  Charles  VI 
et  Charles  VU  (Bibl.  nat..  Pièces  orig.,  vol.  2425,  doss.  Raguier. 
Cf.  Vaesen,  Lettres  de  Louis  XI,  IV,  244,  et  ms.  fr.  25715,  fol.  262, 
et  Villon,  éd.  Longnon,  p.  339). 


1468]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  203 

arriva  le  soir  de  devant  à  Saint-Ladre  lez  Paris,  acom- 
paigné  de  plusieurs  nobles  hommes  de  la  charge  et 
compaignie  de  messire  Joachin  Rouault,  mareschal  de 
France,  et  autres  gens,  jusques  au  nombre  de  xx  che- 
vaulx.  Auquel  lieu  de  Saint-Ladre  ilz  se  tinrent  secrè- 
tement et  sans  faire  bruit  jusques  au  lendemain,  qu'ilz 
y  menèrent  et  compaignerent  ledit  Raguier,  bien  et 
honorablement  garny  de  trompetes  et  clarons  qui 
faisoient  de  grans  mélodies,  jusques  au  lieu  desdictes 
lices.  Et  lequel  Raguier,  acompaigné  comme  dit  est, 
avoit  autour  de  lui  quatre  piétons  vestus  de  livrée  et 
tousjours  estans  près  de  lui  et  du  coursier  sur  quoy  il 
estoit  monté,  lesquelz  estoient  prestz  de  le  servir  et 
recueillir  son  bois  ^ .  Et  estoient  tous  ceulx  de  sadicte 
compaignie  habillez  de  hoquetons  brodez  à  grans 
lettres  d'or,  et^  son  courcier  couvert  de  drap  de  damas 
ouvré  de  broderie  aussi  à  grans  lettres  d'or.  Et  oudit 
champ  et  dedens  les  hces  se  pourmena  plusieurs  tours, 
attendant  lesdiz  quatre  champions  ou  l'un  d'eulx, 
contre  lesquelz  il  se  porta  vaillamment,  car  il  rompy 
cinq  lances  bien  et  nettement,  et  plus  eust  fait  s'il  eust 
pieu  aux  commissaires  ordonnez  pour  lesdictes  joustes. 
Et,  après  lesdictes  lances  ainsi  rompues,  s'en  parti 
moulthonnorablement,  en  soy  pourmenant  par  lesdictes 
lices  et  prenant  congié  des  juges  desdictes  joustes  et 
merciant  les  dames,  damoiselles  et  bourgoises  qui  ilec 
estoient  venus,  desquelz  il  acquist  moult  grant  los. 
Et,  après  lui  y  vint  et  comparut  ung  esleu  de  Paris 

1.  C'est-à-dire  prêt  à  ramasser  sa  lance  s'il  la  brisait  ou  si  elle 
échappait  de  sa  main  pendant  la  joute. 

2.  Toute  la  fin  de  cette  phrase  fait  défaut  dans  les  éditions  impri- 
mées de  la  Chronique. 


204  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1468 

nommé  Marc  SenameS  et  deux  des  filz  messire  Jehan 
Sanguin^,  qui  aussi  vindrent  en  ladicte  jouxte  hono- 
rablement et  y  firent  tout  le  mieulx  qu'ilz  porent, 
mais  ilz  n'en  emportèrent  gueres  de  bruit.  Et,  en 
après,  y  vint  aussi  et  arriva  Charles  de  Louviers^, 
eschançon  du  roy,  qui  moult  bien  et  vaillamment  s'y 
porta,  en  portant  honnestement  son  bois  et  sans  aide, 
et  rompy  nettement  plusieurs  lances,  et  tellement  se 
porta  la  journée  que  en  la  fin  le  pris  lui  fut  donné.  Et 
demourerent  lesdiz  quatre  gentilzhommes  de  dedens 
moult  soûlez^,  desquelz  les  deux  portèrent  les  bras  en 
l'escharpe  et  le  tiers  ot  la  main  blecée  dessoubz  le 
gantellet.  Et  par  ainsi  l'onneur  fut  et  demoura  ausdiz 
enfans  de  Paris. 

Et,  le  dimenche  précèdent,  qui  fut  le  viii®  jour  dudit 
moys  de  may,  se  firent  aussi  à  Bruges  en  Flandres 
autres  joustes  devant  monseigneur  le  duc  de  Bour- 
gongne,  qui  furent  aussi  moult  triumpheuses,  esquelles 

1.  Au  ms.  fr.  5062,  fol.  64,  le  nom  de  Senamy  a  été  corrigé 
anciennement  en  Senamc,  mais  la  première  forme  a  été  conser- 
vée plus  loin.  On  écrivait  aussi  Cename.  Nous  ne  connaissons 
pas  autrement  ce  personnage,  qui  appartenait  à  une  famille  de 
marchands  d'origine  lombarde,  que  des  liens  de  parenté  ratta- 
chaient au  financier  Jean  Arnoulfin  (Bibl.  nat.,  ms.  fr.  20428, 
fol.  81). 

2.  Jean  Sanguin,  chevalier,  avait  épousé  Yonne  de  Feure.  Son 
fils  Antoine,  seigneur  de  Meudon,  panetier  du  roi,  avait  alors 
environ  vingt-six  ans.  Un  autre  des  fils  de  Jean  Sanguin  portait 
le  nom  de  Louis  (Bibl.  nat.,  ms.  fr.  2921  cité,  fol.  55). 

3.  Charles  de  Louviers,  seigneur  de  Ghâtcl  et  de  Nangis,  était 
fils  do  Nicolas,  conseiller  aux  Comptes,  qui  mourut  en  1483,  et  de 
Michelle  Brice  (Longnon,  Villon,  Index,  p.  321.  Cf.  Arch.  nat., 
LL  437,  et  Bibl.  nat.,  ms.  fr.  21448,  copie). 

4.  C'est-à-dire  frappés,  meurtris  (Godefroy,  Dictionnaire  de  fan- 
cienne  lanijue  française). 


1468]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  205 

aussi  ung  enfant  de  Paris,  nommé  Jerosme  de  Gam- 
bray,  serviteur  dudit  mons.  le  duc,  jouxta,  et  ilec  se 
porta  si  vaillamment  qu'il  en  emporta  l'onneur  de 
ladicte  jouste  '• . 

Après  lesdictes  joustes,  le  roy,  qui  estoit  à  Amboise, 
s'en  party  pour  venir  à  Paris,  et  en  amena  avecques 
lui  mons.  de  Bourbon,  monseigneur  de  Lyon^  et  de 
Beaujeu  et  autres  seigneurs,  et  se  tint  par  aucun  temps 
à  Laigny,  à  Meaulx  et  autres  villes  ilec  environ^.  Et, 
avant  son  partement  dudit  Amboise,  advint  que,  le  jour 
veille  d'Ascension  Nostre  Seigneur*,  la  terre  trembla  à 

1.  Jérôme  de  Cambrai,  écuyer,  échanson  ordinaire  du  roi,  reçut 
de  Louis  XI,  par  lettres  datées  du  Piessis,  8  décembre  1473, 
800  1.  p.  de  pension  à  prendre  sur  les  émoluments  des  greffes 
civil  et  criminel  et  auditoires  du  Châtelet  de  Paris  (Sauvai,  A7iti- 
quitês  de  Paris,  UI,  409).  Peut-être  était-il  l'un  des  seize  enfants 
du  président  au  Parlement  Adam  de  Cambrai.  Jérôme  de  Cam- 
brai est  cité  par  Olivier  de  la  Marche  comme  ayant  pris  part 
aussi  à  des  joutes  célébrées  à  Bruges  au  commencement  du  mois 
de  juillet  1468  (III,  192). 

2.  Charles,  fils  du  duc  de  Bourbon  Charles  1"  et  frère  du  duc 
Jean  II,  naquit  à  Moulins  vers  1434,  fut  élu  archevêque  de  Lyon 
à  l'âge  de  dix  ans,  mais  ne  fut  consacré  qu'en  1466.  Prieur  com- 
mendataire  de  Souvigny  (1457),  légat  à  Avignon  (1465),  ce  prélat 
guerrier  et  diplomate,  grand  protecteur  des  arts  et  des  lettres,  sut, 
malgré  la  part  qu'il  prit  au  Bien-Public,  gagner  la  faveur  de 
Louis  XI  et  la  conserver  longtemps.  Ses  mœurs  peu  austères  ne 
l'empêchèrent  pas  d'être  nommé  cardinal  au  litre  de  Saint-Sil- 
vestre  et  de  Saint-Martin-des-Monts  (18  déc.  1476).  Il  mourut  à 
Lyon  le  13  septembre  1488.  Sur  ce  personnage,  fréquemment 
mentionné  dans  la  Chronique  Scandaleuse,  on  trouvera  des  notices 
biographiques  dans  la  Revue  du  Lyonnais  (nouv.  série),  t.  X  et  XI, 
et  dans  La  Mure,  Hisl.  des  ducs  de  Bourbon,  II,  376  et  suiv. 

3.  Louis  XI  fut  à  Lagny-sur-Marne  le  18  juin  et  les  jours  sui- 
vants (Itin.  cité). 

4.  Mercredi  25  mai  1468. 


206  JOURN.U.  DE  JEAN  DE  ROYE  [1468 

Tours,  audit  lieu  d'Amboise  et  autres  lieux  en  Touraine. 

Et,  quant  le  roy  se  partit  de  Laigny,  où  il  s'estoit 
tenu  par  aucunes  journées,  pour  aler  à  Meaulx,  il 
envoya  à  Paris  son  mandement,  pour  faire  publier  par 
les  carrefours  d'icelle  ville  que  tous  nobles  et  gens 
suivans  la  guerre  feussent  tous  prestz  et  en  armes  le 
viii^  juillet,  pour  aler  et  eulx  trouver  où  il  leur  seroit 
ordonné  de  par  le  roy,  et  sur  peine  de  confiscacion 
de  corps  et  de  biens  ^. 

Et  puis,  ces  choses  ainsi  faictes,  le  roy  s'en  ala  à 
Meaulx.  Et,  durant  ce  qu'il  y  fut^,  y  ot  ung  homme 
natif  de  Bourbonnois,  qui,  pour  aucuns  cas  par  lui 
commis  et  pour  avoir  révélé  les  faiz  du  roy  aux  anciens 
ennemis  les  Anglois,  fut  décapité  audit  lieu  de  Meaulx 
le  lundi  xxvii®  jour  de  juing,  oudit  an  LXVIII.  Et, 
auparavant,  le  roy  envoya  à  Paris  le  prince  de  Pymont, 
filz  du  duc  de  Savoye,  pour  bouter  le  feu  en  Grève  ^  ; 
et  si  mist  en  ladicte  ville  de  Paris  les  prisonniers  à 
délivrance  qui  estoient  en  Parlement,  en  Ghastellet  et 
autres  prisons. 

1 .  La  trêve  entre  la  France  et  la  Bourgogne,  prorogée  par  accord 
signé  à  Bruges,  le  26  mai  précédent,  par  le  comte  de  Saint-Pol, 
au  nom  du  roi,  devait  prendre  fin  le  15  juillet  (voy.  Vaesen, 
Lettres  de  Louis  XI,  UI,  229,  234).  Guyot  Pot,  seigneur  de  la 
Prugne-au-Pot,  chargé  par  Louis  XI  de  négocier  une  nouvelle 
prorogation  de  la  trêve,  réussit  à  l'obtenir  jusqu'à  la  fin  de  juillet 
[Ibid.,  239). 

2.  Louis  XI  y  séjourna  du  24  juin  au  milieu  du  mois  de  juillet 
(Itin.  cité). 

3.  Charles,  prince  de  Piémont,  iils  d'Amédée,  duc  de  Savoie,  et 
de  Yolande  de  France,  naquit  le  15  septembre  1456,  et  on  trou- 
vera plus  loin  la  mention  de  sa  mort  au  mois  de  juin  1471.  — 
C'était  un  privilège  royal  que  de  mettre  le  feu  au  bûcher  élevé 
sur  la  place  de  Grève,  à  Paris,  le  jour  de  la  Saint-Jean  (24  juin). 


1468]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  207 

Environ  ce  temps,  y  ot  ung  nommé  Charles  de 
Meleun,  homme  d'armes  de  la  compaignie  de  mon- 
seigneur l'admirai,  lequel  de  Meleun  est  oit  cappitaine 
de  llsson  en  Auvergne,  qui  avoit  la  garde  de  par  le 
roy  du  seigneur  du  Lau  sur  sa  vie  audit  lieu  de  Hus- 
son,  dont  il  eschappa.  De  quoy  le  roy  fut  fort  desplai- 
sant et  pour  ledit  cas  fist  constituer  prisonnier  ledit 
de  Meleun  au  chasteau  de  Loches,  auquel  lieu  et  pour 
icellui  cas  fut  décapité.  Et,  après  lui,  fut  aussi  déca- 
pité pour  icellui  cas  ung  jeune  fîlz  nommé  Remonnet, 
qui  estoit  filz  de  la  femme  dudit  Charles  de  Meleun,  en 
la  ville  de  Tours.  Et  si  fut  aussi  pour  icellui  cas  déca- 
pité en  ladicte  ville  de  Meaulx  le  procureur  du  roy 
audit  Heu  de  Husson^.  Et  puis  le  roy  s'en  ala  dudit 
lieu  de  Meaulx  à  Senlis  et  à  CreiP. 

i.  Il  y  a  ici  une  erreur  déjà  signalée  par  M.  Vaesen  (Lettres  de 
Louis  XI,  III,  281,  n.  4),  d'après  l'interrogatoire  que  Tristan  l'Ermite 
fit  subir  à  René  des  Nobles,  homme  d'armes  dans  la  compagnie  du 
bâtard  de  Bourbon,  auquel  le  seigneur  d'Arcinges,  capitaine  d'Us- 
son,  avait  confié,  en  son  absence,  la  garde  du  seigneur  du  Lau. 
Pour  rétablir  les  faits,  il  faut  donc  remplacer  dans  ce  paragraphe 
le  nom  de  Charles  de  Melun  par  celui  de  René  des  Nobles.  —  Le 
Remonnet  dont  il  est  aussi  question  ici  est  un  certain  Remonnet 
de  la  Salle,  qui  avait  préparé  l'évasion,  de  concert  avec  Poncet 
de  Rivière  et  la  dame  d'Arcinges.  Mis  à  la  torture,  Des  Nobles 
avoua  que  Remonnet  lui  avait  promis  1,000  écus  pour  qu'il  s'ab- 
sentât d'Usson  au  jour  fixé  pour  l'évasion.  Il  est  probable  que 
notre  chroniqueur,  ayant  à  parler  quelques  lignes  plus  loin  de 
Charles  de  Melun,  a  commis  une  confusion  de  noms.  —  Mau- 
point  ne  nomme  pas  le  lieutenant  du  capitaine  d'Usson,  mais  dit 
qu'il  fut  décapité  à  Meaux  avec  d'autres  pendant  le  séjour  du  roi 
dans  cette  ville  (Journal,  p.  106).  C'est  au  mois  de  mai  ou  au 
mois  de  juin  1468  que  l'évasion  de  Du  Lau  prit  place. 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  LVII.  —  Louis  XI  se  rendit  à 
Senlis  et  à  Creil  du  16  au  19  juillet  1468  pour  s'opposer  à  une 
agression  prévue  du  duc  de  Bourgogne,  qui  avait  réuni  à  Péronne 


208  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1468 

Oudit  temps,  les  Bourguignons  ou  Bretons  estans 
en  Normandie  prindrent  le  seigneur  de  Merreville, 
séant  entre  Saint- Sa ulveur  de  Dyve  et  Gaen,  et  lui 
firent  rendre  et  mettre  en  leurs  mains  sadicte  place, 
dedens  laquelle  y  avoit  plusieurs  frans  archiers;  et, 
incontinent  qu'ilz  furent  dedens,  tuèrent  et  murdrirent 
tout  ce  qu'ilz  y  trouvèrent,  et  puis  pendirent  ledit  sei- 
gneur de  Merreville  et  pillèrent  tout  ce  qu'ilz  trou- 
vèrent et  puis  boutèrent  le  feu  en  ladicte  place  ^. 

Et  après,  le  roy  se  desloga  de  Greil  et  s'en  ala  à  Com- 
piengne,  où  il  fut  depuis  par  aucun  temps,  et  puis 
s'en  retourna  à  Senlis^.  Et  d'ilec  s'en  vint  à  Paris 
mons.  le  duc  de  Bourbon,  le  jour  feste  d'Assumpcion 
Nostre-Dame^.  Et  par  avant  le  roy  avoit  envoyé  par 
devers  le  duc  de  Bourgongne  monseigneur  de  Lion, 
monseigneur  le  connestable  et  autres  seigneurs  pour 
tousjours  se  mettre  en  devoir  et  trouver  partout  bon 
moien  de  paix  sans  figure  de  guerre.  Et,  ce  non  obs- 

environ  15,000  hommes  et  un  nombreux  charroi.  Et,  dit  Chastel- 
lain,  «  là  où  le  roi  autre  part  pouvoit  guerroyer  contre  son  frère 
par  commission  de  capitaines  tels  et  tels,  ici  il  vouloit  quérir  et 
prendre  son  adventure  en  sa  propre  personne  »  (V,  424). 

1.  Merville,  auj.  dép.  du  Calvados,  arr.  de  Gaen.  Les  assaillants 
pouvaient  bien  être  bourguignons,  car,  à  la  fin  de  juin,  Pierre  de 
Miraumont,  chevalier,  et  le  bailli  de  Saint-Omer,  Rabodanges, 
avaient  quitté  le  port  de  l'Écluse  avec  une  quarantaine  d'hommes 
d'armes  et  500  archers,  faisant  voile  sur  Gaen,  pour  y  prêter  main- 
forte  aux  Bretons  {Anchiennes  Croniques  d'Engleterre,  par  Jean 
de  Wavrin,  publiées  par  M"o  Dupont  pour  la  Société  d'histoire 
de  France,  t.  III,  Appendice,  p.  267  et  suiv.  Cf.  Maupoint,  Joicr- 
nul,  p.  106). 

2.  L'Itinéraire  signale  la  présence  de  Louis  XI  à  Compiègne 
du  20  juillet  au  14  août,  puis  à  Senlis  et  aux  environs  jusqu'au 
25  août. 

3.  Interpolations  et  variantes,  §  LVIII. 


1468]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  209 

tant,  le  roy  envoya  son  armée  ou  pays  de  Normendie, 
dont  avoit  la  charge  et  condiiicte  monseigneur  son 
admirai,  qui  bien  y  besongna,  car,  en  moins  d'un 
moys,  il  chassa  les  Bretons  estans  dedens  Baieux. 

Et  puis  après,  le  samedi  xx®  jour  d'aoust,  oudit  an 
mil  IIIP  LXVIII,  messire  Charles  de  Meleun,  seigneur 
de  Normanville,  qui  avoit  esté  grant  maistre  d'ostel  du 
roy^  et  lequel  nouvellement  avoit  esté  constitué  pri- 
sonnier ou  chasteau  de  Gaillart^,  en  la  garde  du  conte 
de  Dampmartin,  cappitaine  dudit  lieu,  fut  par  le  pre- 
vost  des  mareschaulx  fait  son  procès  sur  les  cas  à  lui 
imposez,  et  ledit  jour  fut  tiré  hors  de  sa  prison  et 
mené  au  marchié  d'Andely,  où  ilec  publiquement 
devant  tous  fut  décapité  et  mis  à  mort^. 

1.  Interpolations  et  variantes,  §  LIX. 

2.  C'est  la  célèbre  forteresse  construite  par  Richard  Gœur-de- 
Lion  et  dont  les  ruines  imposantes  dominent  encore  le  cours  de 
la  Seine  et  le  Petit- Andely. 

3.  L'exécution  de  Charles  de  Melun  fut  avant  tout  une  revanche 
du  comte  de  Dammartin  et  une  vengeance  du  cardinal  Balue.  Son 
interrogatoire  et  les  dépositions  apportées  à  son  procès  (Bibl.  nat., 
ms.  fr.  2921,  copie  de  la  fin  du  xv»  siècle)  ne  permettent  aucune- 
ment d'affirmer  que  l'ex-favori  ait  trahi  la  cause  royale  en  1465. 
Au  reste,  la  manière  dont  Tristan  l'Ermite  brusqua  le  dénouement, 
en  profitant  de  l'absence  de  quelques-uns  des  commissaires  envoyés 
à  Senlis  pour  recueillir  le  témoignage  de  Louis  XI  lui-même  sur 
certaines  allégations  de  l'accusé,  est  une  preuve  suffisante  de  la 
monstrueuse  iniquité  qui  présida  à  toute  cette  affaire.  Mis  à  la 
question  le  20  août,  Melun  paraît  n'avoir  rien  avoué,  mais  n'en  fut 
pas  moins  déclaré  par  Tristan  convaincu  de  lèse-majesté,  confessé 
à  la  hâte  et  entraîné  jusqu'au  Petit-Andely,  où  on  lui  trancha 
la  tête  «  sans  charge  et  sans  quelque  figure  de  procès  ne  con- 
derapnacion  aucune.  »  Ses  biens  confisqués  furent  remis  à  Dam- 
martin et  plus  tard  restitués  en  partie  à  ses  enfants.  La  Chronique 
anonyme  déjà  citée  (ms.  fr.  20354,  fol.  189  v»),  dont  M''^  Dupont 
a  imprimé  de  nombreux  extraits  en  appendice  de  son  édition  de 


210  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1468 

Et,  depuis  ce,  le  roy  se  tint  par  certain  long  temps 
à  Noyom,  Compiengne,  Ghauny  et  autres  places  envi- 
ron, jusques  au  xv®  jour  de  septembre,  que  nouvelles 
lui  furent  ilec  apportées  que  mons.  Charles,  son  frère, 
et  le  duc  de  Bretaigne  s'estoient  reunys  et  devenus 
bons  amis  et  bienvueillans  au  roy,  et  prest  ledit  mon- 
seigneur Charles  de  prendre  la  pension  de  lx"  1.  t. 
par  an,  jusques  à  ce  que  sop  appanage  lui  eust  esté 
assigné  selon  le  dit  de  plusieurs  princes  et  seigneurs 
que  ledit  monseigneur  Charles  esliroit  pour  ce  faire, 
et  ausquelz  il  se  vouloit  rapporter  :  c'est  assavoir 
messeigneurs  les  duc  de  Calabre  et  connestable  de 
France.  Et  ledit  duc  de  Bretaigne  offrit  bailler  au  roy 
les  villes  que  lui  et  ses  gens  tenoient  en  Normendie, 
en  lui  rendant  et  restituant  les  autres  villes  et  places 
que  les  gens  du  roy  tenoient  en  Bretaigne  ;  laquelle 
chose  le  roy  lui  accorda^. 

Et  puis  le  roy  fist  savoir  ces  choses  au  duc  de  Bour- 
gongne,  qui  estoit  atout  son  ost  aux  champs  près  de 
Peronne,  entre  Esclusiers  et  Cappy,  sur  la  rivière  de 
Somme^.  Desquelles  nouvelles  il  ne  voulu  riens  croire 

Jean  de  Wavrin,  s'exprime  comme  suit  sur  l'exécution  du  seigneur 
de  Nantouillet  :  «  La  cause  pourquoy,  je  ne  le  say,  sinon  que  telle 
fut  la  voulenté  du  roy,  qui  n'avoit  mercy  d'homme  sur  lequel  il 
eust  aucune  mauvaise  souspechon.  Et  dist  on  que,  du  premier 
cop  que  le  boureil  lui  donna,  il  ne  luy  coppa  la  teste  que  au  moic- 
tié  et  que  le  chevalier  se  releva  et  dit  tout  hault  qu'il  n'avoit 
coulpe  en  ce  que  le  roy  luy  admettoit  et  qu'il  n'avoit  la  mort  des- 
servie, mais,  puisque  c'estoit  le  plaisir  du  roy,  il  prennoit  la  mort 
en  gré.  Et,  quand  il  eut  ce  dit,  il  fut  pardecapitez  »  (Anchienncs 
Croniques  d'Englelerre,  t.  III,  p.  274  et  suiv.). 

1.  Le  traité  d'Ancenis  porte  la  date  du  10  septembre  (Texte  dans 
D.  Morice,  lU,  188). 

2.  Eclusier-Vaux  et  Cappy  sont  auj.  dans  le  dép.  de  la  Somme, 
arr.  de  Péronne. 


1468]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  211 

jusques  à  ce  qu'il  en  fut  autrement  acertené  par  lesdiz 
monseigneur  Charles  et  duc  de  Bretaigne;  laquelle 
chose  lui  fut  depuis  dicte  et  certifiée  par  le  herault 
dudit  duc  de  Bretaigne*.  Mais,  ce  non  obstant,  il  ne 
s'en  voulut  aler  ne  desemparer  son  ost,  mais  s'en  ala 
avecques  sondit  ost  tenir  et  édifier  ung  parc  audit  lieu 
d'entre  Esclusiers  et  Gappy,  le  dos  au  long  de  ladicte 
rivière  de  Somme ^.  Et,  pendant  certain  temps  qu'ilz 
y  furent,  furent  envoiez  par  diverses  foiz  audit  duc 
de  Bourgongne  de  par  le  roy  plusieurs  ambasseurs 
comme  monseigneur  le  connestable,  monseigneur  le 
cardinal  d'Angers,- maistre  Pierre  d'Oriole^  et  autres, 
pour  tousjours  cuider  trouver  moien  de  bonne  amour 
et  pacificacion  de  paix  du  costé  du  roy,  qui  tousjours 
la  vouloit  avoir,  ja  soit  ce  que  les  cappitaines  et  gens 
de  guerre  du  roy  n'en  estoient  point  d'opinion,  mais 
requeroient  au  roy  qu'il  les  laissast  faire  et  qu'ilz  ren- 

1 .  «  Bien  fort  esbahy  fut  le  duc  de  Bourgongne  de  ces  nouvelles, 
veu  qu'il  ne  s'estoit  mis  aux  champs  que  pour  secourir  lesdiz 
ducz,  et  fut  en  grant  dangier  ledit  herault...  »  (Commynes,  éd. 
Dupont,  I,  150.  Cf.  Ghastellain,  V,  430). 

2.  «  Durant  le  temps  que  le  duc  se  tenoit  en  son  parc,  il  fesoit  si 
pluvieux  que  merveille  seroit  à  conter  comment  ne  luy  ne  ses  gens 
s'y  povoient  tenir...,  et  tellement  que  le  duc  se  trouva  constraint 
par  la  clameur  qu'il  en  oyt  de  se  lever  et  de  changer  lieu  plus  au 
couvert...  Sy  se  conclut  enfin  de  desloger  et  crut  conseil  et  s'alla 
loger  à  Lihons  en  Santers  atout  sa  bataille...  »  (Ghastellain,  V, 
435  et  suiv.). 

3.  Interpolations  et  variantes,  §  LX.  —  «  Vint  de  par  le  roy  le 
cardinal  Ballue,  ambassadeur,  qui  peu  y  arresta,  etc.  »  (Com- 
mynes, éd.  Dupont,  I,  149).  Et  Ghastellain  :  «  Moult  se  donnoit 
de  peine  le  conte  de  Saint-Pol,  connestable,  en  cestuy  parlement, 
afin  de  les  unir,  et  jour  et  nuit  alloit  et  venoit  entre  deux,  puis 
devers  l'un,  puis  devers  l'autre. .  Là  avoit  fort  à  faire...  »  (t.  V, 
p.  437). 

I  16 


212  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1468 

droient  ledit  duc  de  Bourgongne  et  ceulx  de  sadicte 
compaignie  tout  à  son  bon  plaisir  et  voulenté.  Laquelle 
chose  il  ne  voulut  souffrir,  ne  tolérer  qu'on  leur  cou- 
rust  sus,  mais  leur  défendit  de  le  faire  et  sur  la  hart^. 
Et,  durant  ce  temps  et  jusques  au  xii"  jour  d'oc- 
tobre ensuivant  mil  IIIPLXVIII,  furent  grans  nouvelles 
que  le  roy  et  ledit  duc  de  Bourgongne  avoient  fait 
une  trefve  jusques  au  moys.  d'avril  prouchain  ensui- 
vant. Et,  sur  l'espérance  d'icelle  trefve,  le  roy  délibéra 
soy  en  retourner  de  Gompiengne,  où  il  estoit^,  pour 
s'en  venir  à  Greil  et  à  Pontoise.  Et,  pour  ceste  cause, 
envoya  ses  fourriers  audit  lieu  de  Pontoise,  qui  y 
prindrent  son  logis;  mais  depuis  il  changa  propos  et 
retourna  hastivement  dudit  lieu  de  Gompiengne  à 
Noyom^,  où  peu  de  temps  par  avant  y  avoit  esté.  Pen- 
dant lequel  temps  Philippe  de  Savoye ,  Poucet  de 
Rivière,  le  seigneur  d'Ulfé,  le  seigneur  du  Lau  et 
autres,  qui  s'estoient  mis  et  meslez  ensemble,  firent 
moult  de  maulx'*. 

1.  «  Gestuy  orgueilleux  rebelle  Charles,  faux,  maudit  Anglois 
qu'il  est,  sera  rué  aussy  pour  ses  péchés...  Que  l'on  fiere  dedans! 
De  par  tous  les  mille  grans  deables,  que  l'on  y  fiere!  Que  dissi- 
mule tant  le  roy,  qui  cy  pend  à  l'escout  et  se  fait  brebis  et  bar- 
gaigne  l'on  de  sa  peau  ou  de  sa  laine?...  Telles  et  si  faites  estoient 
les  paroles  des  François,  fait  à  penser  entre  les  gens  d'armes  et 
qui  desiroient  la  guerre  pour  le  gagnage  et  aucuns  aussy  par 
haine  formée  de  vieil  temps  contre  la  maison  de  Bourgongne..., 
mais  entre  les  gens  du  Conseil  estoit  l'avis  tout  autre  »  (Ibid., 
439-442). 

2.  Louis  XI  demeura  à  Compiègne  du  17  septembre  à  la  lin  du 
mois  tout  au  moins  (Itin.  cité). 

3.  Interpolations  et  variantes,  §  LXI, 

4.  Philippe,  seigneur  de  Bresse,  etc.,  fils  puîné  de  Louis,  duc 
de  Savoie,  et  d'Anne  de  Chypre,  né  en  1438,  duc  de  Savoie  en 
1400,  mort  l'année  suivante,  avait  passé  deux  ans  au  château  do 


1468]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  213 

Et  cependant,  le  samedi  viii^  jour  du  moys  d'oc- 
tobre, fut  cryé  à  son  de  trompe  par  les  carrefours  de 
Paris  que  tous  les  nobles  tenans  en  fief  ou  arrière  fief 
de  la  prevosté  et  viconté  de  Paris  feussent  tous  prestz 
et  en  armes  à  Gonnesse^  pour  d'ilecques  partir  le 
lundi  ensuivant  [10  octobre]  et  aler  où  mandé  leur 
seroit.  Lequel  cry  esbahy  beaucop  plusieurs  de  Paris, 
qui  cuidoient  bien  que  veu  ledit  cry  il  n'y  avoit  point 
de  trefve  ne  abstinence.  Et  puis  le  roy,  qui  estoit  à 
Noiom,  s'en  party,  et  ledit  duc  de  Bourgongne  s'en 
party  pour  aler  a  Peronne  ;  auquel  lieu  le  roy  s'en  ala 
bien  hastivement  pardevers  ledit  de  Bourgongne  audit 
Peronne,  et  y  ala  à  bien  privée  mesgnée,  car  il  n'avoit 
avecques  lui  que  ledit  cardinal  et  ung  peu  de  gens  de 
son  hostel,  monseigneur  le  duc  de  Bourbon  et  autres. 
Et,  ainsi  privéement  que  dit  est,  s'en  ala  jusques  audit 
lieu  de  Peronne  pardevers  ledit  Gharrolois,lexnif  jour 
dudit  moys  d'octobre  2.  Lequel  Gharrolois  lui  fist  grande 

Loches  (1464-1466)  en  expiation  de  ropposition  très  vive  qu'il  avait 
laite  à  la  politique  de  Louis  XI,  son  beau-frère,  en  Savoie.  —  On 
sait  à  la  suite  de  quelles  circonstances  Poncet  de  Rivière  et  le 
seigneur  du  Lau  avaient  déserté  la  cause  du  roi.  Quant  à  Pierre, 
seigneur  d'Urfé,  de  la  Bastie,  etc.,  il  avait  embrassé  le  parti  de 
Charles  de  France  en  1465  et  demeura  toujours  hostile  à  Louis  XI. 
Grand  écuyer  de  Bretagne  sous  le  duc  François  II,  il  exerça  la 
même  charge  en  France  auprès  de  Charles  VIU  (4  nov.  1483  ;  voy. 
Vaesen,  Lettres  de  Louis  XI,  IV,  257  et  suiv.).  Tous  ces  seigneurs 
faisaient  partie  du  contingent  que  le  maréchal  de  Bourgogne  ame- 
nait au  duc  Charles  (Commynes,  éd.  Dupont,  1,  153  et  suiv.). 

1.  Gonesse,  auj.  dép.  de  Seine-et-Oise,  arr.  de  Pontoise. 

2.  Louis  XI  arriva  à  Peronne  le  dimanche  9  octobre.  On  notera 
l'inexactitude,  sans  doute  voulue,  des  premières  relations  de  l'en- 
trevue de  Peronne  qui  circulèrent  à  Paris.  Notre  chroniqueur  se 
montrera  mieux  informé  dans  la  suite  (voy.  plus  loin,  à  la  date 
du  mois  d'avril  1469).  La  paix  fut  jurée  entre  le  roi  et  le  duc  de 


214  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1468 

révérence  comme  bien  tenu  y  estoit  ;  et  puis  parlèrent 
ensemble  longuement  et  devindrent  bien  contens  l'un 
de  l'autre,  quelque  rumeur  qu'il  y  eust  eue  aupara- 
vant, et  tellement  pacifièrent  ensemble  qu'ilz  firent 
entr'eulx  paix,  et  jura  ledit  monseigneur  de  Bourgongne 
que  jamais  ne  feroit  riens  contre  le  roy  et  qu'il  vou- 
loit  du  tout  vivre  et  mourir  pour  lui.  En  faisant  laquelle 
paix  le  roy  lui  conferma  1er  traictié  d'Arras  et  autres 
choses,  ainsi  que  depuis  il  le  manda  et  fist  assavoir 
aux  nobles,  gens  d'église,  à  sa  court  de  Parlement  et 
autre  populaire  de  sa  ville  de  Paris,  qui,  pour  cause 
de  ce  et  par  son  ordonnance,  firent  processions  géné- 
rales, chantans  aux  églises  Te  Deum  laudamus  et  autres 
belles  louenges  à  Dieu,  les  feux  fais  parmy  les  rues  et  j 
tables  drecées,  donnans  à  boire  à  tous  venans  ;  et  plu-  i 
sieurs  autres  grans  joyes  en  furent  faictes  en  ladicte 
ville  de  Paris  ^ . 

Et,  en  ces  entrefaictes,  vint  nouvelles  que  les  Lie- 
gois  avoient  prins  et  tué  leur  evesque  et  tous  ses  offi- 
ciers-; dont  et  de  quoy  le  roy,  ledit  monseigneur  de 

Bourgogne  le  14  octobre,  vers  dix  heures  du  matin,  après  une 
nuit  orageuse,  pendant  laquelle  Charles  le  Hardi  parut  à  plusieurs 
reprises  sur  le  point  de  se  défaire  de  son  ennemi  (voy.  le  célèbre 
récit  de  Commynes,  éd.  Dupont,  I,  158-176.  Cf.  ibid.,  III,  237; 
Lenglet,  III,  22,  et  Vacsen,  Lettres  de  Louis  XI,  III,  289). 

1.  A  Amiens,  comme  à  Paris,  on  chanta  un  Te  Deum  et  on  fit 
des  réjouissances  lorsqu'on  apprit  la  conclusion  de  la  paix,  sans 
en  connaître  les  circonstances,  bien  entendu.  Maupoint,  qui  entre 
dans  beaucoup  plus  de  détails  que  Jean  de  Roye,  ne  dit  pas  que 
Louis  XI  ait  été  la  victime  d'une  trahison  [Journal,  p.  107  et  s.). 

2.  Les  réfugiés  liégeois  certifiaient  même  qu'ils  avaient  vu  dos 
ambassadeurs  du  roi  de  France  exciter  les  Liégeois  rebelles.  Le 
duc  se  mit  en  une  grande  colère,  «  disant  que  le  roy  estoit  venu 
là  pour  le  tromper...  et  le  menassoit  fort  »  (Commynes,  éd.  Dupont, 
I,  162).  Michelet  soutient,  avec  le  chroniqueur  liégeois  Adrien  de 


1468]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  215 

Bourgongne,  monseigneur  le  duc  de  Bourbon  et  mes- 
seigneurs  ses  frères  et  autres  furent  moult  desplaisans 
et  marris  ;  et  fut  grans  nouvelles  que  le  roy  et  ledit 
seigneur  de  Bourgongne  yroient  en  personnes  pour 
punir  et  destruire  lesdiz  Liegois.  Et  après,  vindrent 
autres  nouvelles  que  ledit  evesque  n'estoit  point  mort 
ne  prins,  mais  l'avoient  iceulx  Liegois  contraint  de 
chanter  messe.  Et  depuis  se  tindrent  iceulx  Liegois 
bien  contens  de  lui  et  se  rendirent  tous  à  lui  comme  à 
leur  vray  seigneur  naturel,  et  eulx  offrant  à  lui  à  tout 
son  bon  plaisir  faire,  cuidans  à  ceste  cause  appaiser 
tout  le  maltalent  de  auparavant. 

En  ce  temps,  le  roy  s'en  ala  à  Nostre-Dame  de  Haulx 
en  Alemaigne,  où  il  ne  séjourna  gueres^.  Aussi  Phi- 
lippe de  Savoie  et  autres  estans  avecques  lui  firent 
leur  paix  au  roy  par  le  moien  dudit  seigneur  de  Bour- 
gongne. Et,  après  que  le  roy  ot  fait  son  voyage  et 
pèlerinage  audit  lieu  de  Nostre-Dame  de  Haulx,  il  s'en 
ala  à  Namur  pardevers  ledit  seigneur  de  Bourgongne, 
où  on  lui  fist  délibérer  d'aler  avec  ledit  de  Bourgongne 
devant  la  cité  du  Liège-,  où  ilz  furent  et  demourerent 

Vieux-Bois,  que  la  nouvelle  du  soulèvement  des  Liégeois  ne  fut 
pas  une  surprise  pour  le  duc  de  Bourgogne. 

1.  Ghastellain  nomme  plusieurs  fois  Notre-Dame  de  Haulx.  C'est 
aujourd'hui  Hal,  petite  ville  du  Hainaut,  sur  la  Senne,  à  17  kilo- 
mètres environ  au  sud  de  Bruxelles,  avec  une  célèbre  église 
dédiée  à  la  Vierge.  Il  y  a  une  soixantaine  de  kilomètres  de  Namur 
à  Hal.  L'itinéraire  de  Charles  le  Hardi  veut  que  les  deux  princes 
aient  séjourné  à  Namur  du  11  au  24  octobre  1468  (Lenglet,  H, 
192);  c'est  sans  doute  pendant  ce  temps  que  Louis  XI  fit  son 
pèlerinage  à  Hal. 

2.  Ce  n'est  pas  à  Namur,  mais,  dès  le  14  octobre,  à  Péronne, 
alors  que  l'évéque  de  Liège  passait  pour  mort,  que  le  roi  fit  la 
proposition  d'accompagner  le  duc  à  Liège  ;  plus  tard  Charles  ne 
lui  permit  pas  de  se  dédire  (Basin,  II,  200). 


216  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1468 

depuis  par  aucun  temps  logez  aux  faulxbourgs  d'icelle, 
y  tenant  le  siège  ^.  Et  avecques  le  roy  y  estoient  mon- 
seigneur de  Bourbon,  monseigneur  de  Lyon,  mon- 
seigneur de  Beaujeu  et  monseigneur  l'evesque  dudit 
Liège,  tous  frères.  Lequel  monseigneur  du  Liège  esloit 
yssu  hors  d'icelle  ville  pour  aler  devers  mondit  sei- 
gneur le  duc  de  Bourgongne,  pour  savoir  s'il  pourroit 
trouver  aucun  bon  appoinctement  pour  les  habitans 
dudit  Liège,  en  lui  offrant  pour  eulx  lui  bailler  et 
délivrer  ladicte  ville  et  tous  les  biens  de  dedens,  pour- 
veu  que  les  habitans  d'icelle  ville,  hommes,  femmes 
et  enfans,  eussent  leur  vie  saulve  seulement,  dont  il 
ne  voult  riens  faire,  mais,  au  contraire,  tîst  serement 
que  lui  et  tous  ses  satellites  mourroient  en  la  pour- 
suite, ou  il  auroit  ladicte  ville  et  tous  les  habitans 
d'icelle  pour  en  faire  du  tout  à  son  plaisir  et  voulenté  ; 
et  retint  pardevers  lui  ledit  evesque  du  Liège,  sans 
vouloir  souffrir  qu'il  s'en  retournast  en  ladicte  ville, 
non  obstant  que  ledit  evesque  avoit  promis  et  juré 
ausdiz  de  Liège  de  retourner  pardevers  eulx  et  de 
vivre  et  mourir  avecques  eulx.  Et  tantost  après  le 
parlement  dudit  evesque  de  ladicte  ville  et  cité  du 
Liège,  et  que  lesdiz  Liegois  furent  advertis  que  leur- 
dit  evesque  estoit  détenu  par  ledit  de  Bourgongne  et 
ne  s'en  povoit  retourner  en  ladicte  ville,  iceulx  Lie- 
gois firent  plusieurs  saillies  sur  lesdiz  Bourguignons  et 
gens  du  roy  et  sur  leurs  compaignies  ;  lesquelz  Liegois, 
quant  aucuns  en  povoient  prendre,  les  mettoient  à 

1.  Louis  XI  et  Charles  le  Hardi  arrivèrent  dcvuut  Liùge  le 
27  octobre,  alors  que  l'avant-garde  bourguignoaae  venait  d'y 
subir  un  échec  assez  rude  (Commynes,  éd.  Dupont,  I,  170  et 
suiv.  Cf.  Lenglet,  II,  193,  et  Vaesen,  LcUres  de  Louis  XI.  III,  300). 


1468]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  217 

mort  et  gens  et  chevaulx^.  Mais,  non  obstant  toutes 
ces  choses,  le  dimenche  xxx^  et  penultime  jour  d'oc- 
tobre, oudit  an  IIIF  LXVIII,  entre  ix  et  x  heures  de 
matin,  ledit  duc  de  Bourgongne  fist  ordonner  de  bail- 
ler et  livrer  assault  en  icelle  ville;  ce  qui  fut  fait-.  Et 
y  entrèrent  iceulx  Bourguignons  sans  aucune  resis- 
tence  ;  et  y  entra  aussi  le  roy  et  les  ducs  de  Bourgongne, 
monseigneur  de  Bourbon,  messeigneurs  de  Lion,  du 
Liège  et  Beaujeu,  frères.  Et,  à  l'eure  dudit  assault,  la 
plus  grande  et  saine  partie  des  habitans  d'icelle  cité 
s'enfouirent  et  retrahirent  et  laissèrent  ung  peu  de 
populaire  comme  femmes,  enfans,  prestres,  rehgieuses 
et  vielz  et  anciens  hommes,  qui  tous  y  furent  tuez  et 
murdris^.  Et  moult  d'autres  merveilleuses  cruaultez  et 
inhumanitez  y  furent  faictes,  comme  jeunes  filles  et 
femmes  efforcées  et  violées,  et,  après  le  desordonné 
plaisir  prins  d'elles,  les  tuer  et  murdrir,  les  religieuses 
aussi  efforcer,  petis  enfans  tuer  et  prestres  consacrans 

1.  Voir  dans  Commynes  (éd.  Dupont,  I,  187  et  suiv.)  le  récit 
de  l'héroïque  sortie  des  600  montagnards  du  Franchimont,  qui, 
dans  la  nuit  du  29  octobre,  faillirent  enlever  le  duc  de  Bour- 
gogne et  le  roi  lui-même  (cf.  ibid.,  Preuves,  III,  239). 

2.  L'assaut  fut  donné  de  trois  cotés  à  la  fois  par  les  gens  du 
duc,  par  ceux  de  Philippe  de  Savoie,  par  ceux  du  maréchal  de 
Bourgogne  (Commynes,  éd.  Dupont,  III,  246  et  suiv.). 

3.  «  Cives...  modicam  resistentiam  objecerunt,  sed  aurum  et 
argentum,  seu  quod  facile  exportari  posse  putabatur  qui  potue- 
runt  rapientes,  per  turmas  transmisso  flumine  aufugerunt  » 
(Basin,  II,  204)  ;  et  Commynes  :  «  Je  ne  veiz  par  là  où  nous 
estions  que  trois  hommes  mors  et  une  femme,  et  croy  qu'il  n'y 
mourut  point  200  personnes  en  tout,  que  tout  le  reste  ne  fuyst 
ou  se  cachast  aux  églises  ou  aux  maisons  »  (éd.  Dupont,  I,  195, 
197,  et  III,  240  et  suiv.).  Ceci  ne  s'applique  qu'à  l'assaut;  les 
jours  suivants,  on  noya  et  pendit  tous  ceux  qui  ne  purent  payer 
une  rançon  {Ibid.,  I,  196  et  suiv.).  La  ville  fut  incendiée  le 
3  novembre  par  ordre  du  duc  {Ibid.,  III,  252). 


918  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1468 

corpus  domini  aussi  tuez  et  murdris  dedens  les  églises. 
Et,  après  toutes  ces  choses  faictes,  roberent  et  pillèrent 
toute  ladicte  ville  et  cité  et  en  après  la  bruslerent  et 
ardirent  et  gecterent  la  muraille  dedens  les  fossez^ 

Et,  après  toutes  ces  choses  ainsi  faictes  que  dit  est, 
le  roy  s'en  retourna  à  Senlis  et  Compiengne,  où  il 
manda  aler  pardevers  lui  toute  sa  court  de  Parlement, 
sa  Chambre  des  Comptes,  generaulx  [des]  finances  et 
autres  ses  officiers  :  ce  qu'ilz  firent.  Et,  eulx  venus  et 
arrivez  pardevers  lui,  fist  et  ordonna  plusieurs  choses; 
et  aussi,  pour  ce  qu'il  n'avoit  pas  intencion  de  séjour- 
ner audit  lieu,  il  tist  proposer  par  la  bouche  dudit  car- 
dinal d'Angers  à  tous  les  dessusdiz  officiers  tout  ce 
qui  par  lui  avoit  esté  accordé  audit  seigneur  de  Bour- 
gongne,  qui  plus  à  plain  estoit  contenu  et  spécifié  en 
XLii  articles  qui  par  ledit  cardinal  furent  declairez  lors 
ausdiz  officiers,  en  leur  disant  de  par  le  roy  que  son 
plaisir  estoit  que,  par  sadicte  court  de  Parlement  et 
tous  autres  ses  officiers,  feust  fait  et  acomply  tout  ce 
qu'il  avoit  conclud  et  acordé  avecques  ledit  de  Bour- 
gongne  et  que  tout  lui  feust  du  tout  entériné  et  acom- 
ply sans  aucun  contredit  ou  difficulté,  sur  certaines 
grans  peines  que  lors  il  exprima  de  bouche^.  Et  puis 

1.  De  la  muraille  il  restait  peu  de  chose  depuis  la  précédente 
rébellion.  «  Leurs  murs  estoient  tous  rasez...,  et  y  avoit  seuUe- 
ment  ung  peu  de  douve,  ne  jamais  ne  y  eut  fossez,  car  le  fons 
est  de  roc  très  aspre  et  très  dur  »  (Gommynes,  éd.  Dupont,  I, 
184).  «  Toutes  les  esglises,  au  nombre  de  plus  de  une,  ont  été 
pillées,  desrobées,  désolées,  et  ce  dit  l'on  quelles  seront  brullées 
et  toute  lad.  cité  aussi  »  (Rapport  d'un  témoin,  ibid.,  i*reuves, 
m,  247). 

2.  «  Le  roy  se  départit  mercredy,  second  jour  du  présent  mois 
de  novembre,  de  ceste  dicte  cité  et  s'en  tira  contre  Huy;  mond. 
seigneur  le  duc  le  convoya  et  plusieurs  autres  seigneurs...  » 


1468]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  219 

le  roy  s'en  ala  en  aucuns  lieux  près  de  Paris,  sans  vou- 
loir entrer  en  ladicte  ville ^  ;  mais  aucuns  grans  sei- 
gneurs estans  autour  de  lui  y  vindrent  et  y  séjour- 
nèrent, comme  messeigneurs  les  duc  de  Bourbon,  de 
Lyon  et  Beaujeu  frères,  le  marquis  du  Pont^  et  autres. 
Et,  le  samedi  xix®  jour  de  novembre,  oudit  an 
I1II<^  LXVIII,  fut  crié  et  publié  à  son  de  trompe  et  cry 
publique  par  les  carrefours  de  Paris  ledit  accord  et 
union  fait,  comme  dit  est,  entre  le  roy  et  mondit  sei- 
gneur de  Bourgongne,  et  que,  pour  raison  du  temps 
passé,  personne  vivant  ne  feust  si  ozé  ou  hardi  d'en 
riens  dire  à  l'opprobre  dudit  seigneur,  feust  de  bouche, 
par  escript,  signes,  paintures,  rondeaux,  balades, 
virelais,  libelles  diffamatoires,  chançons  de  geste  ne 
autrement,  en  quelque  manière  que  ce  peust  estre,  et 
que  ceulx  qui  seroient  trouvez  avoir  fait  ou  aie  au  con- 
traire feussent  griefment  punis,  ainsi  que  plus  à  plain 
ledit  cry  le  contenoit^. 

(Lettre  d'Ant.  de  Loisey,  aux  Preuves  de  Commynes,  éd.  Dupont, 
III,  240.  Cf.  I,  198  et  suiv.).  Louis  XI,  accompagné  de  Phil.  de 
Grèvecœur,  seigneur  d'Esquerdes,  et  d'autres  seigneurs  bourgui- 
gnons, s'en  fut  à  Notre-Dame  de  Liesse  (auj.  Aisne,  arr.  de  Laon). 
Là,  quand  il  eut  fait  ses  dévotions  devant  l'image  de  la  Vierge, 
il  prêta  serment,  en  présence  des  princes  de  Bourbon  et  des  sei- 
gneurs de  Bourgogne  d'entretenir  la  paix,  «  disant  que  mesvenir 
i\  luy  peust  s'il  ne  luy  tenoit  tout  ce  qu'il  luy  avoit  promis  et 
juré  »  (Chronique  anonyme  citée,  ms.  fr.  20354,  fol.  194). 

1.  «  Seu  verecundia  et  rubore  suffusus...  seu  quod  suorum  offi- 
ciariorum  ejusdem  urbis  querelas  verebatur  »  (Basin,  II,  208). 

2.  Nicolas,  marquis  de  Pont-à-Mousson,  lils  de  Jean  II,  duc  de 
Galabre,  et  de  Marie  de  Lorraine.  Duc  de  Galabre  et  de  Lorraine, 
Nicolas  mourut  au  mois  de  juillet  1473.  En  1468,  il  n'avait  pas 
encore  rompu  la  promesse  qu'il  avait  faite  d'épouser  Anne,  fille 
de  Louis  XL 

3.  Gf.  Chronique  anonyme  citée,  ms.  fr.  20354,  fol.  194.  Sur  la 


220  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1468 

Et,  ce  mesmes  jour,  furent  prinses  pour  le  roy,  et 
par  vertu  de  sa  commission  adreçant  à  ung  jeune  fîlz 
de  Paris  nommé  Henry  Perdriel\  en  ladicte  ville  de 
Paris,  toutes  les  pyes,  jays,  chouetes  estans  en  cage 
ou  autrement  et  estant  privées,  pour  toutes  les  porter 
devers  le  roy.  Et  estoit  escript  et  enregistré  le  lieu  où 
avoient  esté  prins  lesdiz  oiseaulx  et  aussi  tout  ce  qu'ilz 
savoient  dire,  comme  :  Larron!  Paillartf  Filz  de 
putamf  Va  hors,  va!  Perrete,  donne  moy  à  boire!  et 
plusieurs  autres  beaux  motz  que  iceulx  oiseaux  savoient 
bien  dire  et  qu'on  leur  avoit  aprins.  Et,  depuis  encores, 
par  autre  commission  du  roy  adreçant  à  Merlin  de 
Gordebeuf,  fut  venu  quérir  et  prendre  audit  lieu  de 
Paris  tous  les  cerfz,  biches  et  grues  qu'on  y  peust 
trouver  et  tout  fait  mener  à  Amboise-. 

manière  dont  les  nouvelles  politiques  étaient  portées  de  lieu  en 
lieu  par  les  «  chanteurs  et  recordeurs  de  chançons,  »  on  peut 
consulter  de  curieuses  lettres  de  Louis  XI  rapportées  dans  un 
formulaire  du  xv^  siècle  (Bibl.  nat.,  ms.  fr.  5909,  fol.  29). 
«  L'umble  supplication  de...  avons  receue,  contenant  que  comme, 
pour  gaigner  sa  povre  vie,  il  se  soit  mis  à  aller  par  uostre 
royaume  pour  chanter  et  recorder  chançons,  dictez  et  records 
touchant  les  bonnes  nouvelles  et  advantures  qui  nous  sont  sur- 
venues et  surviennent  chascun  jour  au  bien  de  nous  et  nostre 
seigneurie...  »  Injonction  est  faite  en  consé(juence  aux  oilicicrs  du 
roi  de  ne  donner  aucun  empêchement  au  chanteur  et  de  le  «  lais- 
ser assembler  gens  pour  recorder  lesd.  dictez  et  chançons...  »  au 
son  de  la  vielle,  à  condition  que  ses  chants  ne  soient  pas  sédi- 
tieux ni  «  touchant  division,  d 

i.  Henri  Perdriel  fut  nommé  garde  du  parc  de  Saint- Jamme 
le  13  mai  1405  et  clerc  civil  du  greffe  du  Ghàtelct  le  17  juillet  sui- 
vant (Sauvai,  Anliqiiitcs  de  Paris,  lU,  386.  Voy.  plus  haut,  p.  74). 

2.  On  sait  à  quel  point  Louis  XI. était  amateur  d'animaux  de 
toutes  races.  Il  en  faisait  collection.  Peut-être  l'abbé  Legrand 
et  Michelet  se  sont-ils  montrés  trop  ingénieux  en  inférant 
de  ce  passage  de  la  Scandaleuse  que  le  roi  avait  pris  ombrage  de 


1468]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  221 

En  après,  le  conte  de  Foix,  qui  nouvellement  estoit 
venu  à  Paris  ^  ou  mois  de  décembre  ensuivant  devint 
merveilleusement  amoureux  d'une  moult  belle  et  hon- 
neste  bourgoise  de  Paris,  nommé  Estiennette  de  Besan- 

ce  que  les  Parisiens  faisaient  répéter  malicieusement  à  leurs 
oiseaux  savants  le  nom  de  Perrette  de  Clialon  et  celui  de  Péronne. 
—  Merlin  de  Gordebeuf,  seigneur  de  Beauvergier,  écuyer  d'écurie 
de  Louis  XI  (mai  1465,  Ordonnances,  XVI,  329),  était  pensionné 
vers  la  même  époque  à  41  1.  5  s.  t.  par  mois  (Bibl.  nat.,  ms. 
fr.  20491,  fol.  77),  et  à  la  tête  de  25  hommes  de  pied  fut  commis 
pendant  la  campagne  de  Bourbonnais  (juin  1465)  à  la  garde  des 
places  de  Montpensier  et  de  Rochefort  (ms.  fr.  20496,  fol.  30). 
Au  mois  d'août  1470,  ce  capitaine  fut  chargé  de  conduire  en 
Roussillon  et  en  Catalogne  les  gens  d'armes  et  de  trait  du  sire  de 
Lescun  (Vaesen,  Lettres  de  Louis  XI,  II,  92).  Un  Merlin  de  Gorde- 
beuf, écuyer  d'écurie  de  Gharles  VII,  arrivé  au  déclin  de  la  vie, 
terminait,  au  Ghastellet-sur-Oise,  le  4  janvier  1458  (v.  st.),  pour 
Jacques  de  Luxembourg,  seigneur  de  Richebourg,  un  curieux 
Traité  des  tournois,  actuellement  conservé  à  la  Bibl.  nat.,  ms. 
fr.  1997.  Cf.  de  Beaucourt,  Histoire  de  Gharles  Vil,  V,  80  et  suiv. 
1.  Gaston  arriva  à  Paris,  pour  y  attendre  le  roi,  le  mercredi 
26  octobre  1468,  en  compagnie  des  cardinaux  d'Avignon  et  d'Albi, 
du  comte  de  Penthièvre,  du  marquis  de  Pont  et  d'autres  seigneurs. 
Balue  fit  son  entrée  le  3  novembre  au  soir,  et  c'est  le  27  du  même 
mois,  à  Notre-Dame,  que  les  deux  cardinaux  lui  remirent  le  cha- 
peau avec  grande  pompe  et  en  présence  des  princes  de  la  maison 
de  Bourbon,  des  évêques  de  Paris  et  de  Meaux  et  des  corps  cons- 
titués. Le  cardinal  d'Albi  prononça  un  discours  dont  le  texte  est 
conservé  aums.  lat.  14117  de  la  Bibl.  nat.,  fol.  78  voà84  v  (xv^  s.). 
Maupoint,  qui  fournit  ces  détails,  décrit  tout  au  long  le  merveilleux 
banquet  que  le  nouveau  cardinal  présida  en  l'hôtel  Piquet,  près  les 
Blancs-Manteaux.  Il  énumère  les  vins,  les  viandes  exquises,  «  les 
jolie/,  dames,  damoiselles  et  jeunes  bourgoises,  b  les  chanteurs, 
trompettes,  ménétriers,  danseurs  et  joueurs  de  farces.  Parmi  ces 
derniers,  détail  piquant,  un  personnage  comique  contrefit  Baluc 
lui-même,  et,  «  entre  beaulz  ditz  de  son  personnaige,  »  parodiant 
l'exubérante  activité  de  son  modèle,  allait  répétant  ces  mots  : 
«  Je  fay  raige,  je  fay  bruit,  je  fay  tout,  il  ne  est  nouvelle  que  do. 
moy  !  »  [Journal,  p.  109,  112  et  suiv.). 


222  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1468 

çon,  femme  d'un  notable  marchant  de  ladicte  ville 
nommé  Henry  de  Paris,  qui  estoit  bon  marchant  et 
puissant  homme  ^  Et  estoit  ladicte  bourgoise  moult 
honnourée  entre  toutes  les  femmes  de  bien  de  ladicte 
ville,  et  fort  priée  et  requise  de  estre  et  soy  trouver  en 
tous  banquetz,  festes  et  honnestes  assemblées  qui  se 
faisoient  en  icelle  ville.  [Si]  communiqua  avecques 
ledit  seigneur  de  Foix  de  questions  joieuses  et  amou- 
reuses, et,  sur  plusieurs  requestes,  offres  et  autres 
plaisans  bourdes  que  lui  fîst  et  promist  ledit  conte  de 
Foix,  convindrent  tellement  ensemble  que,  le  dimenche 
xif  jour 2  dudit  moys  de  décembre,  oudit  an  IIII"  LXVIII , 
icelle  Estiennete  se  departy  de  son  hostel  de  Paris 
qu'elle  laissa  et  habandonna,  ensemble  sondit  mary, 
ses  enfans,  père,  mère,  frères  et  seurs  et  tous  ses  parens 
et  amis,  et  s'en  ala  après  ledit  seigneur  de  Foix,  avec- 
ques aucuns  de  ses  gens  et  serviteurs,  qui  pour  ce  faire 
estoient  demourez  audit  lieu  de  Paris  et  l'en  ame- 
nèrent à  Blois,  où  estoit  demouré  à  séjour  ledit  sei- 
gneur, attendant  ilec  la  venue  d'icelle  Estiennette  : 
avecques  lequel  seigneur  icelle  Estiennete  demoura 
par  l'espace  de  trois  jours,  et  puis  s'en  party  ledit  sei- 
gneur de  Foix  et  s'en  ala  à  Tours  pardevers  h  roy,  et 

1.  Étiennette  paraît  avoir  été  la  fille  d'un  conseiller  au  Parle- 
mont.  Elle  épousa  en  secondes  noces  Jean  Le  Camus,  secrétaire 
du  roi,  et  vivait  encore  en  1501  (Bibl.  nat.,  Pièces  orig.,  vol.  321, 
doss.  Besançon).  —  Henri  de  Paris,  qui  fut  échevin  de  Paris 
en  1461,  était  fils  de  Guillaume  de  Paris  et  de  Marguerite  Clutin 
(Bibl.  nat.,  Pièces  orig.,  vol.  2198,  doss.  Paris). 

2.  Lisez  le  xi«  jour.  —  Gaston  IV  avait  alors  (juarante-cinq  ans 
environ  et  passait  pour  un  prince  des  plus  galants  et  des  plus 
magnifiques.  Voyez  Histoire  de  Gaston  IV,  cotnte  de  Foix,  par 
G.  Leseur,  publiée  par  M.  Courteault  pour  la  Société  de  l'histoire 
de  France,  t.  I,  Introduction. 


1468-1469]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  223 

en  fist  mener  avecques  lui  icelle  Estiennete,  qui  fut 
ilec  bien  recueillie  par  Martin  Ponchier,  marchant  et 
bourgois  de  Tours,  oncle  d'icelle  Estiennete*.  Et,  peu 
de  temps  après,  fut  ladicte  Estiennete  envoiée  à  Fron- 
tevaux  pardevers  la  prieuze  dudit  lieu,  tante  de  ladicte 
Estiennete,  où  depuis  elle  demoura  par  certain  temps 
après  ^. 

En  après,  le  roy  se  tint  et  séjourna  à  Tours,  à 
Amboise  et  ilec  environ^,  tousjours  attendant  que  la 
royne  deust  acoucher,  qu'on  disoit  estre  fort  grosse, 
mais  elle  ne  eut  point  d'enfant. 

Et,  après  ces  choses,  le  roy  ordonna  certaine  quan- 
tité des  lances  de  son  ordonnance  pour  aler  servir  le 
duc  de  Galabre  pour  recouvrer  son  royaume  d'Arra- 
gon.  Et  avecques  lesdictes  lances  ordonna  aussi  y  aler 
huit  mil  frans  archers,  avec  grant  quantité  de  son 
artillerie,  où  ilz  ne  furent  point  non  obstant  ladicte 
ordonnance*. 

1.  Martin  Poncher,  grènetier  de  Tours  en  1451,  était,  en  1472, 
commis  à  payer  les  gages  de  certains  ofïiciers  et  gens  de  l'hôtel 
du  roi  (Vaesen,  Lettres  de  Louis  XI,  IV,  229). 

2.  M.  Longnon  a  bien  voulu  nous  signaler  l'existence  de  deux 
factums  curieux  composés  en  cette  occasion,  l'un  par  Robertet, 
secrétaire  du  duc  de  Bourbon,  l'autre  par  messire  Guillaume 
Cousinot,  pour  la  défense  d'Étiennette  de  Besançon.  Ces  plai- 
doyers attestent  le  scandale  provoqué  par  cette  aventure,  les 
remords  de  la  coupable  et  les  efforts  de  ses  amis  pour  excuser  sa 
faute  (Bibl.  nat.,  ms.  fr.  12788,  fol.  119  et  suiv.,  xv«  s.).  —  La 
prieure  de  Fontevrault  devait  se  nommer  Marguerite  Hodry. 
Elle  mourut  le  22  juillet  1484,  à  l'âge  de  quatre-vingts  ans  (Gallia 
christiana,  t.  II,  col.  1330). 

3.  A  Tours  et  aux  environs,  depuis  le  20  décembre  1468  jus- 
qu'à la  mi-février  1469;  ensuite  à  Amboise  (Itin.  cité). 

4.  Cf.  Vaesen,  Lettres  de  Louis  II,  III,  321-324,  et  le  travail  cité 
sur  Jacques  d'Armagnac,  extrait  de  la  Revue  historique,  p.  11. 


224  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1469 

Et,  le  mois  de  février  ensuivant,  vindrent  à  Paris 
les  ambasseurs  de  mondit  seigneur  de  Bourgongne 
pour  l'expedicion  des  articles  à  lui  accordez  de  par  le 
roy,  et  pour  lesquelz  le  roy  escripvy  et  charga  bien 
expressément  aux  prevost  des  marchans  et  esche  vins 
et  tous  autres  officiers  et  gens  notables  de  ladicte  ville 
que,  de  tout  leur  povoir,  ilz  festiassent  fort  et  honora- 
blement lesdiz  ambasseurs  ;  jaquelle  chose  fut  faicte, 
et  furent  moult  honnorablement  et  habondamment 
festiez,  et  premièrement  par  ledit  monseigneur  le  car- 
dinal d'Angers,  secondement  par  le  premier  président 
de  la  court  de  Parlement',  tiercement  par  maistre 
Jehan  de  la  Driesche,  président  en  la  Chambre  des 
comptes  et  trésorier  de  France-,  quartement  par  mon- 
seigneur de  Mery,  et  quintement,  et  pour  derreniere 
foiz,  par  les  prevost  des  marchans,  eschevins  et  bour- 
gois  de  ladicte  ville;  lequel  festoy  fut  moult  honno- 
rable.  Et,  durans  lesdictes  choses,  furent  leurs  lettres 
expédiées  par  toutes  les  cours  de  Paris,  tous  lesdiz 
articles  ainsi  à  eulx  accordez  par  le  roy  que  dit  est^. 

Et,  le  jeudy  xvp  jour  de  février,  oudit  an  mil 
IIIF  LXVIII,  advint  ou  Ghastellet  de  Paris  que  ung 
nommé  Chariot  le  Tonnelier,  dit  La  Hôte,  varlet  chaus- 
sctier'^,  demourant  à  Paris,  qui  avoit  esté  constitué 
prisonnier  ou  Ghastellet  de  Paris  pour  raison  de  plu- 

1.  Jean  Dauvet. 

2.  Charles  d'Orgemont,  conseiller  et  maître  des  comptes  (voy. 
plus  haut,  p.  35). 

3.  Los  actes  passés  à  Péronne  furent  enregistrés  au  Parlement 
et  à  la  Chambre  des  comptes  le  2  mars  1469.  Le  14  mars,  le  rui 
donna  à  Amboise  une  confirmation  générale  du  traité,  qui  revint 
à  l'enregistrement  le  18  du  même  mois  (Lenglet,  III,  45  et  suiv.). 

4.  C'est-à-dire  tailleur  de  chausses. 


1469]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  225 

sieurs  larrecins  dont  on  le  chargoit,  qu'il  denyoit,  fut 
ordonné  par  le  prevost  de  Paris  et  les  officiers  du  roy 
oudit  Chastellet  que  son  procès  seroit  fait  sur  les 
charges  à  lui  imposées,  et  conclud  de  ainsi  le  faire; 
dont  il  appella,  et  par  arrest  fut  renvoyé  audit  pre- 
vost pour  estre  fait  sondit  procès^.  Et,  en  l'amenant 
de  sa  prison  en  la  chambre  de  la  question  dudit  Chas- 
tellet, saisy  ung  couteau  qu'il  apperceut  sur  son  che- 
min et  d'icellui  se  coppa  la  langue,  et  puis  fut  remené 
en  sa  prison,  sans  autre  chose  faire  pour  ledit  jour. 

Oudit  temps,  advint  que,  ou  pays  de  Rolande  et 
Zelande,  qui  sont  des  pays  de  monseigneur  de  Bour- 
gongne,  y  vindrent  et  habonderent  si  grans  eaues  que 
l'eaue  noya  et  emporta  plusieurs  villes  et  places  des- 
diz  pays,  pour  raison  de  plusieurs  escluses  qui  tenoient 
la  mer  qui  se  rompirent.  Et  à  ceste  cause  y  ot  de  grant 
dommage  fait  et  plus  grant  destruction,  comme  on 
disoit,  que  ledit  seigneur  n'avoit  fait  par  fureur  en  la 
cité  et  habitans  de  Liège. 

Et,  après  que  ledit  Chariot  Tonnelier,  dont  est  parlé 
devant,  qui  ainsi  s'estoit  incisée  la  langue,  en  fut  guery, 
fut  derechef  amené  en  la  question  près  d'estre  estendu 
en  la  gehyne,  pour  ce  qu'il  ne  vouloit  congnoistre  les 
cas  à  lui  imposez.  Lequel,  après  qu'il  ot  longuement 
esté  assis  sur  la  sellete,  dist  qu'il  diroit  vérité,  et  lors 
declaira  tout  au  long  sa  vie  et  de  moult  grandes  et  mer- 
veilleuses larrecins,  et  si  accusa  moult  de  gens  coul- 
pables  à  faire  icelles,  comme  ung  sien  frere^  surnommé 
le  Gendarme,  ung  serrurier,  ung  orfèvre,  ung  sergent 

1.  Cf.  Arch.  nat.,  X^a  31,  fol.  1,  à  la  date  du  14  février  1468 
(v.  st.). 

2.  Pierre  le  Tonnelier. 


226  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1469 

fieffé  nommé  Pierre  Moynel,  et  plusieurs  autres,  qui 
pour  lesdiz  cas  furent  constituez  prisonniers  et  sur  ce 
point  interroguez,  qui  depuis  confessèrent  avoit  fait 
plusieurs  larrecins.  Et,  après  toutes  ces  choses,  le 
mardi  de  la  sepmaine  peneuse\  ledit  La  Hôte  et  son 
frère,  ledit  sergent  fieffé,  le  serrurier,  ung  tondeur  de 
grans  forces^  et  ung  freppier  nommé  Martin  de  Cou- 
longne,  par  la  sentence  du-prevost  de  Paris  furent 
condempnez  à  estre  penduz  et  estranglez  au  gibet  de 
Paris;  dont  ilz  appellerent  en  Parlement.  Et,  par  arrest 
de  la  court,  ladicte  sentence  fut  confermée  au  regard 
de  quatre  d'iceulx,  c'est  assavoir  desdiz  de  La  Hôte, 
son  frère,  dudit  tondeur  de  grans  forces  et  dudit  ser- 
rurier ^  Et  le  lendemain,  qui  fut  mercredi,  furent  menez 
pendre  au  gibet.  Et,  au  regard  desdiz  freppier  et  ser- 
gent fieffé,  ilz  demourerent  encores  en  la  prison  jusques 
après  les  festes  de  Pasques. 

Et,  le  vendredi  saint  et  aouré,  vint  et  yssy  du  ciel 
plusieurs  grans  esclas  de  tonnoirre,  espartissemens  et 
merveilleuse  pluye,  qui  esbahit  beaucop  de  gens,  pour 
ce  que  les  anciens  dient  tousjours  que  «  nul  ne  doit 
dire  hélas  !  s'il  n'a  oy  tonner  en  mars  » . 

Et,  après  ce  que  dit  est,  ledit  freppier,  nommé  Mar- 
tin de  Goulongne,  fut  rendu  par  ladicte  court  de  Parle- 
ment audit  prevost  de  Paris  et  fut  envoyé  audit  gibet 
le  samedi  de  Quasimodo  mil  1IIP=  LXIX  [15  avril]. 

Ou  moys  d'avril  ensuivant,  maistre  Jehan  Balue, 

1.  Mardi  de  la  semaine  sainte  (28  mars  1469,  n.  st.). 

2.  C'est-à-dire  un  tondeur  à  grands  ciseaux,  un  tondeur  do 
draps  sans  doute. 

3.  Cf.  Arch.  nat.,  registre  cité,  fol.  1,  à  la  date  du  29  mars  1168 

(V.  st.). 


1469]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  227 

cardinal  d'Angers,  qui  en  peu  de  temps  avoit  eu  de 
moult  grans  biens  du  roy  et  du  pape  par  le  moyen  du 
roy,  qui,  pour  l'avancer  et  faire  si  grant  personnage 
comme  de  cardinal,  et  ouquel  cardinal  le  roy  se  fioit 
moult  fort,  et  faisoit  plus  pour  lui  que  pour  prince 
de  son  sang  et  lignage,  et  non  aiant  Dieu  ne  l'onneur 
et  prouffît  du  roy  ne  du  royaume  devant  ses  yeulx, 
amena  le  roy  jusques  à  Peronne,  auquel  lieu  il  le  fîst 
joindre  avec  icellui  de  Bourgongne  et  leur  fîst  faire 
ensemble  une  telle  quelle  paix,  laquelle  paix  fut  jurée 
et  promise  entre  les  mains  dudit  cardinal,  et  puis  voult, 
conseilla  et  ordonna  que  le  roy  yroit  et  acompagneroit 
ledit  de  Bourgongne  jusques  en  la  cité  du  Liège,  qui 
par  avant  s'estoient  eslevez  et  mis  sus  pour  le  roy 
contre  ledit  de  Bourgongne  et  pour  lui  porter  dom- 
mage. Et,  au  moien  d'icelle  alée  du  roy  devant  icelle 
cité,  lesdiz  Liegois  et  icelle  cité  furent  ainsi  murdris  et 
destruis,  tuez  et  fugitifz,  que  dit  est  devant;  mais,  qui 
pis  est,  le  roy,  messeigneurs  de  Bourbon,  de  Lion, 
Beaujeu  et  evesque  dudit  Liège,  frères,  et  toute  la  sei- 
gneurie estant  devant  ladicte  cité  furent  en  moult 
grant  danger  d'estre  mors  et  tous  péris,  qui  eust  esté 
la  plus  grant  esclandre  qui  onques  feust  advenu  ou 
royaume  de  France  depuis  la  creacion  d'icellui.  Et, 
après  que  le  roy  s'en  fut  retourné  devers  Paris  pour 
s'en  retourner  à  Tours  et  autres  lieux  environ,  il  le 
garda  de  venir  et  entrer  en  sadicte  bonne  ville  et  cité 
de  Paris  et  le  fist  passer  à  deux  lieues  près  d'icelle,  en 
cuidant  par  lui  à  ceste  cause  mettre  ladicte  bonne  ville 
et  cité,  ensemble  les  subgetz  d'icelle,  en  l'indignation 
du  roy.  Et,  en  faisant  ledit  voyage  audit  lieu  de  Tours 
et  Angers  par  le  roy,  il  fist  content  monseigneur  son 
I  17 


228  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1469 

frère  de  son  appanage  et  lui  bailla  pour  icellui  la  duchié 
de  Guienne  et  autres  choses^,  dont  il  se  tint  à  bien 
content  du  roy.  Et,  voyant  par  icellui  cardinal  la  paix 
et  bonne  union  estre  entre  le  roy  et  sondit  frère,  cuida 
derechef  faire  son  effort  de  rebouter  trouble  et  mal- 
vueillance  entre  le  roy  et  autres  seigneurs  de  son 
royaume  comme  devant  avoit  fait,  car  il  envoya  et  mist 
sus  message  especial  avecques  lettres  et  instructions 
qu'il  envoyoit  audit  de  Bourgongne,  en  lui  faisant  assa- 
voir que  ledit  accord  ainsi  fait  estoit  du  tout  fait  à  sa 
confusion  et  destruction  et  n'estoit  fait  à  autre  tîn  que 
pour  l'aler  destruire  incontinent  que  le  roy  et  sondit 
frère  seroient  assemblez,  et  que,  pour  soy  garder  contre 
eulx,  lui  estoit  besoing  et  neccessité  qu'il  se  meist  en 
armes,  comme  devant  avoit  fait,  et  qu'il  assemblast 
plus  grant  armée  que  onques  n'avoit  fait,  et  mouvoir 
guerre  au  roy  plus  que  jamais,  et  autres  grandes  et 
merveilleuses  dyableries  qu'il  escripvoit  audit  de  Bour- 
gongne par  ung  sien  serviteur,  qui  de  sesdictes  lettres 
et  instructions  qu'il  portoit  fu  trouvé  saisy^;  et  promp- 
tement  furent  portées  au  roy,  lequel,  tout  incontinent 
ces  choses  par  lui  sceues,  fut  icellui  cardinal  prins  et 
saisy  et  mené  prisonnier  à  Montbason,  où  il  y  fut  laissé 


1.  Le  duché  de  Guyenne,  tel  qu'il  s'étendait  au  sud  de  la  Cha- 
rente, les  pays  de  Quercy,  d'Agenais,  de  Saintonge,  la  -ville  et 
gouvernement  de  la  Rochelle,  TAunis  (Lettres  données  à  Amboise 
au  mois  d'avril  1469  après  Pâques,  enregistrées  au  parlement  de 
Paris  le  27  juillet  suivant.  Lenglet,  III,  93  et  suiv.). 

2.  Furieux  de  sa  disgrâce  et  poussé  par  l'évêque  de  Verdun, 
Guillaume  de  Ilaraucourt,  Balue  prit  en  eilct  une  part  active  au 
vaste  complot  qui  faillit  ressusciter  le  Bien  Public  au  printemps 
de  l'année  1469  (voy.  Précis  de  l'Hist.  de  Bourgogne,  t.  IV,  p.  258 
et  342). 


1469]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  229 

en  la  garde  de  monseigneur  de  Torcy  et  autres^. 
Et  après  furent  prins  et  saisis  en  la  main  du  roy  tous 
ses  biens  et  serviteurs,  et  furent  tous  sesdiz  biens  prins 
par  inventaire^,  et  lui  furent  baillez  commissaires  pour 
l'interroguer  sur  les  cas  et  charges  à  lui  imposez,  c'est 
assavoir  messire  Tanguy  du  Ghastel,  gouverneur  de 
Roussillon,  messire  Guillaume  Cousinot,  mondit  sei- 
gneur de  Torcy  et  maistre  Pierre  d'Oriole,  gênerai 
des  finances,  tous  lesquelz  besongnerent  à  l'interroguer 
et  examiner  sur  lesdiz  cas  et  charges^.  Et,  en  après,  le 
roy  donna  et  distribua  des  biens  dudit  cardinal  à  son 
plaisir  ;  c'est  assavoir  sa  vaisselle  d'argent  fut  vendue  ^ 

1.  Montbazon,  sur  l'Indre,  clép.  d'Indre-et-Loire,  arr.  de  Tours. 
—  Jean  d'EstouteviUe,  seigneur  de  Torcy  et  de  Blainville,  con- 
seiller et  chambellan  du  roi,  grand  maître  des  arbalétriers,  était 
frère  du  prévôt  de  Paris  (Anselme,  VIII,  97  et  suiv.  Cf.  Rondeaux 
et  autres  poésies  du  J7«  siècle,  publiés  par  Raynaud,  Société  des 
Anciens  textes,  Introd.,  p.  xxxi  et  suiv.). 

2.  L'inventaire  des  biens  meubles  du  cardinal  Balue  est  con- 
servé au  ms.  fr.  4487  de  la  Bibl.  nat.,  parch.  Par  lettres  datées 
des  Montils-Iès-Tours,  le  8  mai  1469,  Louis  XI  commit  Barth. 
Claustre,  conseiller  au  Parlement,  Henri  Mariete,  lieutenant  cri- 
minel de  la  prévôté  de  Paris,  et  Jean  Potin,  examinateur  au  Chà- 
telet,  à  saisir  les  meubles  du  cardinal.  Les  commissaires  s'adjoi- 
gnirent deux  notaires  au  Ghàtelet,  dont  l'un  fut  précisément  Jean 
de  Roye  (voy.  Introd.,  p.  xxm)  et  l'autre  Henri  Le  Wast.  C'est  eux 
qui  rédigèrent  l'inventaire  des  biens  appartenant  au  cardinal  et 
aussi  les  dépositions  de  diverses  personnes  appelées  à  témoigner 
devant  la  commission. 

3.  La  commission,  nommée  le  8  mai  1469,  comprenait  encore 
le  chaiacelier  Jouvenel,  le  président  Le  Boulanger,  Jean  de  la 
Driesche,  Tristan  l'Ermite  et  Guillaume  AUegrin,  conseiller  au 
Parlement.  Par  contre,  les  patentes  royales  ne  font  pas  mention 
du  gouverneur  de  Roussillon  (Copie  d'un  vidimus  du  prévôt  de 
Paris  au  ms.  fr.  4487,  fol.  16  v°). 

4.  L'argenterie  de  buffet  et  de  cuisine,  mise  aux  enchères 
publiques,  fut  adjugée  à  Jean  Maciot,  changeur,  à  Jean  Le  Fia- 


230  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1469 

et  l'argent  baillé  au  trésorier  des  guerres  pour  les 
affaires  du  roy,  la  tapicerie  baillée  audit  gouverneur 
de  Roussillon  et  la  librarie  audit  maistre  Pierre 
d'Oriole  ;  et  ung  beau  drap  d'or  tout  entier  contenant 
xxiiii  aulnes  et  ung  quart,  qui  bien  valoit  xii'=  escuz, 
et  certaine  quantité  de  martres  sebelines  et  une  pièce 
d'escarlate  de  Fleurence  furent  baillez  et  délivrez  à 
monseigneur  de  Grussol,  et  ses  robes  et  ung  peu  de 
mesnage  fut  vendu  pour  paier  les  frais  des  officiers  et 
commissaires,  qui  a  voient  vacqué  à  faire  ledit  inven- 
taire * . 

Et,  durans  ces  choses,  le  roy  de  Cécile  et  la  royne  sa 
femme  vindrent  pardevers  le  roy  à  Tours  età  Amboise, 
où  ilec  furent  moult  honorablement  receuz  de  par  le 
roy^.  Et,  après  tout  ce  que  dit  est,  le  roy,  monsei- 

ment,  orfèvre,  et  à  leurs  compagnons,  en  présence  de  Jean  Potin, 
de  Noël  Le  Barge,  conseiller  et  trésorier  des  guerres,  et  des 
notaires  Le  Wast  et  de  Roye,  pour  une  somme  totale  de  5,070  1. 
12  s.  7  d.  t.  {Ibid.,  fol.  27). 

1.  Interpolations  et  variantes,  §  LXII.  —  La  tapisserie,  le  linge, 
etc.,  estimés  538  1.  6  s.  6  d.  p.,  furent  donnés  c?i  garde  à  Tanne- 
guy  du  Ghastel.  D'Oriole  reçut  du  roi  (également  en  garde)  les 
quatre-vingt-cinq  volumes,  latins  ou  français,  qui  composaient  la 
librairie  du  cardinal.  M.  Delisle  en  a  publié  la  liste  dans  le  Cabinet 
des  mss.  de  la  Bibl.  impériale,  1, 79-83.  A  Louis,  seigneur  de  Grussol, 
chevalier,  sénéchal  de  Poitou  et  gouverneur  général  de  l'artillerie, 
fut  attribuée,  en  récompense  de  ses  services  militaires  et  autres, 
une  pièce  de  drap  d'or  prisée  533  1.  10  s.  p.,  une  pièce  d'écarlate 
d'Angleterre  prisée  35  1.  p.,  32  martres  zibelines  «  en  timbre,  »> 
estimées  16  1.  10  s.  p.  Les  vêtements  furent  vendus  233  1.  4  s.  p. 
et  les  meubles  meublants  61 1.  H  s.  4  d.  p.  (Ms.  fr.  4487,  fol.  48-50). 

2.  Louis  XI  séjourna  à  Amboise  pendant  les  mois  de  juillet  et 
d'août  1469.  Le  10  juin  de  la  même  année,  il  enjoignait  au  Parle- 
ment d'entériner  enfin  les  lettres  par  lesquelles  le  roi  de  Sicile 
était  autorisé  à  sceller  sur  cire  jaune  (Vaesen,  Lettres  de  Louis  XI, 
III,  348). 


1469]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  231 

gneur  de  Bourbon  et  autres  seigneurs*  s'en  tirèrent 
devers  Nyort,  la  Rochelle  et  autres  lieux  environ,  où 
ilz  trouvèrent  monseigneur  le  duc  de  Guienne,  frère 
du  roy  ;  et,  en  icellui  voyage,  moiennant  la  grâce  de 
Dieu  et  de  la  benoiste  vierge  Marie,  le  roy  et  mondit 
seigneur  de  Guienne  furent  reiinis  et  mis  en  bonne 
paix  et  amour  l'un  avec  l'autre^,  dont  moult  grant  joye 
fut  incontinent  espandue  par  tout  le  royaume,  et  pour 
ceste  cause  dit  et  chanté  en  saincte  eghse  Te  Deum 
laudamus,  fait  les  feux  par  toutes  les  bonnes  villes, 
tables  rondes  dressées  et  de  moult  grans  soûlas,  esba- 
temens  et  joye  prins.  Et  puis  après,  le  roy  s'en  retourna 
à  Amboise,  pardevers  la  royne,  qui,  comme  bonne, 
honneste  et  très  noble  dame,  avoit  fort  tra veillé  à 
traicter  ladicte  bonne  paix  et  unyon,  que  Nostre  Sei- 
gneur par  sa  saincte  grâce  et  bonté  vueille  tousjours 
de  bien  en  mieulx  entretenir  ^  ! 

Et  puis  fut  délibéré  par  le  roy  et  son  grant  conseil 
d'aler  conquérir,  prendre  et  avoir  la  conté  d'Armai- 
gnac  et  la  mettre  en  la  main  du  roy,  et  promis  de 
icelle  bailler  à  mondit  seigneur  de  Guienne.  Et,  pour 
ce  mettre  à  execucion,  y  envoya  le  roy  grant  quantité 
de  son  artillerie,  de  ses  gens  de  guerre  et  frans 
archers^.  Et,   pour  ledit  voyage  faire  et  préparer 

1.  Interpolations  et  variantes,  §  LXIII. 

2.  Le  roi  était  à  Niort  le  1"  septembre.  L'entrevue  qui  scella 
la  réconciliation  avec  son  frère  eut  lieu  au  Port-Braud,  sur  la  rive 
gauche  de  la  Sèvre  Niortaise,  les  7  et  8  septembre  1469  (Preuves 
de  Goramynes,  éd.  Dupont,  III,  260-268  ;  Vaesen,  ouvr.  cité,  IV, 
31,  34). 

3.  Ce  vœu  indique  que  ce  passage  a  été  rédigé  à  une  époque 
peu  éloignée  de  l'événement. 

4.  Les  bonnes  dispositions  dont  le  comte  d'Armagnac  avait 


232  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1469 

ladicte  armée,  le  roy  se  party  dudit  lieu  d'Amboise 
pour  aler  jusques  à  Orléans,  où  il  séjourna  cinq  ou 
six  jours,  et  puis  s'en  retourna  audit  lieu  d'Amboise  ^ 

Et,  peu  de  temps  après,  vint  et  arriva  à  Paris  mon- 
seigneur de  Ghastillon,  grant  maistre  enquesleur  et 
gênerai  reformateur  des  eaues  et  forestz,  pour  prendre, 
recevoir  et  veoir  les  monstres  de  bannières  des  offi- 
ciers, gens  d'estat  et  populaire  de  la  ville  de  Paris  ^. 

Et,  le  samedi  mi®  jour  de  novembre  mil  IIIP  LXIX, 
fut  leue  et  publiée  par  les  carrefours  de  Paris,  es  lieux 
ordinaires  en  icelle  ville,  l'aliance  et  bonne  union 
faicte  entre  le  roy  et  le  roy  d'Espaigne^,  laquelle  lec- 
ture et  publicacion  fut  faicte  par  maistre  Jehan  Le 

donné  quelques  preuves  n'avaient  pas  tardé  à  se  modifier.  Aussi, 
dès  le  commencement  de  1469,  Louis  XI  délivra-t-il  au  comte  de 
Dammartin,  son  lieutenant  général  dans  le  Midi,  des  lettres  de 
commission  pour  rétablir  la  tranquillité  publique  que  troublaient 
depuis  trop  longtemps  les  bandes  armées  des  comtes  de  Foix  et 
d'Armagnac,  du  duc  de  Nemours  et  du  sire  d'Albret.  Le  13  mai, 
le  roi  enjoignait  à  son  lieutenant  de  chasser  du  Rouergue  les 
pillards  qui  infestaient  cette  province.  Le  3  juin,  dans  la  crainte 
qu'une  action  immédiate  entamée  contre  le  comte  d'Armagnac 
ne  nuisît  au  succès  des  négociations  entamée?  avec  son  frère, 
Louis  XI  contenait  encore  l'impatience  du  comte  de  Dammartin. 
Mais,  quelques  semaines  plus  tard,  Jean  V  d'Armagnac  était 
ajourné  à  comparaître  devant  le  Conseil  du  roi,  et,  sur  son  défaut, 
la  confiscation  de  ses  biens  était  prononcée.  —  On  trouvera  aux 
Interpolations  et  variantes,  §  LXIV,  de  nombreux  détails  sur  l'ex- 
pédition du  comte  de  Dammartin. 

1.  Orléans,  20-23  octobre  1469.  Le  29  du  même  mois,  Louis  XI 
était  de  retour  à  Amboise  (Itin.  cité). 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  LXIV. 

3.  Il  s'agit  sans  doute  d'un  traité  passé  ontro  Louis  XI  ot 
Henri  IV,  roi  do  Castille,  pour  assurer  le  mariage  de  Gliarles  de 
France  avec  la  fille  de  ce  roi,  Jeanne  la  Beltrancja  (Vaesen, 
Lettres  de  Louis  XI,  IV,  53  et  64). 


Î469]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  233 

Cornu,  clerc  de  la  prevosté  de  Paris^,  es  présences 
des  lieuxtenans  criminel  et  civil  de  ladicte  prevosté  et 
de  la  pluspart  des  examinateurs  ordinaires  et  extraor- 
dinaires dudit  Chastellet. 

Et,  depuis  ce,  le  roy,  monseigneur  de  Bourbon  et 
autres  seigneurs  d'autour  de  lui  se  tindrent  à  Amboise 
et  ilec  environ  et  jusques  au  samedi  xxiii®  jour  de 
décembre,  oudit  an  mil  IIIP  LXIX,  que  monseigneur 
de  Guienne,  acompaigné  des  nobles  de  sa  duchié  en 
moult  grant,  belle  et  noble  compaignie,  arriva  parde- 
vers  le  roy  en  son  chasteau  des  Motifz  lez  Tours ^,  qui 
de  sa  venue  ot  moult  grant  joye,  et  aussi  orent  la 
royne,  madame  de  Bourbon  et  autres  dames  et  damoi- 
selles  de  leur  compaignie,  qui,  incontinent  qu'ilz 
sçorent  ladicte  venue,  se  partirent  dudit  lieu  d' Am- 
boise pour  aler  audit  lieu  des  Motifz,  pour  aler  veoir 
et  festier  ledit  monseigneur  de  Guienne. 

Et,  en  ces  entrefaictes,  fut  tout  le  pays  d'Armaignac 
mis  et  rendu  es  mains  du  roy  et  sans  effusion  de  sang, 
et  tout  délivré  à  monseigneur  l'admirai  et  conte  de 

1.  A  l'avènement  de  Louis  XI,  Jean  Le  Cornu  obtint  «  la  cler- 
gie  »  de  la  prévôté  de  Paris.  Protégé  par  Jean  Bourré,  malgré  de 
«  hauts  et  outrageux  »  compétiteurs,  il  se  maintint  dans  cette 
charge  jusque  vers  1472,  époque  à  laquelle  il  aspirait  au  greffe 
du  Chàtelet  et  faisait  appuyer  sa  demande  par  Jean  Le  Prévost, 
qui  écrivait  à  Bourré  :  «  Il  est  bon  homme,  et  croy  que  on  faul- 
dra  bien  à  y  pourvoir  mieulx...  »  (voy.  un  autographe  de  J.  Le 
Cornu,  Bibl.  nat.,  ms.  fr.  20488,  fol.  6;  cf.  ms.  fr.  20487,  fol.  25, 
et  Longnon,  Villofi,  Index,  p.  296). 

2.  Cf.  Vaesen,  Lettres  de  Louis  XI,  IV,  67  et  suiv.  —  La  forme 
Motifz  pour  Montils  n'est  pas  rare  au  xv'  siècle.  Au  mois  de 
novembre  1469,  Louis  XI  séjourna  à  «  Rougny  »,  près  Amboise, 
et  à  Tours,  en  l'hôtel  de  la  Bezarde  (Bibl.  nat.,  ms.  fr.  6758, 
toi.  83;  comptes  sur  parch.). 


234  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1469-1470 

Dampmartin,  comme  gouverneur  de  ladicte  armée 
pour  le  roy*.  Et  demourerent  depuis  ce  le  roy,  mon- 
seigneur de  Guienne,  la  royne,  madicte  dame  de  Bour- 
bon et  autres  de  ladicte  compaignie  oudit  chasteau  des 
Motifz,  faisans  ilec  de  moult  grans  chères,  et  jusques 
après  Noël,  que  mondit  seigneur  de  Guienne  s'en  parti 
et  print  congié  du  roy  et  de  toute  sa  compaignie  et 
s'en  ala  et  retourna  à  la  Rochelle,  à  Saint-Jehan  d'An- 
gely  et  autres  ses  pays  voisins,  pour  ilec  tenir  ses  estas 
et  appoincter  de  ses  offices  et  autres  affaires  de  sondit 
pays  et  duchié  de  Guienne. 

Et  après  le  roy  s'en  revint  et  retourna  audit  lieu 
d'Amboise  où  il  se  tint  depuis  par  aucun  temps', 
durant  lequel  il  envoya  ses  ambassadeurs  pardevers 
le  duc  de  Bretaigne  ;  par  lesquelz  ses  ambassadeurs  il 
envoioit  audit  duc  de  Bretaigne  son  ordre  nouvelle- 
ment mise  et  créé  sus,  afin  que  icelle  il  portast  et  jurast 
tout  ainsi  et  selon  que  l'avoient  prinse  et  jurée  plu- 
sieurs autres  princes  et  seigneurs  de  ce  royaume^.  Et 
ja  soit  ce  que  le  roy  lui  eust  fait  cest  honneur,  neant- 
moins  de  prime  face  il  la  refusa  et  ne  la  voulut  prendre 
ne  accepter  ;  et  disoit  on  que  c'estoit  pour  ce  que  aupa- 
ravant ledit  duc  de  Bretaigne  avoit  prinse  la  Toison 
d'or,  en  soy  declairant  amy,  frère  et  alié  du  duc  de 
Bourgongne  ;  pour  quoy  le  roy  se  tint  pour  mal  con- 
tent et  non  sans  cause.  Et,  bientost  après,  le  roy 
ordonna  certaine  quantité   de   gens  d'armes  de  son 

1 .  Le  comte  d'Armagnac  no  tenta  pas  de  résister  et  s'enfuit  à 
Fontarabie  (fin  décembre  1469),  puis  à  Saint-Sébastien. 

2.  Du  30  décembre  1469  à  la  mi-janvier  1470  (Itin.  cité). 

3.  Inlerpolaiions  et  variantes,  §  LXV.  —  L'ordre  de  Saint-Michel 
fut  institué  à  Amboise  le  l"  août  1469  {Ordonnances,  XVII,  236). 


1470]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  235 

ordonnance  et  frans  archers  avecques  partie  de  son 
artillerie,  pour  aler  faire  guerre  audit  duc  de  Bretaigne 
et  à  ses  pays.  Mais,  avant  le  partement  desdictes  gens 
de  guerre  d'aler  oudit  pays  de  Bretaigne,  fut  donné 
delay  audit  dudit  duc  de  Bretaigne  de  dix  jours  entiers, 
qui  faillirent  le  xv®  jour  de  février,  pour  donner  au 
roy  sa  response  de  tout  ce  qu'il  avoit  intencion  de  faire 
et  comment  il  se  vouloit  avecques  lui  gouverner^. 

Et,  le  mercredi  xmi^  jour  d'icellui  mois  de  février, 
furent  leues  et  publiées  es  carrefours  de  Paris  le  man- 
dement patent  du  roy  signé  :  G.  de  Cerisaij,  par  lequel 
le  roy  mandoit  au  prevost  de  Paris  qu'il  estoit  deue- 
ment  acertené  que  le  roy  Edouart  d'Angleterre  et  les 
princes,  seigneurs  et  populaire  dudit  royaume,  qui 
par  long  temps  avoient  esté  en  grant  guerre  et  divi- 
sion entre  eulx,  avoient  fait  leur  paix  et  pacificacion 
entr'eulx,  et  que  tous  iceulx,  estans  assemblez  en 
conseil,  avoient  conclud,  promis  et  juré  de  venir  des- 
cendre en  plusieurs  et  divers  lieux  de  ce  royaume,  en 
entencion  de  y  prendre,  saisir  et  gaster  villes,  places, 
pays  et  forteresses  et  destruire  ledit  royaume  et  les 
habitans  d'icellui,  tout  ainsi  que  autrefoiz  ilz  avoient 
fait.  Pour  lesquelles  causes,  et  voulant  par  le  roy  de 
tout  son  povoir  et  puissance  obvier  aux  dampnées  et 
faulses  entreprinses  desdiz  Anglois,  ordonna  son  ban 
et  arrière  ban  estre  fait,  et  que  par  ledit  prevost  de 
Paris,  toutes  excusacions  cessans,  il  contraignist  vigue- 
reusement  et  sans  aucun  déport  tous  les  nobles  et  non 
nobles  tenans  en  fief  et  arrière  fief,  privilégiez  et  non 

1.  Sur  ces  négociations  avec  la  Bretagne  et  les  conférences 
d'Angers,  voir  Dupuy,  Hist.  de  la  réunion  de  la  Bretagne  à  la 
France,  I,  242  et  suiv. 


236  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1470 

privilégiez,  à  estre  tous  en  armes  et  habillement  souf- 
fisant  et  en  personne,  sans  y  prendre  ne  recevoir 
aucun  ou  lieu  d'eulx,  dedens  le  premier  jour  de  mars 
ensuivant,  et  sur  peine  de  confiscacion  de  corps  et  de 
biens,  en  défendant  de  par  le  roy  par  lesdictes  lettres 
audit  prevost  et  tous  autres  de  bailler  ne  recevoir 
aucune  excusacion  ou  certifficacion  pour  iceulx  tenans 
en  fief  ou  arrière  fief,  sur  |>eine  de  perdicion  de  leurs 
offices  et  de  confiscacions  de  corps  et  de  biens,  et 
non  obstant  oppositions  ou  appellacions,  et  aussi  en 
declairant  les  defaillans  ou  refusans  estre  ennemis  du 
roy  et  avoir  confisqué  envers  lui  corps  et  biens,  sans 
jamais  le  leur  remettre  ne  pardonner. 

Et,  ce  mesme  jour  de  mercredi,  vint  nouvelles  à 
Paris  que  monseigneur  de  Bourgongne  avoit  esté  veu 
en  la  ville  de  Gand,  portant  à  l'une  de  ses  jambes  l'ordre 
de  la  Jarretière  et  sur  lui  la  croix  rouge,  qui  est 
l'ordre  et  enseigne  dudit  roy  Edouart  d'Angleterre  ; 
et  à  ceste  cause  se  demonstroit  et  declairoit  ennemi 
capital  du  roy  et  du  royaume  et  comme  Anglois  tenu 
et  réputé^. 

En  après,  ledit  seigneur  de  Bourgongne  envoya  à 
Tours  ses  ambasseurs  pardevers  le  roy,  lesquelz 
depuis  y  demourerent  par  certain  temps,  ilec  atten- 
dans  leur  expedicion.  Durant  ces  choses,  le  viconte  et 

\.  L'acte  d'Edouard,  roi  d'Angleterre,  constatant  l'élection  du 
duc  de  Bourgogne  comme  chevalier  de  la  Jarretière,  porte  la  date 
de  Windsor,  13  mai  1469,  mais  le  seigneur  de  Duras  n'apporta 
l'ordre  à  Charles  le  Hardi  que  le  31  janvier  1470  (u.  st.),  à  Gand 
(Lenglet,  III,  99-101).  Louis  XI  considéra  l'acceptation  du  tUtc 
do  Bourgogne  comme  une  infraction  au  traité  de  Péronno,  qui  lui 
interdisait  de  conclure  une  alliance  avec  les  Anglais  sans  le  con- 
sentement du  roi  de  France  (Ibid.,  77). 


I 


1470]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  237 

seigneur  de  Thouars  en  Polctou  ala  de  vie  à  trespas, 
et  lequel  en  son  vivant  avoit  donnée  et  laissée  sa  suc- 
cession au  roy,  pour  en  joyr  par  lui  incontinent  après 
son  trespas.  Et  pour  icelle  succession  avoir  et  recueil- 
lir, le  roy  s'en  parti  pour  aler  oudit  pays  de  Poictou, 
pour  prendre,  saisir  et  avoir  ladicte  succession  d'icel- 
lui  seigneur  de  Thouars  ;  à  quoy  faire  le  roy  y  demoura 
par  tout  le  moys  d'avriP. 

Oudit  moys  d'avril,  ung  nommé  maistre  Pierre 
Durant,  qui  estoit  nepveu  dudit  cardinal  d'Angers, 
lequel  par  long  temps  avoit  esté  détenu  prisonnier  ou 
chasteau  de  Mailly,  eschappa  des  prisons  dudit  lieu  et 
s'en  vint  jusques  à  Paris,  où  il  y  fut  congneu  par  ung 
apoticaire  nommé  Chambetin,  et  fut  derechef  prins  et 
saisy  et  mené  prisonnier  es  prisons  de  la  Concier- 
gerie du  Palais  royal,  à  Paris,  où  il  y  fut  détenu 
jusques   au  xxvi*  jour  d'avril  mil   IIIP  LXX  après 

1.  Les  deux  manuscrits  de  notre  chronique  portaient  primitive- 
ment Villars  au  lieu  de  Thouars,  mais  la  correction  est  ancienne. 
L'édition  gothique  et  les  suivantes  donnent  Villars.  —  Louis  d'Am- 
boise  étant  mort  le  28  février  1470,  Louis  XI  s'empara  aussitôt  de 
sa  succession  en  vertu  d'un  acte  de  donation  en  date  du  25  janvier 
1462,  déguisé  sous  les  apparences  d'une  vente  avec  réserve  d'usu- 
fruit au  profit  du  vicomte  de  Thouars  (Vaesen,  Lettres  de  Louis  XI, 
IV,  274).  Au  mois  de  mai  1470,  le  roi  fit  don  à  sa  fille  Anne  de 
la  vicomte  de  Thouars,  en  considération  de  son  prochain  mariage 
avec  Nicolas,  marquis  de  Pont  (Arch.  nat.,  P  1373',  c.  2141,  orig. 
parch.).  Mais,  cette  union  ayant  été  rompue,  la  donation  fut  annu- 
lée, et,  considérant  que  ce  fief  était  le  plus  important  du  Poitou 
—  il  contenait  plus  de  1,700  vassaux,  s'étendait  jusqu'à  l'Océan  et 
comptait  en  outre  plusieurs  îles  —  Louis  XI  le  réunit  au  domaine 
(aux  Forges,  27  octobre  1476;  Ordonnances,  XVIII,  208).  La 
vicomte  n'en  fut  pas  moins  restituée  plus  tard  par  Charles  VIII 
aux  La  Trémoille,  héritiers  légitimes  des  d'Amboise. 


238  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1470 

Pasques,  qu'il  fut  tiré  et  mis  hors  desdictes  prisons 
de  la  Conciergerie  et  baillé  et  délivré  es  mains  des 
sergens  et  serviteurs  du  prevost  des  mareschaulx, 
pour  mener  où  ordonné  leur  seroit. 

Ou  mois  de  may  ensuivant  mil  IIIPLXX,  le  conte 
de  Warwik  et  le  duc  de  Glairance  avec  leurs  femmes, 
qui  dechacez  avoient  esté  par  le  roy  Edouart  d'An- 
gleterre, au  moien  de  certains  grans  debas  et  ques- 
tions qui  s'estoient  meuz  entre  eulx,  se  mirent,  eulx, 
leurs  serviteurs  et  autres  gens  qu'ilz  avoient  peu 
recueillir,  en  plusieurs  navires  sur  mer,  jusques  au 
nombre  de  iiii^^  navires,  et  s'en  vindrent  prendre  terre 
en  Normendie  jusques  à  Konnefleu  et  Harfleu*.  Et  ilec 
ilz  trouvèrent  monseigneur  l'admirai  qui  les  recueilli, 
et  bouta  lesdiz  de  Waruic,  de  Clairence,  le  conle  de 
Watsonford- et  leurs  dames  et  damoiselles,  avecques 
ung  peu  de  leur  privée  mesgnée.  Et,  au  regard  des 
navires,  ilz  se  retrairent  depuis,  et  ceulx  estans 
dedens  es  hables  de  Honnefleu  [et]  à  Barfleu^.  Et,  en 
après,  aussi  se  deslogerent  les  dames  et  damoiselles 

1.  Georges  d'York,  duc  de  Glarence,  frère  d'Edouard  IV,  avait 
épousé  le  11  juillet  1469  Isabelle,  fille  du  comte  de  Warwick  et 
d'Anne  Beauchamp.  Warwick,  voyant  baisser  de  plus  en  plus  le 
crédit  dont  il  avait  joui  auprès  du  roi  Edouard,  entraîna  Gla- 
rence à  la  rébellion;  après  un  succès  éphémère  et  une  réconci- 
liation apparente  avec  le  roi,  ils  soulevèrent  une  nouvelle  révolte. 
A  la  fin  du  mois  de  mars  1470,  ils  étaient  décrétés  de  prise  de 
corps  et  s'embarquaient  pour  Calais,  dont  le  comte  de  Warwick 
était  capitaine.  Mal  accueillis  par  lord  Weulok,  lieutenant  de 
Warwick,  les  fugitifs  durent  chercher  un  refuge  en  Normandie, 
non  sans  avoir  saisi  en  route  plusieurs  navires  bourguignons. 

2.  Le  comte  de  Waterford  (?). 

3.  Le  havre  de  Barfleur  est  auj.  dans  le  dép.  de  la  Manche, 
à  i'extrémit(^  du  Gotentin. 


1470J  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  239 

et  leur  train,  et  s'en  alerent  à  Valongnes\  où  leur 
logis  leur  fut  ordonné. 

Et,  bientost  après  ces  choses,  le  duc  de  Bourgongne, 
sachant  ce  que  dit  est,  escripvy  lettres  missives  à  la 
court  de  Parlement,  par  lesquelles  il  leur  mandoit 
qu'il  avoit  sceu  que  le  roy  avoit  recueilly  ledit  de 
Waruik  en  aucunes  villes  de  son  royaume  es  marches 
de  Normandie,  qui  estoit  aie  contre  l'appoinctement 
fait  à  Peronne  entre  le  roy  et  lui,  en  priant  et  exhor- 
tant ausdiz  de  Parlement  qu'ilz  voulsissent  remonstrer 
ces  choses  au  roy,  à  ce  qu'il  ne  favorisast  ledit  de 
Waruyk  et  ceulx  de  sadicte  compaignie,  qu'il  disoit 
estre  son  ennemy  capital  et  dudit  royaume,  ou  autre- 
ment il  le  yroit  quérir  quelque  part  qu'il  le  peust 
savoir  en  France,  pour  en  faire  à  son  bon  plaisir-. 
Et,  nonobstant  ce,  ledit  de  Waruik  séjourna  etdemoura 
depuis  certain  temps,  durant  le  mois  de  juing,  audit 
Honnefleu^.  Et,  durant  ce  temps,  plusieurs  gens  de 

1.  Valognes,  auj.  dép.  de  la  Manche,  aune  douzaine  de  kilom. 
de  la  mer.  — ;  «  Vous  me  faictes  enrager  de  mettre  et  laisser  les 
dames  si  près  de  Seyne  et  de  ces  marches.  Et,  pour  ce,  je  vous 
prie,  faictes  qu'elles  aillent  plus  bas,  et  me  deust  il  couster  le 
double  des  despens,  car  je  les  paierai  voulentiers  »  (Louis  XI  à 
Goncressault  et  à  Bourré,  d'Amboise,  le  19  mai,  dans  Vaesen, 
IV,  112.  Cf.  l'Instruction  aux  mêmes,  imprimée  par  Lenglet, 
m,  124  et  suiv.). 

2.  Voy.  le  texte  des  lettres  du  duc  de  Bourgogne  aux  gens  du 
Parlement  de  Paris  et  au  roi  de  France  en  date  des  25  et  29  mai 
1470  (Lenglet,  lU,  120). 

3.  Louis  XI  fut  peu  ravi  de  voir  Warwick  amener  en  Norman- 
die tout  un  convoi  de  navires  enlevés  à  des  sujets  du  duc  de 
Bourgogne.  «  Jamais,  »  écrit-il  au  seigneur  de  Goncressault  et  à 
Bourré,  «  je  ne  seray  à  mon  ayse  tant  que  je  sache  au  certain 
que  tous  leurs  navires  soient  partiz  et  qu'il  n'en  soient  demouré 
ung  tout  seul,  »  etc.  (Vaesen,  IV,  111). 


240  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1470 

guerre  de  l'ordonnance  du  roy  deslogerent  de  leurs 
garnisons  et  s'en  vindrent,  gastant  tout  le  plat  pays, 
loger  et  eulx  mettre  en  plusieurs  villes  et  places  sur 
les  marches  de  Normandie  et  Picardie  ^ . 

Oudit  moys  de  juing  advint  que  deux  hommes  de 
guerre  de  ladicte  ordonnance,  soubz  la  charge  de 
monseigneur  le  connestable,  tuèrent  et  murdrirent 
deux  jeunes  clers  du  trésorier  des  guerres  en  pleine 
Beausse,  pour  avoir  l'argent  qu'ilz  port  oient  pour  le 
paiement  des  gens  d'armes.  Et,  peu  de  temps  après, 
furent  prins  et  saisis  à  Honnefleu  et  d'ilec  menez  par- 
devers  mondit  seigneur  le  connestable  en  la  ville  de 
Meaulx,  où  ilz,  à  deux  arbres  et  sur  deux  divers  che- 
mins, furent  pendus  et  estranglez. 

En  ces  entrefaictes,  le  roy  se  tint  et  séjourna  à 
Tours,  à  Amboise,  Vendosme  et  autres  lieux  près 
d'ilec^,  pardevers  lequel  lesdiz  Anglois  alerent;  et 
aussi  y  fut  et  ala  la  royne  d'Angleterre  et  le  prince  de 
Galles  son  filz^.  Et,  ilec  tous  arrivez,  fut  pourparlé 
entre  eulx  de  la  matière  pour  quoy  ilz  estoient  ilec 
tous  venus  et  arrivez.  Et  depuis  s'en  retournèrent 

1.  Précisément  à  la  date  du  29  mai  1470,  Louis  XI  notifia  aux 
Lyonnais  et  aussi  aux  habitants  d'Honfleur  une  ordonnance  qu'il 
venait  de  rendre  dans  le  but  de  réprimer  les  excès  des  gens  de 
guerre  (Vaesen,  Lettres  de  Louis  XI,  IV,  119  et  suiv.). 

2.  Mai  et  juin  1470. 

3.  Il  s'agit  de  la  reine  Marguerite  d'Anjou,  femme  d'Henri  VI 
de  Lancastre,  dont  Warwick  avait  abandonné  la  cause.  Louis  XI 
réussit  à  réconcilier  l'altière  princesse  et  le  a  faiseur  de  rois  »  et  Qt 
le  mariage  d'Edouard,  prince  de  Galles,  avec  la  seconde  iille  du 
comte  (25  juillet  1470;  Vaesen,  Lettres  de  Louis  XI,  IV,  131).  Le 
23  juin,  le  roi  de  France  écrit  à  Henri,  roi  de  Gastille,  que,  la  reine 
d'Angleterre  ayant  sollicité  son  assistance  contre  Edouard  de  la 
Marche  (Edouard  IV),  il  s'est  déclaré  contre  ce  dernier  (Ibid.,  123), 


1470]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  241 

lesdiz  Anglois  à  Honnefleu,  à  Valongnes,  Saint-Lo  et 
autres  lieux  en  Normendie. 

Durant  ce  que  dit  est,  le  duc  de  Bourgongne  fist 
prendre  et  mettre  en  sa  main  toute  la  marchandise 
qu'il  avoit  en  ses  pays  appartenant  aux  marchans  de 
France,  jusques  à  ce  que  les  marchans  de  ses  pays 
eussent  eu  restitution  d'aucuns  biens  prins  sur  mer 
par  lesdiz  Anglois^. 

Oudit  temps,  et  le  samedi  derrenier  jour  de  juing 
mil  JIIPLXX,  environ  entre  deux  et  trois  heures  de 
matin,  la  royne  acoucha  ou  chasteau  d'Amboise  d'un 
beau  fîlz,  qui  ilec  fut  baptisé-  et  nommé  Charles  par 
monseigneur  l'arcevesque  de  Lyon,  avecques  le  prince 
de  Galles,  fiiz  de  Henry  jadiz  roy  d'Angleterre  et  pri- 
sonnier détenu  par  Edouard,  roy  dudit  pays  d'Angle- 
terre. Et  la  commère  fut  madame  Jehanne  de  France, 
duchesse  de  Bourbon.  Et  de  ladicte  nativité  fut  grant 
joye  faicte  et  espandue  par  tout  le  royaume  de  France, 
et  en  furent  chantez  en  divers  lieux  Te  Deum  lauda- 

1.  Dès  le  19  mai,  Louis  XI  écrivait  à  Bourré  :  «  Je  vous  baille 
charge  d'envoler  incontinent  devers  les  gens  de  Mgr  de  Bour- 
gongne,  et  leur  mandez  que  je  vous  ay  envoyé  pardellà  (à  Hon- 
fleur)  pour  recouvrer  tout  ce  que  vous  pourrez  trouver  des  biens  des 
subgectz  de  mond.  seigneur  de  Bourgongne  »  fVaesen,  IV,  112). 
Charles  le  Hardi  ne  voulut  rien  entendre,  et,  le  12  juin  1470, 
il  édicta  à  Middelbourg  la  mesure  inique  dont  il  est  question 
ici  (IbicL,  126.  Cf.  Chastellain,  Y,  454  et  suiv.).  Le  1"  juillet, 
Louis  XI  interdisait  aux  gens  de  Troyes  d'user  de  représailles  en 
arrêtant  les  marchands  bourguignons  (Vaesen,  IV,  125  et  suiv.). 
Enfin,  le  28  septembre,  une  circulaire  adressée  aux  villes  du 
royaume  et  particulièrement  aux  Lyonnais  faisait  défense  aux 
marchands  du  royaume  de  se  rendre  en  Flandres  ou  d'envoyer 
des  marchandises  en  aucun  des  pays  du  duc  de  Bourgogne  (Ibid., 
IV,  146  et  suiv.). 

2.  Dans  l'église  Saint-Florentin. 


242  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1470 

7nus  et  autres  belles  louenges  à  Dieu,  les  feux  faiz 
parmy  les  rues,  tables  rondes  et  autres  grans  joies  et 
esbatemens. 

Et,  tantost  après  ladicte  nativité,  le  roy  de  Cécile, 
monseigneur  de  Guienne,  monseigneur  de  Bourbon, 
de  Lion,  Beaujeu  et  autres  s'en  alerent  à  Angers,  à 
Saumur,  le  Pont  de  Sée  et  autres  lieux  ilec  environ, 
pour  trouver  pacificacion  et  accord  avecques  le  duc 
de  Bretaigne  sur  aucune  question  qui  estoit  entre  le 
roy  et  ledit  duc  de  Bretaigne  ^  Et  ilec  demourerent 
par  certain  temps  et  jusques  à  ce  que  appoinctement 
s'i  trouva  et  fut  fait  entr'eulx;  et  puis  le  roy  s'en 
retourna  pardevers  la  roy  ne  à  Amboise-.  Après  ledit 
accord  ainsi  fait,  furent  envoiez  ambaxadeurs  dudit 
duc  de  Bretaigne  pardevers  ledit  de  Bourgongne,  et 
lui  furent  rendus  le  seel  et  aliance  qui  estoit  entre 
eulx  ;  de  quoy  ledit  de  Bourgongne  se  courrouça  fort, 
quant  il  apparceut  l'accord  du  roy  et  dudit  de  Bre- 
taigne^. 

■1 .  Il  s'agissait  de  réclamations  élevées  par  le  duc  de  Bretagne 
contre  certaines  prises  faites  sur  mer  au  détriment  de  ses  sujets, 
prises  amplement  compensées  par  des  actes  de  piraterie  com- 
mis par  des  Bretons  contre  des  marchands  rouennais  (voy. 
Lenglet,  III,  125-139).  —  «  Le  roy,  dit  Ghastellain,  laboroit  jour 
et  nuit  pour  séparer  le  duc  breton  de  l'amistié  du  duc  de  Bour- 
gongne et  pour  l'avoir  devers  luy  :  de  quoy  toutefois  il  ne  povoit 
flner  à  son  gré.  Mais  enfin  tant  pratiqua  devers  luy  que  le  duc  de 
Bretagne  luy  promit  amour,  service,  assistance  et  alliance  envers 
tous  et  contre  tous,  réservé  le  duc  de  Bourgongne  »  (V,  461). 

2.  Il  avait  quitté  Amboise  pour  l'Anjou  le  4  juillet.  Il  y  rentra 
le  13  août  (Itin.  cité). 

3.  Louis  XI,  qui  ne  désirait  pas  la  guerre,  finit  par  se  conten- 
ter des  excuses  que  les  ambassadeurs  bretons  firent  valoir  en 
faveur  du  duc  François  II,  dont  les  intrigues  avec  l'Angleterre  et 
la  Bourgogne  avaient  été  aggravées  par  son  refus  d'accepter  le 


1470]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  243 

Durant  ce  que  dit  est,  le  conte  de  Waruik,  dont 
devant  est  parlé,  qui  estoit  oudit  pays  de  Normendie, 
cuidant  soy  en  retourner  en  son  pays  d'Angleterre,  fut 
ordonné  et  estably  sur  mer  de  par  ledit  de  Bour- 
gongne  plusieurs  beaulx  et  grans  navires  de  guerre 
comme  hurques,  galées*  et  autres  navires  en  grant 
quantité,  tous  fort  avitaillez  et  garnis  d'artillerie  et 
gens  de  guerre,  d'Anglois,  Bourguignons,  Picars  et 
autres^,  et  singlerent  en  mer  tellement  qu'ilz  s'en  vin- 
drent  arriver  et  entrer  sur  la  coste  de  Normendie 
environ  la  fosse  de  l'Eure^,  cuidans  trouver  et  ren- 
contrer ledit  de  Waruik  et  sa  compaignie  pour  les 
desconfire.  Et  ilec  demourerent  à  l'anchre  par  certain 
long  temps,  pendant  lequel  le  roy,  qui  estoit  à  Am- 
boise,  s'en  parti  et  ala  au  Mont  Saint-Michel  en  pèle- 
rinage. Et,  après  icellui  fait  et  acomply,  s'en  revint  et 
retourna  à  Avranches,  Tombelaine,  Constances,  Gaen, 
Honnefleu  et  autres  places  de  Normandie^,  et  ilec,  sur 
la  coste  de  la  mer,  fist  aussi  arriver  et  avitailler  sa  nef, 

collier  de  l'ordre  de  Saint-Michel,  récemment  créé  par  le  roi  de 
France  (D.  Taillandier,  Histoire  de  Bretagne,  II,  112). 

1.  Les  hurques  ou  hourques  étaient  des  navires  de  transport  à 
fond  plat,  à  poupe  et  à  proue  arrondies  ;  les  galées,  des  vaisseaux 
longs,  étroits,  marchant  surtout  à  rames.  (Godefroy,  Dictionn.  de 
l'anc.  langue  française.) 

2.  «  De  celle  flotte  du  duc  de  Bourgongne  furent  chiefz  le  sei- 
gneur de  la  Vere,  Zellandois,  le  seigneur  de  la  Gruthuse,  le  sei- 
gneur de  Halluin  et  aucuns  autres,  et  estoient  bien  xxxvi  navires  » 
(Bibi.  nat.,  Chronique  citée,  ms.  fr.  20354,  fol.  200). 

3.  A  l'embouchure  de  la  Seine,  rive  droite.  La  baie  de  l'Eure, 
devenue  une  plaine  marécageuse,  plus  tard  desséchée,  est  occu- 
pée maintenant  par  un  quartier  de  la  ville  du  Havre. 

4.  Tombelaine  est  une  petite  île  voisine  du  Mont-Saint-Michel. 
Louis  XI  quitta  Amboise  le  21  août  1470  et  arriva  au  Mont  le  28. 
Il  regagna  Avranches  le  31  août  et  parvint  à  Caen  le  10  septembre. 

I  18 


244  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1470 

la  nef  monseigneur  l'admirai,  la  nef  de  Colon  ^  et  autres 
plusieurs  beaulx  navires,  dedens  lesquelz  se  mirent  et 
boutèrent  lesdiz  de  Glairence,  de  Waruic  et  ceulx  de 
leur  compaignie,  avecques  aucuns  frans  archers  et 
autres  gens  de  guerre  que  le  roy  lui  avoit  baillez  pour 
leur  seureté  et  conduite^.  Et,  incontinent  qu'ilz  furent 
ainsi  montez  que  dit  est,  près  de  partir  et  singler  en 
mer,  lesdiz  Bourguignons,  Anglois,  Picars  et  autres, 
voians  qu'ilz  avoient  longuement  esté  à  l'encre  sans 
avoir  riens  fait  et  mengié  tous  leurs  vivres,  retirèrent 
leursdiz  anchres  et  s'en  retournèrent  à  leur  duc  sur 

1 .  «  Noble  homme  Guillaune  de  Gasenove,  dit  Goullomb,  ecuyer , 
vice  amiral  de  France,  maître  enquêteur  et  reformateur  des  eaux 
et  forests  du  roi  en  Normandie  et  Picardie  (Bibl.  nat.,  ms. 
fr.  20492,  n°  904,  et  ms.  fr.  20493,  n»  935,  parch.).  Sur  ce  grand 
homme  de  mer,  voir  la  notice  que  lui  a  consacrée  M.  Harrisse 
{Les  Colombo  de  France  et  d'Italie,  fameux  marins  du  XV'  siècle.  Paris, 
1874,  in-4o).  Guillaume  de  Gasenove  avait  épousé  Guillemette  Le 
Sec  et  mourut  vers  1482.  Au  mois  de  décembre  1470,  le  capitaine 
des  navires  du  roi  se  nommait  Raoul  Payan  (Bibl.  nat.,  ms. 
fr.  6759,  fol.  74;  compte  sur  parch.  Cf.  ms.  fr.  20490,  fol.  98). 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  LXVI.  —  Louis  XI  eut  mille 
peines  à  se  débarrasser  de  ses  hôtes.  Il  avait  beau  leur  faire 
remettre  de  l'argent,  payer  les  arcs,  trousses  et  brigandines  que 
Warwick  avait  commandés  à  Rouen  et  à  Paris,  «  afin  qu'il  ne 
prengne  son  excuse  sur  ce,  »  les  Anglais  ne  partaient  pas.  Le 
21  août,  Tanneguy  du  Ghàtel  écrit  de  Valognes  à  Jean  Bourré 
que  les  gens  du  comte  refusent  de  regagner  Bartleur,  et  disent  en 
pleine  rue  qu'ils  ne  se  battront  pas  si  on  ne  leur  donne  de  l'argent. 
Warwick  lui-même  avait  engagé  partie  de  ses  biens  meubles 
(Bibl.  nat.,  ms.  fr.  20486,  fol.  6,  orig.  Gf.  ms.  fr.  20489,  fol.  17),  et 
d'autre  part,  il  n'osait  prendre  la  mer  par  crainte  des  vaisseaux 
bourguignons.  «  Si  luy  tarda  fort  et  annuya;  aussy  fit  il  au  roy 
Loys,  qui  volentiers  en  eut  esté  quite,  car  en  avoit  grans  frais 
sur  ses  bras  et  grandes  constances  »  (Ghastellain,  V,  468).  Pour 
accompagner  Warwick,  l'amiral  fut  mis  à  la  tête  de  soixante 
navires  français. 


1470]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  245 

trayne  boyau  et  sans  avoir  riens  fait;  de  quoy  il  eut 
bientost  ris  son  saoul,  pour  ce  qu'ilz  avoient  perdu 
grant  temps  et  si  avoit  beaucop  fraie  et  despendu  à 
ravitaillement  desdiz  navires  et  au  soudoy  desdiz  gens 
de  guerre*. 

Et,  ce  fait,  ledit  de  Waruic  acompaigné  comme 
dessus,  entrèrent  en  mer  et  orent  vent  propre  et  à 
gré,  tel  que  en  peu  de  temps  ilz  vindrent  arriver  oudit 
royaume  d'Angleterre,  et  descendirent  et  arrivèrent 
iceulx  navires  à  Plemue  et  Dertemue  à  heure  de  nuit^. 
Et,  tout  incontinent  qu'il  ot  mis  le  pié  à  terre,  il 
envoy[a]  à  dix  mil  dedens  ledit  pays  d'Angleterre  par 
aucuns  de  ses  gens  prendre  et  saisir  ung  baron  d'An- 
gleterre qui  estoit  en  son  lit  couchié  et  qui  ne  pensoit 
point  à  ladicte  descendue,  et  l'amenèrent  au  matin 
pardevers  ledit  Waruik  ;  auquel  baron,  incontinent  lui 
arrivé,  fut  mise  la  teste  hors  de  dessus  les  espaules.  Et 
après  s'en  ala  hors  dudit  lieu  [de]  Dertemue  à  Bristo^, 
où  il  fut  bien  recueilly  ;  et  ilec  avoit  laissé  son  artil- 
lerie et  de  ses  bagues,  quand  il  s'en  ala  en  Normandie. 
Et,  après  qu'il  ot  recouvré  ces  choses  et  avant  qu'il 
feust  trois  jours,  il  vint  et  arriva  pardevers  lui  plus 

1.  Interpolations  et  variantes,  §  LXVII. 

2.  «  Dieu  voulut  ainsi  disposer  des  choses  que  ceste  nuict 
sourdit  une  grande  tourmente  et  telle  qu'il  fallut  que  l'armée  dud. 
de  Bourgongne  fuyst,  et  coururent  les  ungs  des  navires  en 
Escosse,  les  aultres  en  Hollande,  et  en  peu  d'heures  après  se 
trouva  le  vent  bon  pour  led.  conte,  lequel  passa  sans  péril  en 
Angleterre  »  (Gommynes,  éd.  Dupont,  I,  242).  Il  débarqua  à  Ply- 
mouth  et  à  Dartmouth  (comté  de  Devon)  le  13  septembre  1470. 
Le  convoi  rendu  à  bon  port,  l'amiral  français  retourna  en  Nor- 
mandie (Ghastellain,  V,  469). 

3.  Bristol,  au  fond  du  golfe  du  même  nom,  sur  la  côte  occiden- 
tale d'Angleterre. 


246  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1470 

de  LX"*  hommes  en  armes,  pour  le  servir  et  vivre  et 
mourir  pour  lui.  Il  se  mist  dessur  les  champs,  tous- 
jours  cerchant  à  trouver  ledit  Edouart,  et  fut  plus  de 
quinze  jours  après  sadicte  descendue  avant  qu'en 
France  on  peust  avoir  autres  de  ses  nouvelles*. 

Après  les  choses  dessusdictes,  le  seigneur  d'Ar- 
gueil,  filz  du  prince  d'Orenge,  qui  estoit  domestique 
et  le  plus  prouchain  dudit  Bourguignon,  et  qui  estoit 
marié  à  la  seur  de  monseigneur  de  Bourbon ,  s'en 
party  et  embla  d'autour  dudit  de  Bourgongne  et  s'en 
vint  et  retray  pardevers  le  roy,  qui  bien  le  recueilly^. 
Et,  quant  ledit  duc  sçot  ledit  partement,  il  cuida  enra- 
ger et  crever  de  dueil,  et,  en  la  présence  de  ladicte 
ambaxade  de  Bretaigne,  ledit  duc  de  Bourgongne 
declaira  ledit  seigneur  d'Argueil  avoir  confisqué  envers 
lui  corps  et  biens,  et  puis  fîst  arraser  et  abatre  toutes 
les  places  et  chasteaulx  qu'il  avoit  en  ses  pays. 

En  après,  le  xiiii^  jour  d'octobre,  oudit  an  mil 
IIIP  LXX,  le  roy  envoya  ses  lettres  patentes  à  Paris, 
qui  y  furent  leues  et  publiées  par  les  carrefours 
d'icelle,  presens  les  lieuxtenant  criminel  de  la  prevosté 
de  Paris  et  plusieurs  des  examinateurs  d'icellui  Chas- 

1.  Dès  le  26  septembre,  treize  jours  après  le  débarquement  de 
Warwick  sur  la  côte  d'Angleterre,  Louis  XI  annonçait  aux  gens 
d'Harfleur  la  nouvelle  de  ce  succès  (Vaesen,  Lettres  de  Louis  XI, 
IV,  143).  Trahi  par  le  marquis  de  Montagu,  frère  du  comte  de 
"Warwick,  auquel  il  avait  confié  la  défense  de  sa  cause,  le  roi 
Edouard  IV  faillit  se  laisser  surprendre  à  Doncaster.  Il  n'eut  que 
le  temps  de  s'enfuir  à  Lynn,  où  il  s'embarqua  pour  la  Hollande 
le  29  septembre. 

2.  Jean  II  de  Ghalon,  seigneur  d'Arguel,  prince  d'Orange  à  la 
mort  de  son  père  Guillaume  VIII  (28  septembre  1475),  mourut  le 
25  avril  1502.  Il  épousa  Jeanne,  tille  du  duc  Charles  de  Bourbon 
et  sœur  du  duc  Jean  U. 


1470J  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  247 

tellet.  Et,  par  lesdictes  lettres,  estoit  contenu  l'aliance 
faicte  du  roy  et  du  roy  Henry  d'Angleterre,  en  man- 
dant par  lesdictes  lettres  tous  Anglois  laisser  venir  et 
descendre  en  ce  royaume  pour  leurs  afaires  et  mar- 
chandises, sans  saufconduis  ne  autre  seureté,  comme 
les  subgetz  de  France,  sauf  en  ce  non  comprins  Edouart 
de  la  Marche,  nagueres  roy  dudit  royaume  d'Angle- 
terre, ses  aliez  et  complices. 

Et  à  ce  jour  et  depuis  vindrent  certaines  nouvelles 
en  France  que  lesdiz  de  Clairence,  Warwyk,  qui  ainsi 
estoient  sur  les  champs  et  en  armes  oudit  royaume 
d'Angleterre,  cuidans  trouver  ledit  Edouart,  prospé- 
rèrent ilec  tellement  que  tous  les  princes,  seigneurs, 
nobles,  prelas,  bourgois  et  commune  dudit  pays  d'An- 
gleterre, et  singulièrement  tout  le  populaire  de  Lon- 
dres, vindrent  au  devant  dudit  Warwyk,  et  tournèrent 
le  dos  audit  Edouart  et  vindrent  mettre  à  pleine  déli- 
vrance ledit  roy  Henry,  qui  par  long  temps  avoit  esté 
détenu  en  captivité  de  prison  par  ledit  Edouart,  et 
lui  rebaillerent  derechef  la  possession  et  joyssance 
dudit  royaume  ;  et  fut  fait  ledit  de  Waruik  gouvernant 
dudit  royaume  •.  Et  puis  s'en  vindrent  tous  en  la  cité 
de  Londres,  faisans  grans  chères  ;  et  ilec  et  aussi 
oudit  royaume  furent  mis  à  pleine  délivrance  tous 
François,  qui  ilec  estoient  prisonniers,  et  renvoiez  en 
France  quittement.  Et  si  fist  ledit  Waruic  prendre  et 
saisir  tous  les  biens  appartenans  aux  subgetz  dudit 

1.  Henri  de  Lancastre,  à  demi  insensé,  était  depuis  plus  de  cinq 
années  enfermé  dans  la  Tour  de  Londres.  Restauré  le  9  oc- 
tobre 1470,  il  fut,  comme  le  dit  Ghastellain,  «  une  ombre  en  une 
paroi  et  un  seigneur  comme  que  l'on  buCfette  as  yeux  bandés  » 
(V,  490). 


248  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1470 

de  Bourgongne  et  mettre  en  arrest  et  en  ses  mains. 
Et  puis  ledit  Edouart,  voyant  qu'il  estoit  seul  demouré 
et  du  tout  habandonné,  s'enfouy  et  wida  hors  ledit 
royaume  et  s'en  vint  à  recours  audit  duc  de  Bour- 
gongne son  beau  frère  ;  et  audit  royaume  d'Angleterre 
demoura  sa  femme  et  mesnage. 

En  après,  le  roy,  qui  par  long  temps  n'estoit  bou- 
gie de  Tours  et  Amboise, -meu  de  bonne  devocion, 
s'en  party  et  ala  à  Nostre-Dame  de  Celles  en  Poictou, 
où  il  séjourna  ung  peu^,  et  retourna  audit  lieu  d'Am- 
boise. 

Oudit  moys  de  novembre,  le  roy  envoya  à  Paris  ses 
lettres  patentes,  par  lesquelles  il  mandoit  aux  nobles, 
clers  et  laiz  de  la  ville  de  Paris  qu'ilz  feissent  proces- 
sions et  loenges  à  Dieu  et  à  la  Vierge  Marie,  et  toutes 
œuvres  cessans,  par  l'espace  de  trois  jours,  en  louant 
et  merciant  Dieu  nostre  créateur,  la  benoiste  Vierge 
Marie,  et  tous  sains  et  sainctes  de  paradis  de  la  bonne 
victoire  que  avoit  eue  Henry  de  Lencastre,  roy  d'An- 
gleterre, de  sondit  royaume,  à  l'encontre  de  Edouart 
de  la  Marche,  qui  longuement  sur  lui  Tavoit  usurpé  à 
la  faveur  dudit  duc  de  Bourgongne,  et  aussi  de  la 
bonne  paix  et  union  qui  faicte  estoit  entre  le  roy  et 
ledit  roy  Henry  d'Angleterre.  Laquelle  procession  fut 
faicte  et  acomplie  ainsi  que  le  roy  l'ot  mandé  ;  et  tout 
ainsi  en  fut  fait  par  toutes  les  bonnes  villes  de  ce 
royaume^. 

1.  Louis  XI  se  rendit  à  Notre-Dame  de  Celles  (auj.  Deux- 
Sèvres,  arr.  de  Melle)  vers  le  20  octobre,  pour  accom})lir  un  va-u 
qu'il  avait  fait  afin  d'obtenir  le  rétablissement  de  Henri  VI  (lettre 
aux  Kémois  du  19  octobre,  dans  Vaesen,  IV,  153  et  suiv.). 

2.  n  Et  se  baignoit  le  roy  Loys  en  roses,  ce  luy  sembloit. 


1470]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  249 

En  après,  le  roy  escripvy  autres  lettres  par  lesquelles 
il  mandoit  à  Paris  qu'il  y  envoioit  la  royne  d'Angle- 
terre, femme  dudit  roy  Henry,  avecques  son  filz  le 
prince  de  Galles  et  sa  femme,  fille  dudit  conte  de  War- 
uyk,  avecques  la  femme  dudit  de  Waruic,  mère  de  la 
femme  dudit  prince  de  Galles,  la  dame  de  Willechere 
et  autres  dames  et  damoiselles  de  la  compaignie  d'icelle 
royne  d'Angleterre.  Laquelle  royne  d'Angleterre  y  vint 
et  arriva  audit  lieu  de  Paris,  acompaignée  comme  dit 
est^  Et  estoient  à  l'acompaigner,  de  par  le  roy,  les 
contes  d'Eu,  de  Vendosme  et  de  Dunoys,  monseigneur 
de  Chastillon  et  autres  plusieurs  nobles  hommes.  Et 
furent  et  yssirent  hors  de  ladicte  ville  de  Paris,  pour 
aler  et  estre  au  devant  de  ladicte  royne,  et  du  com- 
mandement exprès  du  roy,  le  prélat  et  evesque  de 
ladicte  ville,  l'Université,  la  court  de  Parlement,  le  pre- 

d'oyr  ceste  bonne  aventure,  car  estimoit  bien  par  ce  moyen  le 
royaume  d'Angleterre  estre  pour  Warwyc  et  par  conséquent  for- 
trait  de  la  main  du  duc  de  Bourgongne,  qui  en  menaçoit  toute 
France.  Sy  en  fit  le  roy  grand  joie  et  grand  feste...  »  (Gbastel- 
lain,  V,  487).  M.  Vaesen  a  imprimé,  dans  ses  Lettres  de  Louis  XI, 
t.  IV,  p.  152,  la  lettre-circulaire  dont  il  est  question  ici.  On  y 
retrouve  les  expressions  mêmes  dont  se  sert  notre  chroniqueur. 
1.  Marguerite  d'Anjou  était  la  cousine  germaine  de  Louis  XI, 
et  comme  fille  du  roi  René  et  comme  femme  de  Henri  VI,  fils  de 
Catherine  de  France,  sœur  de  Charles  VII.  Edouard,  fils  de 
Henri  VI,  avait,  on  l'a  vu,  épousé  récemment  Anne  Neville,  née 
en  1451  du  mariage  du  comte  de  Warwick  avec  Anne  Beau- 
champ.  —  Éléonore,  lady  Wiltshire,  était  la  sœur  d'Edmond 
Beaufort,  duc  de  Somerset,  et  la  seconde  femme  de  James  Bute- 
ler,  comte  de  Wiltshire,  exécuté  après  la  bataille  de  Tow- 
ton  (1461)  (Dugdale,  the  Baronage  of  England,  1675,  in-fol.,  II, 
235).  Le  13  novembre,  Louis  XI  écrivait  d'Amboise  au  grand 
maître  :  «  La  royne  d'Angleterre  et  madame  de  Warvic  s'en 
yront  demain  »  (Vaesen,  IV,  171).  Leur  entrée  à  Paris  eut  donc 
lieu  vers  le  miheu  du  même  mois. 


250  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1470 

vost  de  Paris  et  suppostz  du  Chastellet,  le  prevost 
des  marchans,  les  eschevins,  marchans,  bourgois, 
manans  et  officiers  d'icelle  ville,  tous  moult  honnora- 
blement  et  en  habitz  honnestes,  et  en  moult  grant  et 
merveilleux  nombre.  Et  entra  en  icelle  ville  par  la 
porte  Saint-Jaques  ;  et  par  toutes  les  rues  par  où  elle 
passa  avoit  de  moult  belles  tapisseries  et  tentes  au 
long  desdictes  rues,  depuis  ladicte  porte  par  où  elle 
passa  jusques  au  Palais,  où  son  logis  lui  fut  moult 
honnorablement  apresté. 

En  ce  temps,  fut  amenée  à  Paris  ^  toute  la  belle 
artillerie  de  Tours,  que  le  roy  y  avoit,  laquelle  fut  mise 
et  descendue  au  chasteau  du  Louvre. 

Oudit  temps  aussi,  le  roy  escripvy  aux  prevost  des 
marchans  et  eschevins  de  ladicte  ville  de  Paris  que 
son  plaisir,  voulenté  et  intencion  estoit  de  faire  et  tenir 
la  feste  de  son  ordre  en  ladicte  ville  de  Paris,  et  que, 
pour  ceste  cause  et  pour  estre  à  icelle  feste,  y  amene- 
roit  tous  les  seigneurs  de  son  sang,  qui  y  vendroient 
et  seroient  à  grant  compaignie  de  gens,  et  que,  pour 
ceste  cause,  les  manans  et  habitans  de  ladicte  ville 
feussent  contens  qu'ilz  y  feussent  logez  et  hébergez  par 
fourriers,  ce  qui  leur  fut  accordé. 

En  ce  temps  aussi,  qui  estoit  le  mois  de  décembre, 
messire  Artus  de   Longueval,   chevalier-,  et  autres 

1.  En  provision  de  l'ouverture  des  hostilités  contre  la  Bour- 
gogne (cf.  Vaesen,  Lettres  de  Louis  XI,  IV,  182  et  suiv.). 

2.  Artus  de  Longueval,  seigneur  de  Thenelles,  etc.,  conseiller 
et  chambellan  du  roi  et  son  bailli  d'Amiens,  Uls  de  Renaud  de 
Longueval  et  de  Jeanne  de  Montmorency,  mort  en  1490,  épousa 
successivement  Jeanne  de  Contay  et  Françoise  du  Breuil  (J.  de 
Wavrin,  III,  53.  Bibl.  nat..  Pièces  orig.,  vol.  1743,  doss.  Longue- 
val, en  Picardie,  et  vol.  758,  doss.  GhoHct  de  la  Choletière). 


1471]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  251 

gentilzhommes  entrèrent  pour  le  roy  en  la  ville  de 
Saint-Quentin  en  Vermendoys,  du  bon  vouloir  des 
habitans  dudit  lieu.  Et  puis,  le  x®  jour  dudit  moys, 
monseigneur  le  connestable  vint  et  entra  pour  le  roy 
en  ladite  ville,  à  tout  ip  lances  et  les  archers  ^  Et, 
d'icelle  entrée,  le  xiiii^  jour  dudit  moys  ensuivant, 
maistre  Jehan  de  la  Driesche,  trésorier  de  France, 
maistre  Robert  Fessier^,  maistre  Pierre  de  Boienval 
et  autres  officiers  de  mondit  seigneur  le  connestable 
firent  faire  ung  cry  publique  à  son  de  trompe  à  la  table 
de  marbre,  au  palais  royal,  à  Paris,  en  faisant  savoir 
la  prinse  et  entrée  ainsi  faicte  oudit  Saint-Quentin  par 
mondit  seigneur  le  connestable,  et  que  de  ce  on  mer- 
ciast  Dieu,  en  lui  priant  de  donner  bonne  prospérité 
au  roy  et  audit  connestable,  stipulant  pour  lui  au  recou- 
vrement de  ses  autres  villes  et  pays  engaigez,  qu'il 

1.  Interpolations  et  variantes,  §  LXVIIL  —  Wavrin  dit  (III, 
53  ss.)  que  les  seigneurs  de  Petit-Moy,  de  Sains,  de  Thienelles  et 
autres  gens  du  comte  de  Saint-Pol,  qui  se  tenait  alors  à  Ham, 
à  4  lieues  de  Saint-Quentin,  vinrent  sommer  cette  dernière  ville 
le  6  janvier  1471  (n.  st.).  Ils  y  pénétrèrent  du  gré  des  habitants, 
surtout  de  ceux  du  commun,  qui  «  cryerent  Noël  à  leur  venue  et 
en  firent  grant  feste.  »  Jean  de  la  Viesville,  bailli  bourguignon  de 
Saint-Quentin,  dut  se  retirer  devant  cette  manifestation  popu- 
laire. Le  connétable  consulté  conseilla  aux  gens  de  Saint-Quentin 
de  tenir  le  parti  du  roi  de  France  et  s'engagea  à  les  faire  affran- 
chir d'impôts  pendant  seize  années.  Ils  consentirent  donc  à  rece- 
voir dans  leurs  murs  une  grosse  compagnie  de  Français,  que  le 
connétable  rejoignit  peu  après.  —  Wavrin  fournit  la  date  véri- 
table de  la  reddition  de  Saint-Quentin  ;  si  elle  avait  eu  lieu  en 
décembre,  comme  le  veut  la  Scandaleuse,  le  roi  n'eût  pas  attendu 
le  l'J  janvier  pour  en  remercier  les  habitants  (Vaesen,  Lettres  de 
Louis  XI,  IV,  185). 

2.  Robert  Fessier,  Ucencié  es  lois,  était  lieutenant  de  Jean  de 
la  Driesche,  président-clerc  de  la  Chambre  des  comptes. 


252  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1471 

avoit  intencion  de  recouvrer  et  mettre  hors  des  mains 
de  Charles,  soy  disant  duc  en  Bourgongne  ;  et  ainsi  le 
contenoit  ledit  cry. 

Ou  moys  de  janvier  ensuivant,  le  roy,  qui  se  estoit 
party  d'Amboise  pour  venir  à  Glery  et  Orléans,  s'en 
party  pour  venir  ou  pays  de  Beausse  et  vint  coucher 
au  Puiset.  Et,  le  lendemain,  s'en  ala  au  giste  à  Paloi- 
seau,  près  de  Montlehery,  et  le  lendemain  vint  à  dis- 
ner  à  Seaulx  le  Grant,  en  ung  hostel  qui  appartient  à 
maistre  Jehan  Baillet,  maistre  des  requestes  ordinaire 
de  l'ostel  du  roy,  et  d'ilec  s'en  vint  au  giste  à  Paris,  en 
son  hostel  des  Tournelles^.  Et,  avecques  ce  aussi,  y 
vindrent  la  royne,  madame  de  Bourbon  et  autres  plu- 
sieurs dames  et  damoiselles  en  leur  compaignie.  Et 
demoura  le  roy  à  Paris  jusques  au  samedi  xxvf  jour 
dudit  moys,  qu'il  s'en  party  pour  s'en  aler  à  Senlis,  à 
Gompiengne  et  autres  lieux  voisins,  où  estoit  la  plus- 
part  de  toute  son  armée  contre  ledit  duc  de  Bour- 
gongne. Et,  après  lui,  fut  menée  par  eaue  et  par  terre 
grant  quantité  de  son  artillerie  et  menée  à  Gompiengne, 
Noyon  et  ailleurs  ou  pays  de  Picardie  et  Flandres^. 

1.  Louis  XI  quitta  Amboise  vers  le  10  janvier  1471,  passa  le  12 
à  Gléry  et  séjourna  à  Orli'ans  du  13  au  16.  Le  18,  il  coucha  au 
Puiset  (Eure-et-Loir,  cant.  de  Janville)  et  le  19  à  Chastres  (auj. 
Arpajon),  et  non  à  Chartres,  comme  le  voudrait  M.  Vaesen,  Lettres 
de  Louis  XI,  IV,  187.  II  dut  arriver  le  21  à  Sceaux,  chez  Jean 
Baillet,  qui  était  seigneur  du  lieu,  et  auquel,  en  mars  1474,  v.  st., 
le  roi,  considérant  ses  nombreux  services,  fit  abandon  du  droit 
de  haute  justice  sur  cette  seigneurie,  avec  réserve  des  foi  et 
hommage  dus  à  la  couronne  à  cause  du  Chàtelet  de  Paris  et  i  au 
devoir  d'un  chien  espaignul  à  chascune  muance  de  seigneur  et  de 
vassal  »  (Arch.  nat.,  reg.  des  bannières  du  Chàtelet  de  Paris). 

2.  Les  comptes  sur  parchemin  conservés  au  ms.  fr.  6759  de  la 
Bibl.  nat.,  fol.  75  et  suiv.,  témoignent  de  l'activité  déployée  par 


1471]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  253 

Et  puis  fut  crié  à  Paris  par  les  carrefours  de  ladicte 
ville,  à  son  de  trompe,  que  tous  les  francs  archiers  de 
risle  de  France  et  aussi  tous  les  nobles  feussent  tous 
prestz  et  en  leurs  habillemens  pour  suivre  et  aler 
avecques  le  roy  en  ladicte  armée.  Et  durant  ce  temps 
fut  faicte  à  Paris  moult  grande  quantité  de  pouldre  à 
canon  et  serpentines  pour  fournir  à  ladicte  guerre. 

En  ce  temps,  avoient  esté  envolez  de  par  le  roy  sire 
Ghristofle  Paillart,  seigneur  des  Comptes,  et  sire  Jaques 
Hesselin,  contreroleur  du  grenier  à  sel  à  Paris,  en  la 
ville  d'Auxerre,  pour  sommer  les  habitans  d'icelle  de 
eulx  et  ladicte  ville  rendre  au  roy  et  de  prendre  ilec 
garnison  pour  lui  ;  et  par  lesdiz  commissaires  leur 
furent  faictes  de  moult  belles  remonstrances^.  Lesquelz 
habitans  demandèrent  ausdiz  ambaxadeurs  terme  jus- 
Louis  XI  pour  concentrer  ses  forces  à  Compiègne  et  aux  envi- 
rons comme  pour  pourvoir  aux  besoins  des  corps  stationnés  en 
Gliampagne.  Dès  le  4  janvier,  les  trésoriers  de  France  et  les  géné- 
raux des  finances  étaient  invités  à  faire  prendre  en  manière  d'em- 
prunt la  moitié  des  gages  des  officiers  royaux,  pour  fournir  aux 
frais  de  l'entrée  en  campagne  contre  les  Bourguignons  (Lenglet, 
m,  154.  Cf.  Vaesen,  Lettres  de  Louis  XI,  IV,  180,  184,  187). 

1.  Jacques  Hesselin,  seigneur  de  Boisgrenier  et  de  la  Chaussée, 
est  déjà  mentionné,  avec  la  qualification  de  contrôleur  du  grenier 
à  sel  de  Paris,  dans  un  accord  notarié  du  3  août  1456.  Comme 
son  frère  cadet  Denis,  il  comptait  dès  cette  époque  parmi  les 
principaux  paroissiens  de  Saint-Germain-l'Auxerrois  (Arch.  nat., 
LL  729,  fol.  163).  Il  avait  épousé  Marie  Boucher,  laquelle  était 
veuve  en  1492  (Bibl.  nat..  Pièces  orig.,  431-435,  doss.  Boucher. 
Cf.  Vitu,  la  Chronique  de  Louis  XI  citée,  p.  34).  —  Louis  XI  fut 
peu  satisfait  des  commissaires  qu'il  avait  envoyés  à  Auxerre. 
Le  13  décembre  1470,  il  écrit  à  Dammartin,  chargé  de  mettre 
cette  ville  à  la  raison  :  o  II  me  desplaist  des  commissaires  qui  y 
ont  esté...  Si  vous  povez  trouver  fasson  d'avoir  lad.  ville  d'Au- 
cerre,  je  vous  prie  que  le  faciez,  mais  ne  faictes  nulle  guerre...  » 
(Vaesen,  IV,  170  et  suiv.). 


254  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1471 

ques  au  jeudi  ensuivant,  pour  avoir  advis  entre  eulx 
et  de  ce  leur  rendre  response.  Pour  laquelle  response 
attendre,  s'en  alerent  lesdiz  ambaxadeurs  à  Joigny, 
distant  d'ilec  de  vi  lieues,  et  y  séjournèrent  jusques 
audit  jeudi,  que  iceulx  habitans  leur  envoierent  res- 
ponse par  ung  homme  de  ladicte  ville  que  l'en  disoit 
estre  savetier,  lequel  leur  dist  et  rendi  response  que 
lesdiz  habitans  d'Aucerre  mandoient  ausdiz  commis- 
saires qu'ilz  avoient  mis  et  bouté  avecques  eulx  dedens 
ladicte  ville  grande  garnison  de  gens  de  guerre  pour 
ledit  duc^,  et  que  au  regard  d'eulx  ilz  estoient  fermez 
et  délibérez  de  vivre  et  mourir  pour  ledit  duc  et  gar- 
der ladicte  ville  pour  lui.  Et,  le  jour  que  ladicte  gar- 
nison y  fut  boutée,  y  fut  tué  et  murdry  ung  des  bour- 
goys  d'icelle  ville,  nommé  Guillaume  Gontier,  qui  fu 
dommage,  car  il  mourut  pour  la  querelle  du  roy 
soustenir. 

Et,  après  le  parlement  du  roy  de  sa  ville  de  Paris 
pour  aler  à  Gompiengne  et  Senlis,  se  réduisirent  pour 
le  roy  la  ville  d'Amiens-,  de  Roye  et  Montdidier^.  Et 

1.  De  Bourgogne. 

2.  Le  grand  maître  entra  à  Amiens  le  2  février,  après  que  les 
habitants  en  eurent  éloigné  le  seigneur  de  Crèvecœur,  le  capi- 
taine bourguignon.  Le  lendemain,  tout  le  peuple  se  porta  à 
Notre-Dame,  où  l'on  chanta  Te  Deum;  là  fut  prêté  serment  au  roi 
et  on  cria  Noël  o  en  grant  joye  »  (Preuves  de  Gommynes,  éd. 
Dupont,  III,  272  et  suiv.).  A  Amiens  encore,  ce  fut  le  populaire 
qui  ouvrit  les  portes  de  la  ville  aux  Français.  Les  bourgeois  gar- 
dèrent la  neutralité;  ils  avaient  pressé  le  duc  de  Bourgogne, 
alors  à  DouUens,  d'occuper  Amiens,  mais  Charles,  n'ayant  avec 
lui  que  4  à  500  chevaux,  n'osa  pas  se  jeter  dans  la  ville  et  se 
retira  à  Arras  (Basin,  U,  248  et  suiv.;  Commynes,  éd.  Dupont, 
loc.  cit.). 

3.  Dammartin  occupa  Roye  «  à  pou  de  contredit.  »  Jean  de 


1471]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  255 

puis,  le  mardi  un"  jour  de  février  ^  furent  faictes  à 
Paris  processions  générales  moult  honnorables  et  y  fut 
la  royne,  madame  de  Bourbon  et  toute  leur  noble 
compaignie,  et  alerent  en  la  grant  église  de  Noslre- 
Dame  et  de  là  à  Nostre-Dame  de  Recouvrance  aux 
Carmes^,  et  là  fut  prié  pour  le  roy,  la  royne,  et  leur 
bonne  prospérité,  et  fut  dit  et  declairé  comment  les- 
dictes  villes  estoient  rendues  au  roy^,  et  entre  autres 
la  ville  d'Abbeville,  dont  il  n'estoit  riens ^. 

Oudit  temps,  furent  pris  à  Paris  et  contrains  tous 
manouvriers  de  bras,  comme  maçons,  charpentiers  de 
la  grant  coignée,  et  autres  plusieurs,  de  aler  esdictes 
villes  ainsi  nouvellement  reduictes  au  roy,  dont  on 
bailla  la  charge  au  regard  desdiz  pionniers  à  maistre 
Henry  de  la  Cloche,  procureur  du  roy  au  Ghastellet  de 

Soissons ,  seigneur  de  Poix ,  fils  de  Waleran ,  seigneur  de 
Moreuil,  bien  que  chambellan  du  duc  de  Bourgogne,  rendit  la 
ville  et,  qui  plus  est,  »  se  tourna  du  party  royal.  »  Les  Fran- 
çais se  présentèrent  ensuite  devant  les  murs  de  Montdidier, 
où  commandait  le  Bon  de  Rely,  chevalier.  Ce  capitaine  envoya 
aussitôt  demander  du  secours  au  duc  de  Bourgogne,  ajoutant  qu'il 
tiendrait  bien  sept  ou  huit  jours.  «  Aquoyil  respondyqu'ilz  feissent 
le  mieulx  qu'ilz  pourroient  et  qu'il  n'avoit  pas  ses  besongnes  prestes 
pour  les  secourir  si  tost.  »  Ceux  de  Montdidier,  «  meismemcnt 
les  femmes,  »  ne  voulaient  pas  se  rendre,  mais  leur  ville  avait  été 
incendiée  l'année  précédente,  et  ils  n'espéraient  aucun  secours. 
Us  ouvrirent  donc  leurs  portes,  «  et  s'en  retrayerent  les  gens 
d'armes  devers  le  duc  »  (Wavrin,  III,  60  s.). 

1 .  Lisez  :  V"  jour  de  février. 

2.  Près  de  la  place  Maubert. 

3.  Interpolations  et  variantes,  §  LXIX. 

4.  «  Geulx  d'Abbeville  cuyderent  faire  le  semblable,  mais 
Mgr  des  Cordes  y  entra  pour  led.  duc  et  y  pourveut  »  (Commynes, 
éd.  Dupont,  I,  215.  Cf.  Basin,  II,  251,  et  Wavrin,  l.  c).  —  Ce 
fut  par  ruse  que  les  gens  du  duc  s'installèrent  à  Abbeville. 


256  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1471 

Paris,  qui  estoit  bon  françois^  qui  les  mena  et  con- 
duisy  jusques  audit  lieu  de  Roye,  où  ilec  fut  fait  de 
grans  boulevers,  fossez,  trenchées  et  autres  fortifîca- 
cions  ;  et  aussi  en  furent  faictes  d'autres  en  autres  et 
divers  lieux  2.  Et  ilec  demourerent  lesdiz  pyonniers 
certain  grant  temps,  et  jusques  environ  le  jour  de 
Pasques,  que  le  roy  donna  et  bailla  trefve  pour  cer- 
tain temps  avecquesle  duc  de  Bourgongne,  qui  estoit 
assegé  par  les  gens  du  roy  en  son  parc  qu'il  tenoit 
entre  Bapaumes  et  la  ville  d'Amiens^,  et  là  où  il  fut 
en  telle  misère  et  povreté  qu'il  estoit  du  tout  et  sondit 
ost  à  la  disposicion  du  roy  pour  en  avoir  du  tout  fait 
à  son  bon  plaisir,  n'eust  esté  ladicte  trefve^.  Et,  depuis 
la  guerre  encommencée  jusques  à  la  dicte  trefve,  y 
ot  de  grandes  desconfitures  faictes  par  les  gens  du  roy 
sur  les  Flamens  et  Picars,  tant  sur  ceulx  qui  avitail- 


1.  Un  Jean  de  la  Cloche  était  receveur  de  Paris  en  1399  et  tré- 
sorier de  France  en  1402  (Bibl,  nat.,  Pièces  orig.,  vol.  789,  doss. 
La  Cloche,  et  Moranvillé,  le  Songe  véritable.  Paris,  1891,  in-8°, 
p.  152  et  suiv.).  Henri  de  la  Cloche,  probablement  un  de  ses  des- 
cendants, était  procureur  du  roi  au  Ghàtelet  à  la  date  du  19  sep- 
tembre 1461  (Arch.  nat.,  reg.  du  Chàtelet  Y3,  fol.  143  v°.  Cf.  Bibl. 
nat.,  ms.  fr.  20499,  fol.  96).  Il  mourut  avant  le  1*'  septembre  1472 
(Arch.  nat.,  X-'a  38,  fol.  207). 

2.  A  Amiens,  par  exemple,  où  l'on  voit  le  roi  envoyer  des 
messagers  en  mai  et  en  juin  1471  touchant  les  pionniers  t  qui 
besongnoient  es  fossez,  »  et  de  là  à  Paris  «  hasler  l'argent  desdits 
pionniers  »  (Bibl.  nat.,  ms.  fr.  6759,  fol.  109  v°.  Compte  sur  par- 
chemin). Louis  XI  fit  également  «  quérir  des  bessons  »  (des  ter- 
rassiers) en  Bretagne  (Vaesen,  Lettres  de  Louis  II,  IV,  195). 

3.  Interpolations  et  variantes,  §  LXX. 

4.  La  trêve  fut  arrêtée  le  4  avril  et  promulguée  le  10  pour  trois 
mois.  Elle  fut  ensuite  prolongée  pour  un  an  [Eisl.  de  Bourgogne, 
IV,  Pr.,  n.  302). 


1471J  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  257 

loient  le  parc  desdiz  Bourguignons  que  à  cause  de  plu- 
sieurs belles  saillyes  que  les  gens  du  roy  faisoient  sur 
ceulx  tenans  le  party  desdiz  Bourguignons  ^  Et  mes- 
mement  se  fîst  de  moult  belles  destrousses  en  la  duchié 
de  Bourgongne  et  contez  de  Gharrolois  et  Masconnois, 
où  les  gens  du  roy  y  gaignerent  de  moult  beaux  butins 
et  y  prindrent  de  moult  bons  prisonniers^,  et  moult 
grant  nombre  y  en  ot  de  tuez,  et  avoient  tout  gaigné 
messeigneurs  les  conte  daulphin  d'Auvergne,  de  Gom- 
minge,  le  sire  de  Combronde,  de  Gharentez,  messire 
Guillaume  Gousinot  et  moult  d'autres  nobles  hommes, 
n'eust  esté  que  le  roy  leur  manda  qu'ilz  cessassent 
tout  pour  raison  desdictes  trêves,  qui  moult  en  furent 
desplaisans,  et  moult  de  gens  de  façon  aymans  le  roy 
et  son  honneur^.  Et  à  ceste  cause  s'en  firent  à  Paris 
des  épitaphes  qui  furent  mis  et  assis  à  Saint-Innocent*, 
à  rOstel  de  la  Ville  et  autres  lieux,  en  vitupérant  et 

1.  Jean  de  Wavria,  III,  61-85,  et  la  Chronique  anonyme  (ms, 
fr.  20354,  fol.  206  et  suiv.)  contiennent  un  récit  très  circonstan- 
cié des  nombreuses  escarmouches  qui  furent  hvrées  entre  ia  gar- 
nison d'Amiens  et  les  Bourguignons,  du  milieu  de  février  au 
commencement  d'avril  1471.  Le  2  avril,  après  des  pourparlers 
entamés  par  le  connétable  et  poursuivis  par  le  roi  lui-même  avec 
Simon  de  Quingey,  envoyé  du  duc  Charles,  on  cria  abstinence 
de  guerre  dans  l'armée  bourguignonne,  et  une  trêve  de  quatre 
mois  fut  publiée  (cf.  Commynes,  éd.  Dupont,  I,  222  et  suiv.,  et 
m,  278;  Basin,  II,  274,  et  Vaesen,  Lettres  de  Louis  XI,  IV,  212). 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  LXXI. 

3.  Cette  «  détrousse  »  des  Bourguignons  eut  lieu  à  Bussy,  à 
sept  lieues  de  Màcon.  Les  Français  étaient  commandés  par  Ber- 
trand de  la  Tour,  dauphin  d'Auvergne,  Jean,  bâtard  d'Armagnac, 
Béraud  Dauphin,  sire  de  Combronde,  et  autres  (Basin,  II,  275  ; 
Commynes,  éd.  Dupont,  I,  225;  III,  279;  Vaesen,  Lettres  de 
Louis  XI,  IV,  167  et  315). 

4.  Près  les  Halles. 


258  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1471 

en  donnant  grant  charge  à  plusieurs  seigneurs  estans 
près  du  roy.  Et,  durant  ladicte  tresve,  le  roy,  monsei- 
gneur de  Guienneet  autres  seigneurs  et  nobles  hommes 
d'autour  d'eulx,  se  tindrent  à  Han  avecques  monsei- 
gneur le  connestable^;  auquel  lieu,  durant  ledit  temps, 
se  firent  de  grandes  alées  et  venues  des  ambassadeurs 
du  roy  et  de  ceulx  de  mondit  seigneur  de  Bourgongne, 
et  ilec  demourerent  par  long  temps  sans  riens  con- 
clurre,  mais  en  la  fin  fut  fait  tresve  entre  le  roy  et  ledit 
de  Bourgongne  durant  ung  an.  Et,  pour  appoincter  des 
differens  du  roy  et  ledit  de  Bourgongne,  y  ot  ambas- 
seurs  ordonnez,  et  pour  appoincter  des  débats  et  ques- 
tions des  gens  de  guerre  de  chacun  des  deux  costez. 
Et  puis  se  départirent  dudit  lieu  de  Han,  et  s'en  ala 
chascun  en  sa  maison;  et  demourerent  les  gens  de 
guerre  du  roy  en  garnison  es  villes  qui  auparavant 
ladicte  trefve  avoient  esté  gaignées  pour  le  roy. 

En  ce  temps  se  murent  de  grandes  questions,  noises 
et  debatz  ou  royaume  d'Angleterre  entre  le  roy  Henry 
de  Lencastre,  roy  dudit  royaume,  le  prince  de  Galles 
son  filz,  le  conte  de  Waruik  et  autres  seigneurs  dudit 
royaume  tenans  le  parti  dudit  Henry  contre  le  roy 
Edouart  de  la  Marche,  qui  usurpoit  ledit  royaume  contre 
ledit  Henry-,  et  y  ot  à  cause  de  leurdit  débat  de  moult 
grant  murdre  fait  de  costé  et  d'autre.  Et  dura  ladicte 
guerre  jusques  ou  moys  de  juing  IHI'^  LXXI,  que  nou- 
velles furent  apportées  au  roy  audit  lieu  de  Han  que 
ledit  Edouart,  acompaigné  de  grant  quantité  de  gens 
de  guerre,  tant  Anglois,  Austrelins,  Flamens,  Picars 

1.  Le  roi  séjourna  à  Ham  de  la  fin  d'avril  au  H  juin  1471. 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  LXXII. 


1471]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  259 

et  autres  nacions,  que  ledit  de  Bourgongne  lui  avoit 
envoiez,  se  mist  sur  les  champs  à  l'encontre  de  l'armée 
et  puissance  desdiz  roy  Henry,  prince  de  Gales,  la 
royne,  ledit  de  Waruik  et  autres  princes  et  seigneurs 
tenans  ledit  parti  de  Henry.  Et  y  et  les  ungs  contre  les 
autres  de  grans  armes  faictes  et  grant  nombre  de  gens 
mors  de  chascun  costé  ;  mais  en  la  fin  ledit  Edouard 
demoura  victorien,  tant  par  trayson,  qui  estoit  du 
costé  d'aucuns  estans  en  l'armée  dudit  Henry,  que 
autrement^.  Et  y  mourut  et  fut  tué  ledit  prince  de 
Gales,  qui  fut  moult  grant  pitié,  car  il  estoit  beau  jeune 
prince  ;  et  aussi  y  mourut  ledit  de  Waruik,  qui  aussi 
fut  grant  dommage,  car  il  avoit  singulier  désir  de  bien 
servir  le  roy  et  le  royaume,  et  pour  lequel  le  roy  avoit 
frayé  et  despendu  moult  grant  finance  pour  l'entrete- 
nement  dudit  de  Waruik.  Et  de  ladicte  desconfiture  fut 
le  roy  moult  desplaisant  ^. 

1.  Interpolations  et  variantes,  §  LXXIU. 

2.  Edouard  quitta  la  Zélande  le  10  mars  et  arriva  à  York  le  18. 
Warwick,  enfermé  dans  Goventry,  refusa  le  combat  que  lui  offrait 
son  adversaire,  dont  les  forces  avaient  rapidement  grossi,  et  qui 
ne  tarda  pas  à  être  rejoint  par  son  frère  le  duc  de  Clarence. 
Celui-ci  abandonna  le  parti  de  Lancastre  comme  il  avait  aupara- 
vant trahi  celui  de  York.  Edouard  IV  arriva  à  Londres  le  11  avril, 
y  fut  introduit  par  les  plus  notables  citoyens,  saisit  la  Tour  et 
s'empara  de  la  personne  du  roi  Henri.  Cependant  Warwick  se 
décidait  à  marcher  sur  Londres.  Edouard  le  rencontra  à  Barnet, 
le  battit  et  le  tua,  lui  et  bien  d'autres  seigneurs  de  la  Rose  rouge, 
le  14  avril  1471.  Il  se  porta  ensuite  contre  la  reine  Marguerite  et 
son  fils,  les  atteignit  le  4  mai  à  Tewkesbury  et  fit  un  massacre  de 
leurs  partisans.  Edouard,  prince  de  Galles,  fait  prisonnier,  fut 
mis  à  mort  après  la  bataille.  Son  père  Henri  VI  fut  assassiné  à 
la  Tour  de  Londres  le  21  mai  suivant  par  Richard,  duc  de  Glou- 
cester  (Chron.  impr.  en  appendice  de  Wavrin,  t.  III,  p.  287- 
292). 

I  19 


260  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1471 

Et  puis  se  parti  le  roy  dudit  Han,  et  en  amena 
avecques  lui  monseigneur  de  Guyenne,  le  conte  de 
Dampmartin,  le  président  des  Comptes*  et  autres,  et 
vint  à  Paris,  où  il  ne  séjourna  gueres^.  Et,  durant 
qu'il  y  fut,  il  fîst  grande  et  joieuse  [chère]  et  fist  cest 
honneur  à  sadicte  bonne  ville  et  cité  de  Paris  de  lui 
mesmes  [bouter]  le  feu  ou  feu  fait  en  la  place  de  Grève 
d'icelle  ville  la  veille  SaintrJehan-Baptiste,  et  puis  s'en 
parti  et  s'en  ala  à  Orléans,  où  le  prince  de  Savoye  y 
devint  malade  de  maladie,  dont  il  ala  de  vie  à  très- 
pas  audit  lieu  d'Orléans^.  En  après  s'en  ala  le  roy  à 
Tours  et  à  Amboise  veoir  la  royne  et  monseigneur  le 
daulphin. 

En  ce  temps  dudit  moys  de  juing  mil  1111=  LXXI,  le 
roy  fut  mal  content  des  epytaphes  et  libelles  diffama- 
toires qui  ainsi  avoient  esté  mis  et  atachez  à  Paris  à  l'es- 
clande  dudit  monseigneur  le  connestable  et  d'autres. 
Et,  pour  savoir  la  vérité  de  ceulx  qui  ce  avoient  fait, 
fîst  crier  à  son  de  trompe  et  cry  publique  par  les  car- 
refours d'icelle  ville  que  quelque  personne  qui  sauroit 
aucune  chose  desdiz  epitaphes  ou  de  ceulx  qui  les 
avoient  faiz,  qu'ilz   le  vensissent  incontinent  dire  et 

1.  Jean  de  la  Driesche. 

2.  Louis  XI  arriva  à  Paris  le  23  et  y  resta  les  24  et  25  juin 
(Itin.  cité). 

3.  Le  8  juillet,  Louis  XI  écrit  au  duc  de  Milan  :  «  Je  croy  que 
devant  la  réception  de  ces  présentes  vous  aurez  oyes  nouvelles 
de  la  mort  de  mon  feu  neveu  et  le  vostre,  Charles,  prince  de  Pye- 
mont,  de  laquelle  j'ay  esté  et  suis  très  dolent...  »  (Vaesen,  IV, 
246).  Le  prince,  depuis  longtemps  malade,  succomba  dans  les  tout 
premiers  jours  du  mois,  au  moment  où  son  royal  oncle  allait 
l'envoyer  au  secours  de  sa  mère,  la  duchesse  Yolande,  que  ses 
beaux-frères  Philippe  de  Savoie,  seigneur  de  Bresse,  et  Jacques 
de  Savoie,  comte  de  Romont,  tenaient  assiégée  dans  Montmélian. 


1471]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  261 

dénoncer  aux  commissaires  sur  ce  ordonnez,  et  on 
donneroit  trois  cens  escuz  d'or  au  dénonciateur,  et  qui 
le  sauroit  et  ne  le  venroit  declairer  auroit  le  col  couppé. 
Et  pour  souspeçon  de  ce  fut  mis  et  constitué  prisonnier 
ung  jeune  escolier  de  Paris,  nommé  maistre  Pierre  Le 
Mercier,  fîlz  d'un  lunetier  du  Palais,  qui  peu  de  temps 
après  fut  délivré  non  chargé  du  cas.  Aussi  y  fut  mis  et 
constitué  prisonnier  maistre  Henry  Mariete,  qui  avoit 
esté  lieutenant  criminel  de  la  prevosté  de  Paris,  tant 
pour  raison  desdiz  epitaphes  que  aussi  pour  aucunes 
injures  ou  paroles  par  lui  dictes,  comme  on  disoit,  de 
maistre  Jehan  de  la  Driesche,  trésorier  de  France;  et 
puis  fut  délivré  icellui  Mariete  par  la  court  de  Parle- 
ment et  mis  hors  des  prisons  de  la  Conciergerie,  où  il 
estoit  détenu  pour  ceste  cause*. 

Ou  moys  de  juillet  oudit  an  LXXI,  mourut  monsei- 
gneur le  conte  d'Eu^,  qui  fut  moult  grant  dommage, 
car  c'estoit  ung  moult  noble,  sage  et  bon  seigneur,  et 
qui  de  tout  son  povoir  avoit  bien  et  loyaument  servy  le 
roy  et  fort  aymé  le  bien  et  utilité  du  roy  et  de  son 
royaume.  Et  fut  mise  ladicte  conté  d'Eu  en  la  main  du 
roy  et  mise  et  baillée  es  mains  dudit  monseigneur  le 
connestable,  à  la  grant  desplaisance  de  monseigneur 

1 .  Sur  les  menées  du  connétable  qui  avait  poussé  à  la  guerre 
pour  occuper  le  roi,  puis  empêcha  les  Français  de  presser  les 
Bourguignons ,  tandis  qu'il  machinait  d'autre  part  le  mariage 
de  la  fille  du  duc  de  Bourgogne  avec  le  duc  de  Guyenne,  voyez 
Commynes,  éd.  Dupont,  I,  217  et  suiv.  Saint-Pol  était  très  impo- 
pulaire à  Paris. 

2.  Charles  d'Artois  mourut  le  25  juillet  à  l'âge  de  soixante-dix- 
huit  ans.  Anselme  (I,  390)  et  Moréri  le  font  mourir  en  1472.  Fait 
prisonnier  à  Azincourt  en  1415,  il  avait  passé  vingt-trois  années 
en  Angleterre. 


262  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1471 

le  conte  de  Nevers,  frère  dudit  seigneur  d'Eu^,  et  qui 
après  ladicte  mort  cuidoit  bien  joyr  de  ladicte  conté 
d'Eu  et  des  autres  terres  dudit  defunct  comme  son 
vray  héritier^. 

Depuis  ledit  moys  de  juillet  jusques  au  jour  de  Noël 
ensuivant,  ne  fut  riens  fait  oudit  royaume  de  France, 
sinon  que  les  ambasseurs  du  roy  et  de  mondit  sei- 
gneur de  Bourgongne  firent  plusieurs  alées  et  venues 
les  ungs  avecques  les  autres  pour  pacifier  et  trouver 
moien  de  paix  et  accord  entre  eulx. 

En  ladicte  année  fut  mortalité  commune  et  univer- 
selle par  la  pluspart  dudit  royaume  de  maladie  de  flux 
de  ventre  et  autres  maladies,  à  cause  de  quoy  plusieurs 
gens  de  façon  moururent  en  ladicte  ville  de  Paris  et 
ailleurs^. 

Oudit  an,  monseigneur  de  Guienne,  qui  s'en  estoit 
retourné  audit  pays  de  Guienne  après  le  retour 
d'Amiens,  devint  mal  content  du  roy  et  manda  venir 
à  lui  le  conte  d'Armaignac,  qui  avoit  esté  fugitif  hors 
du  royaume  et  duquel  le  roy  avoit  mis  sadicte  conté 
en  sa  main,  qui  y  vint.  Et  puis  mondit  seigneur  lui 
rendi  la  pluspart  de  sadicte  conté  contre  le  gré  et 
voulenté  du  roy*.  En  après,   lesdiz  de  Guienne  et 

1.  Jean  de  Bourgogne,  comte  de  Nevers,  né  le  25  octobre  1415, 
mort  le  25  septembre  1491,  était  fils  de  Philippe  de  Bourgogne, 
comte  de  Nevers,  et  de  Bonne  d'Artois.  Il  avait  abandonné  la 
cause  bourguignonne  pour  servir  Louis  XI.  Il  était  non  pas  le 
frère,  mais  le  neveu  du  comte  d'Eu,  dont  sa  mère  était  la  sœur. 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  LXXIV. 

3.  Interpolations  et  variantes,  §  LXXV.  I 

4.  Interpolations  et  variantes,  §  LXXVI.  —  Dès  le  11  octobre 
1471,  Louis  XI  écrit  au  seigneur  de  Bressuire  .-  «  Je  suis  esté 
adverty  que  les  forces  qu'a  mon  beau  frère  de  Guyenne  s'ap-  i 


1472]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  263 

Armaignac  et  aussi  le  conte  de  Foix  et  autres  assem- 
blèrent en  leur  pays  gens  de  guerre,  feignans  de  vou- 
loir faire  guerre  au  roy,  lequel,  pour  ce  leur  empes- 
cher,  y  envoya  sur  la  marche  dudit  pays  de  Guienne 
cinq  cens  lances  et  certain  nombre  de  frans  archers, 
avecques  grant  nombre  de  son  artillerie,  qui  depuis 
ce  y  fut  et  séjourna  par  long  temps,  pendant  lequel 
vint  et  fut  nouvelles  que  mondit  seigneur  de  Guienne 
estoit  mort  à  Bordeaulx,  dont  il  n'estoit  riens^. 

Oudit  temps  aussi  furent  envoiez  par  diverses  foiz, 
de  par  le  roy,  ambasseurs  pardevers  le  duc  de  Bour- 
gongne  pour  le  fait  de  la  tresve  d'entre  eulx,  qui  fail- 
loit  le  iiii®  jour  de  may  IIIP  LXXIF.  Et  y  estoient 
encores,  audit  premier  jour  de  may,  le  sire  de  Craon, 
maistre  Pierre  d'Oriole  et  autres. 

prestent  pour  entrer  en  noz  pays,  que  Dieu  ne  veuille!  »  Le 
22  décembre  suivant,  il  annonçait  encore  au  grand  maître  que 
son  frère  avait  rendu  ses  terres  au  comte  d'Armagnac  (Vaesen, 
Lettres  de  Louis  XI,  IV,  281,  294). 

1.  Interpolations  et  variantes,  §  LXXVII.  —  Cette  prise  d'armes 
fut  la  conséquence  d'une  entente  générale  des  ennemis  du  roi 
(voy.  l'Instruction  pour  Poucet  de  Rivière,  Guill.  de  Soupplainville 
et  autres  envoyés  en  Bourgogne  par  le  duc  de  Bretagne,  17  avril 
1472,  dans  Histoire  de  Bourgogne,  t.  IV,  p.  cccxvi).  Louis  XI  expé- 
dia sur  la  Garonne  Ruffet  de  Balsac,  Gaston  du  Lyon  et  les  autres 
sénéchaux  du  Midi,  qui  occupèrent  aussitôt  le  Quercy  et  l'Age- 
nais,  passèrent  le  fleuve  et  saisirent  en  quelques  jours  presque 
toutes  les  places  de  l'Armagnac.  Jean  V  se  jeta  dans  Lectoure, 
où  il  ne  tarda  pas  à  être  assiégé.  Il  capitula  après  la  mort  du  duc 
de  Guyenne  devant  les  renforts  amenés  à  Ruffet  de  Balsac  et  à 
du  Lyon  par  Pierre  de  Bourbon,  sire  de  Beaujeu,  nommé  lieute- 
nant général  du  roi  en  Guyenne  (17  juin  1472)  (voy.  Louis  XI, 
Jean  d'Armagnac,  etc.,  cité,  p.  21-24). 

2.  Les  instructions  des  ambassadeurs  de  Louis  XI,  datées  de 
Montils-lès-Tours,  le  10  mars  1471  (v.  st.),  sont  imprimées  aux 
Preuves  de  Y  Histoire  de  Bourgogne,  IV,  p.  cccxui.  Cf.  Commynes, 
éd.  Dupont,  I,  277  et  suiv. 


264  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1472 

Et,  ledit  premier  jour  de  may  CGGCLXXII,  fut  faicte 
à  Paris  une  moult  belle  et  notable  procession  en  l'église 
de  Paris  et  fait  ung  preschement  bien  solennel  par  ung 
docteur  en  théologie  nommé  maistre  Jehan  Brete, 
natif  de  ToursS  lequel  dist  et  declaira  entre  autres 
choses  que  le  roy,  aiant  singulière  confidence  en  la 
benoiste,  glorieuse  vierge  Marie,  prioit  et  exhortoit 
son  bon  populaire,  manans  et  habitans  de  sa  cité  de 
Paris,  que  d'ores  en  avant,  à  l'eure  de  midi  que  son- 
neroit  à  l'église  dudit  Paris  la  grosse  cloche,  chascun 
feust  fléchi  ung  genoil  en  terre  en  disant  Ave  Maria, 
pour  donner  bonne  paix  et  union  ou  royaume  de 
France^.  Et,  après  ladicte  procession  faite.  Révérend 
Père  en  Dieu  monseigneur  l'evesque  de  Paris  cheut 
malade  d'une  maladie,  de  laquelle  ce  mesme  jour  il 
ala  de  vie  à  trespas,  dont  fut  grant  dommage  et  fut 
fort  pleuré,  car  il  estoit  saincte  et  bonne  personne  et 
grant  clerc.  Et  ce  jour  furent  en  son  hostel  episcopal 
grant  populaire  de  la  ville  de  Paris,  tant  hommes, 
femmes  que  enfans,  le  veoir  mort  en  sa  chappelle  haulte 
estant  au  bout  de  la  grant  sale  dudit  hostel,  et  ilec  par 
ledit  peuple  fut  moult  piteusement  pleuré  et  pour  son 
ame  dévotement  prié,  et  au  partir  lui  baisoient  les 
piez  et  les  mains  ;  et  disoient  la  pluspart  d'iceulx  qu'ilz 
creoient  fermement  que  ledit  evesque  feust  sainct  et 

1.  Jean  Brette,  chanoine  de  l'église  de  Tours,  professeur  a  in 
sacra  pagina  »  au  collège  du  Plessis,  à  Paris  (Folibien,  Histoire 
de  Paris,  III,  378^*). 

2.  Au  mois  de  mars  1472  (n.  st.),  Louis  XI  fit  don  aux  tilles  et 
femmes  du  tiers  ordre  de  Saint  -  François  du  monastère  des 
Béguines,  sis  près  les  Célestins,  à  Paris,  et  ordonna  que  cette 
maison  fut  désormais  appelée  VAvc  Maria.  Cette  fondation  parait 
due  surtout  à  la  piété  de  la  reine  Charlotte  (Lenglet,  III,  178 
et  180). 


1472]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  265 

bien  aymé  de  Dieu.  Et,  le  xv®  jour  dudit  moys  de 
may,  le  roy  envoya  lettres  aux  prevost  des  marchans 
et  eschevins  et  bourgoys  dudit  lieu,  par  lesquelles  il 
leur  faisoit  savoir  que  ledit  evesque,  en  son  vivant, 
lui  avoit  esté  mauvais  et  non  aymé  son  prouflfit,  et 
qu'il  avoit  eu  intelligence  avecques  le  duc  de  Bour- 
gongne  et  autres  princes  et  seigneurs  qui  avoient  esté 
devant  la  ville  de  Paris  durant  le  Bien  Publique,  et 
que,  pour  leur  donner  faveur,  en  icelle  ville  avoit 
suborné  plusieurs  desdiz  habitans  ;  et  que,  pour  ces 
causes  et  afin  qu'il  en  feust  mémoire,  ordonna  estre 
faicte  et  mise  sur  son  corps  ung  tableau  ou  epytaphe 
contenant  les  choses  dessusdictes  ;  lequel  epitaphe  fut 
fait  faire  par  les  dessusdiz  jusques  à  l'asseoir*. 

En  ce  temps,  oudit  moys  de  may,  la  trefve  d'entre 
le  roy  et  le  duc  de  Bourgongne,  qui  failloit  au  nif  jour 
dudit  moys,  fut  de  rechef  continuée  jusques  au  xv"  jour 
de  juing  ensuivant. 

Oudit  moys  de  may,  le  duc  de  Galabre,  nepveu  du 
roi  de  Secile  et  de  Jherusalem,  à  qui  le  roy  avoit  fait 
tant  de  honneur  de  lui  donner  sa  fille  ainsnée  en  femme 
et  espouse,  s'en  ala  hors  de  sa  duchié  de  Lorraine, 
pardevers  ledit  duc  de  Bourgongne,  pour  traicter 
d'avoir  et  espouser  sa  fille,  en  délaissant,  en  ce  faisant, 
ladicte  fille  du  roy,  sa  femme,  qui  fut  chose  moult 
estrange  à  lui  de  ainsi  faulser  sa  foy  et  soy  ainsi  abais- 
ser de  délaisser  la  propre  fille  ainsnée  du  roy,  son 

1.  Sur  les  motifs  de  la  rancune  de  Louis  XI  contre  l'évêque 
Chartier,  voyez  plus  haut,  p.  71.  Le  Gallia  chrisliana  (t.  VII, 
p.  150  et  suiv.)  donne  le  texte  d'une  epitaphe  consacrée  à  la 
louange  de  ce  prélat,  qui  fut  rétablie  après  la  mort  de  Louis  XI 
dans  le  chœur  de  Notre-Dame. 


266  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1472 

souverain  seigneur,  pour  cuider  avoir  et  prendre  la 
fille  dudit  de  Bourgongne,  subject  et  vassal  du  roy^. 

Et,  par  avant  ces  choses,  ledit  de  Bourgongne  avoit 
fait  et  fait  faire  moult  de  guerre  ou  royaume  de  France 
à  la  faveur  de  mondit  seigneur  de  Guienne,  feignant 
à  ceste  cause  de  lui  donner  et  bailler  sadicte  fille,  dont 
il  ne  fist  riens,  mais  fist  tout  le  contraire,  en  abusant 
iceulx  seigneurs  et  plusieurs  autres  soubz  umbre  dudit 
mariage  2. 

Et,  le  jeudi  xim®  jour  dudit  moys  de  may  IIIPLXXII, 
advint  par  maie  fortune  que  tout  le  comble  et  fcste  de 
l'église  Nostre-Dame  de  Glery  près  Orléans,  que  le  roy 
avoit  fait  faire ^  et  édifier  de  nouvel,  et  où  il  y  avoit 
moult  noble  et  belle  couverture,  tant  de  charpenterie 
de  bois  que  d'ardoise  et  de  plomb,  fut  toute  arse  et 
bruye  et  tout  tumbé  en  bas  et  par  terre,  parceque 
ujig  plombeur,  besongnant  en  icelle  couverture,  s'en 
dévala  en  bas  et  laissa  le  feu  où  il  chaufoit  les  fers  à 
soulder  en  icelle  couverture  sans  aucune  garde  ;  et 
lequel  feu  le  vent  acueilli  tellement  qu'il  s'envola  et 
dispersa  au  long  d'icelle  charpenterie  et  couverture, 

1.  Nicolas,  duc  de  Calabre  et  de  Lorraine  depuis  la  mort  de  son 
père  (décembre  1470),  conclut  le  25  mai  1472,  à  Arras,  un  traité 
d'amitié  et  d'alliance  avec  le  duc  de  Bourgogne,  et  le  13  juin  sui- 
vant fut  fiancé  à  sa  fille.  Cet  accord  fut  annulé  du  consentement 
des  deux  parties  le  5  novembre  de  la  même  année  (Lenglet,  III, 
189-195).  Nicolas  était  le  petit-fils  et  non  le  neveu  du  roi  René. 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  LXXVIII.  —  Dès  le  commence- 
ment du  mois  d'août  1471,  Louis  XI  était  informé  que  son  frère 
avait  envoyé  à  Rome  l'évêque  de  Montauban  afin  d'obtenir  du 
pape  une  dispense  de  parenté  qui  lui  permît  d'épouser  Marie 
de  Bourgogne  (Lenglet,  III,  160  et  suiv.  Cf.  Vaesen,  Lettres  de 
Louis  XI,  IV,  Pièces  justif.,  p.  352-360). 

3.  Interpolations  et  variantes,  §  LXXIX. 


1472]  OU  CHRONIQXJE  SCANDALEUSE.  267 

en  telle  façon  que,  sans  y  povoir  remédier,  tout  fut 
bruslé  et  ars*. 

Et,  ce  mesmes  jour,  le  roy  ot  certaines  nouvelles 
que  lui  fist  asavoir  monseigneur  de  Malicorne,  servi- 
teur et  bien  fort  aymé  de  mondit  seigneur  de  Guienne, 
que  sondit  seigneur  et  maistre  estoit  aie  de  vie  à  très- 
pas  en  la  ville  de  Bordeaulx^. 

En  icellui  moys,  monseigneur  de  Craon,  maistre 
Pierre  d'Oriole,  gênerai  des  finances,  maistre  Olivier 
Le  Roux,  conseiller  et  maistre  des  comptes,  et  autres 
ambasseurs  du  roy,  par  lui  envoiez  pardevers  ledit 
duc  de  Bourgongne,  retournèrent  devers  le  roy  lui 
relater  ce  que  fait  avoient  avec  lui  et  de  la  tresve  qu'ilz 
avoient  ainsi  faicte,  qui  devoit  durer  jusques  audit 
XV®  jour  de  juing  ensuivant.  Durant  laquelle  trêve  et 
nonobstant  icelle,  ledit  de  Bourgongne  fist  mettre  ses 

1.  Interpolations  et  variantes,  §  LXXX.  —  C'est  Antoine  de 
Beaune  qui  paraît  avoir  dirigé  et  qui  fut  ciiargé  de  payer  les  cons- 
tructions nouvelles  élevées  à  Cléry  (voy.  la  lettre  de  Louis  XI  à 
Bourré  en  date  de  Cléry,  7  octobre  (1473),  au  ms.  fr.  20493  de 
la  Bibl.  nat.,  fol.  9).  Au  mois  d'août  1471,  le  roi  commanda  à  un 
orfèvre  parisien  un  tabernacle  destiné  à  Notre-Dame  de  Cléry  et 
le  fit  dorer  à  Tours  (Bibl.  nat.,  ms.  fr.  6759,  fol.  121  \°.  Comptes 
sur  parch.). 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  LXXXI.  —  Jean  Aubin,  seigneur 
de  Malicorne,  fils  de  Gaucher  Aubin,  chevalier,  maître  d'hôtel  du 
roi  Charles  VII,  était  au  service  de  Charles  de  France  dès  1465. 
Il  devint  son  premier  chambellan  et  fut  l'un  de  ses  exécuteurs 
testamentaires.  Si  Louis  XI  reçut  effectivement  le  14  la  nouvelle 
de  la  mort  de  son  frère  (il  l'annonça  le  18  aux  habitants  de 
Bayonne),  cette  nouvelle  était  prématurée,  car,  ainsi  que  l'a 
démontré  M.  Vaesen,  le  duc  de  Guyenne,  depuis  longtemps  fort 
malade,  ne  succomba  que  le  25  mai  1472  [Lettres  de  Louis  XI,  IV, 
325,  n.  1).  Le  testament  du  duc  est  précisément  daté  du  li  mai 
(voy.  V Interpolation  indiquée  ci-dessus). 


268  JOURN.VL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1472 

gens  de  guerre  sur  les  champs  et  mener  et  asseoir  son 
parc  et  artillerie  entre  Arras  et  Bapaumes,  en  ung  lieu 
qu'on  nomme  Hebuterne  en  Artois'. 

Et,  pendant  ledit  temps,  le  roy,  après  les  nouvelles 
de  la  mort  de  mondit  seigneur  de  Guienne,  son  frère, 
se  party  du  Plessis  du  Parc  lez  Tours  et  s'en  tira  oudit 
pays  de  Guyenne,  la  Rochelle,  Saint-Jehan  d'Angely, 
Bordeaulx  et  autres  lieux  voisins^,  et  y  mist  et  créa 
officiers  nouveaulx  de  par  lui,  et  d'icelle  duchié  de 
Guienne  fîst  et  establit  gouverneur  monseigneur  de 
Beaujeu,  frère  de  mondit  seigneur  de  Bourbon^. 

Après  ces  choses,  ledit  de  Bourgongne,  en  persévé- 
rant toujours  en  ses  dyableries,  foies  obstinacions  et 
mauvaistiez,  comme  devant  avoit  fait,  le  jeudi,  xi®  jour 
de  juing  oudit  an  LXXlI,  envoya  devant  la  ville  de 
Neesie,  dedens  laquelle  y  avoit  de  par  le  roy  ung  nommé 

4.  Hebuterne,  aujourd'hui  dans  le  département  du  Pas-de- 
Calais,  arrondissement  d'Arras.  —  Dans  une  lettre  datée  du  7  juin, 
d'Amboise,  et  que  M.  Vaesen  a  attribuée  à  l'année  1472,  Louis  XI, 
écrivant  au  duc  de  Milan,  fait  mention  d'une  trêve  dernièrement 
conclue  avec  le  duc  de  Bourgogne  n  jusques  au  premier  jour 
d'avril  prochain  venant,  qui  sera  l'an  GCCG  soixante  et  treize  » 
{Lettres  île  Louis  XI,  IV,  331).  Notre  chroniqueur  s'est-il  donc 
trompé?  Nous  croyons  plutôt  à  une  inadvertance  de  l'éditeur  des 
Lettres  de  Louis  XI,  car  le  jour  de  Pâques  eu  1473  tomba  le  18  avril, 
et,  si  le  roi  avait  voulu,  écrivant  en  juin  1472,  parler  du  1«""  avril 
1473  (n.  st.),  il  aurait  écrit  1472.  Son  1473  (v.  st.)  doit  être  lu  en 
style  nouveau  1474,  et  sa  lettre  doit  être  attribuée  à  l'année  1473. 
Cette  année-là,  comme  en  1472,  Louis  XI  passa  le  mois  de  juin 
à  Amboise. 

2.  Louis  XI  ne  paraît  pas  avoir  été  plus  loin  que  Saint-Jean- 
d'Angely,  où  l'Itinér-aire  cité  note  sa  présence  le  l^^juin;  mais  un 
passage  d'une  lettre  du  Milanais  Sforza  de  Bettini,  cité  par 
M.  Vaesen  (Lettres  de  Louis  XI,  IV,  325,  n.  1),  témoigne  que  sou 
intention  avait  été  de  t  tirare  verso  Bordeos.  » 

3.  Interpolations  et  variantes,  §  LXXXII. 


1472]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  269 

le  Petit  Picart,  qui  estoit  capitaine  de  cinq  cens  frans 
archers  de  l'Isle  de  France^,  qui  estoient  dedens 
ladicte  ville.  Et  par  grant  force  et  violence  voulurent 
avoir  ladicte  ville  et  chasteau,  et  pour  l'avoir  y  bail- 
lèrent et  livrèrent  de  grans  et  divers  assaulx  ;  ausquelz 
Bourguignons  fut  moult  vaillamment  résisté  par  ledit 
Picart  et  ceulx  de  sadicte  compaignie,  et  jusques  au 
lendemain,  qui  estoit  vendredi,  xii^  jour  dudit  moys 
de  juing,  que,  environ  cinq  heures  de  matin,  ledit 
Picart,  en  la  compaignie  de  la  contesse  dudit  lieu  de 
Neesle,  yssirent  hors  de  ladicte  place  pour  aler  parde- 
vers  le  bastard  de  Bourgongne  et  autres  ayans  ilecques 
leur  armée  pour  ledit  de  Bourgongne,  pour  cuider  trou- 
ver pacificacion  et  accord  entre  les  gens  du  roy  et  ledit 
Bourguignon,  qui  traicta  avecques  eulx  en  telle  manière 
que  lesdiz  Picard  et  ceulx  de  sadicte  compaignie  s'en 
vroient  leurs  vies  saulves,  en  rendant  ladicte  place,  en 
laissant  leurs  biens  et  harnoys  ;  à  quoy  faire  ilz  furent 
contens,  et  à  tant  se  départirent  et  s'en  retournèrent 
en  ladicte  ville  de  Neelle  et  dirent  ausdiz  frans  archers 
leur  composicion  et  comment  ilz  dévoient  laisser  leurs 
biens,  chevaulx  et  harnoys  et  eulx  en  aler  leurs  vies 
saulves.  Pour  laquelle  chose,  incontinent  après,  plu- 
sieurs d'iceulx  par  l'ordonnance  dudit  Picard,  leur 
capitaine,  se  despoullerent  et  habandonnerent  leurdit 
harnois.  Et,  en  ce  faisant,  et  avant  qu'ilz  feussent  bien 
asseurez  d'avoir  lettres  de  leur  promesse  et  traictié, 
furent  par  aucuns  dudit  lieu  de  Neelle  mis  et  boutez 

1.  Pierre  de  Sonneville,  dit  le  Petit  Picard,  fit  la  campa!,'ne  de 
Bourbonnais  en  1465,  en  qualité  de  capitaine  des  francs  archers 
des  élections  de  Paris,  Mantes,  Melun  et  Étampes  (Bibl.  nat., 
ms.  fr.  20496,  fol.  20,  orig.). 


270  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1472 

en  icelle  place  lesdiz  Bourguignons,  qui,  incontinent  et 
nonobstant  ladicte  promesse,  vindrent  charger  sur  les- 
diz francs  archers,  ainsi  desabillez  soubz  umbre  d'icelle 
promesse,  et  plusieurs  en  tuèrent  et  murdrirent.  Et 
partie  d'iceulx,  cuidans  eulx  saulver,  s'en  alerent  et 
retrairent  dedens  l'église  dudit  lieu  de  Neelle ,  où 
depuis  lesdiz  Bourguignons  alerent  les  tuer  tous  et 
murdrir.  Et,  après  qu'ilz  furent  tous  ainsi  tuez  et 
murdris,  y  survint  et  se  y  trouva  ledit  de  Bourgongne, 
qui,  tout  à  cheval,  entra  dedens  ladicte  egUse,  en 
laquelle  y  avoit  bien  demy  pié  de  hault  du  sang 
espandu  des  povres  créatures  ilec  estans,  qui  à  ceste 
heure  estoient  tout  nuz  gisans  ilec  mors.  Et,  quant 
ledit  Bourguignon  les  vit  ainsi  abatus,  se  commença 
à  seigner  et  dire  qu'il  veoit  moult  belle  chose  et  qu'il 
avoit  avecques  lui  de  moult  bons  bouchers.  Et,  le  len- 
demain ensuivant,  qui  fut  le  samedi  xiii®  jour  dudit 
moys,  ledit  Petit  Picart,  qui  estoit  prisonnier,  avecques 
autres  de  ceulx  de  sa  dicte  compaignie,  furent  pendus 
et  estranglez  de  l'ordonnance  dudit  de  Bourgongne; 
et  puis  fîst  arraser  ladicte  place  et  mectre  le  feu 
dedens^. 

\.  Gommynes  (éd.  Dupont,  I,  275),  Basin  (II,  291)  et  la  chron. 
anon.  du  ms.  fr.  20354  de  la  Bibl.  nat.,  impr.  dans  Jean  de  Wa- 
vrin,  m,  293,  témoignent  de  la  barbarie  avec  laquelle  les  défen- 
seurs de  Nesle  furent  traités  par  les  Bourguignons,  mais  ils 
prétendent  que  «  ceux  de  dedans  »  tuèrent  un  héraut  qui  les  allait 
sommer.  Ils  ajoutent  que  le  capitaine  de  Nesle  sortit  à  la  faveur 
d'une  suspension  d'hostilités  pour  tâcher  d'obtenir  des  conditions 
acceptables  pour  la  capitulation,  mais  il  échoua  complètement, 
et  à  son  retour,  malgré  la  trêve,  les  gens  de  Nesle  tuèrent  encore 
deux  Bourguignons.  Une  enquête  faite  en  1521  et  1522,  et 
dont  les  procès-verbaux  ont  paru  dans  le  Bulletin  de  la  Société 
d'histoire  de  France,  Documents,  t.  I,  p.  H,  semble  confirmer  les 


1472]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  271 

Et,  le  dimenche  xim^  d'icellui  moys,  s'en  partirent 
dudit  lieu  de  Neelle  et  alerent  devant  Roye,  où  estoient 
environ  XTiiP  frans  archers  de  la  compaignie  et  charge 
Pierre  Aubert,  bailly  de  Meleun^,  et  de  Mignon.  Et  aussi 
y  estoient  pour  gentilzhommes  et  cappitaines  Louyset 
de  Baligny,  cappitaine  de  Beauvais^,  monseigneur  de 
Mouy^  et  le  seigneur  de  Rubempré^  et  autres,  qui 
bien  avoient  deux  cens  lances  bien  en  point.  Et  jasoit 
ce  qu'ilz  feussent  dedens  ladicte  ville,  que  le  roy  avoit 
fait  bien  reparer,  bien  avitailler  et  garnir  de  moult 
belles  serpentines,  ilz  se  rendirent  le  mardi  ensuivant, 
xyf  d'icellui  moys,  à  l'eure  de  midi,  et  laissèrent  ilec 
ladicte  artillerie,  leurs  chevaulx  et  harnoys  et  toutes 
leurs  bagues,  où  le  roy  et  eulx  eurent  dommage  de 
cent  mil  escus  d'or  et  plus,  et  s'en  revindrent  tous 

assertions  de  la  Chronique  scandaleuse  (voy.  Basin,  II,  292,  note 
de  M.  Quicherat.  Cf.  Bibl.  nat.,  ms.  fr.  2913,  fol.  9). 

1.  Sur  Pierre  Aubert,  écuyer,  conseiller  et  maître  d'hôtel  du 
roi,  capitaine  général  des  4,000  francs  archers  de  Champagne 
(Bibl.  nat.,  ms.  fr.  6758,  fol.  32;  18442,  fol.  161,  et  Montres,  1413, 
fol.  28  et  47),  voy.  la  notice  de  M.  Vaesen  {Lettres  de  Louis  XI,  III, 
81  et  suiv.).  Le  8  mai  1471,  il  reçut  200  livres  tournois  pour  avoir 
fait  réparer  et  fortifier  Roye  et  Saint-Quentin  (Bibl.  nat.,  Pièces 
orig.,  vol.  120,  dossier  Aubert,  n»  265).  Fils  de  Jean  Aubert,  sei- 
gneur d'Ingrande  en  Berri,  et  d'Isabelle  de  Beaujeu,  Pierre  avait 
servi  avec  distinction  contre  les  Anglais  sous  Charles  VII  (Arch. 
nat.,  X2a  41,  à  la  date  du  9  juillet  1476). 

2.  Louis  Gommel,  seigneur  de  Balagny,  écuyer,  était  conseiller 
et  chambellan  du  roi  (Commynes,  éd.  Dupont,  I,  284,  n.  3). 

3.  Sur  Colart,  seigneur  de  Moy,  chevalier,  bailli  de  Verman- 
dois  et  plus  tard  de  Cotentin,  mort  en  1499,  voy.  la  notice  de 
M.  Vaesen,  Lettres  de  Louis  XI,  II,  252. 

4.  Antoine,  fils  dAntoine,  seigneur  de  Rubempré,  et  de  Jac- 
queline de  Croy,  avait  passé  au  service  de  Louis  XI  dès  1467.  Il 
épousa  Jeanne  de  Mouchy  (Kervyn  de  Lettenhove,  Chastellain, 
V,  76,  n.). 


272  JOURN.AX  DE  JEAN  DE  ROYE  [1472 

nuz  et  en  pourpoins,  ung  baston  en  leur  poing*.  Et 
demoura  ilec  ledit  de  Bourgongne  depuis  par  certain 
temps,  et  d'ilec  s'en  ala  à  Beauvais  mettre  le  siège,  où 
il  y  arriva  le  samedi  XXMI'  jour  de  juing  oudit  an 
IIIP  LXXII,  où  de  pleine  venue  y  donnèrent  ung  fort 
assault,  à  quoy  fut  fort  résisté  par  les  bourgois  et 
habitans  d'icelle  ville  ^.  Et  celle  mesme  nuit  y  arriva 
Guillaume  de  Valée^,  lieutenant  du  seneschal  de  Nor- 
mendie,  à  tout  ii*^  lances,  qui  moult  bien  secoururent 
ceulx  dudit  lieu,  car  ilz  y  arrivèrent  à  l'eure  du  fort 

1.  «  Sire,  plaise  vous  savoir  que  Roye  c'est  rendue  au  bout  de 
deux  jours,  au  moyen  que  les  francs  archiers...  n'ont  voullu 
tenir...  »  (Saint-Pol  au  roi, de  Ham,  17  juin.  Bibl.  nat.,ms.  fr.  2913, 
fol.  86,  cop.  du  xv»  siècle).  Louis  XI  ne  considérait  pas  Roye 
comme  bien  tenable  (Ibid.,  fol.  84,  cop.  contemp.). 

2.  Les  Bourguignons  arrivèrent  sous  les  murs  de  Beauvais  le 
matin.  Les  défenseurs  de  la  place,  ayant  refusé  d'écouter  leur  som- 
mation, eurent  à  supporter  deux  attaques  simultanées,  l'une  à  la 
porte  de  Bresles,  l'autre  contre  celle  de  Limaçon.  Déjà,  vers  la  porte 
de  Limaçon,  les  assaillants,  qui  s'étaient  emparés  du  faubourg, 
criaient  Ville  gagnée  et  couvraient  la  muraille  de  leurs  traits  ;  mais 
les  habitants  de  Beauvais,  assistés  de  leurs  femmes  et  de  leurs 
filles,  qui  apportent  sur  le  mur  des  flèches  et  des  pierres,  réus- 
sissent à  intimider  l'ennemi,  qui  n'ose  se  lancer  à  l'assaut.  Les 
défenseurs  de  la  porte  de  Breslea,  secondés,  eux  aussi,  par  leurs 
femmes,  ne  se  montrèrent  pas  moins  vaillants.  Enfin,  vers  le 
soir,  les  seigneurs  de  la  Roche-Tesson  et  de  Fontenailles  (ce  der- 
nier lieutenant  du  seigneur  de  Bueil)  arrivèrent  de  Noyon  avec 
200  lances  pour  secourir  Beauvais.  Laissant  leurs  chevaux  aux 
soins  des  femmes,  ils  coururent  à  la  porte  de  Bresles,  qui,  percée 
de  boulets,  avait  été  incendiée  par  les  défenseurs  de  la  place.  Le 
feu  fut  entretenu  pendant  huit  jours  pour  en  éloigner  les  Bour- 
guignons (Lenglet,  Preuves  de  Gommynes,  III,  202  et  suiv.  Dis- 
cours ...  véritable  du  siège  de  Beauvais.  Cf.  Gommynes,  éd.  Dupont, 
I,  283  et  s.). 

3.  Guillaume  de  Valée,  écuyer,  seigneur  de  la  Roche-Tesson 
(Gommynes,  éd.  Dupont,  I,  287,  n.). 


1472]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  273 

de  leur  assault,  et  tout  incontinent  montèrent  dessur 
la  muraille  et  firent  reculer  lesdiz  Bourguignons.  Et  le 
lendemain  ensuivant  y  vint  monseigneur  de  Crussol, 
Joachin  Rouault,  la  compaignie  de  monseigneur  de 
Bueil,  Guerin  Le  Grain,  monseigneur  de  Torcy  et 
autres,  à  tout  m"  lances,  et  autres  nobles  de  Normen- 
die,  qui  très  vaillamment  s'y  contindrent^.  Et  pendant 
ce  temps  furent  bien  secourus  de  ceulx  de  Paris,  tant 
de  pionniers,  pics,  pelles,  farines,  vins,  pouldres  à 
canon  et  autres  advitaillemens^.  Et  en  ces  entrefaictes 
y  et  de  grandes  escarmouches,  où  plusieurs  Bourgui- 
gnons furent  mors  et  tuez. 

1.  Gommyaes,  qui  était  encore  au  service  du  duc  de  Bourgogne 
à  l'époque  du  siège  de  Beauvais,  cite  aussi  parmi  les  capitaines  qui 
vinrent  défendre  Beauvais  le  connétable  (?),  Méri  de  Goué,  seigneur 
de  Fontenailles,  Salazart,  Estevenot  de  Talauresse.  Sans  ce  secours 
Beauvais,  défendu  seulement  par  «  quelque  peu  de  gens  de  l'ar- 
riere-ban,  »  eût  assurément  succombé,  malgré  la  vaillance  de  ses 
citoyens.  — Guérin  le  Groing,  chevalier,  seigneur  de  la  Mothe,  bailli 
de  Saint-Pierre-le-Moutier,  conseiller  et  chambellan  du  roi,  capi- 
taine de  100  lances,  avait  épousé  Isabeau  Taveau  (Anselme,  YIII, 
142.  Cf.  Bibl.  nat.,  ms.  fr.  20495,  fol.  36).  Le  Discours  véritable 
porte  que  le  maréchal  Rouault  arriva  avec  100  lances  le  dimanche 
après  midi  et  fit  aussitôt  réparer  et  fortifier  les  points  menacés  de 
la  muraille.  Les  jours  suivants,  il  fut  rejoint  par  les  sénéchaux 
de  Poitou  et  de  Garcassonne,  chacun  avec  100  lances,  parla  com- 
pagnie du  sénéchal  de  Toulouse,  par  le  sire  de  Torcy,  qui  condui- 
sait les  nobles  de  Normandie,  tandis  que  Robert  d'Estouteville, 
prévôt  de  Paris,  amenait  les  nobles  de  Paris,  le  bailli  de  Senlis  et 
le  comte  de  Dammartin  100  lances,  et  Salazart  120  hommes 
d'armes.  Ils  étaient  si  nombreux  à  la  fin  que,  suivant  l'expression 
de  Commynes,  ils  eussent  pu  défendre  une  haie. 

2.  Les  Parisiens  envoyèrent  «  grand  nombre  de  grosse  artillerie, 
coulevrines,  arbalestiers,  canonniers  et  pionniers  et  des  vivres  à 
si  grande  habondance  »  que,  durant  ce  temps,  on  voyait  à  Beau- 
vais «  plus  grand  marché  beaucoup  que  l'on  avoit  eu  longtemps 
auparavant  ledit  siège  »  {Discours  véritable,  p.  215). 


274  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1472 

En  ce  temps,  advint  que  aucuns  des  habitans  d'Au- 
cerre  saillirent  hors  de  leur  ville  pour  aler  courir  es 
pays  du  roy,  pour  prendre  et  amener  oudit  lieu  d'Au- 
cerre  beufz,  vaches  et  tout  ce  qu'ilz  pourroient  trou- 
ver pour  eulx  avitailler,  et  vindrent  près  de  Joigny, 
de  Seignelay^  et  ilec  environ  :  contre  lesquelz  y  ale- 
rent  le  bastard  dudit  Seignelay,  le  seigneur  de  Plancy 
et  autres  jusques  au  nombre  de  iif ,  qui  vindrent  ren- 
contrer lesdiz  d'Aucerre,  qui  se  mirent  en  bataille 
contre  eulx.  Et,  quant  les  dessusdiz  seigneurs  les 
eurent  ainsi  veuz,  ilz  se  fraperent  dedens  moult  vigo- 
reusement  et  y  en  ot  viii^'^  de  mors,  iiii"  de  prins,  et 
le  demourant  se  mist  en  fuite  ou  fut  noyé^. 

Oudit  temps,  pour  raison  de  l'aprouchement  desdiz 
Bourguignons  ainsi  venus  à  Beauvais,  furent  faictes  à 
Paris  de  moult  belles  ordonnances  par  sire  Denis  Hes- 
selin,  pennetier  du  roy  nostre  sire,  esleu  de  Paris  et 
prevost  des  marchans  de  ladicte  ville  3,  comme  de  faire 
reedifier  la  muraille  et  gardes  de  dessus  les  murs, 
faire  faire  belles  et  grans  tranchées,  mettre  en  point 
les  chaynes,  reedifier  les  fossez,  boulevers  et  barrières 
des  portes,  en  faire  murer  d'aucunes,  faire  faire  de 
moult  belles  serpentines  toutes  neufves;  et  d'autres 
belles  ordonnances  y  furent  faictes. 

Et,  le  jeudi  second  jour  de  juillet,  vint  et  arriva  à 
Paris  le  seigneur  de  Rupembré,  qui  venoit  de  ladicte 
ville  de  Beauvais,  et  apporta  lettres  des  cappitaines  de 

1.  Joigny,  auj.  chef-lieu  d'arr.  du  dép.  de  l'Yonne.  —  Seignelay, 
mémo  dép,,  arr.  d'Auxerre. 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  LXXXIII. 

3.  Denis  Hesselin  exerça  cette  charge  de  1470  à  1474  (Vitu,  la 
Chronique  de  Louis  XI,  etc.,  p.  58). 


I 


1472]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  275 

ladicte  ville  adreçans  au  seigneur  de  Gaucourt,  lieute- 
nant du  roy^,  aux  prevost  des  marchans  et  eschevins 
de  ladicte  ville  de  Paris,  par  lesquelles  leur  estoit  fait 
savoir  que  le  duc  de  Bourgongne  et  ceulx  de  son  ost 
estoient  en  telle  orphanie-'  de  vivres  que  ung  pain  de 
deux  deniers  à  Beauvais  valoit  audit  ost  m  sols  pari- 
sis,  et  que  icellui  Bourguignon  avoit  intencion  déjouer 
au  desespoir  et  avoir  ladicte  ville  pour  y  perdre  la 
pluspart  de  tous  ses  gens^.  Et  pour  ce  prioient  ausdiz 
de  Paris  que  on  leur  envoiast  de  la  menue  artillerie, 
des  arbalestres,  du  traict  et  des  vivres  ;  laquelle  chose 
fut  faicte  et  envoyée  à  eulx  par  le  bastard  de  Roche- 
chouart,  seigneur  de  Meru,  qui  y  mena  et  conduisy 
les  soixante  arbalesft'iers  de  Paris,  avecques  traict, 
arbalestres,  artillerie  et  vivres. 

Et,  le  jeudi  ix^  jour  dudit  moys  de  juillet,  environ 
l'eure  de  sept  heures  au  matin,  après  que  ledit  de 
Bourgongne  ot  fait  gecter  grant  nombre  et  quantité 
de  bombardes  et  autres  artilleries  contre  les  murs  de 
ladicte  ville  à  l'endroit  de  la  porte  de  l'Ostel  Dieu*, 
vindrent  et  acoururent  dedens  les  fossez  de  ladicte 
ville  grant  quantité  desdiz  Bourguignons,  qui  y  appor- 
tèrent grans  bourrées,  cloyes  et  autre  merrien ^  dedens 

1.  C'est  le  21  juin  1472  que  Louis  XI,  alors  à  Angers,  commit 
au  gouvernement  de  Paris,  avec  le  titre  de  lieutenant  général, 
Charles  de  Gaucourt,  conseiller  et  chambellan  du  roi,  précédem- 
ment gouverneur  d'Amiens  (Arch,  nat.,  reg.  des  Bannières,  Y", 
fol.  132  vo). 

2.  C'est-à-dire  disette. 

3.  «  Toutesfois  délibéra  ledit  duc  donner  l'assault,  mais  ce  fut 
tout  seul,  car  nul  ne  se  trouva  de  ceste  oppinion  que  luy  »  (Gom- 
myaes,  éd.  Dupont,  I,  288). 

4.  Et  de  la  porte  de  Bresles  (Discours  véritable...  Lenglet,III,213). 

5.  Bois  de  construction.  On  dit  aujourd'hui  merrain. 

1  20 


276  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1472 

les  fossez  d'icelle,  et  puis  y  dressèrent  escheles  et 
moult  vigoreusement  assaillirent  ladicte  ville  à  l'en- 
droit de  la  muraille  et  portail  dudit  Hostel  Dieu'^,  dont 
avoit  la  charge  et  garde  monseigneur  Robert  d'Estou- 
teville,  chevalier,  seigneur  de  Beyne  et  prevost  de 
Paris,  qui  moult  honnorablement  et  vaillamment  s'y 
contint  et  ceulx  de  sadicte  compaignie.  Et  dura  ledit 
assault  depuis  ladicte  heur£  de  sept  heures  jusques 
après  XI  heures,  durant  lequel  temps  y  ot  grant  quan- 
tité desdiz  Bourguignons  ruez  et  abatus  mors  de  des- 
sus lesdiz  murs  dedens  les  fossez  d'icelle  ville,  et  de 
navrez  grant  quantité  et  bien  jusques  au  nombre  de 
XV  à  xvi"  hommes^;  et  plus  largement  y  en  eust  eu  de 
mors  s'il  y  eust  eu  saillie  à  ystte  hors  d'icelle  ville, 
mais  toutes  les  portes  d'icelle  estoient  murées  du  costé 
de  l'ost  desdiz  Bourguignons^.  Par  quoy  ne  se  peut 
faire  ladicte  saillie,  dont  furent  moult  dolens  les  nobles 
seigneurs,  cappitaines,  gens  d'armes  et  de  trait  qui 
estoient  dedens  icelle  ville  en  bien  grant  nombre  et 
bon  habillement,  comme  de  xim  à  xv"  combatans, 
dont  avoient  la  charge  et  conduicte  le  conte  de  Damp- 
martin,  Joachin  Rouault,  mareschal  de  France,  Sale- 
zart,  Guillaume  de  Valée,  Mery  de  Goué,  Guerin  Le 

1.  Interpolations  et  variantes,  §  LXXXIV. 

2.  Interpolât io7is  et  variantes,  §  LXXXV.  —  t  Lequel  assaut 
dura  trois  heures  ou  environ,  où  ils  (les  Bourguignons)  furent 
bien  vaillamment  recueillis  par  lesdiz  gens  de  guerre  et  habitans 
de  la  ville,  qui  ne  leur  donnèrent  pas  loisir  de  jetter  leurs  fagots 
es  fossez.  »  Cette  fois  encore,  les  femmes  portèrent  sur  la  muraille 
toutes  sortes  de  projectiles  (Discours  véritable,  p.  213).  Commynes 
évalue  les  pertes  des  Bourguignons  à  environ  120  hommes 
(éd.  Dupont,  I,  289). 

3.  La  porte  de  Paris  seule  avait  été  laissée  ouverte  (Discours 
véritable,  p.  215). 


1472]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  277 

Groin,  les  sires  de  Beyne  et  de  Torcy,  frères,  et  plu- 
sieurs autres  gentilzhommes  de  conduicte  et  grant 
façon.  Et,  durant  ledit  assault,  moiennant  la  grâce  de 
Dieu,  ne  fut  point  tué  des  gens  du  roy  plus  que  de 
trois  ou  quatre  personnes,  et  encores  disoit  on  que  ce 
avoit  esté  par  leur  oultrage^  Et,  au  regard  de  toute 
l'artillerie  qui  fut  tirée  par  lesdiz  de  Bourgongne 
durant  ledit  temps  en  icelle  ville  jusques  au  ix®  jour 
de  juillet,  n'en  fut  tué  plus  de  quatre  personnes. 

Et,  le  lendemain  dudit  assault,  environ  le  point  du 
jour,  fut  derechef  envoyé  par  ledit  sire  Denis  Hesselin, 
prevost  des  marchans,  audit  lieu  de  Beauvais  grant 
quantité  de  traict  à  arbalestre  et  des  cordes  pour  y 
servir,  des  pouldres  à  canon  et  coulevrine,  et  des  cirur- 
giens  pour  penser  et  guérir  les  navrez. 

Et,  le  samedi  xf  jour  dudit  moys  de  juillet,  au 
matin,  fut  tiré  hors  des  prisons  du  Ghastellet  de  Paris 
ung  messager  de  l'ostel  du  roy,  qui  avoit  esté  constitué 
prisonnier  esdictes  prisons,  pour  ce  qu'il  avoit  dit  et 
publié  au  Palais  et  autres  plusieurs  lieux  de  ladicte 
ville  de  Paris  que  monseigneur  le  connestable  avoit 
tiré  dudit  lieu  de  Beauvais  aux  champs  les  cappitaines 
estans  dedens  icelle,  feignant  d'avoir  conseil  avecques 
eulx  à  savoir  qu'il  estoit  de  faire  pour  la  seureté  et 
défense  d'icelle  ville,  et  que,  cependant  qu'il  tenoit 
ledit  conseil,  lesdiz  Bourguignons  furent  avitaillez  en 
leur  ost  de  grant  quantité  de  vivres  ;  à  quoy  eust  esté 
fait  faire  resistence  par  lesdiz  cappitaines,  se  n'eust 
esté  ledit  conseil.  Desquelles  paroles  ainsi  dictes  par 
ledit  messager,  qui  sonnoient  mal  à  la  charge  de  mon- 

1.  Par  leur  témérité. 


278  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1472 

dit  seigneur  le  connestable,  et  qui  de  ce  se  tint  fort  à 
mal  content,  fut  ledit  messager  baillé  et  délivré  par 
l'ordonnance  du  roy  à  maistre  Milles,  huissier  d'armes 
de  son  liostel,  qui  le  mena  et  conduisy  pardevers  ledit 
connestable  et  si  lui  porta  les  charges  et  informacions 
qui  faictes  a  voient  esté  desdictes  paroles. 

Et,  le  vendredi  x^  jour  dudit  moys,  qui  fut  le  len- 
demain dudit  assault,  par  une  trenchée  qui  fut  faicte 
pour  ystre  hors  dudit  lieu  de  Beauvais,  Salezart  et 
autres  de  sa  compaignie  entrèrent  dedens  le  parc 
d'icellui  de  Bourgongne  environ  le  point  du  jour,  où 
il  y  fut  tué  tous  les  Bourguignons  qu'ilz  rencontrèrent' . 
Et  en  icellui  parc  y  furent  bruslez  trois  tentes  et  tout 
ce  qui  estoit  dedens,  et  en  une  d'icelles  y  furent  tuez 
deux  hommes^  de  grant  façon,  ja  soit  ce  qu'ilz  pro- 
mettoient  de  paier  moult  grant  finance.  Et,  pour  ce 
que  en  icellui  ost  fut  fait  grant  cry  et  noise  en  criant 
Vive  Salezart,  lesdiz  de  l'ost  s'assemblèrent  en  bien 
grant  nombre,  par  quoy  il  convint  audit  Salezart  se 
retraire  audit  lieu  de  Beauvais.  Et,  en  soy  retraiant  et 
ceulx  de  sa  compaignie,  en  amenèrent  avecques  eulx 
de  bien  belle  artillerie,  comme  deux  des  chambres 
des  bombardes  qui  avoient  batu  et  getté  en  bas  la 
muraille  de  ladicte  ville;  lesquelles  chambres,  pour 
cause  de  briefté,  ilz  getterent  dedens  les  fossez,  et  si 
boutèrent  en  ladicte  ville  deux  bien  belles  serpentines 
avecques  ung  gros  canon  de  cuivre  nommé  l'un  des 
Douze  Pei'S,  que  le  roy,  à  la  journée  ou  rencontre  de 
Montlehery,  y  perdi.  Et  fut  ledit  Salezart  suivy  de  bien 
près  et  fort  batu  et  navré,  et  son  cheval  aussi  navré 

1.  Interpolations  et  variantes,  §  LXXXVI. 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  LXXXVII. 


1472J  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  279 

de  plusieurs  cops  de  picques  de  Flandres  et  autres^, 
nonobstant  qu'il  le  reporta  jusques  audit  lieu  de  Beau- 
vais,  où  ledit  cheval  mourut  incontinent  qu'il  y  fut 
arrivé^. 

Et  depuis  ladicte  saillie  n'avint  oudit  ost  gueres  de 
chose  jusques  au  xxi®  jour  dudit  moys  de  juillet  que 
les  bons  bourgois,  manans  et  habitans  de  la  ville  d'Or- 
léans envoierent  et  firent  passer  parmy  la  ville  de  Paris 
la  quantité  de  cent  tonneaulx  du  vin  du  cru  dudit  lieu 
d'Orléans  qu'ilz  envoierent  et  donnoient  ausdiz  sei- 
gneurs et  gens  de  guerre  estans  audit  Beauvais,  pour 
les  rafreschir  et  aider  à  bien  besongner  à  l'encontre 

1.  Les  piquiers  flamands  étaient  redoutés  des  hommes  d'armes 
français,  car  «  ilz  scavoient  l'usage  des  picques  plus  que  nulz 
autres...  Ce  sont  bastons  moult  convenables  pour  mettre  une  picque 
entre  deux  archiers  contre  le  fouldroieux  effort  des  chevaulz  qui 
Youldroient  effondrer  dedens  eulx,  car  il  n'est  cheval,  s'il  est  attaint 
d'une  picque  en  la  poitrine,  qu'il  ne  doie  morir  sans  remède,  et  si 
scevent  ces  picquenaires  desmarchier  et  attaindre  les  chevaulz  de 
costé  et  yceulx  perchier  tout  oultre  :  mesmement  n'est  si  bon 
harnoys  de  guerre  qu'ilz  ne  perchassent  ou  faulsassent  ;  ainsy  les 
scevent  ilz  bransler  et  empraindre...  »  (J.  de  Wavrin,  lU,  74). 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  LXXXVIII.  —  Suivant  le 
récit  du  Discours  véritable,  Salazart,  à  la  tête  d'une  quinzaine 
d'hommes  d'armes,  sortit  de  Beauvais  vers  trois  heures  du  matin, 
suivi  de  Guérin  le  Groing,  grènetier  de  Fécamp,  avec  3  ou 
4,000  piétons.  Ils  se  jetèrent  au  nombre  de  60  ou  80  hommes  sur  le 
camp  bourguignon  et  tuèrent  quelque  200  ennemis.  Mais  pendant 
la  retraite  il  y  eut  un  peu  de  désordre,  l'infanterie  étant  rentrée  tout 
droit  dans  la  ville  en  abandonnant  les  cavaliers,  obligés  de  faire 
le  tour  des  murs  jusqu'à  la  porte  de  Paris.  Une  poignée  de  bour- 
geois assistés  de  huit  hommes  d'armes  réussirent  à  jeter  dans  les 
fossés  «  deux  gros  canons,  l'un  de  fer  et  l'autre  de  mestail,  et  sur 
celuy  de  mestail  esloit  cscrit  Montlliery,  et  coupèrent  les  gorges 
aux  canoniers  qui  les  gardoient,  ot  puis  furent  tirez  de  nuit  par 
engins  dedans  la  ville,  sans  ce  qu'en  ce  faisant  aucun  fust  mor- 
tellement navré  ou  blessé  »  (Lenglet,  III,  214). 


280  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1472 

desdiz  Bour^ignons.  Et  si  leur  envoierent  encores 
grant  quantité  de  trousses  de  flèches  à  arc,  artillerie, 
arbalestres  et  des  pouldres  à  canon.  Et,  pour  conduire 
les  choses  dessusdictes,  y  estoient  en  personne  aucuns 
bourgoys  dudit  lieu  d'Orléans,  pour  faire  le  présent 
ausdiz  seigneurs  et  gens  de  guerre  estans  audit  Beau- 
vais,  de  par  icelle  ville  d'Orléans^. 

En  ce  temps  furent  faictes  les  monstres  en  la  ville 
de  Paris  par  les  habitans  d'icelle  par  chascune  dixaine 
et  quartiers  de  ladicte  ville,  tous  lesquelz  y  furent  en 
armes  et  par  ordre.  Lesquelles  monstres  furent  veues 
et  receues  par  le  sire  de  Gaucourt,  lieutenant  du  roy 
en  ladicte  ville,  maistre  Jehan  de  la  Driesche,  prési- 
dent des  comptes,  et  sire  Denis  Hessehn,  pennetier 
du  roy,  esleu  sur  le  fait  des  aides  et  prevost  des  mar- 
chans  de  ladicte  ville.  Lesquelles  monstres  il  faisoit 
moult  beau  veoir,  et  plus  eust  fait  si  les  arbalestriers, 
coulevriniers,  gens  prins  es  bannières  et  autres  gens 
de  guerre  en  grant  nombre,  envoiez  en  ladicte  ville 
audit  lieu  de  Beauvais,  y  eussent  esté. 

En  ce  temps  fut  mis  en  termes  que  encores  seroit 
prins  parmy  ladicte  ville  jusques  au  nombre  de 
III™  combatans,  qui  seroient  armez  et  souldoiez  de 
par  ladicte  ville,  ceulx  de  Parlement,  Chastellet,  la 
Chambre  des  comptes,  la  Chambre  des  monnoyes,  la 
Chancellerie ,  maistres  des  requestes ,  les  esleuz  et 
autres,  qui  sembla  estre  moult  grant  charge  aux  habi- 
tans d'icelle,  veu  le  grant  nombre  de  gens  que  desjà 
on  avoit  envoyé  audit  Beauvais,  et  que  aussi  ladicte 
ville  en  demorroit  moult  fort  aiîeblye.  Et  furent  ces 

1.  Cf.  Discours  véritable...  (Lenglet,  III,  215). 


' 


1472]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  281 

choses  moult  honnorablement  remonstrées  par  ledit 
sire  Denis  Hesselin  aux  cappitaines  estans  oudit  Beau- 
vais,  qui  desdictes  remonstrances  se  tindrent  à  bien 
contens  et  se  contentèrent  de  ce  qui  leur  avoit  esté 
envoyé,  sauf  qu'ilz  prièrent  que  encores  on  leur 
menast  cent  arbalestriers  et  coulevriniers  ;  ce  que  fist 
ladicte  ville. 

Et  depuis,  le  mercredi,  feste  de  la  Magdaleine*, 
environ  l'eure  de  trois  heures  de  matin,  ledit  duc  de 
Bourgongne  honteusement  se  desloga  de  son  ost  et 
s'en  parti  et  s'en  ala  sans  autre  chose  faire^,  sinon  que, 
durant  l'espace  de  xxvi  jours  entiers  qu'il  fu  devant 
ladicte  ville,  il  ne  cessa  de  faire  getter  son  artillerie 
contre  ladicte  ville  nuit  et  jour,  qui  peu  ou  néant  gre- 
vèrent icelle  ville  ne  les  habitans  d'icelle,  et  y  donna 
et  fist  donner  deux  grans  et  merveilleux  assaulx,  aux- 
quelz  y  furent  tuez  et  murdris  bien  grant  nombre  de 
ses  gens  de  guerre,  des  plus  grans  qu'il  eust  en  sa 
compaignie.  Et  si  perdi  durant  icellui  temps  grant 
quantité  de  son  artillerie,  que  ceulx  de  la  garnison 
d'Amiens  pour  le  roy  gaignerent  dessus  lesdiz  Bour- 
guignons. 

Et,  depuis  ledit  partement  desdiz  Bourguignons,  ilz 
s'en  alerent  boutans  les  feux  es  blez  et  es  villages  par- 
tout où  ilz  passoient^  ;  et  vindrent  devant  Saint-Walery 

1.  22  juillet.  «  En  un  mercredy  matin...,  en  belle  nuit,  sans 
trompette,  honteusement  et  villainement  s'enfuit  et  deslogea  avec 
son  ost...  »  {Discours  véritable,  loc.  cit.,  214). 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  LXXXIX. 

3.  Pour  venger  son  échec,  le  duc  brûla  tous  les  villages  des 
environs  de  Beauvais  à  quatre  ou  cinq  lieues  à  la  ronde,  «  du 
costé  où  il  tenoit  son  parc,  car  d'autre  part  il  n'y  eust  osé  pas- 
ser »  [Ibid.].  Commynes  veut  que  le  duc  se  soit  retiré  «  en  bel 


-282  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1472 

lez  le  Crotoy*,  qui  leur  fut  rendu  par  cealx  de  dedens, 
pour  ce  qu'ilz  n'estoient  pas  assez  gens  et  que  la  place 
n'estoit  point  de  tenir  contre  sa  puissance.  Et  après 
s'en  ala  à  Eu,  qui  pareillement  lui  fut  rendue  pour  la 
cause  que  dessus-. 

Et,  le  mercredi  xxix^  jour  de  juillet,  monseigneur 
le  connestable,  monseigneur  le  grant  maistre  et  autres 
cappitaines  qui  estoient  dedens  la  ville  de  Beauvais, 
acompaignez  de  vin'^  lances,  se  partirent  dudit  lieu 
pour  eulx  tirer  ou  pays  de  Caulx,  vers  Arques  et 
Moustierviller^,  pour  estre  au  devant  desdiz  Bourgui- 
gnons, qu'ilz  supposoient  qu'ilz  y  dévoient  aler;  ce 
que  firent  lesdiz  Bourguignons  et  alerent  mettre  et 
asseoir  leur  parc  entre  ladicte  place  d'Eu  et  Dieppe, 
en  ung  village  nommé  Ferrieres^.  Et  ilec  depuis  y 
séjourna  bien  grant  pièce  sans  rien  conquérir,  sinon 
le  Neuf  Ghastel  de  Nycourt,  où  ilz  se  boutèrent  pour 
ce  que  dedens  n'y  trouvèrent  aucun  qui  leur  contre- 
deist;  et  y  furent  par  l'espace  de  trois  jours,  puis  s'en 
alerent  ;  et  au  partir  y  boutèrent  le  feu  et  brûlèrent  la 

ordre,  »  espérant  être  attaqué  (édit.  Dupont,  I,  289  et  suivantes). 

1.  Auj.  Saint- Valery-sur-Somme ,  dép.  do  la  Somme,  arr. 
d'Abbeville. 

2.  Le  28  juillet,  Charles  campa  «  outre  l'eau,  sous  la  ville  d'Eu, 
vers  Dieppe,  où  il  resta  jusqu'au  9  août  »  (Lenglet,  II,  202).  Cf. 
Commynes,  éd.  Dupont,  I,  290  :  «  Il  print...  son  chemin  en  Nor- 
mandie pour  ce  qu'il  avoit  promis  au  duc  de  Bretaigne  aller 
jusques  devant  Rouen,  lequel  avoit  promis  de  s'y  trouver...  » 

3.  Arques,  auj.  Seine-Inférieure,  près  Dieppe.  Montivilliers, 
même  dép.,  arr.  du  Havre. 

4.  Ferrières,  auj.  dép.  de  la  Seine-Inférieure.  L'Itinéraire  de 
Charles  le  Hardi  porte  que  le  28  juillet  le  duc  campa  «  outre 
l'eau,  sous  la  ville  d'Eu  vers  Dieppe,  »  et  qu'il  y  resta  jusqu'au 
9  août  (Lenglet,  II,  202). 


1472]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  283 

ville  et  chasteP,  qui  fut  ung  moult  grant  et  piteux 
dommage,  car  c'estoit  une  moult  belle  ville  de  guerre 
et  grande.  Et  en  après  fist  mettre  et  bouter  ledit 
Bourguignon  le  feu  à  Longueville,  au  Fay  et  autres 
plusieurs  lieux  et  villages  du  bailliage  de  Caulx,  que 
pour  tout  son  vaillant  ne  sauroit  réparer^.  Et  plus  ne 
autre  vaillance  ne  fist  que  de  bouter  lesdiz  feux,  depuis 
son  parlement  de  ses  pays  jusques  au  premier  jour  de 
décembre  1111=  LXXII. 

Durans  ces  choses,  le  roy,  qui  estoit  en  Bretaigne 
à  tout  plus  de  cinquante  mil  combatans,  n'y  fist  que 
peu  ou  rien,  pour  ce  qu'il  fut  mené  de  belles  paroles 
et  par  ambassades,  au  moien  de  quoy  il  cuidoit  avoir 
bonne  pacificacion  et  accord  avecques  ledit  duc  de 
Bretaigne,  sans  effusion  de  sang  ne  perdicion  de  ses 
gens  de  guerre,  que  tousjours  il  a  fort  craint,  plus 
sans  comparoison  que  ledit  de  Bourgongne^,  qui  est 
trop  cruel  et  plein  de  mauvaise  obstinacion,  ainsi  que 
par  cy  devant  l'a  monstre  et  monstre  chascun  jour^. 

1.  Interpolations  et  variantes,  §  XG.  —  Il  s'agit  ici  de  Neufchà- 
tel-en-Bray  (Seine-Inférieure).  Cf.  Basin,  II,  298. 

2.  C'est  le  26  août  que  le  duc  fit  incendier  le  château  de  Lon- 
gueville, auj.  arr.  de  Dieppe  (Lenglet,  II,  202).  Basin,  qui,  malgré 
sa  partialité  habituelle,  qualifie  sévèrement  cette  dévastation  bar- 
bare du  pays  de  Caux,  dit  que  les  chefs  français  n'osèrent  pas 
attaquer  l'armée  bourguignonne.  Ils  se  contentaient  de  chevaucher 
sur  ses  flancs,  en  ramassant  les  traînards.  Tel  était,  disaient-ils, 
l'ordre  du  roi,  mais  l'opinion  générale  fut  que  cette  attitude  pas- 
sive était  le  fait  du  connétable,  et  l'évêque  de  Lisieux  ajoute  : 
«  quod  certum  verisimile  est  quia  idem  cornes  ultro  citroquc  pro- 
ditor  pessiinus  erat...  «  (II,  299  et  suiv.).  Cf.  la  chron.  anon.  inip. 
en  appendice  de  Wavrin,  III,  295  et  suiv. 

3.  Interpolations  et  variantes,  §  XGI. 

4.  Le  duc  Charles  de  Bourgogne  vivait  encore  lorsque  ce  pas- 
sage fut  rédigé. 


284  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1472 

Et,  après  que  ledit  duc  de  Bourgongne  fut  retourné 
dudit  pays  de  Caulx,  où  ainsi  avoit  bouté  les  feux  que 
dit  est,  et  que  devant  Arques  et  Dieppe*  fut  si  vigueu- 
reusement  recueilli  et  batu,  lui  et  ses  gens,  s'en  party 
d'icellui  pays  et  délibéra  de  s'en  aler  devant  la  bonne 
ville  et  cité  de  Rouen,  où  plus  que  devant  fut  bien 
receu  et  tellement  que,  au  moien  des  saillies  et  grans 
vaillances  que  firent  sur  lui  ceulx  de  dedens,  lui  con- 
vint soy  en  retourner  bien  honteusement  et  à  sa  grant 
perte  vers  Abbeville^,  et  fist  courir  lors  grant  bruit  de 
mettre  le  siège  devant  la  ville  de  Noyom  et  icelle  avoir 
par  force.  A  quoy  lui  fut  bien  résisté  par  le  sire  de 
Grussol  et  autres  vaillans  cappitaines  pour  le  roy,  qui 
se  vindrent  loger  dedens  et  qui  la  fortifièrent  d'engins, 
de  vivres  et  autres  choses  pour  repuiser  sa  dampnée 
fureur.  Mais  ung  grant  mal  fut  fait  par  son  moien,  car 
lesdiz  cappitaines,  pour  estre  et  demourer  plus  seurs 
en  ladicte  ville,  firent  brûler  et  abatre  les  faulxbourgs 
d'icelle  ville  pour  garder  d'y  loger  lesdiz  Bourgui- 
gnons, qui  n'y  vindrent  point. 

Oudit  temps,  messire  Robert  d'Estouteville,  cheva- 
lier, prevost  de  Paris,  qui  estoit  dedens  la  ville  de 
Beauvais  avecques  les  nobles  de  la  prevosté  et  viconté 
de  Paris  et  certain  nombre  de  frans  archers,  s'en 
party  dudit  lieu  de  Beauvais  et  s'en  vint  loger  es 
fauxbourgs  de  la  ville  d'Eu ,  du  costé  d'Abbeville. 
Et,  ce  mesme  jour  aussi,  arriva  d'autre  costé  es  diz 
faulxbourgs  du  costé  de  Dieppe  monseigneur  le  ma- 
reschal  Joachin  ;  lesquelz  incontinent  envoierent  som- 
mer les  Bourguignons  qui  estoient  dedens.   Et  lelz 

1.  Inlerpolatiom  et  variantes,  §  XCII. 

2.  Appendice  de  Wavrin,  III,  297. 


1472]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  285 

effrois  leur  firent  les  gens  du  roy  qu'ilz  prindrent 
composicion,  qui  estoit  telle  qu'ilz  s'en  alerent  tous  et 
rendirent  ladicte  ville.  C'est  assavoir  les  chevaliers, 
chascun  sur  ung  petit  courtault,  et  tous  les  autres 
Bourguignons,  qui  estoient  bien  vnf  et  plus,  s'en 
alerent  chascun  ung  baston  en  leur  poing  et  laissèrent 
tous  leurs  habillemens,  biens  et  chevaulx,  et  si  paie- 
rent  dix  mil  escuz.  Et  puis  ne  demoura  gueres  que 
lesdiz  Joachin  et  d'Estouteville,  eulx  et  leurs  gens,  s'en 
alerent  devant  la  ville  de  Saint-Walery,  qu'ilz  eurent 
par  semblable  condicion,  et  paierent  \i^  escuz.  Et  puis 
s'en  alerent  à  Rambures^  ung  bien  bel  et  fort  chas- 
teau,  où  dedens  estoient  aucuns  Bourguignons,  qui 
vindrent  au  devant  dudit  d'Estouteville  et  Joachin, 
ausquelz  ilz  rendirent  ledit  chastel,  moyennant  que 
lesdiz  Bourguignons  s'en  alerent  eulx  et  leurs  bagues 
saulves. 

En  ces  entrefaictes,  aucuns  tenans  le  party  dudit 
de  Bourgongne,  comme  le  conte  deRoussy,  tîlz  dudit 
connestable-,  et  autres  de   leur  parti   tindrent   les 

1.  Les  Bourguignons  étaient  en  possession  du  château  de  Ram- 
bures  (auj.  dép.  de  la  Somme,  cant.  de  Gamaches)  depuis  le  26  juil- 
let (Lenglet,  II,  202).  Cf.  Appendice  de  Wavrin,  HI,  295,  299  ss. 
—  Sur  la  réclamation  de  Charles  le  Hardi,  il  fut  stipulé,  dans  la 
trêve  conclue  le  3  novembre  1472,  que  les  places  de  Saint- Valéry 
et  de  Rambures,  prises  par  les  troupes  royales,  ne  seraient  ni 
brûlées  ni  démolies  non  plus  que  fortifiées  autrement  qu'elles  ne 
l'étaient  au  jour  de  la  capitulation  (Lenglet,  III,  232). 

2.  Antoine  de  Luxembourg,  comte  de  Brienne,  de  Ligny  et  de 
Roussy,  fils  du  comte  de  Saint-Pol  et  de  Jeanne  de  Bar,  était 
lieutenant  général  du  duc  Charles  en  Bourgogne.  Lenglet  donne 
(III,  227),  d'après  le  ms.  fr.  3887,  la  liste  des  places  prises  sur  les 
Français  dans  cette  région  pendant  la  première  quinzaine  du  mois 
d'octobre  1472. 


286  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1472 

champs,  ou  pays  et  marche  de  Bourgongne,  et  se 
vinrent  espandre  et  loger  en  la  conté  de  Tonnerre,  où 
ilz  ne  trouvèrent  aucune  resistence,  et  en  gastant  et 
destruisant  pays  vindrent  jusques  à  Joigny,  qui  fut  fort 
secouru  par  les  gens  du  roy  et  ne  le  orent  point.  Et 
puis  s'en  alerent  vers  Troyes,  boutans  feux  es  gran- 
ches  et  villages,  et  autre  vaillance  ne  firent.  Et,  pen- 
dant qu'ilz  faisoient  telz  maulx,  semblablement  le  fai- 
soient  le  conte  daulphin  d'Auvergne  et  autres  nobles 
hommes  de  sa  compaignie  ou  pays  de  Bourgongne 
pour  le  roy,  où  ilz  mirent  et  boutèrent  aussi  le  feu  en 
plusieurs  des  villes,  villages  et  lieux  dudit  de  Bour- 
gongne, et  y  firent  du  dommaige  irréparable;  mais 
c'estoit  pour  revenge  de  ce  que  ledit  Bourguignon 
avoit  fait  sur  les  villes,  pays  et  subgetz  du  roy  ^  comme 
mauvais  subgetz  qu'ilz  estoient  à  leur  vray  et  souve- 
rain seigneur. 

Ou  moys  de  septembre  ensuivant,  le  roy,  qui  avoit 
esté  par  certain  temps  ou  pays  de  Bretaigne,  fist  trêve 
ou  abstinence  de  guerre  avecques  ledit  duc  de  Bre- 
taigne jusques  au  premier  jour  d'avril  ensuivant^.  En 
laquelle  trêve  estoient  comprins  les  amis  et  aliez  d'icel- 
lui  de  Bretaigne,  lesquelz  il  declaira  estre  ledit  duc 
de  Bourgongne,  qui  aussi  print  et  accepta  la  trefve 

1 .  Interpolations  et  variantes,  §  XGIII. 

2.  Une  trêve  de  six  semaines  fut  conclue  le  15  octobre  1472  au 
nom  du  duc  de  Bretagne  par  Piiilippe  des  Essarts,  seigneur  de 
Thieux,  et  par  Guillaume  de  Soupplainville.  II  fut  stipulé  que 
Louis  XI  évacuerait  les  places  qu'il  occupait  en  Bretagne,  à  l'ex- 
c(q)tion  d'Ancenis.  Le  duc  François  ratifia  la  trêve  on  date  du 
2(i  octobre,  et  c'est  dans  ces  lettres  de  ratilication  que  sont  nommés 
les  «  amis  et  alliés  »  du  duc,  savoir  «  les  ducs  de  Bourgogne  et 
de  Calabre,  leurs  pays,  subjets  et  serviteurs,  si  compris  y  veulent 


1472]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  287 

ledit  temps  durant,  aussi  pour  lui,  ses  amis  et  aliez, 
qu'il  declaira  estre  l'empereur  d'Alemaigne,  les  roys 
d'Angleterre,  Escoce,  Portugal,  Espaigne,  Arragon, 
Secile  et  autres  roys  jusques  au  nombre  de  sept,  et 
plusieurs  autres  ducs  et  grans  seigneurs'. 

En  ce  temps  acoucha  d'un  filz  la  bonne  royne  de 
France,  qu'on  appella  monseigneur  de  Berry,  qui  ne 
vesqui  gueres^. 

Vers  la  fin  du  moys  d'octobre,  advint  que  monsei- 
gneur de  Beaujeu,  frère  de  monseigneur  le  duc  de 
Bourbon,  qui  estoit  aie  par  l'ordonnance  du  roy  ou 
pays  d'Armaignac  comme  gouverneur  de  Guienne, 
lequel  estoit  bien  acompaigné  de  grans  seigneurs  et 
nobles  hommes,  lui  estant  dedens  la  ville  et  cité  de 
Lestore  oudit  pays,  fut  par  trahison  prins  et  mis  es 
mains  dudit  conte  d'Armaignac,  lequel,  au  moien 
d'icelle  prinse,  recouvra  ladicte  cité^.  Et,  puis  après 

estre  »  (Lenglet,  III,  228  et  suiv.  Cf.  Commynes,  éd.  Dupont,  I, 
291  et  suiv.).  Cette  trêve  fut  prolongée  pour  un  an  à  partir  du 
23  novembre  1472  (Lenglet,  lU,  235-238). 

1.  C'est  la  trêve  du  roi  avec  la  Bourgogne,  conclue  le  3  no- 
vembre 1472  par  le  connétable  pour  Louis  XI  et  pour  le  duc 
Charles  par  les  seigneurs  de  Croy,  d'Humbercourt  et  d'Aymeries, 
et  non  pas  celle  passée  avec  les  Bretons,  qui  devait  prendre  fin 
le  1er  avril  1473.  Étaient  compris  dans  cet  accord  du  côté  bour- 
guignon, outre  les  souverains  nommés  ci-dessus,  les  rois  de  Hongrie 
et  de  Pologne,  les  ducs  de  Bretagne,  de  Calabre  et  de  Lorraine,  la 
duchesse  de  Savoie  et  son  fils,  le  comte  de  Romont  et  la  maison 
de  Savoie,  le  duc  d'Autriche,  la  seigneurie  de  Venise,  le  comte 
Palatin,  le  duc  de  Gueldres. 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  XCIV.  —  La  nourrice  de  Fran- 
çois, duc  de  Berry,  Jeanne  Garnière,  figurait  encore  aux  gages  de 
50  1.  t.  dans  la  maison  de  la  reine  Charlotte,  en  1483  (Bibl.  nat., 
ms.  fr.  15538,  fol.  63). 

3.  Pierre  de  Bourbon,  sire  de  Beaujeu,  venait  d'arriver  à  Lec- 
toure  pour  se  mettre  à  la  tète  d'une  expédition  destinée  à  pour- 


288  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1472 

icelle  prinse,  ledit  d'Armaignac  délivra  plusieurs  des 
seigneurs  estans  avec  ledit  seigneur  de  Beaujeu,  qui 
depuis  furent  prins  de  par  le  roy  pour  ce  qu'il  avoit 
souspeçon  qu'ilz  eussent  esté  cause  de  la  prinse  dudit 
seigneur  de  Beaujeu,  et  furent  menez  prisonniers  ou 
chasteau  de  Loches.  Et  de  ladicte  prinse  dudit  de 
Beaujeu  fut  le  roy  moult  dolent,  et,  pour  le  ravoir, 
envoia  devant  icelle  cité  de  ses  gens  de  guerre  et 
artillerie  en  grant  nombre  \  et  lui  mesmes  ala  jusques 
à  Poictiers,  à  la  Rochelle  et  ou  pays  d'environ,  et  y 
estoit  le  jour  saint  Andry  [30  novembre],  oudit  an 
LXXII,  et  puis  s'en  retourna  à  Angers^. 

Et,  à  cause  de  ladicte  prinse,  y  ot  ung  gentilhomme, 
serviteur  dudit  monseigneur  de  Beaujeu,  nommé  Jehan 
Deymier,  qui  estoit  prisonnier  oudit  lieu  de  Loches^, 
lequel  fust  escartelé  en  la  ville  de  Tours,  pour  ce 
qu'il  confessa  avoir  esté  traistre  au  roy  et  à  sondit 
maistre  ;  et,  à  l'eure  qu'il  deust  mourir,  parla  moult 
honnorablement  et  publiquement  devant  tous  dudit 
seigneur  de  Beaujeu,  en  disant  par  lui  qu'il  estoit  bon 
et  leal  et  qu'il  n'avoit  riens  sceu  de  ladicte  trahison, 
mais  d'icelle  en  charga  fort  le  Gabdet  d'Albret,  sei- 

suivre  et  à  saisir  Jean  V  d'Armagnac.  Mais  celui-ci,  averti  par 
le  Cadet  d'Albret,  son  cousin,  qui  feignait  un  grand  attactiement 
à  la  cause  royale,  réussit  à  surprendre  la  ville  de  Lectoure,  à  peu 
près  dégarnie  de  troupes  et  toute  pleine  de  ses  partisans  (19  octobre 
1472).  Beaujeu  et  ses  compagnons  se  laissèrent  prendre  au  lit 
(voy.  les  détails  de  cet  épisode  dans  l'extrait  cité  de  la  Revue 
historique,  année  1888,  Louis  XI,  Jean  V  d'Armagnac,  etc.,  p.  31 
et  suiv.). 

1.  Novembre  1472  (^Ibid.,  p.  43  et  suiv.). 

2.  Louis  XI  est  signalé  à  l'Hermenault  (auj.  dép.  de  la  Vendée) 
du  25  au  29  novembre  et  le  30  à  la  Roclielle  (Itin.  cité). 

3.  Interpolations  et  variantes,  §  XCV. 


1473]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  289 

gneur  de  Saincte- Basile  ^  ouquel  ledit  de  Beaujeu 
avoit  eu  grant  confidence  pour  ce  qu'il  avoit  esté 
nourry  et  eu  moult  de  biens  en  la  maison  de  Bourbon -. 
Après  ces  choses,  le  roy  séjourna  longuement  en 
Poictou  et  vers  les  marches  de  Bretaigne,  et  tant  y 
demoura  que  appoinctement  se  fist  entre  le  roy  et 
ledit  duc  de  Bretaigne,  dont  pour  ce  faire  se  mesla 
fort  Oudet  de  Rie,  seigneur  de  Lescum,  à  qui  le  roy, 
à  ceste  cause,  fist  de  grans  biens,  et  par  avant  lui  en 
avoit  aussi  fait.  Et,  en  faisant  ledit  appoinctement,  le 
roy  bailla  et  délivra  audit  duc  de  Bretaigne  la  conté 
de  Monfort  et  certaine  somme  de  deniers.  Et,  après 
ledit  accord  ainsi  fait,  fut  envoyé  par  ledit  duc  de 
Bretaigne  le  faire  notiffier  et  savoir  par  ses  ambas- 
seurs  au  duc  de  Bourgongne,  et  pour  ravoir  de  lui  les 
scellez  que  ledit  duc  de  Bretaigne  lui  avoit  baillez  en 
faisant  l'aliance  d'entre  eulx^. 

1.  Charles,  dit  le  Cadet  d'Albret,  fils  de  Charles  II,  seigneur 
d'AIbret,  et  d'Anne  d'Armagnac,  avait  reçu  de  son  père,  dès  le 
17  novembre  1456,  les  seigneuries  de  Sainte-Bazeille(auj.  dép.  de 
Lot-et-Garonne),  de  Gensac,  de  Langoiran,  etc.  (art.  cité,  p.  26). 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  XCVI. 

3.  Interpolations  et  variatites,^  XGVII.  —  Louis  XI  séjourna  en 
Poitou  pendant  toute  la  seconde  partie  du  mois  de  novembre  1472 
et  jusqu'au  milieu  de  janvier  1473.  —  Sur  les  marchandages  qui 
finirent  par  assurer  au  roi  le  concours  d'Odet  d'Aidie,  le  grand 
directeur  de  la  politique  bretonne,  voy.  Commynes,  éd.  Dupont, 
I,  291-295.  Ce  chroniqueur  qualifie  aussi  l'appointement  conclu 
entre  le  roi  de  France  et  François  II  de  «  paix  finalle.  »  Louis  XI 
s'engagea  à  ne  traiter  avec  la  Bourgogne  que  par  l'entremise  du 
duc  de  Bretagne  (Montaigu  en  Vendée,  !«■•  janvier  1473,  n.  st.). 
En  conséquence,  le  29  janvier,  à  Nantes,  François  U  donnait  com- 
mission à  Vincent,  évêque  de  Léon,  de  se  rendre  auprès  du  duc 
Charles  afin  d'obtenir  la  prorogation  de  la  trêve  qui  devait  prendre 
fin  le  l^""  avril  et  qui  fut  en  effet  prolongée  pour  une  année  (Len- 
glet,  m,  246-255.  Cf.  p.  184-186,  avec  la  date  erronée  de  1472). 


290  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1473 

Ou  moys  de  février,  oudit  an  IIIPLXXII,  le  tiers 
jour  dudit  moys,  advint,  sur  le  point  de  six  heures  au 
soir,  que  le  temps  estoit  fort  doulx  et  chault,  qu'il 
descendit  du  ciel  deux  grans  clartez  comme  deux 
chandelles  passans  devant  les  yeulx  des  regardans, 
qui  sembloit  estre  fort  espoventable,  et  en  yssoit  moult 
grant  clarté,  mais  ce  ne  dura  gueres. 

Le  septiesme  jour  dudit  moys  de  février,  monsei- 
gneur l'evesque  de  Paris,  filz  de  monseigneur  de  la 
Forest,  fîst  son  entrée  comme  evesque  de  ladicte  ville, 
et  y  ot  grant  solennité  gardée  à  son  entrée'.  Et,  après 
le  service  fait  en  la  grant  église,  donna  à  disner  aux 
gens  d'eghse,  Université,  Parlement,  Chambre  des 
comptes,  generaulx,  maistres  des  requestes,  secré- 
taires, prevost  des  marchans,  eschevins  et  bourgois 
de  ladicte  ville  bien  et  honnorablement. 

En  ce  temps  fut  tirée  de  la  ville  de  Lestaure  une 
grosse  serpentine  en  l'ost  des  gens  du  roy  estaus 
devant,  laquelle  d'un  seul  cop  tua  le  maistre  de  l'artil- 
lerie du  roy  et  quatre  autres  canonniers. 

Oudit  temps  fut  prins  prisonnier  le  duc  d'Alençon 
par  messire  Tristan  l'Ermite,  prevost  des  mares- 
chaulx,  et  mené  devers  le  roy  pour  occasion  de  ce 
que  on  disoit  qu'il  s'en  estoit  party  de  ses  pays,  cui- 
dant  s'en  aler  pardevers  ledit  de  Bourgongne  pour  lui 
vendre  et  délivrer  toutes  ses  terres  et  seigneuries  qu'il 
avoit  ou  pays  du  Perche  et  Normendie  avecques  ladicte 
duchié  d'Alençon^. 

1.  Louis  de  Beaumont,  évêque  de  Paris,  qui  mourut  le  5  juil- 
let 1492,  était  Gis  de  Louis,  seigneur  de  la  Forêt,  chevalier  de 
l'ordre,  et  l'ua  des  serviteurs  les  plus  employés  de  Louis  XL 

2.  Jean  V  fut  arrêté  à  BrezoUes,  dans  le  Perche,  enfermé  d'abord 


1473]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  291 

Ou  mois  de  mars  ensuivant  mil  IIIP  LXXII,  le  ven- 
dredi cinquiesme  jour,  le  conte  d'Armaignac,  estant 
dedens  ladicte  ville  de  Lestaure  et  qui  audit  jour 
avoit  composicion  faicte  avecques  le  roy  ^  par  le  moien 
de  messire  Yves  du  Fau^,  que  le  roy  avoit  envoyé 
pardevers  ledit  d'Armaignac  pour  ceste  cause,  afin  de 
soy  en  wider  dudit  lieu  de  Lestaure,  lui,  sa  femme  et 
serviteurs,  leurs  vies  saulves,  fut  ledit  d'Armaignac 
tué  et  murdry  par  les  gens  du  roy^,  qui  entrèrent 
en  icelle  ville,  pour  ce  que  ledit  d'Armaignac, 
nonobstant  sondit  appoinctement  et  en  alant  à  ren- 
contre, voulut  tuer  et  murdrir  aucuns  des  gens 
du  roy  qui  entrèrent  en  icelle  ville  soubz  umbre  et 
couleur  dudit  traictié,  lesquelz,  quant  ilz  virent  que 
ledit  d'Armaignac  les  vouloit  ainsi  traicter,  crièrent 
aux  gens  du  roy  tenans  ilec  le  siège  qu'ilz  les  voul- 
sissent  secourir;  ce  qu'ilz  firent,  et  vindrent  assaillir 
ladicte  ville  à  l'endroit  où  elle  avoit  esté  batue.  Et  par 
là  entrèrent  dedens  le  seneschal  de  Lymosin  et  autres 
en  grant  nombre  et  tel  qu'ilz  tuèrent  ledit  d'Armai- 
gnac, toutes  ses  gens  et  tous  les  habitans  de  ladicte 
ville  de  Lestaure,  tellement  que  de  tous  n'en  demoura 
que  la  contesse  d'Armaignac  et  trois  femmes  et  trois 
ou  quatre  hommes,  que  tout  ne  feust  tué,  murdry  et 

au  château  de  Rochecorboa,  près  de  Tours,  puis  transféré  à  Paris, 
au  Louvre  (voy.  plus  loin). 

1.  Interpolations  et  variantes,  §  XGVIII. 

2.  Yves  du  Fou,  chevalier,  seigneur  du  Vigean  et  de  la  Ramen- 
teresse  en  Poitou,  conseiller  et  chambellan  du  roi,  sénéchal  de 
Poitou,  gouverneur  d'Angoumois,  grand  veneur  de  France,  etc., 
épousa  Jeanne  Mourraut  et  mourut  en  1488  (Anselme,  VIII,  704, 
et  Bibl.  nat.,  ms.  fr.  20432,  fol.  5). 

3.  Interpolations  et  variantes,  §  XCIX. 

I  21 


292  JOURNAJL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1473 

tout  pillié^  Et,  partant,  monseigneur  de  Beaujeu  et 
les  autres  seigneurs  et  gentilzhommes  que  ledit  d'Ar- 
mignac  tenoit  prisonniers  audit  lieu  de  Lestaure 
furent  délivrez  et  s'en  vindrent  devers  le  roy.  Et  des 

1.  Lectoure,  la  clef  de  la  Gascogne,  construit  sur  une  sorte  de 
promontoire  élevé  et  vulnérable  d'un  seul  côté,  était  une  très  forte 
place.  C'est  au  commencement  de  janvier  que  les  Balsac  com- 
mencèrent à  en  canonner  les  défenses,  et  c'est  le  4  mars,  après  de 
nombreux  pourparlers,  que  les  mandataires  du  comte  d'Armagnac, 
Jean  de  Villiers  la  Groslaye,  évêque  de  Lombez,  et  le  chancelier  d'Ar- 
magnac, réussirent  à  s'entendre  avec  du  Lude  et  avec  le  cardinal 
d'Albi,  Jean  Jouffroy,  sur  les  conditions  de  la  capitulation.  Jean  V 
reçut  la  promesse  du  pardon  royal  et  un  sauf-conduit  en  règle 
pour  se  rendre  auprès  de  Louis  XI.  Tous  ses  partisans  devaient 
être  réintégrés  dans  leurs  biens,  et  la  cité  de  Lectoure  conservait 
ses  privilèges.  Par  contre,  Armagnac  s'engageait  à  rendre  immé- 
diatement ses  prisonniers  et  les  clefs  de  la  ville  aux  chefs  de  l'ar- 
mée royale.  Le  5  mars,  il  exécutait  cet  engagement.  On  a  donné 
ailleurs,  dans  un  travail  plusieurs  fois  cité  au  cours  de  cette  édi- 
tion, les  raisons  qui  rendent  peu  vraisemblable  le  récit  que  la 
Chronique  scandaleuse  donne  du  meurtre  de  Jean  V.  C'est  la 
version  royaliste,  celle  que  le  procureur  du  roi  défendit  sous 
Charles  "VIU  lors  des  débats  qui  furent  engagés  au  Parlement  de 
Paris  pour  la  succession  du  comte  d'Armagnac  ;  mais  les  chances 
sont  pour  que  Jean  V  ait  été  tué  sans  provocation,  à  la  faveur 
d'une  rixe  qui  s'engagea  entre  ses  gardes  et  les  francs  archers  des 
sénéchaux  du  roi,  avec  ou  sans  l'approbation  de  ces  derniers. 
Après  le  meurtre,  la  soldatesque  fit  main  basse  sur  tout  ce  qu'elle 
rencontra,  mais  notre  chroniqueur  a  exagéré  le  nombre  des  vic- 
times, et  les  actes  de  réparation  ordonnés  par  Louis  XI  lui-même 
en  faveur  des  «  pauvres  habitants  »  de  Lectoure  prouvent  qu'il  en 
survécut  un  assez  grand  nombre.  Après  le  sac  de  la  ville,  le  feu 
y  fut  mis,  et  fortifications  et  édihces  furent  méthodiquement  démo- 
lis. Jeanne  de  Foix,  veuve  du  comte  d'Armagnac,  fut  transportée 
au  château  de  Buzet,  dans  le  Toulousain.  Elle  n'y  fut  nullement 
empoisonnée,  quoi  qu'on  en  ait  dit,  et  vécut  plusieurs  années 
encore  d'une  pension  de  6,000  1.  t.  que  Louis  XI  lui  avait  assi- 
gnée (Louis  XI,  Jean  V  d'Armagnac,  etc.,  extrait  de  la  Rev.  hisL, 
cité,  p.  46-57). 


1473]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  293 

choses  dessusdictes  en  apporta  les  nouvelles  au  roy 
ung  des  chevaucheurs  de  son  escuierie,  nommé  Jehan 
d'Auvergne,  dont  le  roy  fut  moult  joyeux,  et,  pour 
ceste  cause,  le  fist  et  créa  son  herault  et  si  lui  donna 
cent  escuz  d'or^.  Et  entra  dedens  ladicte  ville  le  car- 
dinal d'Arras^,  qui  moult  vaillamment  s'estoit  porté 
devant  icelle,  en  y  tenant  le  siège  pour  le  roy.  Et  après 
fut  toute  ladicte  ville  arse  et  tout  getté  dedens  les 
fossez. 

Et,  pour  la  desconfiture  dudit  lieu  de  Lestaure  et 
dudit  d'Armaignac,  en  ala  la  nouvelle  au  roy  d'Arra- 
gon,  qui  estoit  à  Parpeignen,  lequel,  pour  la  cause 
dessusdicte,  et  aussi  qu'on  lui  rapporta  que  PheHppe 
Monseigneur  de  Savoye  s'en  aloit  à  lui  pour  lui  faire 
guerre  et  recouvrer  ladicte  ville  de  Parpignen  qu'il 
avoit  prinse  sur  le  roy,  et  venoit  ilec  à  tout  grant 
compaignie  de  gens  de  guerre,  tant  des  pays  de  Savoie, 
du  Daulphiné  que  d'Armaignac,  s'en  ala  et  départi 
dudit  Parpeignen  et  se  retrahy  en  autres  ses  pays^. 

1.  Nous  ne  savons  s'il  faut  confondre  ce  Jean  d'Auvergne  avec 
un  personnage  du  même  nom,  archer  de  la  compagnie  de  Gilbert 
de  Chabannes,  gouverneur  de  Limousin  (Bibl.  nat.,  Titres.  Montres 
1414,  fol.  128,  cop.,  à  la  date  du  18  novembre  1475).  On  rencontre 
aussi  un  Guillaume  d'Auvergne,  chevaucheur  de  l'écurie  du  roi, 
à  la  date  du  30  octobre  1480  (Pièces  orig.,  vol.  149,  dossier  d'Au- 
vergne, parch.). 

2.  Jean  Jouffroy,  évêque  d'Arras  (1458-1462),  puis  d'Albi,  car- 
dinal, mort  en  1473,  joua  un  rôle  important  pendant  la  dernière 
partie  du  siège  de  Lectoure.  M.  Fierville  a  écrit  la  biographie  de 
ce  prélat  guerrier  et  diplomate,  sous  ce  titre  :  le  Cardinal  Jean 
Jouffroy  et  son  temps  (Goutances,  1874,  in-8o). 

3.  Les  rigueurs  d'Antoine  du  Lau,  seigneur  de  Castelnau, 
récemment  rentré  en  grâce  auprès  de  Louis  XI  et  nommé  gou- 
verneur de  Perpignan,  indisposèrent  les  habitants  de  cette  ville 
au  point  que,  dans  la  nuit  du  2  février  1473,  ils  introduisirent 


294  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1473 

Et,  puis  le  samedi  matin,  xiii*  jour  dudit  moys  de 
mars,  à  l'eure  de  six  heures  de  matin,  le  roy,  qui 
estoit  au  Plesis  du  Parc^,  jadis  nommé  les  Motifz  lez 
Tours,  s'en  party  à  privée  compaignie  et  s'en  ala  à 
Bordeaux  et  Baionne,  et,  afin  que  homme  vivant,  autre 
que  ceulx  qu'il  avoit  ordonnez,  ne  le  suivissent  ne 
alassent  après  lui,  fist  tenir  toutes  les  portes  de  Tours 
fermées  depuis  ladicte  heure  jusques  à  dix  heures 
sonnées,  et  si  fist  rompre  ung  pont  près  dudit  lieu  de 
Tours  par  où  il  estoit  passé,  que  homme  n'y  passast. 
Et  fist  ilec  aussi  demourer  monseigneur  de  Gaucourt, 
cappitaine  des  gentilzhommes  de  sa  maison,  afin  que 
personne  n'alast  après  lui^. 

Et,  le  mercredi  septiesme  jour  d'avril,  avant  Pas- 
dans  la  cité  une  bande  d'Aragonais.  Les  Français,  contraints  de 
se  réfugier  dans  la  citadelle,  n'eurent  d'autre  ressource  que  d'y 
attendre  le  secours  qu'ils  avaient  réclamé  du  roi.  C'est  aux  envi- 
rons du  10  avril  que  le  comte  de  Bresse,  lui  aussi  réconcilié  avec 
son  royal  beau -frère,  vint  mettre  le  siège  devant  Perpignan. 
Encouragés  par  la  présence  du  vieux  roi  Juan  d'Aragon,  les  bour- 
geois opposèrent  une  résistance  acharnée  aux  troupes  de  Philippe 
de  Savoie  renforcées  par  l'armée  de  Lectoure  que  Louis  XI  avait 
dirigée  sur  l'Espagne  après  la  mort  du  comte  d'Armagnac  (Basin, 
II,  304  et  suiv.). 

1,  Charles  Vil  possédait  déjà,  dans  un  faubourg  de  Tours,  aux 
Montils,  un  logis  et  un  parc  dont  il  termina  la  clôture  en  1451 
(De  Beaucourt,  Hist.  de  Charles  VJl,  t.  V,  p.  73).  Le  château  du 
Plessis,  dont  quelques  parties  subsistent  encore  à  une  faible  dis- 
tance des  limites  actuelles  de  la  ville,  fut  probablement  une  adjonc- 
tion faite  par  Louis  XI  au  domaine  des  Montils. 

2.  Ce  passage  de  la  Chronique  scandaleuse  a  été  particulièrement 
incriminé  par  M.  Quicherat  (Recherches  sur  le  chroniqueur  Jean 
Castel,  dans  la  Bibliothèque  de  l'École  des  chartes,  II,  467).  On  a  fait 
ressortir,  dans  l'introduction  de  la  présente  édition,  p.  xvi-xviii, 
que  le  récit  de  Jean  de  Roye  est  parfaitement  exact  et  que,  si  la 
chancellerie  royale  est  demeurée  au  Plessis,  Louis  XI  a  bien  fait 
dans  le  Midi  l'excursion  indiquée. 


1473]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  295 

ques,  oudit  an  LXXII,  le  Cabdet  d'Albret,  filz  du  conte 
d'Albret^  qui  avoit  esté  avecques  mondit  seigneur  de 
Beaujeu  audit  lieu  de  Lestaure,  et  qui  avoit  trahy  et 
baillé  ledit  seigneur  au  conte  d'Armaignac,  fut  icellui 
Cabdet  prins  prisonnier  audit  lieu  de  Lestaure  après  la 
mort  dudit  d'Armaignac  et  amené  prisonnier  à  Poic- 
tiers,  où  ilec  fut  fait  son  procès  et  condempné  à  estre 
décapité;  laquelle  [chose]  il  fut,  ledit  jour  de  mer- 
credi VII®  avril.  Et,  incontinent  qu'il  ot  eu  le  col  couppé, 
fut  son  corps  et  sa  teste  mis  en  ung  sarcueil  couvert 
d'un  poile  armoyé  à  ses  armes,  et  fut  porté  ledit  corps 
enterrer  par  les  quatre  ordres  mendians  dudit  Poic- 
tiers,  et  lui  fut  fait  ung  moult  beau  service^. 

Oudit  moys  d'avril  fut  fait  derechef  tresve  entre  le 
roy  et  ledit  duc  de  Bourgongne  jusques  à  ung  an 
prouchain  ensuivant,  qui  finiroit  l'an  LXXIIIP. 

L'an  mil  IIII'^LXXIII,  environ  la  fin  d'avril,  advint 

1.  Lisez  Sire  d'Albret.  Ce  Cadet  d'Albret,  quatrième  fils  de 
Charles  II,  mort  en  1471,  était  le  frère  et  non  le  ûls  du  sire  d'Al- 
bret (Alain  le  Grand),  alors  vivant. 

2.  Le  Cadet  d'Albret,  arrêté  le  jour  de  la  capitulation  de  Lec- 
toure,  fut  amené  au  château  de  Lusignan,  en  Poitou.  Son  procès, 
instruit  par  des  commissaires  désignés  par  le  roi,  commença  le 
20  mars  1473.  Charles  d'Albret,  tout  en  protestant  qu'il  était 
demeuré  étranger  au  coup  de  main  du  comte  d'Armagnac  sur 
Lectoure,  fut  contraint  de  reconnaître  qu'il  y  avait  collaboré  au 
moins  par  ses  conseils  et  qu'il  avait  pris  part  à  la  défense  de  la 
ville  contre  les  troupes  royales.  Transporté  au  château  de  Poitiers, 
il  fut  condamné  à  mort  le  7  avril  1473  pour  crime  de  haute  trahi- 
son par  un  tribunal  présidé  par  le  chancelier  d'Oriole  et  composé 
de  Guillaume  Cousinot,  chevalier,  de  Pierre  Bragier,  seigneur  de 
Puyjarreau  et  de  Magesir,  et  de  sept  conseillers  au  Parlement  de 
Paris.  La  sentence  fut  exécutée  le  même  jour  à  Poitiers  (voy. 
Louis  XI,  Jean  d'Armagnac,  etc.,  art.  cité,  p.  63  et  suiv.). 

3.  C'est  la  prolongation  do  trêve  dont  il  a  été  parlé  plus  haut 
(voy.  Lenglet,  UI,  247-255). 


296  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1473 

que  le  roy  d'Arragon  fist  entreprinse  sur  ]a  ville  de 
Parpeignen  et  la  print  sur  monseigneur  du  Lau,  qui  en 
avoit  la  garde  et  la  charge,  mais  le  chasteau  demeura 
au  roy  et  à  ceulx  qui  dedens  estoient.  Et  le  tindrent, 
depuis  ladicte  ville  prinse,  bien  longuement,  etjusques 
après  la  conqueste  faicte  dudit  lieu  de  Lestaure,  que, 
après  icelle,  le  roy  en  envoya  son  armée  pardevant 
ladicte  ville  de  Parpaignen, -devant  laquelle  ilz  mirent 
le  siège  et  y  assiégèrent  ledit  roy  d'Arragon  et  son  filz. 
Et,  avecques  les  nobles  seigneurs,  cappitaines  et  senes- 
chaulx  de  ladicte  armée,  y  estoit  aussi  monseigneur  le 
cardinal  d'Albi,  qui  moult  bien  et  sagement  se  y 
gouverna.  Et,  devant  icelle  ville  tindrent  le  siège 
longuement,  et  jusques  au  mois  de  juing,  que  le  roy 
y  envoya  derechef  et  pour  renforcer  ladicte  armée 
1111'=  lances  prinses  à  Amiens  et  autres  villes  voisines. 
Et  si  y  envoya  grant  quantité  d'artillerie  et  canon- 
niers^ 

Ou  moys  de  juing,  oudit  an  mil  IIIIc  LXXIII,  le  duc 
d'Alençon ,  que  le  roy  avoit  fait  prendre  et  amener 
prisonnier  à  Loches,  fut  amené  à  Paris  ou  chasteau  du 
Louvre,  et  y  arriva  le  mercredi,  veille  du  Saint-Sacre- 
ment, XVI®  jour  dudit  moys  de  juing,  à  l'eure  d'entre  ix 
et  dix  heures  au  soir,  à  l'arche  de  Bourbon,  où  il 
descendi  ilec  des  basteaulx  qui  l'avoient  amené  de 
GorbueiF.  Et  y  estoient  à  le  conduire  monseigneur  de 

1.  Ce  n'est  pas  à  la  fin  d'avril  1473,  mais,  comme  on  l'a  vu 
ci-dessus,  au  commencement  de  février,  que  Juan  d'Aragon  réus- 
sit à  enlever  la  ville  de  Perpignan  aux  Français.  Assiégé  à  son 
leur,  il  lit  preuve  d'une  grande  énergie,  harcelant  au  moyeu  de  l'rc- 
quontos  sorties  ses  adversaires  décimés  par  les  ardeurs  d'un  été 
torride  et  épuisés  par  le  manque  de  vivres.  Le  siège  de  Perpi- 
gnan fut  levé  le  24  juin  suivant. 

2.  L'arche  de  Pourbon,  sur  la  rivo  droite  do  la  Seine,  en  face 


1473]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  297 

Gaucourt,  le  sire  de  la  Gholetiere,  maistre  d'ostel  du 
roy^  et  avecques  ce  en  leur  compaignie  y  estoient 
cinquante  archers  de  la  garde  et  xxiiii  gentilzhommes 
de  l'ostel  du  roy,  lesquelz,  après  que  ledit  seigneur 
eut  esté  mis  et  bouté  oudit  chasteau  du  Louvre,  s'en 
retournèrent  devers  le  roy  et  le  laissèrent  en  la  garde 
dudit  seigneur  de  la  Gholetiere  et  des  archers  de 
ladicte  ville  de  Paris.  Et  est  à  savoir  que,  le  jour  qu'il 
arriva,  fut  mené  loger  en  la  rue  Saint-Honoré,  à  l'en- 
seigne du  Lion  d'argent.  Et,  ledit  jour  dudit  Saint- 
Sacrement,  après  souper,  aussi  à  ladicte  heure  d'entre  ix 
et  X  heures  au  soir,  fut  mené  et  conduit  ledit  seigneur 
audit  chasteau  du  Louvre. 

Et,  après  que  ledit  siège  eut  esté  longuement  tenu 
devant  ladicte  ville  de  Parpeignen,  advint  que  les 
gens  du  roy,  au  moien  de  la  grande  et  extrême  cha- 
leur qu'ilz  avoient  et  souffroient  ilec,  et  aussi  qu'ilz 
avoient  grant  souffreté  de  vivres,  prindrent  trêves 
lesdiz  de  Parpeignen  et  eulx  ung  peu  de  temps,  pen- 
dant lequel  chascun  se  avitailla  et  appoincta  de  ce  que 
besoing  leur  estoit^,  et,  en  ces  entrefaictes,  y  furent 

la  rue  des  Poulies,  donnait  accès  au  port  aux  Passeurs.  Ce  point 
d'atterrissement  était  donc  très  voisin  du  Louvre  (Berty,  Plan 
archéologique  de  Paris  du  XII h  au  XVII^  siècle). 

1.  Jean  Gholet,  chevalier,  seigneur  de  la  Gholetiere,  etc.,  con- 
seiller et  maître  d'hôtel  du  roi,  capitaine  du  château  de  Decise 
(avril  1475),  est  qualifié  maître  de  l'artillerie  au  mois  de  février 
1478.  Il  épousa  Perrine  d'Argenson  et  mourut  en  1479  (Bibl.  nat., 
Titres.  Montres  1414,  fol.  2,  21;  Pièces  orig.,  vol.  758,  doss.  Chol- 
let  de  la  Gholetiere;  ms.  lat.  10133,  fol.  71  v»,  et  Vaesen,  Lettres  de 
Louis  XI,  lY,  42).  —  Le  seigneur  de  Gaucourt  était  capitaine  de  la 
garde  du  roi. 

2.  Sur  les  souffrances  endurées  par  les  troupes  françaises  en 
Roussillon,  voy.  Basin,  II,  311.  —  Un  arrangement  provisoire 
finit  par  intervenir  entre  les  deux  partis  en  présence,  le  19  sop- 


298  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1473 

envoiez  grant  quantité  de  gens  de  guerre.  Et,  pour  y 
remettre  le  siège  et  fournir  de  vivres  ledit  host,  le  roy 
y  envoya  monseigneur  de  Gaucourt,  maistre  Jehan 
Bourré  et  le  changeur  du  trésor*  pour  prendre  vivres 
et  les  paier  partout  où  recouvrer  en  pourroient  pour 
mener  audit  Parpeignen. 

Durant  ce  temps,  et  ou  moys  de  juillet  IIIPLXXIII, 
mourut  ung  des  enfans  du  Toy,  nommé  monseigneur 
Françoys  de  France,  duc  de  Berry^,  dont  le  roy  porta 
moult  grand  dueil,  et  fut  par  l'espace  de  six  heures 
ou  chasteau  d'Amboise  que  homme  ne  parloit  à  luy^. 

Oudit  moys  de  juillet,  le  duc  de  Calabre  mourut  de 
pestilence  à  Nancy  le  Duc,  en  la  duchié  de  Lorraine. 
Et,  incontinent  après  son  trespas,  fut  nouvelles  que 
ung  Alemant,  qui,  avant  ledit  trespas,  a  voit  la  conduite 
de  l'armée  dudit  de  Calabre,  print  à  prisonnier  le 
conte  de  Vaudesmons,  héritier  de  ladicte  duchié  de 
Lorraine,  à  l'adveu  et  faveur  du  duc  de  Bourgongne. 
Pour  laquelle  cause,  et  afin  de  ravoir  ledict  conte  ^  de 
Vaudesmons,  fut  prins  pour  marque^  en  ladicte  ville 
de  Paris  ung  jeune  filz  escolier,  nepveu  de  l'empereur 
d'Alemaigne^. 

tcmbre  1473,  qui  replaça  le  Roussillon  et  la  Gerdagne  aux  mains 
du  roi  de  France  (mais  sous  le  gouvernement  d'un  Catalan  pré- 
senté par  le  roi  d'Aragon)  jusqu'à  parfait  paiement  des  sommes 
d'argent  dues  à  Louis  XI. 

\ .  Gilles  Cornu.  Sur  l'envoi,  à  l'armée  de  Roussillon,  de  ces  trois 
personnages,  voy.  Vaesen,  Notice  biographique  sur  Jean  Bourre 
(Extrait  do  la  Uibliolhèque  de  l'École  des  chartes,  1882-1885,  p.  12). 

2.  Voyez  plus  haut,  p.  287. 

3.  Interpolations  et  variantes,  §  G. 

4.  Le  texte  porte  ici  ladicte  conté,  ce  qui  est  un  lapsus  évident. 

5.  C'est-à-dire  pour  otage. 

6.  Nicolas,  duc  de  Calabre  et  de  Lorraine,  né  en  1448,  mourut 


1473]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  299 

Oudit  moys  de  juillet  fut  ordonné  ung  grant  conseil 
estre  tenu  en  la  ville  de  Senlis,  entre  les  gens  du  roy 
et  ceulx  du  duc  de  Bourgongne,  pour  appoincter  sur 
les  differens  d'entre  eulx.  Et  y  envoya  le  roy  de  son 
costé  le  conte  de  Dampmartin\  qui  y  fist  de  grans 
pompes,  monseigneur  le  chancellier,  monseigneur  de 
Craon,  monseigneur  le  premier  président  de  Parle- 
ment, maistre  Guillaume  de  Cerisay,  greffier  civil 
d'icelle  court,  et  maistre  Nicole  Bataille,  advocat  en 
ladicte  court,  lesquelz  y  séjournèrent  par  long  espace 
de  temps  et  jusques  au  jour  de  my  aoust  dudit 
an  LXXIII,  sans  avoir  riens  fait. 

En  ce  mesmes  temps,  le  duc  de  Bourgongne  mist 
sus  son  armée  et  s'en  ala  en  la  duchié  de  Guéries  pour 
la  subjuguer  et  mettre  en  ses  mains  ^. 

Oudit  moys  d'aoust,  le  dimenche  viii®  jour  d'iceluy, 
le  roy  estant  dedens  le  chasteau  d'Alençon,  qui  s'en 
aloit  hors  d'icellui,  advint  que  par  fortune,  ainsi  qu'il 
yssoit  hors  du  chasteau  d'icellui  lieu,   chey  sur  lui, 

sans  alliance  le  24  juillet  1473.  La  nouvelle  qui  courut  à  Paris  de 
l'enlèvement  de  René,  comte  de  Vaudémont,  désigné  pour  recueil- 
lir la  succession  du  duché  de  Lorraine,  n'était  sans  doute  qu'un 
faux  bruit.  A  Nancy,  on  prétendit  un  moment  que  le  jeune  duc 
avait  été  fait  prisonnier  par  les  Messins  (voy.  D.  Calmet,  Preuves 
de  l'histoire  de  Lorraine,  IV,  xlix). 

1.  Interpolations  et  variantes,  §  CI. 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  GII.  —  Arnoul  d'Egmont,  duc 
de  Gueldres,  jeté  en  prison  par  son  fils  Adolphe,  avait  constitué 
pour  héritier  de  son  duché  le  duc  de  Bourgogne.  Charles  le  Hardi  fit 
arrêter  Adolphe,  l'emprisonna  à  son  tour,  envahit  le  duché  et  triom- 
pha assez  aisément  de  la  résistance  de  ses  partisans.  Le  15  juin, 
il  campait  près  de  Montfoort  sur  l'Yssel,  s'emparait  successive- 
ment de  Venloo  sur  la  Meuse,  puis  de  Nimègue  (19  juillet).  Zut- 
phen,  Arnheim  et  le  reste  du  pays  se  soumirent  peu  après  (Basin, 
II,  314-320.  Cf.  Commynes,  éd.  Dupont,  I,  306-309). 


300  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [U73 

dessur  l'une  de  ses  manches,  une  grosse  pierre  de 
fes^  dont  et  de  quoy  il  fut  en  moult  grant  danger  de 
sa  personne,  duquel  danger  [par]  Dieu  et  la  benoiste 
Vierge  Marie,  à  la  grâce  de  laquelle  il  est^  moult  fort 
enclin,  en  fut  garendi  et  gecté  hors. 

Oudit  moys  d'aoust,  le  conseil  du  roy,  qui  estoit  en 
la  ville  de  Senlis  avec  les  ambasseurs  de  Bourgongne 
et  Bretaigne,  et  qui  y  avoient  séjourné  longuement, 
s'en  départirent  et  s'en  ala  et  retourna  chascun  en  son 
lieu,  sans  riens  faire  ^  de  la  matière  pour  laquelle  ilz 
estoient  alez. 

Et,  au  regard  du  fait  et  disposicion  du  temps  de 
ladicte  année,  l'esté  fut  moult  chault,  et  par  especial 
depuis  le  moys  de  juing  jusques  au  premier  jour  de 
décembre,  et  plus  chault  et  ardant  que  onques  n'avoit 
esté  veu  d'aage  d'omme  lors  vivant^.  Et,  à  ceste  cause, 
furent  les  vins  chaulx  et  ardans,  et  plusieurs  d'iceulx 
devindrent  aigres  et  puans  et  en  fut  grant  quantité  de 
perdus  et  gettez  par  les  rues.  Et  ne  fist  point  de  froit 
ne  ne  gela  point  qu'il  ne  feust  la  Chandeleur^. 

En  ce  temps,  pour  ce  qu'il  estoit  bruit  que  les  Bour- 
guignons tiroient  vers  Loraine  et  Barrois,  le  roy  y 
envoya  cinq  cens  lances  soubz  la  conduicte  de  mon- 
seigneur de  Craon,  qu'il  fist  son  lieutenant  gênerai,  et 
y  envoya  les  nobles  de  l'Isle  de  France,  de  Normendie 
et  les  frans  archers,  qui  furent  logez  en  divers  lieux 

1.  Une  pierre  de  faix,  de  poids. 

2.  On  remarquera  l'emploi  du  temps  présent.  Les  éditions 
imprimées  portent  estoit. 

3.  Interpolations  et  variantes,  §  GUI. 

4.  C'est  ce  que  dit  Basin  (II,  3H).  Cf.  Omont,  la  Chaleur  à  Paris 
en  1473,  dans  Bull,  de  la  Soc.  de  l'hist.  de  France,  nov.-déc.  1893. 

5.  2  février  iàl\  (n.  st.). 


1473]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  301 

OU  pays  de  Champaigne  et  y  demourerent  plus  de 
deux  moys,  et  puis  s'en  retourna  chascun  en  sa  mai- 
son, sans  riens  faire  ^. 

Oudit  temps,  ledit  Bourguignon  amena  l'empereur 
d'Alemaigne  jusques  à  Luxembourg,  et  fut  ledit  empe- 
reur dedens  la  ville  de  Metz  pour  les  enhorter  de 
bouter  ledit  de  Bourgongne  en  ladicte  ville,  ce  qu'ilz 
ne  vouldrent  pas  faire.  Et  s'en  retourna  ledit  empereur 
audit  lieu  de  Luxembourg,  et  d'ilec  s'en  retourna  en 
Alemaigne^. 

En  ce  temps,  ledit  de  Bourgongne  envoya  à  Venise 
pour  emprunter  de  l'argent  aux  Veniciens,  et  d'icellui 
argent  en  souldoier  vi"^  lances  du  pays  pour  le  temps 
de  trois  moys,  et  passèrent  par  la  duchié  de  Milan  et 
s'en  vindrent  joindre  ou  hault  pays  de  Bourgongne 
avecques  les  subgetz  dudit  duc,  pour  ce  qu'ilz  n'es- 
toient  pas  assez  fors  pour  grever  l'armée  du  roy  qu'il 
avoit  fait  loger  sur  les  marches  dudit  duchié  de  Bour- 
gongne^. 

1.  Sur  les  craintes  causées  par  la  présence  du  duc  de  Bourgogne 
en  Lorraine  et  en  Alsace,  voyez  nos  Relations  de  Charles  VII  et  de 
Louis  XI avec  les  cantons  suisses  (Paris,  1881,  in-8°,  p.  107  etsuiv.). 

2.  Frédéric  IV  quitta  Bâle  le  9  septembre,  entra  à  Metz  le  18, 
y  séjourna  jusqu'au  27  et  arriva  à  Trêves  le  29.  Le  duc  de  Bour- 
gogne était  à  Luxembourg  avec  son  armée.  Le  projet  primitif  des 
deux  princes  avait  été  de  se  rencontrer  à  Metz  pour  la  cérémonie 
de  l'investiture  à  Charles  le  Hardi  du  duché  de  Gueldres  ;  mais 
les  Messins,  redoutant  un  guet-apens,  refusèrent  absolument  de 
livrer  aux  Bourguignons  un  des  portails  de  leur  cité  (Ghmel, 
Monumenta  Habsburgica.  Vienne,  1854,  in-8°,  p.  li-lix).  L'entre- 
vue eut  lieu  à  Trêves. 

3.  Antoine  de  Montjeu  se  rendit  à  Venise  de  la  part  du  duc  de 
Bourgogne  dès  le  mois  de  juin  1473,  et  il  y  retourna  en  1475  jiour 
traiter  avec  le  célèbre  condottiere  Barthélémy  GoUeone,  de  Ber- 
game,  que  Charles  le  Hardi  voulait  attirer  à  son  service.  Montjeu 


302  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1473 

Oudit  temps,  le  roy  maria  son  ainsnée  fille,  que  par 
avant  il  avoit  promise  au  feu  duc  de  Calabre,  à  mon- 
seigneur de  Beaujeu,  frère  de  monseigneur  le  duc  de 
Bourbon  * . 

Oudit  temps,  les  Bourguignons  par  trahison  et  em- 
blée entrèrent  ou  pays  de  Nivernois  et  y  prindrent  des 
places  de  monseigneur  de  Nevers,  comme  Laroche, 
Ghastillon  et  autres. 

Oudit  temps  se  rassemblèrent  à  Gompiengne   les 

fut  à  cause  de  cela  pris  à  partie  par  Louis  XI  (Preuves  de  l'histoire 
de  Bourgogne,  IV,  p.  cccxxn).  Sur  le  passage  des  mercenaires  ita- 
liens à  travers  la  Savoie,  le  pays  de  Vaud  et  les  défilés  du  Jura, 
de  1473  à  1475,  voyez  Gingins,  Épisodes  des  guerres  de  Bourgogne, 
dans  Mémoires  et  documents  publiés  par  la  Société  d'histoire  de  la 
Suisse  romande,  t.  VIII,  passim. 

1.  Pierre,  seigneur  de  Beaujeu,  né  le  1"  décembre  1438,  avait 
alors  près  de  trente-cinq  ans.  Son  mariage  avec  Anne  de  France, 
qui  fut  accordé  le  3  novembre  1473  à  Jargeau,  près  Orléans  (Con- 
trat impr.  par  Lenglet,  III,  345-347),  fut  célébré  deux  fois,  la 
première  au  château  de  Montrichard,  en  présence  de  Philippe  de 
Savoie,  du  comte  de  Dunois  et  d'autres.  Peu  après,  on  reconnut 
que  les  nouveaux  époux  étaient  parents  par  le  sang  et  de  plus  par 
alliance,  Nicolas,  duc  de  Calabre,  qui  avait  été  fiancé  jadis  à  Anne, 
alors  âgée  de  six  ans,  étant  le  neveu  du  seigneur  de  Beaujeu.  Pour 
écarter  cet  empêchement,  on  obtint  du  légat  du  pape  des  lettres 
apostoliques  adressées  à  l'archevêque  de  Lyon,  Charles  de  Bour- 
bon, qui,  après  un  semblant  de  procédure,  excommunia  les  époux 
et  prononça  leur  divorce.  Ils  demeurèrent  séparés  trois  ou  quatre 
jours,  Anne  à  Amboise,  auprès  de  la  reine  sa  mère,  Beaujeu  aux 
Montils,  d'où  il  écrivait  à  M"*  Anne  «  de  gracieuses  lettres  »  et 
l'invitait  plaisamment  à  ne  pas  se  pourvoir  d'un  nouvel  époux. 
Enfin,  les  délais  écoulés,  l'archevêque  de  Lyon  remit  aux  parties 
une  dispense  régulière  et  célébra  une  seconde  fois  leur  union 
aux  Montils-lès-Tours  (Arch.  nat.,  P  1367  <,  cote  1539,  examen 
de  témoins  du  28  août  1499).  La  dot  d'Anne  de  France  fut  de 
100,000  écus  d'or,  dont  un  tiers  devait  demeurer  à  la  disposition 
du  mari  et  les  deux  autres  tiers  former  le  propre  héritage  paternel 
de  réponse. 


1473]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  303 

ambasseurs  du  roy,  qui  auparavant  avoient  esté  assem- 
blez à  Senlis,  cuidant  y  trouver  l'ambaxade  ^  de  Bour- 
gongne,  qui  avoit  promis  y  venir;  lesquelz  y  firent 
longuement  attendre  lesdiz  ambasseurs  du  roy,  les- 
quelz s'en  retournèrent  à  Paris,  pour  ce  que  lesdiz 
Bourguignons  n'y  venoient  point.  Et  puis  encores  y 
retournèrent^  le  moys  de  janvier,  et  y  estoient  le 
XV®  jour  dudit  mois. 

En  ce  temps  fut  nouvelles  que  ledit  de  Bourgongne, 
voyant  qu'il  n'avoit  pas  puissance  de  parvenir  à  des- 
truire  le  royaume  de  France,  ainsi  que  grant  peine  y 
avoit  mis,  conspira  avecques  ung  nommé  maistre 
Ythier  Marchant,  qui  avoit  esté  serviteur  de  monsei- 
gneur de  Guyenne,  et  avecques  ung  nommé  Jehan 
Hardi,  serviteur  dudit  maistre  Ythier,  qui  s'en  estoient 
retirez  après  ledit  trespas  devers  ledit  de  Bourgongne, 
de  trouver  moien  de  faire  mourir  et  empoisonner  le 
roy.  De  laquelle  chose  faire  ledit  Hardi  print  à  lui  la 
charge,  et,  pour  ce  faire  et  acomplir,  lui  furent  bail- 
lées lesdictes  poisons,  en  lui  promettant  faire  moult  de 
biens,  et  de  lui  donner  l™  escuz  pour  distribuer  à 
cellui  ou  ceulx  qui  feroient  ladicte  execucion.  Et  si  fut 
délivré  argent  audit  Hardi  pour  faire  ses  despens  en 
ladicte  poursuite.  Lequel  Hardi,  fol  et  enragé  et  non 
aiant  Dieu  devant  les  yeulx,  et  non  voulant  congnoistre 
que,  se  ladicte  execucion  eust  esté  acomplie,  où  Dieu 
a  bien  pourveu,  tout  le  bon  et  très  noble  royaume  de 
France  estoit  du  tout  perdu,  destruit  et  exillé,  s'en 
parti  et  tira  tout  droit  où  le  roy  estoit.  Et,  pour  mettre 
sa  dampnée  entreprinse  à  execucion,  et  non  congnois- 

1.  Lisez  les  ambassadeurs. 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  CIV. 


304  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1473 

saut  que  le  roy  Tavoit  recueilli  et  donné  argent, 
s'adreça  à  ung  des  serviteurs  du  roy  aient  charge  en 
sa  cuisine  de  faire  saulces,  et  auquel  il  avoit  eu  con- 
gnoissance  durant  que  ledit  saulcier  et  Hardi  avoient 
esté  en  l'ostel  et  ou  service  dudit  monseigneur  de 
Guienne,  et  à  lui  se  declaira  ledit  Hardi  de  sadicte 
entreprinse,  en  lui  promettant  xx""  escuz  ou  cas  où  il 
vouldroit  faire  et  acomplir . ladicte  charge,  qui  lui 
presta  l'oreille  et  dist  qu'il  n'y  pourroit  riens  faire  sans 
le  moien  de  Golinet,  queux  du  roy,  et  qui  aussi  avoit 
esté  et  demouré  avecques  ledit  Hardy  et  saulcier  en 
l'ostel  dudit  seigneur  de  Guienne,  en  disant  par  ledit 
saulcier  à  icellui  Hardy  qu'il  parleroit  audit  queux  et 
y  feroit  ce  qu'il  pourroit,  en  disant  audit  Hardi  qu'il 
lui  delivrast  lesdictes  poisons  pour  les  monstrer  audit 
queux.  Et,  bientost  après,  lesdiz  saulcier  et  Golinet, 
qui  de  ce  avoient  parlé  ensemble,  en  alerent  advertir 
le  roy,  dont  il  fut  moult  esbahy  et  espoventé.  Et  dudit 
advertissement  furent  lesdiz  queux  et  saulcier  moult 
honnorablement  et  prouffitablement  guerredonnez  du 
roy.  Et,  en  toute  diligence,  fut  ledit  Jehan  Hardi 
suivy,  qui  s'en  retournoit  devers  Paris,  et  fut  prins 
vers  Estampes  et  remené  devers  le  roy,  qui  le  inter- 
rogua  ou  fist  interroguer  sur  les  choses  dessusdictes, 
et  icelles  lui  confessa  estre  vraies.  Pour  quoy,  et  alîn 
de  y  donner  le  jugement  ordonné  estre  fait  en  pareil 
cas,  s'en  party  le  roy  d'Amboise  et  s'en  vint  à  Ghartres, 
Meulenc,  Greil  et  autres  lieux  es  marches  de  Beau- 
voisiz^.  Et,  après  lui,  estoit  mené  ledit  Hardi  en  une 
basse  charrette,  où  il  estoit  moult  bien  enferré  de 

4.  Louis  XI  quitta  effoctivoment  la  Touraine  vers  le  milieu  de 


1473]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  305 

gros  fers  enchaynez,  et  le  conduisoit  Jehan  Blosset, 
escuier,  cappitaine  des  cent  archers  de  la  garde  de 
monseigneur  le  daulphin^  et  avecques  lui  avoit  cin- 
quante desdiz  archers  tousjours  estans  autour  de  ladicte 
charrette.  Et,  ainsi  acompaigné  que  dit  est,  fut  ledit 
Hardi  envoyé  à  Paris  pour  estre  délivré  au  prevost 
des  marchans  et  eschevins  de  ladicte  ville.  Et  y  fut 
mené  et  y  arriva  le  jeudi,  xx®  jour  de  janvier 
IIIP  LXXIII,  environ  l'eure  de  trois  heures  après  dis- 
ner,  que  sire  Denis  Hesselin,  conseiller  et  maistre 
d'ostel  du  roy,  prevost  des  marchans  et  esleu  sur  le 
fait  des  aides  de  ladicte  ville  et  autres  notables  habi- 
tans  d'icelle,  l'ala  recueillir  es  faulxbourgs  de  la  porte 
Saint-Denis  d'icelle  ville.  Et,  avecques  lui,  estoient  les 
quatre  eschevins,  le  clerc  et  sergens  de  l'Ostel  de 
ladicte  ville  et  autres  notables  habitans  d'icelle;  et 
acompaignoient  lesdiz  prevost  et  eschevins  avecques 
les  archers  d'icelle  ville  et  par  bel  ordre.  Et  fut  ledit 
Hardi,  ainsi  acompaigné  que  dessus,  mis  et  assis  sur 
une  haulte  chaiere  mise  au  dedens  et  ou  mylieu  d'une 
charrete,  à  ce  qu'il  feust  manifesté,  apperceu  par  le 
populaire  d'icelle  ville.  Ausquelz,  et  afin  qu'ilz  ne 
feussent  meuz  de  mal  faire  ou  injurier  ledit  Hardi  pour 
J'enormité  dudit  cas,  fut  défendu  de  le  mutiler,  blas- 
phémer ne  injurier.  Et,  ainsi  estant  en  ladicte  char- 
décembre  1473.  Le  26,  sa  présence  est  signalée  à  Chartres,  où  il 
demeura  jusqu'à  la  fin  du  mois,  le  4  janvier  1474  (n.  st.)  à  Meu- 
lan,  le  7  et  jours  suivants  à  Greil,  puis  à  Beauvais. 

1.  Jean  Blosset,  plus  tard  chevalier,  seigneur  de  Saint-Pierre 
et  de  Carouges,  vicomte  de  Cariât,  conseiller  et  chambellan  du 
roi,  grand  sénéchal  de  Normandie,  avait  été  capitaine  des  archers 
de  la  garde  française  du  corps  du  roi  (Bibl.  nat.,  ms.  fr.  25780, 
n»  65). 


306  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1473 

rete  que  dit  est,  fut  amené  tout  au  long  de  la  grant 
rue  Saint-Denis  et  dessendu  oudit  Hostel  de  la  Ville, 
et  délivré  par  ledit  Blosset  es  mains  et  en  la  garde 
desdiz  prevost  des  marchans  et  eschevins,  ausquelz 
le  roy  voult  leur  attribuer  l'onneur  d'en  avoir  la  garde 
et  faire  faire  son  procès  et  icellui  mettre  à  execu- 
cion^. 

Oudit  temps,  le  roy,  estant  à  Greil,  fist  ung  edict 
touchant  les  gens  d'armes  de  son  royaume,  par  lequel 
il  declaira  que  chascune  lance  n'auroit  ne  tendroit  que 
six  chevaulx,  c'est  assavoir  la  lance  trois  chevaulx 
pour  lui,  son  page  et  le  coustiller,  et  les  deux  archers 
deux  chevaulx  et  ung  cheval  pour  leur  varlet,  et  qu'ilz 
n'aroient  plus  de  panniers  à  porter  leurs  harnois,  et 
avecques  ce  qu'ilz  ne  sejourneroient  que  ung  jour  en 
ung  village.  Et,  en  oultre,  fut  crié  que  nul  marchant 
ne  vendeist  ausdiz  gens  de  guerre  ne  prestast  aucuns 
draps  de  soye  ne  camelotz,  sur  peine  de  perdre  l'ar- 
gent que  lesdictes  gens  de  guerre  leur  pourroient 
devoir  à  cause  de  ce,  et  aussi  qu'on  ne  leur  vendist 
aucun  drap  de  laine  plus  de  xxxu  sous  parisis  l'aulne. 

Oudit  temps,  le  roy  fist  ordonnance  sur  le  fait  de 
ses  monnoyes  et  ordonna  ses  grans  blans  courir  pour 
XI  tournois,  qui  par  avant  n'en  valoient  que  dix;  les 
larges  xi  tournois,  qui  en  valoient  xii  ;  l'escu  xxx  sous 

1.  L'arrêt  définitif  rendu  le  30  mars  1473  (v.  st.)  par  la  cour  de 
Parlement  contre  Jean  Hardi  est  rapporté  par  Vitu  {la  Chron.  de 
Louis  XI,  etc.,  p.  58  et  suiv.).  Cet  arrêt  contient  en  substance  que 
Hardi  s'était  introduit  dans  l'entourage  du  roi  <  soubs  ombre  de 
venir...  traicter  du  commandement  dud.  maître  Ytier  Marchant, 
feintement  par  trahison,  sa  venue  devers  le  roy.  »  On  a  vu  plus 
haut  (p.  118)  quel  prix  Louis  XI  attachait  à  s'assurer  les  services 
d'Ylliior  Marchand. 


1474]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  307 

iiii  deniers  tournois,  et  ainsi  de  toutes  les  autres 
espèces  de  monnoies,  tout  fut  changé^. 

Oudit  temps,  environ  le  xx®  jour  de  janvier  IIIP 
LXXIII,  fut  fait  accord  et  appoinctement  entre  le  roy 
et  monseigneur  le  connestable,  qui  avoit  prins  et  mis 
en  sa  main  la  ville  de  Saint-Quentin  et  en  bouté  hors 
le  sire  de  Creton^,  qui  y  avoit  cent  lances  de  par  le  roy. 
Et,  par  ledit  accord,  demoura  ledit  monseigneur  le 
connestable  oudit  Saint-Quentin,  ainsi  que  avant  avoit 
esté  fait,  et  lui  fut  rendu  Meaulx  et  autres  places  dont 
il  avoit  esté  despoincté.  Et  si  lui  bailla  on  commis- 
saires pour  eulx  informer  de  ceulx  qui  avoient  parlé 
dudit  seigneur  pour  raison  de  ladicte  prinse  de  Sainct- 
Quentin,  afin  de  les  punir;  et  si  lui  fust  délivré  l'ar- 
gent du  souldoy  de  ses  gens  de  guerre,  qui  empesché 
fut  incontinent  après  ladicte  ville  de  Saint-Quentin 
prinse^. 

Oudit  temps,  le  roy  vint  des  parties  d'Amboise,  oîi 
il  estoit,  soy  tenir  à  Senlis  et  ilec  environ,  et  ce  pen- 
dant les  ambasseurs  du  roy  et  du  duc  de  Bourgongne, 
qui  communiquèrent  sur  le  fait  de  trouver  entreulx 
appoinctement  de  paix  ou  tresves.  Et  finablement  fut 
ladicte  trefve  continuée  jusques  à  la  my  may,  en 
attendant  plus  ample  appoinctement^. 

En  ce  temps,  le  roy,  qui  estoit  à  Senlis,  s'en  vint 

1.  Recueil  des  Ordonnances,  t.  XVII,  p.  597  et  suiv.  (Chartres, 
28  décembre  1473). 

2.  Gilbert  de  Chabannes,  seigneur  de  Gurton. 

3.  «  Il  avoit  du  roy  400  hommes  d'armes  bien  payez  dont  luy- 
mesmes  estoit  commissaire  et  en  faisoit  la  monstre.  Sur  quoy  il 
poYoit  praticquer  grant  argent,  car  il  ne  tenoit  point  le  nombre...  » 
(Commynes,  éd.  Dupont,  I,  297). 

4.  Voy.  Lenglet,  III,  302. 

I  22 


308  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1474 

loger  à  Ermenonville  en  Sancters,  appartenant  à 
maistre  Pierre  l'Orfèvre,  conseiller  des  Comptes,  et 
ilec  y  séjourna  environ  ung  moys^;  pendant  lequel 
temps  monseigneur  le  duc  de  Bourbon,  que  le  roy 
avoit  diverses  foiz  mandé  venir  pardevers  luy,  y  vint 
et  arriva  et  n'y  demeura  que  dix  ou  xii  jours,  et  puis 
s'en  retourna  en  ses  pays  faire  ses  Pasques,  ainsi  que 
le  roy  lui  en  donna  le  congié,  auquel  il  promist  incon- 
tinent après  Quasimodo  s'en  retourner  et  revenir  par- 
devers lui^. 

En  ce  temps,  ou  moys  de  mars,  le  jeudi  xxx®  et 
penultime  jour  dudit  moys,  Jehan  Hardi,  emprisonné, 
dont  est  parlé  devant,  fut  condempné  par  arrest  de  la 
court  de  Parlement  à  estre  trayné  depuis  l'uis  de  la 
conciergerie  du  Palais  jusques  à  la  porte  dudit  lieu, 
et  d'ilec  bouté  en  ung  tumbereau  et  mené  devant 
rOstel  de  la  ville  de  Paris  dessur  l'eschaffault  pour  ce 
ilec  drecié  pour  y  estre  escartelé,  ainsi  qu'il  fut  fait, 
et  condempné  la  teste  estre  mise  et  demourer  dessus 
une  lance  devant  l'Ostel  de  ladicte  ville,  les  quatre 
membres  portez  en  quatre  des  bonnes  villes  des  extre- 
mitez  de  ce  royaume,  et  à  chascun  desdiz  membres 
estre  mis  ung  epitaphe  pour  faire  savoir  la  cause 
pour  quoy  lesdiz  membres  y  estoient  mis  et  posez  ;  et 

1.  Louis  XI  quitta  Beau  vais  pour  Sealis  le  5  février  1474  (n.  st.). 
Il  y  resta  jusqu'au  9  mars  et  séjourna  à  Ermenonville  du  11  mars 
aux  premiers  jours  d'avril  (Itin.  cité). 

2.  Le  duc  de  Bourbon,  secrètement  travaillé  par  le  connétable, 
s'était  refusé  à  abandonner  le  parti  du  roi  ;  mais,  retiré  dans  ses 
domaines  depuis  1472,  il  gardait  une  attitude  expectante  qui  no 
laissait  pas  que  d'inquiéter  Louis  XI.  Malgré  sa  promesse  de  revenir 
après  Quasimodo,  il  ne  rejoignit  son  bcau-frèrc  que  l'année  sui- 
vante (voy.  La  Mure,  Hist.  des  ducs  de  Bourbon,  etc.,  p.  297,  note). 


1474]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  309 

oultre  condempné  le  corps  estre  brûlé  et  mis  en  cendre 
devant  l'Ostel  de  ladicte  ville,  toutes  les  maisons 
dudit  Jehan  Hardi  arrasées  et  mises  par  terre,  mes- 
mement  le  lieu  de  sa  nativité  gecté  par  terre,  sans 
jamais  y  estre  fait  édifice,  et  de  y  mettre  epitaphe 
pour  faire  savoir  l'enormité  du  cas  dudit  Hardi,  et 
pourquoy  estoit  faicte  ladicte  demolicion^.  Et  fut  ledit 
Hardi  ainsi  exécuté  ledit  jour  de  jeudi  es  présences  du 
seigneur  de  Gaucourt,  lieutenant  du  roy,  du  premier 
président  Boulenger,  du  prevost  de  Paris,  du  prevost 
des  marchans  et  eschevins  de  ladicte  ville,  du  procu- 
reur et  le  clerc  d'icelle'  et  plusieurs  autres  notables 
personnes.  Et  fut  baillé  audit  Hardi,  pour  la  conduicte 
de  son  ame  et  conscience,  ung  notable  docteur  en 
théologie,  nommé  maistre  Jehan  Hue^.  Et  puis,  le 
samedi  ensuivant,  environ  myenuit  (par  quoy  ce  fut, 
il  n'a  point  esté  sceu),  la  teste  d'icellui  Hardi,  mise  au 
bout  d'une  lance,  fut  ostée  de  dessus  l'eschaffault,  où 
elle  estoit  mise,  et  gettée  en  une  cave  près  d'ilec. 

Ledit  jour  de  jeudi,  xxx®  et  penultime  jour  dudit 
moys,  vint  et  arriva  à  Paris  une  moult  belle  ambaxade 
du  roy  d'Arragon^,  qui  fut  bien  recueillye  par  mon- 

1.  JLie  procès  de  Jean  Hardi  fut  instruit  par  des  commissaires 
ordonnés  par  le  roi  qui  remirent  leur  rapport  au  Parlement.  Le 
misérable  fut  torturé  à  plusieurs  reprises,  la  dernière  fois  à  la 
date  du  28  mars  1474  (n.  st.).  Notre  chroniqueur  a  reproduit 
exactement  les  termes  de  l'arrêt  prononcé  contre  lui  (Vitu,  pas- 
sage cité.  Cf.  Bibl.  nat. ,  ms.  fr.  4055,  fol.  24,  cop.  du  xvi^  siècle). 

2.  Le  procureur  de  la  ville  de  Paris  était  Jacques  Rebours. 
Jean  Luillier,  clerc  et  receveur  de  la  ville,  succéda  à  son  père 
le  20  juillet  1467  et  mourut  au  mois  de  mai  1474  ou  le  mois  sui- 
vant (Vitu,  la  Chronique  de  Louis  XI  citée,  p.  44). 

3.  Jean  Hue  était  curé  de  Sainl-André-des-Arcs. 

4.  Cette  ambassade  avait  pour  chefs  lo  comte  de  Prades  et  le 


310  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1474 

seigneur  le  conte  de  Penthievre,  monseigneur  de 
Gaucourt  et  autres,  qui  bien  festierent  ladicte  am- 
baxade  en  plusieurs  lieux  de  Paris  et  jusques  au  jour 
de  Pasques  fleuries*,  qu'on  cessa,  pour  la  sepmaine 
peneuse  qui  entra,  de  les  festier.  Et  puis  vint  et  arriva 
le  roy  à  Paris  le  samedi  xvi®  jour  d'avril  LXXIIII, 
après  Pasques. 

Et,  le  mercredi  ensuivant,  xx®  jour  dudit  moys 
d'avril  mil  IIIP  LXXIIII,  le  roy  ordonna  que  les  mons- 
tres feussent  faictes  des  officiers,  bourgoys,  manans 
et  habitans  de  ladicte  ville  de  Paris;  ce  qui  fut  fait.  Et 
fut  ladicte  monstre  faicte  et  monstrée  au  dehors  de 
Paris,  depuis  la  bastide  Saint-Anthoine,  en  alant  au 
long  des  fossez,  jusques  à  la  tour  de  Billy,  et  d'ilec  en 
bataille  jusques  à  la  Granche  aux  Merciers.  Et,  de 
l'autre  costé  aussi  estoient  en  bataille  les  habitans  de 
ladicte  ville,  qui  estoient  moult  grande  et  belle  chose 
à  veoir,  et  estimoit  on  le  nombre  des  armez  de  iiiP''  à 
C™  hommes,  tout  d'une  livrée  de  hoquetons^  rouges  à 
belles  croix  blanches.  Et  fut  tirée  aux  champs  grant 
quantité  de  l'artillerie  de  ladicte  ville  de  Paris,  qui 
faisoit  moult  beau  veoir.  Et  à  veoir  ladicte  monstre  y 
estoit  le  roy  et  l'ambaxade  du  royaume  d'Arragon, 
qui  tous  faisoient  grandes  admiracions  de  la  quantité 
de  gens  de'guerre  qu'ilz  virent  ystre  hors  de  ladicte 

castellaa  d'Emposte.  Le  but  apparent  de  leur  mission  était  de 
traiter  le  mariage  du  dauphin  Charles  avec  Isabelle,  tille  de  Fer- 
dinand d'Aragon.  L'objet  réel  était  de  faire  valoir  une  série  de 
réclamations  relatives  à  l'exécution  du  dernier  traité  passé  entre 
les  rois  de  France  et  d'Aragon  (Legeay,  Histoire  de  Louis  XI,  II, 
118  et  suiv.). 

1.  Le  jour  des  Rameaux  tomba  le  3  avril  on  1474. 

2.  Hoqueton,  sorte  de  casaque. 


1474]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  3H 

ville.  Et  avecques  le  roy  estoit  sa  garde,  ses  gentilz- 
hommes  de  sa  maison,  le  conte  de  Dampmartin,  qui 
se  y  trouva  moult  fort  pompeux.  Aussi  y  estoient 
Philippe  Monseigneur  de  Savoye,  conte  de  Bresse, 
monseigneur  du  Perche  et  Salezard  et  plusieurs  autres 
cappitaines,  notables  hommes  et  gens  de  nom.  Et, 
après  ladicte  monstre  faicte,  le  roy  s'en  ala  au  boys 
de  Vinciennes  soupper,  et  y  mena  avecques  lui  ladicte 
ambaxade  d'Arragon.  Et,  peu  de  temps  après,  le  roy 
donna  aux  deux  seigneurs,  chefz  de  ladicte  ambaxade, 
deux  hanaps  couvers,  à  petit  souage^  tout  de  fin  or, 
qui  pesoient  quarante  mars  d'or  fin  et  cousterent 
ni""  ii*^  escuz  d'or. 

Et  puis  s'en  parti  le  roy  pour  s'en  retourner  à  Sen- 
tis, où  il  y  séjourna  depuis  par  certain  temps.  Pen- 
dant lequel  temps  vint  et  arriva  l'ambassade  de  Bre- 
taigne,  qui  s'en  ala  devers  le  roy.  Et  des  Alemaignes 
aussi  arriva  à  Paris  ambassade,  dont  estoit  chef  le  duc 
en  Bavière^.  Et,  avecques  ladicte  ambaxade  de  Bre- 
taigne,  y  vint  Phihppe  des  Essars,  seigneur  de  Thieux, 
maistre  d'ostel  du  duc  de  Bretaigne,  lequel  avoit 
auparavant  esté  contre  le  roy  ;  et  le  recueilly  très  bien 
le  roy  et  lui  donna  dix  mil  escus,  et  si  le  fist  maistre 
enquesteur  et  gênerai  reformateur  des  eaues  et  forestz 
es  marches  de  Brie  et  de  Ghampaigne  que  tenoit  mon- 

1.  Où  appelait  «  souage  »  une  moulure  enroulée  autour  du  pied 
d'une  pièce  d'orfèvrerie. 

2.  Christophe  et  Wolfgang,  ducs  en  Bavière,  qu'il  ne  faut  pas 
confondre  avec  Albert  II  le  Sage,  duc  régnant,  sollicitèrent,  à 
l'automne  de  l'année  1474,  de  Sigismond,  duc  d'Autriche,  des 
lettres  de  recommandation  auprès  de  Louis  XI,  au  service  duquel 
ils  désiraient  entrer.  C'est  peut-être  l'un  de  ces  princes  allemands 
qui  vint  à  Paris  au  mois  d'avril  de  la  même  année  (Chmcl,  MonU' 
menta  Habsburgica,  I,  270  et  suiv.). 


312  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1474 

seigneur  de  Ghastillon ,   à  qui  le  roy  le  osta  pour 
bailler  audit  Philippe  des  Essars^. 

Oudit  temps  que  le  roy  estoit  à  Senlis^,  à  Ermenon- 
ville et  ilec  environ,  y  vint  et  arriva  l'ambaxade  de 
Bourgongne,  qui  y  demoura  assez  longuement  sans 
riens  faire.  Durant  lequel  temps,  le  roy  s'en  ala  à 
Gompiengne,  à  Noiom  et  autres  places  environ,  et  là 
monseigneur  le  connestable  vint  pardevers  lui,  sur 
aucuns  difFerens  qui  estoient  entre  le  roy  et  lui,  et 
parlèrent  aux  champs  ensemble  en  ung  village  nommé 
[Fargniers]  ^,  où  fut  fait  ung  pont  entre  eulx  deux,  et 
chascun  d'eulx  estoient  garnis  de  gens  de  guerre  pour 
la  garde  de  leurs  personnes.  Et,  ilec  ainsi  assemblez 
que  dit  est,  parlèrent  de  leursdiz  differens,  mesme- 
ment  pour  raison  de  la  prinse  et  retenue  que  faisoit 
mondit  seigneur  le  connestable  de  la  ville  de  Saint- 

1.  Interpolations  et  variantes,  §  GV.  —  Philippe  des  Essarts  reçut 
en  outre  une  pension  de  1,200  écus,  le  bailliage  de  Meaux,  la  mai- 
son que  Geoffroy  Gœur  possédait  à  Thieux,  près  Dammartin,  et, 
pour  sa  femme,  la  terre  de  Lye.  Ces  nombreux  avantages  lui 
avaient  été  garantis  par  Louis  XI  dès  le  mois  d'octobre  1472,  en 
récompense  de  services  rendus  lors  de  la  conclusion  de  la  trêve 
avec  la  Bretagne  (Bibl.  nat.,  ms.  fr.  20428,  fol.  114,  et  ms.  fr.  6602, 
fol.  57.  Gf.  Commynes,  éd.  Dupont,  I,  294). 

2.  Louis  XI  séjourna  à  Senlis  une  grande  partie  du  mois  d'avril 
et  les  dix  premiers  jours  de  mai  1474  (Itin.  cité). 

3.  Le  nom  de  la  localité  où  l'entreviie  prit  place  est  demeuré 
en  blanc  dans  les  deux  mss.  de  la  Chronique,  comme  dans  les 
éditions  imprimées.  Gommynes  veut  que  les  deux  princes  se  soient 
rencontrés  «  à  trois  lieues  de  Noyon,  tirant  vers  la  Fère,  sur  une 
petite  rivière,  »  et  Quicherat  a  supposé  que  c'était  à  Ognes  ou  à 
Abbecourt  (éd.  de  Basin,  II,  365,  n.  1);  mais  les  procès-verbaux 
des  procès  du  duc  de  Nemours  et  du  connétable  donnent  «  Farnics, 
près  Noyon.  »  C'est  Fargniers,  auj.  dans  le  dép.  de  l'Aisne,  à 
quatre  kilomètres  de  la  Fère,  sur  un  aifluent  de  l'Oise  et  sur  le 
canal  de  Grozat. 


147'i]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  313 

Quentin  qu'il  avoit  prinse  et  mise  en  sa  main,  et 
d'icelie  en  dechassé  et  débouté  dehors  le  sire  de  Grê- 
lon, qui  avoit  la  garde  d'icelie  ville  de  par  le  roy  et 
la  retenue  de  cent  lances,  qui  tous,  par  la  force  et 
contraincte  dudit  monseigneur  le  connestable,  widerent 
dehors  de  ladicte  ville  de  Saint-Quentin,  dont  le  roy 
fut  bien  mal  content.  Et,  pour  ceste  cause,  le  roy  fist 
arrester  les  deniers  et  descharges  qui  avoient  esté 
levez  pour  le  paiement  dudit  monseigneur  le  connes- 
table, et  des  im''  lances  de  sa  charge  et  retenue  pour 
le  quartier  d'avril,  may  et  juing  lors  escheu,  qu'il 
print  ledit  Saint-Quentin.  Et,  après  ledit  pourparlé 
ensuivant,  le  roy  leva  sa  main  dudit  arrest  et  fist  tout 
ledit  paiement  délivrer  audit  monseigneur  le  connes- 
table, et  puis  s'en  départirent  d'ensemble  bons  amys. 
Et  si  fist  ilec  le  roy  la  paix  dudit  seigneur  et  du  conte 
de  Dampmartin,  qui  riens  ne  s'entredemandoient.  Et, 
audit  parlement,  le  roy  pardonna  tout  audit  monsei- 
gneur le  connestable,  qui  lui  promist  et  jura  de  non 
jamais  lui  faire  autres  faultes,  mais  que  bien  le  servi- 
roit  de  là  en  avant  à  l'encontre  de  tout  le  monde,  sans 
nul  en  excepter  ^ . 

En  icellui  temps,  le  roy  s'en  retourna  à  Senlis, 
Ermenonville,  Pons  Sainte- Maxence  et  autres  lieux. 
Et  souvent  et  presque  tous  les  jours  aloit  le  roy  en 
l'abbaye  de  la  Victoire  prier  et  aourer  la  benoiste 
Vierge  Marie  ilec   requise,  à  l'onneur  et  loenge  de 

1.  «  Quant  le  roy  eut  bien  pensé  et  ouy  le  murmure  des  gens, 
il  luy  sembla  follye  d'avoir  esté  parler  à  son  serviteur  et  l'avoir 
ainsi  trouvé,  une  barrière  fermée  au  devant  de  luy  et  acompaigné 
de  gens  d'armes,  tous  ses  subjectz  et  payez  à  ses  despens  »  (Gom- 
mynes,  éd.  Dupont,  I,  302). 


314  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1474 

laquelle  il  fist  oudit  prieuré  de  bien  grans  dons  en  or 
content,  qui  bien  montèrent  x™  escuz  d'or^. 

Oudit  temps,  le  roy,  aiant  en  singulière  recomman- 
dacion  son  populaire  et  gens  de  guerre  et  pour  esche- 
ver  effusion  de  sang  par  guerre,  fist  une  tresve  avec- 
ques  son  ennemy  et  adversaire  le  duc  de  Bourgongne 
pour  ung  an,  finissant  le  premier  jour  d'avril-  LXXV, 
combien  que  plusieurs  ambaxades  feussent  venues  par- 
devers  lui  de  par  l'empereur  d'Alemaigne  lui  humble- 
ment prier  et  requérir  qu'il  ne  feist  point  ladicte  trefve 
avecques  ledit  de  Bourgongne,  et  que  par  port  d'armes 
ilz  le  rendroient  fugitif  et  en  la  mercy  du  roy,  et  que 
toute  la  conqueste  et  prouffit  qu'ilz  pourroient  faire 
et  avoir  sur  ledit  de  Bourgongne,  ilz  promettoient  la 
bailler  et  donner  au  roy,  sans  riens  lui  couster  du  sien. 
Mais,  nonobstant  ce  que  dit  est,  fut  ladicte  tresve 
faicte  et  accordée  avec  ledit  de  Bourgongne,  à  la 
grant  desplaisance  des  très  bons  et  loyaulx  subgetz 
du  roy^.  Et,  nonobstant  ladicte  tresve  et  au  commen- 
cement d'icelle,  lesdiz  Bourguignons  firent  de  grans 
oultrages  et  dommages  aux  pays  et  subgetz  du  roy 
estans  à  l'entour  desdiz  Bourguignons;  dont  aucune 
reparacion  ne  fut  faicte  par  iceulx  Bourguignons  : 
laquelle  chose  demoura  en  grant  esclande  de  veoir  le 
vassal  ainsi  oultrager  les  pays  et  subgetz  de  son  sou- 
verain seigneur. 

Au  commencement   du    moys  de  juillet   mil  IIIP 

1.  L'Itinéraire  indique  le  passage  de  Louis  XI  à  Senlis  du 
27  mai  au  2  juin,  à  Pont-Sainte-Maxence  le  5  juin,  à  la  Victoire 
le  9,  à  Gompiègne  le  12,  puis  à  Noyon  et  à  Ermenonville. 

2.  Lisez  de  mai  (Lcnglet,  III,  315-318). 

3.  Le  roi  promit  d'observer  cette  trêve  par  lettres  datées  de  la 
Groix-Saint-Ouen,  près  Gompiègne,  le  13  juin  1474. 


1474]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  315 

LXXIIII,  le  roy  vint  et  arriva  en  sa  bonne  ville  et  cité 
de  Paris,  où  il  ne  séjourna  que  une  nuit  ;  et,  le  lende- 
main, s'en  ala  à  l'église  Nostre  Dame,  et  de  là  en  la 
Saincte-Chappelle  du  Palais,  et  disna  en  la  conciergerie 
dudit  Palais,  ou  logis  et  domicile  de  maistre  Jehan  de 
la  Driesche,  président  des  Comptes  '.  Et  d'ilec,  environ 
quatre  heures  après  midi,  s'en  party  et  ala  en  ung 
basteau  par  la  rivière  depuis  la  poincte  dudit  Palais 
jusques  à  la  tour  de  Neelle,  où  il  monta  à  cheval  et 
s'en  ala  à  Chartres,  à  Amboise  et  de  là  à  Nostre-Dame 
de  Behuart  en  Poictou^. 

Oudit  an,  le  roy  envoya  grant  nombre  des  gens 
d'armes  de  son  ordonnance,  des  frans  archers  et 
autres  et  de  son  artillerie  pour  reconquérir  le  royaume 
d'Arragon^.  Dieu  leur  doint  grâce  de  y  bien  beson- 
gner  et  de  retourner  joyeusement,  car  on  dit  commu- 
nément que  c'est  le  cimitiere  aux  Françoys^  ! 

Oudit  temps,  le  lundi  xviii®  jour  dudit  moys  de 
juillet  IIIP  LXXIIII,  l'arrest  fut  prononcié  en  la  court 

1.  II  était  concierge  et  bailli  du  Palais. 

2.  Louis  XI  fut  à  Paris  le  13  juillet  et  rentra  en  Touraine  vers 
le  19.  Sur  Notre-Dame-de-Behuard  (auj.  Maine-et-Loire,  cant. 
de  Saint-Georges),  voy.  l'article  de  M.  Quicherat  dans  la  Revue 
d'Anjou,  t.  U  (1853),  p.  128-141.  —  La  tour  de  Nesle  se  dressait  sur 
la  rive  gauche  de  la  Seine,  en  face  du  Louvre,  à  la  place  où  est 
aujourd'hui  l'Institut. 

3.  Louis  XI  élevait  en  effet  quelques  prétentions  sur  les  royaumes 
de  Valence  et  d'Aragon  en  sa  qualité  de  petit-fils  de  Yolande 
d'Aragon  et  comme  héritier  des  droits  de  sa  mère  Marie  d'Anjou. 
Mais,  dans  le  cas  présent,  il  ne  visait  en  réalité  qu'à  rétablir  son 
autorité  en  Roussillon  et  en  Cerdagne.  Preuves  de  l'Hist.  de  Bour- 
gogne, t.  IV,  p.  cccxxxvn. 

4.  La  forme  de  ce  vœu  indique  que  ce  passage  a  été  écrit  au 
moment  de  l'événement.  Les  éditions  imprimées  portent  :  «  dont 
on  disoit  que  Dieu  leur  donnast  la  grâce  de...,  etc.  » 


316  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1474 

de  Parlement  par  monseigneur  le  chancellier,  nommé 
maistre  Pierre  Doriole,  du  procès  fait  à  l'encontre  du 
duc  d'Alençon,  qui  par  avant  avoit  esté  détenu  pri- 
sonnier au  Louvre  et  audit  lieu  du  Palais.  Et,  par 
icelui  arrest,  fut  ramené  à  fait  le  cas  et  crimes  à  lui 
imposez  et  la  condemnacion  jadis  contre  lui  prononcée 
à  Vendosme,  durant  la  vie  du  bon  roy  Charles,  dont 
Dieu  ait  l'ame,  et  le  pardon  -et  grâce  que  de  ce  lui 
avoit  depuis  fait  le  roy  de  lui  laisser  la  vie  saulve,  et 
que  depuis  il  avoit  encores  continué  de  mal  en  pis, 
comme  ingrat.  Et,  tout  dit  et  recité  publiquement  en 
icelle  court,  fut  ledit  duc  d'Alençon  declairé  par  arrest 
estre  criminel  de  crime  de  lèse  majesté,  et  comme  tel 
condempné  à  estre  décapité  et  souffrir  mort,  sauf  sur 
ce  le  bon  plaisir  du  roy,  et  toutes  ses  terres  et  sei- 
gneuries et  tous  ses  biens  estre  acquises  et  confisquées 
au  roy.  Et  lui  fut  le  dictum^  dudit  arrest  dit  à  sa 
bouche  par  le  dit  monseigneur  le  chancelier.  Et,  bien- 
tost  après,  fut  ramené  prisonnier  à  sa  première  prison 
dudit  Louvre,  en  la  garde  et  conduicte  de  sire  Denis 
Hesselin,  esleu  de  Paris  ^,  et  de  ses  gens  pour  lui,  de 
sire  Jaques  Hesselin,  son  frère,  escuier  d'escuierie  du 
roy,  et  de  sire  Jehan  de  Herlay,  chevalier  du  guet  de 
nuit  de  ladicte  ville,  et  autres  ordonnez  de  par  le  roy 
à  la  garde  dudit  seigneur. 

1.  On  entendait  par  diclum  ou  sumptum  une  sentence  rendue 
sur  rapport. 

2.  Le  21  juin,  Denis  Hesselin,  qui  venait  de  quitter  les  fonctions 
de  prévôt  des  marchands,  avait  été  élu  par  les  échevins,  conseil- 
lers, bourgeois,  quarteniers  et  marchands  de  la  ville  de  Paris, 
clerc  et  receveur  tant  du  domaine  (|ue  des  aides  et  payeur  des 
œuvres  de  la  ville.  Ce  choix  fut  raliUc  par  le  roi  le  26  du  môme 
mois  (Vitu,  la  Chronique  de  Louis  XI,  p.  42  et  suiv.)- 


i474]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  317 

Après  ledit  arrest,  le  roy  s'en  tira  à  Angers  et  ou 
pays  d'environ,  et  tîst  mettre  en  sa  main  ladicte  ville 
d'Angers  et  autres  terres  et  seigneuries  qui  sont  et 
appartiennent  au  roy  de  Cécile,  pour  aucunes  causes 
qui  à  ce  le  meurent,  et  au  gouvernement  et  adminis- 
tration desdictes  seigneuries  et  terres  y  fut  mis  et 
commis  maistre  Guillaume  de  Gerisay,  greffier  civil  de 
la  court  de  Parlement^. 

En  après,  le  roy  retourna  pardevers  le  pays  de 
Beausse,  à  Ghartres,  et  en  Gastinois,  au  Bois  Males- 
herbes  et  autres  lieux  voisins^,  où  il  séjourna  par  cer- 
taine longue  espace  de  temps,  en  chassant  et  prenant 
bestes  sauvaiges  comme  cerfz,  sangliers  et  autres 
bestes,  dont  il  trouva  largement.  Et,  pour  raison  de 
la  grant  quantité  des  bestes  qui  y  furent  trouvées, 
ayma  fort  ledit  pays,  combien  que  en  autres  choses  il 
est  maigre  pays,  sec,  inutile  et  de  petite  valeur.  Et 
puis  s'en  parti  le  roy  et  s'en  ala  au  pont  de  Samois, 
où  aussi  il  demoura  par  certain  temps  et  jusques  au 
jeudi,  VI®  jour  d'octobre  oudit  an  LXXIIIJ,  qu'il  s'en 
parti  et  ala  jusques  à  Monstereau  ou  fouit  d'Yonne^. 
Et,  audit  pont  de  Samois,  demoura  monseigneur  de 
Beaujeu,  pardevers  lequel  s'en  aloient  par  chascun 

1.  Louis  XI,  ayant  découvert  que  son  oncle,  le  roi  de  Sicile, 
était  entré  en  négociations  avec  le  duc  de  Bourgogne  pour  lui 
vendre  la  succession  éventuelle  de  la  Provence,  des  duchés  de  Bar 
et  d'Anjou,  se  présenta  devant  Angers  et  s'en  fit  livrer  les  portes 
(fin  juillet  1474.  Voy.  Preuves  de  l'Hist.  de  Bourgogne,  t.  lY,  p.  cccxlii 
et  suiv.). 

2.  Bois-Malesherbes  (auj.  Malesherbes,  dép.  du  Loiret,  arr.  de 
Pithiviers)  7  août  1474,  Ghartres  15  août,  etc.  Le  roi  passa  en 
Beauce  et  en  Gàtinais  les  mois  de  septembre  et  d'octobre. 

3.  Auj.  Montereau-faut- Yonne,  Seine-et-Marne,  arr.  de  Fon- 
tainebleau, au  confluent  de  l'Yonne  et  de  la  Seine. 


318  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1474 

jour  les  gens  du  grant  conseil  tenir  le  conseil  en 
l'absence  du  roy. 

En  ce  temps,  le  duc  de  Bourgongne,  qui  s'en  estoit 
parti  de  ses  pays  pour  aler  faire  guerre  aux  Alemans, 
ala  en  Alemaigne  tenir  et  mettre  le  siège  devant  la 
ville  de  Nux,  qui  est  une  bonne  ville  près  de  Gou- 
longne  sur  le  Rin,  où  il  séjourna  bien  longuement, 
tenant  le  siège  ilec  devant  avecques  toute  son  armée 
et  artillerie^. 

Oudit  temps  furent  envolez  en  Bretaigne  ambasseurs 
de  par  le  roy,  c'est  assavoir  monseigneur  le  chancel- 
lier,  Philippe  des  Essars^  et  autres.  Et,  au  retour  de 
ladicte  ambaxade,  revint  et  retourna  dudit  Bretaigne 
messire  Pierre  de  Morviller,  jadis  chancellier,  qui  s'en 
estoit  aie  avecques  feu  monseigneur  de  Guienne,  et 
depuis  son  trespas  s'en  estoit  retrait  oudit  pays  de 
Bretaigne. 

En  ce  temps,  les  gens  tenans  le  parti  dudit  de  Bour- 

1.  L'archevêque  de  Cologne,  Robert  de  Bavière,  parent  du  duc 
de  Bourgogne,  «  débouté  de  sa  chaire  episcopale  et  cité  métropo- 
litaine, lui  remonstra  sa  doleance  et  comment  ceulx  du  chapitre 
dudit  Coulongne  vouloient  avoir  archevesque  Hermant,  lantgrave 
de  Haesse,  frère  à  Henri,  lantgrave  de  Hesse,  auquel  favorisoit 
l'empereur,  etc.  »  (Molinet,  éd.  Buchon,  dans  Coll.  des  chron. 
nationales  françaises,  Paris,  1827,  in-8°,  I,  27).  —  L'armée  bour- 
guignonne arriva  à  la  fin  de  juillet  devant  Neuss,  petite  ville 
située  au  sud-ouest  de  Dusseldorf,  mais  sur  la  rive  gauche  et  à 
une  petite  distance  du  Rhin.  «  Elle  estoit  forte  à  merveille,  dit 
Molinet,  tant  d'eaue  comme  de  murailles,  adossée  d'un  lez  d'un 
bras  du  Rhin  qui  battoit  aux  murs,  et  d'une  autre  rivière  nommée 
Arne,  qui  passe  par  le  duché  de  Julers.  » 

2.  Voy.  ci-dessus,  p.  312.  La  trêve  avec  le  duc  de  Bretagne 
devait  expirer  à  la  fin  de  novembre,  et  il  y  avait  un  intérêt  majeur 
pour  Louis  XI  à  détacher  François  II  des  alliances  anglaise  et 
bourguignonne. 


1474]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  319 

gongne,  nonobstant  ladicte  tresve,  prindrent  la  cité  de 
Verdun  en  Lorraine,  dont  le  roy  estoit  seigneur  et 
gardien,  et,  pour  la  ravoir,  le  roy  envoya  m*^  lances 
et  un'"  frans  archers  qui  estoient  acompaignez  du  sei- 
gneur de  Graon  et  autres. 

Oudit  temps  aussi,  lesdiz  Bourguignons  prindrent 
par  emblée  une  ville  ou  pays  de  Nivernois  nommée 
Molins  Engibers"^,  où  pareillement  le  roy  envoya  des 
gens  de  guerre  et  de  son  artillerie.  Et  ne  différa  point 
ledit  de  Bourgongne  que  par  ses  gens  et  de  son  party, 
nonobstant  icelle  tresve,  de  tousjours  faire  maulx  et 
persécuter  les  gens,  serviteurs,  villes  et  subgetz  du 
roy^. 

En  icellui  temps,  Edouart,  roy  d'Angleterre,  envoya 
ses  heraulx  pardevers  le  roy  le  sommer  de  lui  rendre 
et  bailler  les  duchez  de  Guienne  et  de  Normandie, 
qu'il  disoit  à  lui  appartenir,  ou  que  en  son  refus  il 
lui  feroit  guerre.  Ausquelz  heraulx  fut  faicte  et  rendue 
response,  et  par  iceulx  le  roy  envoya  audit  Edouart 
le  plus  beau  coursier  qu'il  eust  en  son  escuierie.  Et, 
depuis  ce,  le  roy  lui  envoya  encores  par  Jehan  de 
Lailler,  mareschal  de  ses  logis,  ung  asne,  ung  loup  et 
ung  sanglier.  Et  à  tant  s'en  retournèrent  lesdiz  heraulx 
en  leurdit  pays  pardevers  le  roy. 

Ou  moys  de  novembre,  le  roy  vint  pardevers  Paris 
et  fu  logié  à  Ablon  sur  Seine,  depuis  au  boys  de  Vin- 
ciennes,  à  Hauberviller  et  autres  lieux,  et  puis  d'ilec 
se  desloga  et  ala  en  la  France  soy  loger  en  ung  hostel 
appartenant  à  maistre  Dreux  Budé,  audiencier,  nommé 

1.  Auj.  Moulins-Engilbert,  dép.  de  la  Nièvre,  arr.  de  Ghâteau- 
Ghinon. 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  GVI. 


320  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1474 

le  Bois  le  Gonte^.  Et  messeigneurs  de  Lion,  de  Beau- 
jeu  et  autres  seigneurs  suivans  le  roy  se  logèrent  à 
Mitry  en  France.  Et  puis  se  desloga  le  roy  et  ala  avec- 
ques  les  seigneurs  devantditz  à  Ghasteauthierry,  où  il 
demoura  certaine  espace  de  temps  et  jusques  environ 
le  xii^  jour  de  décembre,  qu'il  retourna  à  Paris,  et  y 
fist  son  Noël ,  et  fu  le  roy  au  service ,  la  veille  de 
Noël,  en  l'église  Nostre  Dame  de  Paris. 

Le  lendemain  de  Noël,  qui  estoit  le  jour  Saint- 
Estienne,  le  roy  ot  des  nouvelles  que  les  Anglois 
estoient  en  armes  en  grant  nombre  sur  mer,  et  estoient 
vers  les  parties  du  Mont  Saint-Michel-.  Et  incontinent 
fist  monter  à  cheval  et  envoier  en  Normandie  les 
archers  par  lui  mis  sus  de  sa  nouvelle  garde,  nommée 
la  garde  de  monseigneur  le  daulphin^. 

En  ce  temps,  le  roy  ot  des  nouvelles  de  son  armée 
qu'il  avoit  envoyée  en  Arragon,  et  comment  ses  gens 
a  voient  prins  une  place  près  de  Parpeignen,  nommée 
Gonne*,  dedens  laquelle  y  estoient  aucuns  gentilz- 
hommes  et  habitans  de  ladicte  ville  de  Parpeignen 
qu'on  voulut  faire  mourir  comme  traistres^;  mais  on 

1.  Ablon-sur-Seiae,  auj.  dép.  de  Seiae-et-Oise,  cant.  de  Long- 
jumeau.  Louis  XI  y  fut  le  6  novembre  1474  et  le  20  à  Auber- 
villiers  (auj.  dép.  de  la  Seine,  cant.  de  Saint- Denis).  Le  château 
d'Auberviliiers  appartenait  aux  Luillier.  Quant  au  Bois-le-Gomte, 
qui  était  à  Dreux  Biidé,  seigneur  de  Boissy-Saint-Léger  et  de  Vil- 
liers-sur-Marne,  le  roi  y  séjourna  au  commencement  du  mois 
de  décembre  et  arriva  à  Château-Thierry  vers  le  8  du  même  mois. 

2.  C'était  un  faux  bruit  qui  fut  semé  à  plusieurs  reprises  et  avec 
intention  par  les  ennemis  du  roi. 

3.  Sous  le  commandement  de  Jean  Blosset,  seigneur  de  Saint- 
Pierre. 

4.  EIne,  auj.  dép.  des  Pyrénées-Orientales,  cant.  de  Perpignan. 

5.  Louis  XI  avait  envoyé  en  Roussillon  le  seigneur  du  Lude 


1475]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  321 

différa,  pour  ce  qu'ilz  promirent,  dedens  ung  temps 
qu'ilz  nommèrent,  de  faire  réduire  et  mettre  en  l'obéis- 
sance du  roy  ladicte  ville  de  Parpeignen ,  laquelle 
chose  ilz  ne  firent  point  dedens  le  temps  qu'ilz  avoient 
promis,  pour  quoy  en  furent  aucuns  de  eulx  décapi- 
tez, et  entre  les  autres  y  ot  ung  nommé  Bernard  de 
Doms,  qui  ot  le  col  coppé^.  Et,  bientost  après,  fu  fait 
appoinctement  entre  le  roy  et  lesdiz  d'Arragon,  par 
lequel  la  conté  de  Roussillon  fut  derechef  remise  en  la 
main  du  roy. 

Ou  moys  de  janvier  LXXIIII,  advint  que  aucuns 
larrons  bourguignons,  sans  maistre  ne  adveu,  se 
mirent  sur  les  champs  et  vindrent  courir  es  pays  du 
roy  et  jusques  près  de  Compiengne,  où  ilz  prindrent 
et  tuèrent  gens,  et  puis  voulurent  édifier  une  place 
pour  eulx  retraire  près  de  Roye,  nommée  Arson-,  où 
ilz  amenèrent  grant  quantité  de  pionniers.  Et,  quant 
le  roy  en  ot  ouy  les  nouvelles,  il  manda  aux  garnisons 
d'Amiens,  Beauvais  et  autres  lieux,  avecques  la  com- 
paignie  du  grant  maistre  et  aussi  des  arbalestriers  et 
archers  de  Paris  et  autres  de  ladicte  ville,  que  mes- 
sire  Robert  d'Estouteville ,  prevost  de  ladicte  ville, 
conduisoit,  qu'ilz  alassent  destruire  lesdiz  Bourgui- 
gnons et  place.  Mais,  incontinent  qu'ilz  en  orent  les 

avec  400  lances  et  3,000  archers,  qui  ravagèrent  le  pays  et  brû- 
lèrent les  récoltes.  Elne  se  rendit  le  .5  décembre  1474. 

1.  Bernard  d'Oms  ou  d'Orms,  chevalier  catalan,  s'était  mis  à  la 
tête  d'une  conjuration  des  nobles  et  des  principaux  habitants  de 
Perpignan,  qui,  le  25  janvier  1473,  tentèrent  d'introduire  les  Ara- 
gonais  dans  la  ville.  Le  coup  ayant  manqué,  Bernard  avait  pris 
la  fuite  avec  ses  principaux  complices  (Basin,  II,  306  et  suiv.). 

2.  Ressons-sur-Matz,  dép.  de  l'Oise,  arr.  de  Gompiègne. 


322  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  fl475 

nouvelles,    ilz   désemparèrent  tout   et    s'enfouirent, 
comme  paillars  qu'ilz  sont^ 

Oudit  moys  de  janvier  1111=  LXXlllI,  advint  que  ung 
franc  archer  de  Meudon,  près  Paris,  estoit  prisonnier 
es  prisons  de  Chastellet,  pour  occasion  de  plusieurs 
larrecins  qu'il  avoit  faictes  en  divers  lieux,  et  mesme- 
ment  en  l'église  dudit  Meudon;  et,  pour  lesdiz  cas  et 
comme  sacrilège,  fut  condempné  à  estre  pendu  et 
estranglé  au  gibet  de  Paris,  nommé  Montfaucon,  dont 
il  appella  en  la  court  de  Parlement,  où  il  fu  mené  pour 
discuter  de  son  appel.  Par  laquelle  court  et  par  son 
arrest  fut  ledit  franc  archer  declalré  avoir  mal  appelle 
et  bien  jugié  par  le  prevost  de  Paris,  pardevers  lequel 
fut  renvoie  pour  exécuter  sa  sentence.  Et,  ce  mesme 
jour,  fut  remonstré  au  roy  par  les  médecins  et  cirur- 
giens  de  ladicte  ville  que  plusieurs  et  diverses  per- 
sonnes estoient  fort  traveillez  et  molestez  de  la  pierre, 
colique,  passion  et  maladie  du  costé,  dont  pareille- 
ment avoit  esté  fort  molesté  ledit  franc  archer,  et  que 
aussi  desdictes  maladies  estoit  lors  fort  malade  mon- 
seigneur du  Boschage,  et  qu'il  seroit  fort  requis  de 
veoir  les  lieux  où  lesdictes  maladies  sont  concrées 
dedens  les  corps  humains,  laquelle  chose  ne  povoit 
mieulx  estre  sceue  que  inciser  le  corps  d'un  homme 
vivant,  ce  qui  povoit  bien  estre  fait  en  la  personne 
d'icellui  franc  archer,  qui  aussi  bien  estoit  prest  de 
souffrir  mort.  Laquelle  ouverture  et  incision  fut  faicte 
ou  corps  dudit  franc  archer,  et  dedens  icellui  quis  et 
regardé  le  lieu  desdictes  maladies.  Et,  après  qu'ilz 
orent  esté  veues,  fut  recousu  et  ses  entrailles  remises 

1.  Qu'ils  estoient,  dans  les  éditions  imprimées. 


1475]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  323 

dedens,  et  fut,  par  rordonnance  du  roy,  fait  très  bien 
penser,  et  tellement  que,  dedens  xv  jours  après,  il  fut 
bien  guery  et  ot  remission  de  ses  cas,  et  et  remission 
sans  despens,  et  si  lui  fut  donné  avecques  ce  argent^. 

En  ce  temps,  le  xxviii®  jour  dudit  moys  de  janvier, 
le  roy,  aiant  singulière  affection  aux  sains  fais  et  grans 
vertus  de  saint  Gharlemaigne,  voulut  et  ordonna  que, 
ledit  XXVIII®  jour  de  janvier,  feust  faicte  et  solemnizée 
la  feste  dudit  saint  Gharlemaigne;  laquelle  chose  fut 
faicte  et  solemnizée  en  la  ville  de  Paris,  et  ladicte  feste 
gardée  comme  le  dimenche,  et  ordonné  que  doresen- 
avant,  par  chascun  an,  ladicte  feste  seroit  faicte  ledit 
xxvui®  jour  de  janvier^. 

Ou  moys  de  février  ensuivant,  furent  les  Alemans 
dedens  la  ville  de  Nux  avi taillez  par  ceulx  de  la  ville 
de  Goulongne  sur  le  Rin  et  autres  Almans  de  la  partie 
de  l'empereur  d'Alemaigne,  nonobstant  le  duc  de 
Bourgongne  qui,  passé  a  long  temps,  estoit  demeuré 
tenant  le  siège  devant  ladicte  ville  de  Nux^,  et  qui 

1.  Il  est  douteux  qu'il  faille  considérer  cette  audacieuse  opéra- 
tion, ainsi  que  l'ont  fait  les  auteurs  de  l'Art  de  vérifier  les  dates, 
après  l'abbé  Ga.Tmer  {Hist.  de  France,  1770,  t.  IX,  p.  324),  comme 
le  plus  ancien  exemple  connu  en  France  de  l'extraction  de  la 
pierre.  En  tout  cas,  le  procédé  qui  consiste  à  extraire  une  pierre 
de  la  vessie  par  une  incision  pratiquée  dans  la  paroi  abdominale 
fut  salué  comme  une  nouveauté  lorsque  Franco  l'employa  vers 
1561  (Mandrot,  Ymbert  de  liatarnay,  seigneur  du  Bouchage,  cité, 
p.  49  et  suiv.). 

2.  Gharlemagne  fut  canonisé  en  1165  par  l'anti-pape  Paschal  III, 
et  depuis  ce  temps  il  a  été  révéré  au  rang  des  saints.  Louis  XI 
avait  pour  sa  mémoire  une  grande  vénération,  témoin  son  culte 
pour  «  la  vraye  croix  que  sainct  Gharlemaigne  portoit,  qui  s'ap- 
pelle la  croix  de  la  Victoire,  »  sur  laquelle  il  fit  jurer  le  traité  de 
Péronne  au  duc  de  Bourgogne  (Commynes,  éd.  Dupont,  I,  175). 

3.  Depuis  le  30  juillet  précédent. 

I  23 


324  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1475 

avoit  fait  arriver  plusieurs  navires  pour  cuider  empes- 
cher  que  ledit  avitaillement  ne  vînt  en  icelle  ville; 
mais,  nonobstant  toute  sa  puissance  et  armée,  vint  et 
entra  ledit  avitaillement  en  ladicte  ville,  et  furent 
toutes  les  navires  dudit  duc  rompues  et  mises  en 
pièces  dedens  la  rivière  du  Rin,  et  mors  plus  de  six 
à  sept  mille  Bourguignons  estans  dedens  iceulx  navires. 
Et,  auparavant,  avoient  euz  et  soul'ers  lesdiz  Bourgui- 
gnons de  grans  pertes  et  maulx  par  lesdiz  de  Nux  ^ . 

Ou  moys  de  mars  ensuivant,  pour  ce  que  lesdiz 
Bourguignons  des  parties  de  Flandres  et  Picardie,  et 
aussi  de  ceulx  estans  par  ledit  duc  de  Bourgongne 
logez  à  Roye,  Peronne,  Montdidier  et  autres  places 
tenans  son  parti,  estoient  venus  courir  es  pays  et  sur 
les  subgetz  du  roy,  et  en  iceulx  prins  plusieurs  pri- 
sonniers, vivres  et  biens  et  menez  en  leurs  places 
contre  la  tresve  faicte  entre  le  roy  et  lui,  se  mirent 
aux  champs  plusieurs  des  compaignies  de  l'ordonnance 
du  roy  estans  es  garnisons  d'Amiens,  Beauvais,  Saint- 
Quentin  et  autres  lieux ,  jusques  au  nombre  de 
liii''  lances  et  autres  populaires,  qui  pareillement  ale- 
rent  courir  sur  lesdiz  Bourguignons  et  jusques  dedens 
les  faulxbourgs  d'Arras,  où  ilz  couchèrent  une  nuit 
entière.  Et  ilec,  au  moien  de  certaine  grande  quantité 
de  vans,  fléaux  et  autres  oultilz  dont  les  gens  du  roy 
avoient  mené  graut  quantité  avecques  eulx  en  char- 
retes  et  chariotz,  fut  batu  tout  le  grain  estant  et  trouvé 
es  granches  dudit  pays  de  Bourgongne  et  Picardie,  et 
icellui  avec  autres  bestiaulx,  gens,  prisonniers  et  uten- 

\.  Voy.  Molinet,  éd.  Buchon,  I,  60.  Cf.  Gingiiis,  Dépêches  des 
ambassadeurs  milanais  sur  les  campagnes  de  Charles  le  Hardi,  de 
l'ïl'i  à  l'jll .  Genève,  1858,  iii-S",  passim. 


1475J  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  325 

siles  fait  amener  et  conduire  par  Salezart  et  autres 
capitaines  dedens  lesdictes  villes  d'Amiens  et  Beauvais. 

Durant  le  temps,  le  roy  ne  bouga  de  Paris  et  y  fist 
son  quaresme,  faisant  grant  chère,  et  s'i  trouva  sain 
et  bien  disposé,  comme  il  disoit^. 

Oudit  moys  de  mars,  advint  à  Paris  que  ung  jeune 
fîlz  brigandinier^,  qui  avoit  esté  nourry  en  partie  par 
ung  poissonnier  d'eaue  doulce  de  ladicte  ville,  nommé 
Jehan  Penssart,  meu  de  mauvais  courage  et  trahison, 
sachant  que  ledit  Pensart  avoit  grant  argent,  qui 
estoit  venu  et  yssu  de  la  vente  du  poisson  qu'il  avoit 
vendu  durant  le  quaresme,  et  dont  il  devoit  la  plus- 
part  à  plusieurs  seigneurs  et  autres  notables  hommes 
qui  lui  avoient  vendu  le  poisson  de  la  pesche  de  leurs 
estans,  et  lequel  argent  ledit  brigandinier  avoit  veu  et 
le  heu  où  icellui  Penssart  le  mettoit,  vint  et  entra  de 
nuit  en  l'ostel  dudit  Pensart,  et,  après  la  myenuit 
passée,  vint  ouvrir  l'uys  dudit  Pensart  à  trois  Escos- 
sois  qu'il  avoit  ilec  fait  venir  pour  avoir  ledit  argent 
et  desrober  ledit  Pensart,  l'un  desquelz  Escossois  estoit 
nommé  Mortemer,  dit  l'Escuier,  et  l'un  des  autres 
Thomas  Le  Clerc;  lesquelz  Escossois,  par  le  moien 
dudit  brigandinier,  crochetèrent,  prindrent  et  empor- 
tèrent ledit  argent,  montant  en  somme  n""  V''  livres 
tournois.  Et,  pour  lequel  recouvrer,  fut  fait  bien 
grant  diligence,  tellement  que,  ledit  jour  dudit  desro- 
bement,  fut  ledit  brigandinier  trouvé  tenant  franchise 
aux  Carmes  de  ladicte  ville,  duquel  lieu  il  fut  tiré  hors 
et  apporté  ou  Chastellet  de  Paris,  pour  ce  que,  au 

1.  Louis  XI  passa  à  Paris  les  trois  premiers  mois  de  l'année 
1475  (Itin.  cité). 

2.  C'est-à-dire  un  jeune  ouvrier  en  brigandines. 


326  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1475 

moien  des  fers  dont  il  estoit  ferré,  il  ne  povoit  aler. 
Et  ilec  confessa  que  lesdiz  Escossois  avoient  eu  tout 
ledit  argent;  pour  quoy  fut  fait  grant  diligence  de  le 
recouvrer,  et  eust  esté  ledit  Mortemer  prins  et  fait 
amener  oudit  Ghastellet  par  l'ordonnance  de  maistre 
Phelippe  du  Four,  n'eussent  esté  deux  autres  Escos- 
sois de  la  garde  du  roy  qui  vouldrent  tuer  ledit 
maistre  Phelippe  et  ses  sergens  et  firent  eschapper 
ledit  Mortemer.  Et  depuis  fut  ledit  Thomas  Le  Clerc 
trouvé  tenant  franchise  dedens  l'église  Saincte-Kathe- 
rine  du  Val  des  Escoliers^,  qui  ilec  fut  prins  à  grant 
port  d'armes  qu'il  fist  contre  les  gens  dudit  monsei- 
gneur le  prevost  de  Paris,  dont  il  blessa  plusieurs,  et, 
en  la  fin,  après  qu'il  et  reçues  plusieurs  plaies,  fut 
amené  esdictes  prisons,  où  il  confessa  ladicte  (sic)  lar- 
recin,  à  cause  de  quoy  fut  rendue  partie  de  ladicte 
somme  qu'il  avoit  mucée  près  de  Saint-Estienne  des 
Grex^.  Et,  pour  ledit  cas  et  autres,  par  mondit  sei- 
gneur le  prevost  de  Paris,  eu  sur  ce  opinion  et  delibe- 
racion  à  sages,  fut  condampné  à  estre  pendu  et  estran- 
glé  au  gibet  de  Paris,  dont  il  appella.  Et  depuis  fut 
ledit  appel  widé  par  la  court  de  Parlement  et  renvoyé 
audit  monseigneur  le  prevost  pour  exécuter  sa  sen- 
tence, laquelle  fut  mise  à  execucion  le  jeudi  xvi®  jour 
dudit  moys  de  mars  l'an  LXXIIIII  (sic)  ;  pour  veoir 
laquelle  furent  jusques  audit  gibet  sire  Denis  Hesselin, 
maistre  Jehan  de  RueiP,  comme  commis  par  maistre 


{.  Rue  Saint-Antoine. 

2.  Saint-Étienne-des-Grés,  près  la  porte  Saint- Jacques. 

3.  Jean  de  Rueil,  seigneur  de  Vaul.^,  était  cousoiller  et  audi- 
teur aux  causes  du  Ghàtelet.  Il  avait  épousé  Jeanne  Piedefer  et 
mourut  vers  1491  (Bibl.  nat.,  Pièces  orig.,  doss.  de  Rueil). 


1 


1475]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  327 

Pierre  de  Ladehors*  à  l'exercice  de  l'office  de  lieute- 
nant criminel,  pour  occasion  de  la  maladie  dudit  de 
Ladehors. 

Oudit  temps  fut  la  ville  de  Parpeignen  mise  et 
reduicte  en  l'obéissance  du  roy,  et  s'en  alerent  ceulx 
de  dedens  qui  s'en  voulurent  aler,  eulx  et  leurs  biens 
saufz,  fors  que  l'artillerie,  qui  dedens  estoit,  demoura 
au  roy,  laquelle  estoit  moult  belle  et  de  grant  value^. 

Le  vii'3  joup  du  moys  d'avril,  l'an  mil  GGGG  LXXVS 

1.  Pierre  de  la  Dehors,  lieutenant  criminel  de  la  prévôté  de 
Paris,  avait  épousé  Jeanne  Haussecul  (Arch.  nat.,  LL437,  fol.  1. 
Cf.  Y  3,  fol.  53). 

2.  Les  commandants  de  l'armée  royale,  du  Lude,  du  Fou  et 
Boffile  de  Juge,  avaient  accordé  ces  conditions  relativement  douces 
aux  défenseurs  de  Perpignan,  et  Louis  XI  ne  les  connaissait  pas 
encore  lorsqu'il  remit  à  Ymbert  de  Batarnay,  seigneur  du  Bou- 
chage, qui  allait  devenir  pour  un  temps  son  lieutenant  général 
en  Roussillon,  des  instructions  fort  sévères  qui  n'allaient  à  rien 
moins  qu'à  dépeupler  Perpignan.  Du  Bouchage  n'exécuta  de  ces 
instructions  que  ce  qui  lui  parut  utile,  et,  d'accord  avec  Boffile 
de  Juge,  il  n'expulsa  de  Perpignan  que  «  les  nobles  et  les  gros 
qui  firent  la  trahison  »  {Ymbert  de  Batarnay,  p.  59-65). 

3.  Lisez  XVII^. 

4.  Le  traité  conclu  à  Andernach,  le  31  décembre  1474  (il  porte 
la  date  de  1475  parce  qu'en  Allemagne  l'année  commençait  à 
Noël),  entre  l'empereur  et  les  électeurs,  d'une  part,  et  les  envoyés 
de  Louis  XI,  de  l'autre,  stipulait  que  l'Empire  mettrait  sur  pied 
contre  le  duc  de  Bourgogne  une  armée  de  30,000  hommes  au 
moins,  et  que  le  roi  de  France  enverrait  dans  le  Luxembourg  ou 
sur  tout  autre  point  des  domaines  bourguignons  une  armée  d'égale 
force  dès  le  dimanche  après  la  Circoncision  (8  janvier  1475).  La  levée 
éventuelle  du  siège  de  Neuss  ne  devait  pas  empêcher  ce  traité  d'avoir 
son  effet,  et  chacune  des  parties  s'engageait  à  ne  pas  conclure  la 
paix  avec  le  duc  de  Bourgogne  sans  l'assentiment  de  l'autre  (voy. 
le  texte  dans  Lenglet,  III,  459-462).  Un  traité  d'alliance  intime  et 
générale,  confirmant  et  étendant  toutes  les  alliances  anciennes, 
fut  conclu  le  même  jour  entre  l'empereur  et  le  roi  de  France 
(Ibid.,  462  et  suiv.),  et  ce  dernier  le  confirma  le  17  avril  1475,  à 


328  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1475 

fut  publiée  à  Paris  l'aliance  d'entre  l'empereur  et  le 
roy,  et  de  l'ordonnance  du  roy  fut  envoyée  publier 
devant  le  logis  de  monseigneur  du  Mayne,  duc  de 
Galabre*,  et  l'ambaxade  de  Bretaigne  qui  estoit  en 
ladicte  ville,  et  après  par  les  carrefours  d'icelle  ville. 

Oudit  moys  d'avril  vint  pardevers  le  roy  deux 
ambassades,  l'une  de  Fleurence  et  l'autre  de  l'empe- 
reur d'Alemaigne,  qui  furent  moult  honnorablement 
receuz  et  lestiez,  tant  du  roy  que  des  autres  seigneurs 
d'autour  de  luy^. 

Oudit  moys  de  may,  le  roy  se  party  de  Paris  pour 
aler  à  Vernon  sur  Seine  ^,   auquel  lieu  l'attendoient 

Paris  (Ibid.,  465-469).  Le  25  mars  de  la  même  année,  à  Cologne,  l'em- 
pereur et  les  électeurs  prorogèrent  jusqu'au  24  décembre  suivant 
le  délai  primitivement  fixé  au  roi  de  France  pour  envahir  le 
Luxembourg,  et  consentirent  à  ce  que  le  nombre  prévu  de 
30,000  hommes  fût  réduit  à  20,000  (Ibid.,  464  et  suiv.). 

1.  Charles  II  d'Anjou,  comte  du  Maine  et  duc  de  Calabre, 
neveu  du  roi  René,  était  alors  à  Paris  pour  traiter  avec  Louis  XI 
la  question,  si  menaçante  pour  la  maison  d'Anjou,  des  réclama- 
tions que  le  roi  élevait  sur  une  partie  des  biens  des  feus  roi  et 
reine  de  Sicile,  Louis  et  Yolande,  ses  grands-parents  maternels 
(Lenglet,  m,  385-392). 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  CVII.  —  Cette  ambassade  do 
Florence,  envoyée  par  Laurent  de  Médicis,  fit  valoir  avec  succès 
des  réclamations  tendant  à  faire  restituer  à  des  marchands  de 
cette  nation  la  valeur  d'environ  30,000  écus  de  marchandises 
que  Coulon  avait  saisies  sur  des  galères  napolitaines  se  rendant 
d'Angleterre  dans  la  Méditerranée  (Buser,  Die  Bcziehungcn  dcr 
Mediceer  zu  Prankreich.  Leipzig,  1879,  in-8°,  p.  451  et  suiv.).  — 
Quant  aux  Allemands,  ils  venaient  chercher  la  ratification  du 
traité  d'Andernach.  Le  sceau  royal  fut  apposé  sur  la  lettre  du 
traité  le  17  avril  1475  (Ghmel,  Monumenta  Ilabsburgica ,  I,  271 
et  suiv.). 

3.  L'Itinéraire  veut  que  Louis  XI  se  soit  rendu  de  Paris  à  Ver- 
non  vers  le  G  airil  1475.  La  suite  de  la  phrase  rectifie  le  lapsus 
du  chroniqueur. 


1475]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  329 

monseigneur  l'admirai  et  les  autres  cappitaines  pour 
conclurre  de  la  guerre,  et  ce  qui  estoit  à  faire  pour  la 
tresve  qui  failloit  le  derrenier  jour  dudit  moys  d'avril, 
et  puis  s'en  retourna  à  Paris,  où  il  arriva  le  vendredi 
xiiii^  jour  dudit  moys.  Et,  le  lundi  ^  xxv®  jour  dudit 
moys  d'avril,  s'en  parti  le  roy  pour  aler  à  Pons  Sainte- 
Maixence  pour  illec  préparer  de  son  armée,  et  en 
amena  pour  le  conduire  et  estre  autour  de  lui,  avec- 
ques  les  gentilzhommes,  sa  garde  et  officiers  de  son 
hostel,  VII''  lances  fournies.  Et  y  fut  menée  et  conduicte 
grant  quantité  d'artillerie  grosse  et  menue,  entre  les- 
quelles y  avoit  cinq  bombardes,  dont  les  quatre  avoient 
nom,  c'est  assavoir,  l'une  Londres,  l'autre  Breban, 
la  tierce  Bourg  en  Bresse  et  la  quarte  Saint-Omer.  Et 
oultre,  et  par  dessus  la  compaignie  desdiz  de  la  garde 
escossoize  et  françoize  et  autres  gentilzhommes  et  offi- 
ciers de  l'ostel,  y  fut  et  y  ala  grande  compaignie  des 
nobles  et  frans  archers  de  France  et  Normandie,  et, 
pour  ravitaillement  de  l'ost,  y  furent  envoiez  vivres 
de  toutes  pars. 

Et ,  le  lundi  premier  jour  de  may,  le  roy  se  party 
de  l'abbaye  de  la  Victoire^,  où  il  estoit,  pour  aler 
audit  Pons  Saincte-Maixence  pour  faire  ses  approuches 
et  ordonner  de  la  guerre,  en  ce  qui  estoit  à  faire  sur 
les  Bourguignons,  et  fut  envoyé  devant  le  Tronquoy  et 
Mondidier^.  —  Et,  le  mardy  ii®  may,  vint  et  arriva  à 
Paris  monseigneur  de  Lion  de  devers  le  roy,  lequel 
fut  estably  lieutenant  du  roy  au  conseil  de  Paris. 

1.  Le  25  avril  1475  tomba  un  mardi. 

2.  Près  Seniis. 

3.  l*""  mai  1475.  Louis  XI  «  eût  mieuix  aymé  ung  alongement 
de  trefve.  »  Il  l'avait  demandé  vainement  au  duc  de  Bourgogne, 
par  crainte  des  Anglais. 


330  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1475 

Et,  le  mercredi  m®  jour  dudit  moys,  feste  de  Saincte- 
Groix,  fut  faicte  une  moult  belle  procession  générale, 
audit  lieu  de  Paris,  de  toutes  les  églises.  En  laquelle 
faisant  furent  tous  les  petis  enfans  de  Paris,  chascun 
tenant  ung  cierge,  et  fut  aie  quérir  le  saint  Innocent^ 
et  porté  à  Nostre-Dame.  Et  en  ladicte  procession 
estoient  mondit  seigneur  de  Lyon  et  monseigneur  le 
chancellier  de  costé  lui.  Et  après  aloient  monseigneur 
de  Gaucourt,  lieutenant  du  roy  à  Paris,  les  prevost 
des  marchans  et  eschevins  de  ladicte  ville,  les  prési- 
dent et  conseillers  de  Parlement,  Ghambre  des  Gomptes 
et  autres  officiers  d'icelle  ville.  Et  après,  le  populaire 
aloient  en  grant  et  merveilleux  nombre,  qu'on  esti- 
moit  à  cent  mil  personnes  et  mieulx.  Et  fut  porté  ledit 
saint  Innocent  en  ladicte  procession  par  monseigneur 
le  premier  président  et  par  Nanterre-,  de  la  cour  de 
Parlement,  et  le  président  des  Gomptes  de  la  Driesche 
et  le  prevost  des  marchans.  Et,  pour  conduire  et 
mettre  ordre  en  ladicte  procession,  y  estoient  les 
archers  de  la  ville  et  autres  gens  ordonnez  pour  gar- 
der de  faire  bruit  et  noise  en  icelle  procession^. 

Et,  le  mardi  second  jour  de  may,  oudit  an,  le  roy, 
qui  avoit  envoyé  sommer  les  Bourguignons  tenant 
ledit  Tronquoy,  fut  par  lesdiz  Bourguignons  tuez  ceulx 

i.  Le  chef  de  saint  Richard,  enfant  crucifié  par  les  Juifs  en  1179, 
était  conservé  dans  l'église  des  Innocents.  (Lebeuf,  Hist.  de  la  ville 
et  du  diocèse  de  Paris  (Paris,  1883),  I,  48.  —  Cf.  Acta  Sanctorum, 
mars  m,  593.) 

2.  Jean  Le  Boulanger  et  Mathieu  de  Nanterre. 

3.  Louis  XI  avait  pour  coutume  de  consacrer  par  une  commé- 
moration hebdomadaire  le  jour  de  la  semaine  où  la  fête  des  Inno- 
cents avait  été  célébrée  l'année  précédente.  En  1475,  le  3  mai 
était  un  mercredi,  comme  l'avait  été  la  fèto,  le  28  décembre  1474 
(voy.  Commynes,  éd.  Dupont,  I,  365,  note  2). 


1475]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  331 

qui  estoient  alez  faire  ladicte  sommacion.  Et,  pour 
ceste  cause,  fist  tirer  son  artillerie  contre  ledit  lieu  du 
Tronquoy,  tellement  que  ledit  jour,  à  cinq  heures 
après  midi,  y  fut  livré  l'assault  fort  et  aspre,  tellement 
que  ladicte  place  fut  emportée  d'assault  et  furent  tuez 
et  pendus  tous  ceulx  qui  furent  trouvez  dedens,  sauf 
et  réservé  ung  nommé  ^  Motin  de  Ganlers  que  le  roy 
fist  saulver,  et  si  le  fist  esleu  de  Paris  extraordinaire. 
Mais,  avant  qu'ilz  feussent  prins,  firent  grande  resis- 
tence  lesdiz  Bourguignons  contre  les  gens  du  roy,  et 
tuèrent  oudit  assault  le  cappitaine  de  Pontoise,  qu'on 
disoit  estre  vaillant  homme,  et  autres  gens  de  guerre 
et  frans  archers,  et  puis  fut  ledit  lieu  abatu  et  demoly. 

Et,  ledit  jour  de  Saincte-Groix,  s'en  ala  l'armée  du 
roy  mettre  le  siège  devant  Montdidier,  pour  ce  qu'ilz" 
furent  refusans  de  eulx  rendre  au  roy.  Et,  le  vendredi 
v^jourduditmoys  d'avril,  oudit  an,  fut  mise  et  reduicte 
en  la  main  du  roy  ladicte  ville  de  Montdidier,  et  s'en 
alerent  ceulx  de  dedens  leurs  vies  saulves  et  laissèrent 
tous  leurs  biens,  et  puis  fut  ladicte  ville  abatue^. 

Le  samedi  ensuivant,  Vf  jour  de  may,  fut  pareille- 
ment rendue  la  ville  de  Roye^  et  s'en  alerent  les  Bour- 
guignons de  dedens  vies  et  bagues  saulves*.  Et  puis 
fut  aussi  rendu  le  chasteau  de  Moreul,  pareillement 

1.  Interpolations  et  variantes,  §  CVIII. 

2.  Gommynes  se  borne  à  dire  que  le  Tronquoy  (auj.  Tronchoy, 
Somme,  cant.  d'Hornoy)  était  «  ung  meschant  petit  chasteau  »  et 
qui  fut  «  en  peu  d'iieures  prins  d'assault.  o  Lui-même  fut  envoyé 
par  le  roi  «  parler  à  ceulx  qui  estoient  dans  Montdidier,  lesquelz 
s'en  allèrent  leurs  bagues  sauves.  »  Louis  XI  fit  abattre  les  murs 
de  la  ville  et  en  laissa  incendier  les  maisons,  malgré  les  promesses 
qu'il  avait  faites  aux  habitants  (éd.  Dupont,  I,  325  et  suiv.). 

3.  Interpolations  et  variantes,  §  CIX. 

4.  C'est  Commynes  et  l'amiral,  bâtard  de  Bourbon,  qui  lurent 
chargés  de  négocier  la  reddition  de  Roye  (auj.  Somme,  arr.  do 


332  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1475 

que  ceulx  de  Roye^  Et,  en  faisant  telles  execucions 
que  dit  est  sur  le  Bourguignon  et  son  pays  par  l'ar- 
mée du  roy,  qui  estoit  si  noble,  telle  et  si  belle  com- 
paignie  et  artillerie  que,  où  elle  eust  esté  menée,  y 
avoit  gens  assez  pour  en  brief  temps  prendre  et 
mettre  en  la  main  du  roy  toutes  les  villes  et  places 
dudit  de  Bourgongne,  tant  Flandres,  Picardie  que 
autres  lieux,  car  tout  fuioit.  devant  iceulx.  Et,  pour 
rompre  icelle  armée,  fut  le  roy  adverti  par  aucuns,  et 
mesmement  de  par  monseigneur  le  connestable,  que 
besoing  lui  estoit  de  garder  sa  duchié  de  Normendie 
pour  les  Anglois,  que  on  lui  disoit  qui  y  dévoient  des- 
cendre, et  si  lui  fut  dit  par  mondit  seigneur  le  connes- 
table, au  moins  fut  mandé  ou  escript  qu'il  fist  hardie- 
ment  ledit  voyage  en  Normendie  et  qu'il  ne  se  soussyast 
point  d'Abbeville  et  Peronne,  et  que,  cependant  qu'il 
yroit,  les  feroit  réduire  en  sa  main-.  Et  le  roy,  croiant 
ces  choses,  s'en  ala  oudit  pays  de  Normandie,  et  là 
mena  avecques  lui  monseigneur  l'admiraP  et  v*^  lances 

Montdidier).  Cette  ville  fut  également  brûlée  (Gomraynes,  éd. 
Dupont,  I,  326). 

1.  Interpolations  et  variantes,  §  GX.  —  Moreuil  est  auj.  dans 
le  dép.  de  la  Somme,  arr.  de  Montdidier. 

2.  €  Led.  connestable  envoyoit  souvent  en  l'ost  du  duc  de 
Bourgongne  [devant  Neuss].  Je  croy  bien  que  la  fin  estoit  de  le 
retirer  de  ceste  foUye.  Et,  quant  ses  gens  estoient  revenuz,  il  man- 
doit  quelque  chose  au  roy  de  quoy  il  pensoit  moult  plaire,  et 
aussi  l'occasion  pour  quoy  il  avoit  envoyé,  et  pensoit  entre- 
tenir le  roy  par  ce  moyen,  car  il  avoit  tant  de  paour  qu'on 
iuy  allast  courre  sus...  »  (Gommynes,  éd.  Dupont,  I,  332).  «  Il 
me  semble  »,  faisait  dire  le  duc  de  Bourgogne  au  roi  d'Angle- 
terre, «  que  devez  faire  vostre  descente  en  Normendie,  soit  en  la 
rivière  de  Seyne  ou  à  la  Hogue...  et  si  serez  à  la  droicte  main  de 
mon  frère  de  Bretaignc  et  de  moy  »  (Ibid.,  I,  336,  note.  Gf.  Basiu, 
II,  351). 

3.  Interpolations  et  variantes,  §  GXI. 


1475]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  333 

avecques  les  nobles  et  francs  archers  de  Normandie. 
Et,  à  ceste  cause,  se  départi  l'armée  et  s'en  ala  chas- 
cun  en  son  logeis.  Et  puis,  quant  le  roy  fut  en  Nor- 
mandie, trouva  qu'il  n'estoit  nulles  nouvelles  desdiz 
Anglois,  et  ala  à  Harfleu,  Dieppe,  Caudebec  et  autres 
places.  Et  cependant  ne  se  fist  riens  à  l'aventage  du 
roy,  mais  au  contraire,  au  moien  de  ladicte  alée  en 
Normandie,  firent  lesdiz  Bourguignons  de  grans  pertes 
aux  subgetz  es  pays  du  roy.  Et  puis  s'en  vint  le  roy 
à  Nostre  Dame  d'Escouys,  en  ung  hostel  près  d'ilec, 
nommé  Gaillart^,  lors  appartenant  à  Coulon,  lieute- 
nant de  monseigneur  l'admirai,  où  il  se  tint  par  aucun 
temps,  durant  lequel  ot  nouvelles  de  mondit  seigneur 
le  connestable  de  la  venue  et  descendue  que  faisoient 
lesdiz  Anglois  à  Calais,  et  aussi  que  mondit  seigneur 
de  Bourgongne  s'estoit  levé  de  devant  Nux-,  dont  il 
disoit  qu'il  avoit  la  possession  et  faict  son  appoincte- 
ment  avecques  l'empereur,  lequel  empereur,  avec- 
ques ledit  de  Bourgongne,  s'en  venoient  faire  guerre 
au  roy.  Desquelles  choses  n'estoit  riens  et  fu  trouvé 
tout  le  contraire  estre  vray. 

1.  C'est  à  la  fin  du  mois  de  mai  1475  que  Louis  XI  prit  le  che- 
min du  pays  de  Caux.  Il  visita  successivement  l'embouchure  et 
la  vallée  de  la  Seine  et  séjourna  à  Ételan  (auj.  Saint-Maurice- 
d'Ételan,  Seine-Inférieure,  cant.  de  Lillebonne),  chez  Guillaume 
Le  Picard  (6  juin);  à  Rouen,  du  10  au  16  juin;  à  Écouis,  à  Gail- 
larbois  (auj.  Gaillarbois-Gressenville,  Eure,  cant.  de  Fleury-sur- 
Andelle),  du  20  au  25  du  même  mois.  M.  de  Beaurepaire  a  observé 
que  le  château  de  Gaillarbois  appartenait  à  cette  époque  à  Jean 
Le  Sec,  lieutenant  général  de  Guillaume  de  Casenove,  dit  Coulon, 
et  que  ce  dernier  n'en  devint  propriétaire  que  plus  tard,  en  suite 
de  son  mariage  avec  Guillemette  Le  Sec  {Notes  sur  six  voyarjcs  de 
Louis  XI  à  Rouen,  citées,  p.  314). 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  GXII. 


334  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1475 

Durans  ces  choses  fut  prins  uiig  herault  d'Angle- 
terre, nommé  Scales,  qui  avoit  plusieurs  lettres  qu'on 
escripvoit  de  par  le  roy  Edouart  à  diverses  personnes, 
lesquelles  lettres  le  roy  vid,  et  dist  et  certiffia  au  roy 
que  les  Anglois  estoient  descendus  à  Calais  et  que 
ledit  roy  Edouart  y  devoit  estre  le  xxn®  jour  de  ce 
présent  moys  de  juing,  à  tout  xii  ou  xiii™  comba- 
tans*.  Et  si  luy  certiffia  oultrexjue  ledit  de  Bourgongne 
avoit  fait  sondit  accord  avec  ledit  empereur  et  estoit 
retourné  à  Brucelles,  dont  de  tout  il  n'estoit  rien. 

Audit  lieu  d'Escouys  fut  aussi  le  roy  adverty  que 
mondit  seigneur  le  connestable  avoit  envoyé  à  mon- 
seigneur le  duc  de  Bourbon  son  scellé  pour  suborner 
et  tant  faire  que  mondit  seigneur  de  Bourbon  voulsist 
devenir  et  estre  contre  le  roy,  et  de  soy  alier  avec- 
ques  ledit  duc  de  Bourgongne.  De  toutes  lesquelles 
choses  le  roy  fut  moult  esmerveillié^.  Et  incontinent, 
par  plusieurs  et  divers  messages,  fut  mandé  par  le 
roy  mondit  seigneur  de  Bourbon  venir  à  lui,  et  enfin 
l'envoya  quérir  par  monseigneur  l'evesque  de  Mande ^, 

1.  «  A  Calais  a  iiii  ou  v™  Anglois,  mais  ilz  ne  bougent  et  n'en 
est  pas  venu  ung  pour  se  montrer  devant  noz  gens  »  (Louis  XI  à 
Damraartin,  de  Groisy-sur-Andelle,  30  juin.  Commynes,  éd. 
Dupont,  Preuves,  III,  301  et  suiv.  Cf.  t.  I,  326  et  suiv.). 

2.  Sur  ces  intrigues  qui  tendaient  à  une  prise  d'armes  générale 
des  ennemis  de  Louis  XI,  voy.  Jacques  d'Armagnac,  etc.,  cité, 
p.  67-70. 

3.  Le  connétable  sentait  bien  qu'un  seul  homme,  le  duc  de 
Bourbon,  eût  mis  fin,  en  se  déclarant  contre  le  roi,  aux  hésita- 
tions des  anciens  confédérés  du  Bien  Public.  Il  fit  tout  pour  déci- 
der Jean  II  et  alla  jusqu'à  lui  proposer  de  le  faire  régent  du 
royaume.  Mais,  sans  parler  de  la  répugnance  que  Bourbon  pou- 
vait éprouver  à  marcher  avec  les  Anglais  et  des  doutes  qu'il  con- 
cevait sur  l'issue  d'une  nouvelle  prise  d'armes,  Louis  XI  lui  avait 
créé  dans  le  royaume  une  situation  telle  qu'il  pouvait  à  peine  en 


1475J  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  335 

par  lequel  ledit  seigneur  de  Bourbon  avoit  envoyé  au 
roy  le  seellé  dudit  monseigneur  le  connestable  des 
choses  devantdictes. 

Oudit  temps,  le  roy  ot  nouvelles  de  mondit  seigneur 
de  Bourbon  comment  les  gentilzhommes  de  ses  pays, 
frans  archers  et  autres  que  mondit  seigneur  avoit 
envolez  faire  guerre  pour  le  roy  ou  duchié  de  Bour- 
gongne,  par*  laquelle  guerre  le  roy  avoit  commis 
mondit  seigneur  à  son  lieutenant  gênerai,  qu'ilz  avoient 
trouvé  lesdiz  Bourguignons  à  Guy,  près  de  Ghasteau 
Chinon,  et  ilec  chargèrent  sur  iceulx,  lesquelz  ilz  des- 
confîrent,  et  y  en  ot  de  prins,  de  mors,  et  qui  s'en- 
fouirent grant  quantité^.  Entre  lesquelz  Bourguignons 
y  fut  deffait  ii"^  lances  de  Lombardie,  dont  la  pluspart 
y  moururent.  Et  si  y  mourut  le  seigneur  de  Gouches 
et  autres  seigneurs,  et  y  furent  prins  le  conte  de 

ambitionner  une  plus  grande.  Toutefois,  il  saisit  le  prétexte  d'une 
attaque  de  goutte  pour  demeurer  à  Moulins  jusqu'au  mois  d'août. 
—  L'évêque  de  Mende  se  nommait  Jean  Petitdé  (1474-1478). 

1.  Lisez  pour.  —  Satisfait  de  la  loyauté  du  duc  de  Bourbon, 
Louis  XI  le  nomma  son  lieutenant  général  en  Lyonnais,  Yiva- 
rais,  Gévaudan,  Haute-Marche,  Auvergne,  Bourbonnais,  Forez  et 
Beaujolais,  et  plaça  ainsi  sous  sa  direction  le  ban  et  l'arrière-ban 
de  ces  provinces.  Le  duc  s'occupa  aussitôt  d'organiser  la  défense 
de  ses  domaines  du  côté  de  la  Bourgogne,  posta  des  troupes  sur  la 
Loire  vers  Roanne  pour  couvrir  le  Forez  et  fit  prendre  l'offeDsive 
à  un  autre  corps  commandé  par  le  sire  de  Gombronde  (La  Mure, 
ouvrage  cité,  p.  300  et  suiv.,  note). 

2.  Tandis  qu'un  corps  d'armée  français,  uni  aux  forces  du  duc 
de  Lorraine,  envahissait  le  duché  de  Luxembourg,  en  exécution 
des  traités  passés  avec  l'empereur,  le  sire  de  Gombronde,  lieutenant 
du  duc  de  Bourbon,  saisissait  Bar-sur-Seine,  Ghâtillon  et  Gham- 
plitte.  Le  comte  de  Roussy,  Antoine  de  Luxembourg,  fils  du  con- 
nétable de  Saint-Pol,  maréchal  et  gouverneur  de  Bourgogne  pour 
le  duc  Gharles,  tenta  vainement  de  s'opposer  aux  Français  et  se 
fit  prendre  à  Guipy  (auj.  Nièvre,  arr.  de  Gosne). 


336  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1475 

Roussy,  mareschal  de  Bourgongne,  le  sire  de  Longy, 
le  bailly  d'Auxois,  le  sire  de  Lisle,  l'enseigne  du  sei- 
gneur de  Beauchamp,  le  filz  du  conte  de  Saint-Martin, 
messire  Loys  de  Montmartin,  messire  Jehan  de  Di- 
goigne,  le  seigneur  de  Rugny,  le  seigneur  de  Challi- 
gny,  les  deux  filz  monseigneur  de  Viteaux*,  dont  l'un 
est  conte  de  Joigny,  et  autres;  et  fut  ladicte  destrousse 
ainsi  faicte  le  mardi  xx®  jour  de  juing  mil  IIIPLXXV. 
Oudit  moys  de  juing,  nonobstant  les  lettres  ainsi 
envoiées  par  mondit  seigneur  le  connestable  au  roy, 
le  roy  ot  nouvelles  de  l'empereur  qu'il  avoit  fait  refres- 
chir  ceulx  de  la  ville  de  Nux,  et  d'icelle  avoit  mis 
hors  tous  les  navrez  et  malades  et  les  avoit  avitaillez 
pour  ung  an  entier  et  mis  gens  tous  nouveaulx^,  et 
partant  mis  ledit  de  Bourgongne  à  sa  croix  de  par 
Dieu^  et  que  avecques  ce  avoit  gaignée  grande  quan- 
tité de  son  artillerie,  sa  vaisselle  d'argent  et  autres 
bagues. 

1.  Claude  de  Montagu,  chevalier,  seigneur  de  Couches,  d'É- 
poisses,  etc.,  chevalier  de  la  Toison,  épousa  Louise  de  la  Tour; 
Girard  de  Longvy,  seigneur  de  Pagny,  Givry,  etc.,  épousa  Jeanne 
de  Neufchàtel;  Jean  Damas,  seigneur  de  Digoine,  etc.,  chevalier 
de  la  Toison,  bailli  de  Maçonnais,  épousa  Claudine  de  Saint- 
Amour;  Guillaume  d'Appelvoisin,  seigneur  de  Chaligny,  etc., 
épousa  Iseut  de  Linières.  Charles  de  Ghalon,  chevalier,  hérita 
vers  1467  du  comté  de  Joigny,  qui  appartenait  à  son  oncle  Guy 
de  la  Trémoille.  Son  père,  Jean  de  Chalon,  frère  de  Louis  II, 
prince  d'Orange,  était  seigneur  de  Vitteaux.  Il  épousa  successive- 
ment Jeanne  de  la  Trémoille  et  Marie  d'Enghien. 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  CXIIL 

3.  C'est-à-dire  que  l'empereur  ramena  le  duc  de  Bourgogne  au 
point  où  il  en  était  lorsqu'il  commença  le  siège.  On  appelait  Croix 
de  par  Dieu  l'alphabet  où  l'on  apprenait  à  lire  aux  enfants,  parce 
que  le  titre  en  était  décoré  d'une  croix  ainsi  désignée  (Littré, 
v'o  Croix). 


1475]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  337 

Oudit  moys  de  juing,  le  mardi  xxvii%  monseigneur 
Tadmiral  et  ceulx  de  sa  compaignie,  qui  avoient  esté 
ordonnez  de  par  le  roy  à  faire  le  gast  en  Picardie  et 
Flandres  et  de  mettre  à  feu  et  à  sang  tout  ce  qu'ilz 
trouveroient  esdiz  pays,  vint  ledit  jour  mettre  ses 
embusches  près  de  la  ville  d'Arras^  ;  et,  icelles  mises, 
envoya  environ  xl  lances  courir  devant  ladicte  ville 
d'Arras.  Lesquelz  d'Arras,  cuidans  desconfire  lesdictes 
lances,  firent  sur  eulx  grans  saillies,  qui  vindrent 
asprement  courir  sus  ausdictes  lances,  lesquelles  se 
vindrent  rendre  esdictes  embusches  et  après  eulx  les- 
diz  d'Arras,  tous  lesquelz  furent  enclos  par  lesdictes 
embusches,  qui  sur  eulx  chargèrent  et  les  mirent  en 
fuite  ;  et,  en  fuiant,  y  en  ot  de  tuez  de  xini  à  xv*^  hom- 
mes. Et  y  fut  tué  le  cheval  du  sire  de  Romont,  filz  de 
Savoye  et  frère  de  la  roy  ne,  mais  il  se  saulva.  Le 
gouverneur  d'Arras,  nommé  Jaques  de  Saint-PoP,  et 
plusieurs  autres  seigneurs  et  gens  de  nom  y  furent 
prins^,  que  mondit  seigneur  l'admirai  mena  devant 

1.  Le  30  juin  1475,  dans  une  lettre  que  M"e  Dupont  a  imprimée 
aux  Preuves  de  son  édition  de  Gommynes  (III,  302),  Louis  XI 
écrit  à  Dammartin  que,  les  Anglais  ne  faisant  pas  mine  de  débar- 
quer en  Normandie,  il  a  fait  ravager  la  Picardie  par  ses  gens  afin 
d'en  éloigner  les  Anglais,  et  que  tout  est  brûlé  depuis  la  Somme 
jusqu'à  Hesdin  et  Arras. 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  GXIV. 

3.  Voy.  la  lettre  ci-dessus  mentionnée  et  le  récit  que  fait  Gom- 
mynes de  cette  rencontre  (même  édition,  I,  326  et  suiv.).  Une 
dame,  que  le  chroniqueur  n'a  pas  voulu  nommer,  ayant  écrit  à 
Louis  XI  pour  l'engager  à  envoyer  du  monde  devant  Arras,  le  roi 
y  expédia  l'amiral.  Les  habitants  d'Arras  contraignirent  les  gens 
de  guerre  qui  gardaient  leur  ville  à  faire  une  sortie  qui  eut  le 
résultat  pitoyable  raconté  ci-dessus.  Jacques  de  Saint-Pol,  seigneur 
de  Richebourg,  blessé  à  la  tête,  fut  pris  avec  les  seigneurs  de  Gon- 
tay  et  de  Garency-Bourbon;  mais  il  sut  plaire  à  Louis  XI,  qui,  peu 


338  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [U75 

icelle  ville  pour  les  sommer  de  eulx  rendre  es  mains 
du  roy  leur  souverain  seigneur,  ou  autrement  il  feroit 
copper  les  colz  ausdiz  seigneurs  prisonniers. 

Oudit  moys  de  juing,  le  roy,  qui  avoit  à  son  pri- 
sonnier le  prince  d'Orenge,  seigneur  d'Arlay,  et  qui 
estoit  à  xxx"^  escus  de  finance,  le  délivra  et  donna 
sadicte  finance;  et,  en  ce  faisant,  devint  homme  lige 
du  roy  et  lui  fist  hommage  de  ladicte  principauté 
d'Orenge.  Et  partant,  le  roy  le  renvoya  à  ses  des- 
pens  à  ses  pays,  et  lui  donna  et  octroya  telle  préémi- 
nence qu'il  se  puist  nommer  par  la  grâce  de  Dieu, 
puissance  de  faire  monnoye  d'or  et  d'argent  de  bon 
aloy,  aussi  bon  que  la  monnoye  du  Daulphiné,  donner 
aussi  toutes  grâces,  remissions  et  pardons,  réservé  de 
hérésie  et  de  crime  de  lèse  majesté  ^  Et  si  donna  le  roy 
dix  mil  escuz  contens  au  seigneur  qui  avoit  prins 
ledit  prince  2. 

de  temps  après,  le  délivra,  lui  donna  des  gens  d'armes  et  une 
pension  et  l'employa  jusqu'à  sa  mort  (Ibid.,  I,  333  et  suiv.). 
Jacques  de  Savoie,  comte  de  Romont,  baron  de  Vaud,  chevalier 
de  la  Toison  d'or,  mort  en  i486,  était  fils  du  duc  Louis  de  Savoie 
et  d'Anne  de  Chypre.  Il  avait  épousé  Marie  de  Luxembourg.  On 
le  chercha  parmi  les  morts  après  l'escarmouche  livrée  devant 
Arras,  mais  il  avait  réussi  à  s'enfuir, 

{.  9-10  juin  1475  (Bibl.  nat.,  ms.  fr.  3882,  fol.  79-98,  cop.). 

2.  Guillaume,  fils  de  Louis,  prince  d'Orange,  et  de  Jeanne  de 
Montbéliard,  qui  avait  succédé  à  son  père  à  la  fin  de  1463  et  qui 
mourut  le  27  octobre  1475,  avait  été  en  1473,  «  allant  au  parti  de 
Bourgongne  sans  congé,  »  fait  prisonnier  par  Philibert  de  Groslée 
(Bibl.  nat.,  ms.  cité,  fol.  75,  cop.).  —  C'est  à  Rouen,  où  le  roi  le  fit 
venir  dans  les  derniers  jours  du  mois  de  mai  1475,  que  le  prince 
d'Orange  se  laissa  décider  à  servir  Louis  XI,  et,  comme  il  était 
nécessiteux,  ce  dernier  lui  fit  remettre  200  1.  t.  pour  l'aider  à  payer 
la  dépense  qu'il  avait  faite  à  Rouen  et  celle  de  son  voyage  de  retour 
(Bibl.  nal.,  Pièces  orig.,  vol.  650,  doss.  Chalon.  Reçu  sur  parch.). 
Le  28  juin,  le  chancelier  apporta  à  la  Chambre  des  comptes  une 


1475]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  339 

Oudit  moys  de  juing,  le  roy  envoya  ses  lettres 
patentes  à  Paris,  par  lesquelles  il  fist  publier  que  les 
Anglois  estoient  descendus  à  Calais  \  et  que,  pour  y 
résister,  il  mandoit  au  prevost  de  Paris  de  contraindre 
tous  les  nobles  et  non  nobles  tenans  fief  ou  arrière 
fief  pour  estre  prcstz  le  lundi,  m®  jour  de  juillet,  entre 
Paris  et  le  bois  de  Vinciennes,  pour  d'ilec  partir  et 
aler  où  ordonné  leur  seroit,  et  nonobstant  leur  privi- 
lège et  pour  ceste  foiz  seulement.  En  ensuivant  lequel 
cry  furent  envoiez  par  ceulx  de  Paris  plusieurs  gens 
en  armes  montez  et  habillez  pardevers  monseigneur  le 
prevost  de  Paris  ou  pays  de  Soissonnois. 

Ou  moys  de  juillet  ensuivant,  le  roy,  qui  séjourna 
en  Normendie  par  aucun  temps,  s'en  revint  à  Nostre 
Dame  d'Escouys  et  à  Gaillartbois,  près  d'ilec,  où 
aussi  il  séjourna  une  pièce  ;  et  puis  s'en  parti  pour 
aler  à  Nostre-Dame  de  la  Victoire,  où  il  fut  aussi  une 

lettre  signée  du  prince  et  datée  du  6  du  même  mois,  par  laquelle 
il  confessait  devoir  au  roi  40,000  écus  d'or  pour  sa  rançon.  Au 
dos  de  cette  pièce  était  un  certificat,  en  date  du  10  juin,  attestant 
que  le  prince  s'était  acquitté  envers  le  roi  par  la  vente  et  trans- 
port qu'il  lui  avait  faits  de  l'hommage  et  dernier  ressort  en  sou- 
veraineté sur  la  principauté  d'Orange.  D'autres  pièces  complétaient 
la  précédente,  notamment  une  lettre  royale  contenant  plusieurs 
grâces  et  privilèges  en  faveur  du  prince  d'Orange  (Lenglet,  III, 
396  et  suiv.). 

1.  Vers  la  Saint-Jean  (Molinet,  I,  139).  L'armée  entière 
d'Edouard  IV comptait,  suivant  Gommynes,  environ  1,500  hommes 
d'armes  bien  montés  et  15,000  archers  à  cheval,  sans  compter  les 
valets  d'armée.  Cette  troupe  mit  plus  de  trois  semaines  à  passer. 
Le  chroniqueur  ajoute  que,  si  Louis  XI  avait  «  entendu  le  faict 
de  la  mer  aussi  bien  qu'il  entendoit  le  faict  de  la  terre,  jamais  le 
roy  Edouard  ne  fust  passé,  au  moins  pour  ceste  saison  »  (éd. 
Dupont,  I,  338). 

1  24 


340  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1475 

autre  espace  de  temps,  et  puis  s'en  ala  à  Beauvais*. 

Oudit  moys,  ledit  duc  de  Bourgongne,  qui  avoit  esté 
devant  la  ville  de  Nux  par  l'espace  de  xii  moys^,  s'en 
parti  et  s'en  ala  de  nuit  et  honteusement  de  devant 
icelle  ville  sans  l'avoir  peu  conquérir,  qui  lui  vint  à  moult 
grant  blasme  et  perte  de  gens  et  biens,  et  puis  s'en 
revint  en  ses  pays,  où  il  trouva  son  frère  le  roy 
Edouart  d'Angleterre  qu'il  y  avoit  fait  descendre  pour, 
en  continuant  son  mal  et  malice,  faire  derechef  guerre 
au  roy  et  à  ses  pays  et  subgetz^. 

Oudit  [temps]  se  fist  de  grandes  bateries  et  des- 
truccions  de  pays  es  terres  dudit  duc  de  Bourgongne, 
et  ot  plusieurs  villes,  bourgs  et  villages  ars  et  destruiz. 

Et,  oudit  temps,  fut  mandé  par  le  roy  venir  à  lui 
monseigneur  le  duc  de  Bourbon,  qui,  avant  qu'il  y 
vint,  ot  plusieurs  lettres  et  messages,  et  puis  vint  par- 
devers  le  roy,  lui  estant  à  Nostre-Dame  de  la  Victoire^. 
Et  arriva  en  la  ville  de  Paris  mondit  seigneur  de 
Bourbon  ou  moys  d'aoust,  à  moult  belle  et  honneste 
compaignie  de  nobles  hommes  et  bien  fort  triumphant, 
et  avoit  bien  avecques  lui  de  sa  compaignie  v*^  che- 
vaulx.  Et  s'en  parti  mondit  seigneur  le  duc  de  ladicte 
ville  de  Paris,  pour  aler  pardevers  le  roy,  le  lundi 

1.  Le  15  juillet  1475  et  jours  suivants,  Louis  XI  séjourna  à 
Gaillarbois,  et,  le  27,  il  était  rendu  à  Beauvais  (Itin.  cité). 

2.  Du  30  juillet  1474  au  13  juin  1475. 

3.  Charles  le  Hardi  arriva  à  Calais  le  14  juillet,  «  à  bien  petite 
compaignie.  »  Il  avait  envoyé  ce  qui  restait  de  ses  gens,  après 
les  épreuves  du  siège  de  Neuss,  piller  le  Barrois  et  la  Lorraine 
«  pour  les  faire  vivre  et  se  rafreschir,  »  n'osant  pas  les  montrer  aux 
Anglais  (Commynes,  éd.  Dupont,  I,  334,  337,  342). 

4.  15  août  et  jours  suivants  {Itin.  cité).  —  Interpolations  et 
variantes,  §  XCV. 


Î475J  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  341 

xm^^  jour  d'aoust  ;  et  fut  ung  peu  d'espace  de  temps 
avecques  le  roy,  et  puis  s'en  party  de  Senlis  pour 
aler  à  Glermont. 

Oudit  moys  d'aoust,  le  roy  ot  ambaxade  de  par  le 
roy  d'Angleterre  qu'il  s'estoit  venu  loger  à  Lihons  en 
Sancters-,  qui  communiquèrent  avecques  le  roy  d'au- 
cunes matières.  Après  lequel  pourparlé,  le  roy  envoya 
à  Paris  monseigneur  le  chancellier,  messeigneurs  les 
gens  des  finances  et  autres  pour  avoir  prest  d'argent 
de  ceulx  de  ladicte  ville,  ausquelz  fut  fait  promesse  et 
obligacion  de  leur  restituer  leur  prest  dedens  le  jour 
de  Toussaint.  Et  fut  preste  de  ladicte  ville  lxxv™  escuz 
d'or,  qui  furent  baillez  ausdiz  Angloys,  au  moien  de 
certain  traictié  fait  avecques  eulx .  Et  si  fut  envoyé  au 
roy  grant  quantité  de  gens  en  armes,  de  par  ladicte 
ville,  montez  et  habillez,  aux  gaiges  et  despens  des 
officiers  et  autres  habitans  de  ladicte  ville  ^. 

Oudit  moys  d'aoust,  le  mardi  xxix®  dudit  moys,  le 
roy  se  parti  d'Amiens^,  et  aussi  monseigneur  de  Bour- 

1.  Lisez  :  XIV^  jour  d'août. 

2.  Lihons- en -Santerre  est  aujourd'hui  dans  le  dép.  de  la 
Somme,  arr.  de  Péronne. 

3.  Les  Anglais,  trompés  par  le  duc  de  Bourgogne  et  reçus  à 
coups  de  canon  par  le  connétable,  qu'ils  croyaient  devoir  «  son- 
ner les  cloches  à  leur  venue  et  porter  la  croix  et  l'eau  bénite 
au  devant  d'eux  »,  découragés  en  outre  par  le  mauvais  temps  et 
le  manque  de  vivres,  accueillirent  aisément  les  propositions  d'ar- 
rangement de  Louis  XI.  Le  13  août,  les  ambassadeurs  des  deux 
rois  se  rencontrèrent  près  d'Amiens  et  tombèrent  d'accord  sur 
les  termes  d'un  traité  (Commynes,  éd.  Dupont,  I,  345-356). 

4.  Louis  XI  était  à  Amiens  depuis  le  25  août.  Dès  le  19,  le 
duc  de  Bourgogne  étant  accouru  de  Luxembourg  à  Saint-Ghrist- 
sur-Somme  pour  rompre  les  négociations  qu'il  savait  entamées 
entre  les  Anglais  et  le  roi  de  France,  Edouard  IV  lui  répondit 
qu'il  venait  de  conclure  avec  les  Français  une  trêve  de  sept  ans 


342  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1475 

bon,  monseigneur  de  Lion  et  autres  nobles  hommes, 
cappitaines,  gens  d'armes  et  de  traict,  officiers  et 
autres  gens  en  moult  grant  et  merveilleux  nombre, 
que  bien  on  estimoit  estre  c™  chevaulx^  pour  tous 
aler  à  Piquegny^.  Auquel  lieu  le  roy  Edouart  d'An- 
gleterre vint  parler  au  roy,  et  en  amena  avecques  lui 
son  avant  garde  et  arrière  garde,  qui  demoura  en 
bataille  près  dudit  Piquegny.  Et,  dessur  le  pont  d'icel- 
lui  Piquigny,  le  roy  avoit  fait  dresser  deux  appendis 
de  bois,  l'un  devant  l'autre,  dont  l'un  estoit  fait  pour 
le  roy  et  l'autre  pour  le  roy  d'Angleterre.  Et  entre 
lesdiz  deux  appendis  y  avoit  une  cloison  de  bois,  dont 
la  moitié  par  hault  estoit  treillissée,  tellement  que 
chascun  des  deux  roys  povoient  mettre  leur  bras  par 
dedens  ledit  treillis^.  Et  en  l'un  desdiz  appentis  vint 
et  arriva  le  roy  tout  le  premier,  et,  incontinent  qu'il 
y  fut  arrivé,  s'en  party  ung  baron  d'Angleterre,  ilec 
attendant  la  venue  du  roy,  qui  ala  dire  audit  roy  d'An- 
gleterre que  le  roy  estoit   ainsi  arrivé.  Lequel  roy 

et  lui  offrit  de  l'y  faire  comprendre.  —  Pendant  les  trois  jours 
qui  précédèrent  l'entrevue  de  Picquigny,  Louis  XI  fit  faire  grande 
chère  aux  Anglais  aux  portes  d'Amiens  (Ibid.,  Preuves,  III,  306, 
et  I,  361-363). 

1 .  Ce  chiffre  serait  fort  exagéré,  même  si  l'on  comptait  toutes 
les  troupes  françaises  cantonnées  en  Picardie.  Or,  Gommynes, 
présent  à  l'entrevue  de  Picquigny,  dit  que  «  la  quarte  partie  de 
l'armée  du  roi  n'y  estoit  pas  »  (éd.  Dupont,  I,  373). 

2.  «  A  trois  lieues  d'Amyens,  ung  fort  chasteau  qui  est  au  vidasme 
d'Amyens,  combien  qu'il  avoit  esté  bruslé  par  led.  duc  de  Bour- 
gongne.  La  ville  est  basse  et  y  passe  la  rivière  de  Somme, 
laquelle  n'est  point  gueable  et  en  ce  lieu  n'est  point  large  »  (Ibid., 
I,  368). 

3.  Un  fort  treillis  en  bois  «  comme  l'on  faict  aux  caiges  de  cea 
lions  »  (Ibid.,  I,  369). 


1475]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  343 

d'Angleterre,  qui  estoit  en  son  parc,  loing  d'une 
bonne  lieue  dudit  Piquigny,  acompaigné  de  xx""  Anglois 
bien  artillez  dedens  sondit  parc,  s'en  vint  incontinent 
audit  lieu  de  Piquigny  audit  apentis,  qui  lui  estoit 
appareillé,  et  amena  seulenaent  avecques  lui,  pour 
l'atendre  au  joignant  d'icellui  appentis,  vint  des  lances 
de  sadicte  compaignie,  qui  ilec  furent  et  demeurèrent 
dedens  l'eaue  à  costé  dudit  pont  par  tout  le  temps  que 
le  roy  fut  et  demoura  en  icellui  appentiz^.  Durant 
lequel  temps  vint  moult  grande  et  merveilleuse  pluye, 
qui  fist  moult  de  mal  et  perte  aux  seigneurs  et  gen- 
tilzhommes  du  roy,  à  cause  des  belles  housseures  et 
nobles  habillemens  qu'ilz  avoient  préparez  pour  la 
venue  dudit  roy  Edouart  d'Angleterre  2.  Et  lequel  roy 
d'Angleterre,  quant  il  vit  et  apperceut  le  roy,  il  se 
gecta  à  ung  genoil  à  terre,  et  depuis  par  deux  foiz  se 
y  gecta  avant  que  arriver  au  roy,  lequel  le  receut  bien 
benignement  et  le  fîst  lever  ^  ;  et  parlèrent  bien  ung 
quart  de  heure  ensemble,  es  présences  de  mesdiz  sei- 
gneurs de  Bourbon,  Lion,  et  autres  seigneurs  et  gens 
des  finances  que  le  roy  avoit  fait  ilecques  venir  jusques 
au  nombre  de  cent^.  Et  puis,  après  ce  qu'ilz  orent  parlé 

1.  Interpolations  et  variantes,  §  GXVI.  —  Il  avait  été  convenu 
que  chacun  des  deux  rois  n'aurait  avec  lui  que  douze  personnes 
sur  le  pont. 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  GXVII. 

3.  «  II  (le  roi  d'Angleterre)  osta  sa  barrette  et  s'agenouilla 
comme  à  demy  pied  de  terre.  Le  roy  luy  feit  aussi  grant  révé- 
rence, lequel  estoit  ja  appuyé  contre  les  barrières.  Et,  à  s'cn- 
treembrasser  par  entre  les  trouz,  feit  le  roy  d'Angleterre  encores 
une  aultre  révérence  »  (Gommynes,  éd.  Dupont,  I,  374). 

4.  Sur  le  rôle  important  que  le  duc  de  Bourbon  et  l'arche- 
vêque de  Lyon,  son  frère,  jouèrent  en  cette  occasion,  voy.  Raw- 
don  Brown,  Calendar  of  State  papers,  etc.,  t.  I,  p.  132. 


344  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1475 

ensemble  en  gênerai,  le  roy  fist  tout  reculer  et  par- 
lèrent à  privé  ensemble,  où  aussi  ilz  furent  et  demou- 
rerent  une  espace  de  temps^.  Et,  au  département,  fut 
publié  que  l'appoinctement  estoit  fait  entre  eulx  tel 
qu'il  s'ensuit  :  c'est  assavoir  que  tresves  estoient 
accordées  entr'eulx  pour  le  temps  de  sept  ans,  qui 
commencèrent  ledit  xxix®  jour  d'aoust  l'an  LXXV  et 
finiroient  à  pareil  et  semblable  jour,  qui  sera  mil 
IIIP  IIIP''  et  deux.  Laquelle  trêve  seroit  marchande, 
et  pourroient  aler  venir  lesdiz  Anglois  par  tout  le 
royaume  armez  et  non  armez,  pourveu  qu'ilz  ne 
seroient  en  armes  en  une  compaignie  plus  que  de  cent 
hommes-.  Et  fut  publiée  ladicte  trefve  à  Paris ^,  Amiens 
et  autres  lieux  du  royaume  de  France  ;  et  puis  fut 
baillé  audit  roy  d'Angleterre  lx  et  xv™  escuz  d'or.  Et 
si  fist  le  roy  d'autres  dons  particuliers  à  aucuns  sei- 
gneurs d'autour  dudit  Edouart  et  aux  heraulx  et  trom- 
petes  de  ladicte  compaignie,  qui  en  firent  grant  feste 
et  bruit,  en  criant  à  haulte  voix  :  Largesse  au  très 
noble  et  puissant  roy  de  France!  Largesse!  Largesse! 
Et  si  promist  encores  audit  Edouart  lui  paier  et  don- 
ner par  chascune  desdictes  sept  années,  par  chascune 
d'icelle[s]    cinquante  mil  escuz,    et  si   festoya   bien 

1.  Après  un  discours  prononcé  par  Thomas  Scot,  évêque  de 
Lincoln  et  grand  chancelier  d'Angleterre,  les  lettres  du  traité 
furent  déployées  et  les  deux  rois  les  approuvèrent,  puis,  une 
main  sur  le  missel  et  l'autre  sur  la  vraie  croix,  ils  jurèrent  d'en 
observer  le  contenu.  Après  quoi,  Louis  XI,  «  qui  se  monstroit 
avoir  auctorité  en  ceste  compaignie,  »  fit  retirer  tout  le  monde 
et  parla  seul  à  seul  à  Edouard  IV  (Ibid.,  I,  376  et  suiv.). 

2.  Rymer,  Acla  et  fwdcra,  t.  V,  part.  III,  p.  65  et  suiv. 

3.  Les  «  trêves  et  abstinences  do  guerre  »  furent  criées  et 
publiées  dans  les  rues  de  Paris  le  h  septembre  1475  (Arch.  nat., 
reg.  des  Bannières  Y  7,  fol.  149  v°). 


1475]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  345 

fort  le  duc  de  Clairence,  frère  dudit  roy  d'Angleterre, 
et  lui  donna  de  beaux  dons.  Et  puis  le  roy  Edouart 
retira  tous  ses  Anglois  qu'il  avoit,  tant  de  son  ost  que 
autres  qu'il  avoit  envoiez  à  Abbeville,  Peronne  et  ail- 
leurs, et  fist  trousser  et  baguer  tout  son  bagaige  et 
s'en  retourna  à  Calais  pour  passer  la  mer  et  s'en  aler 
en  son  royaume  d'Angleterre^.  Et  le  convoya  jusques 
audit  Calais  maistre  Jehan  Héberge,  evesque  d'Evreux. 
Et  si  laissa  ledit  roy  Edouart  au  roy  deux  barons  d'An- 
gleterre, l'un  nommé  le  seigneur  de  Hauart  et  l'autre 
le  grant  escuier  d'Angleterre^,  jusques  à  ce  que  le  roy 
eust  eu  aucunes  choses  que  ledit  Edouart  lui  devoit 
envoier  du  royaume  d'Angleterre  ;  et  lesquelz  seigneur 
de  Hauart  et  grant  escuier  estoient  fort  amis  et  en  la 
grâce  dudit  Edouart  et  qui  avoient  esté  moien  de 
faire  ladicte  paix,  tresve  et  autres  traictiez  entre  iceulx 
roys^;  et  furent  icellui  Hauart  et  escuier  fort  festoiez 
à  Paris.  Et  puis  le  roy,  mesdiz  seigneurs  de  Bourbon, 
Lion  et  autres  seigneurs,  qui  estoient  à  Amiens,  s'en 
retournèrent  à  Senlis,  où  ilz  furent  une  espace  de 
temps.  Et  ordonna  le  roy  gens  de  sa  maison  pour  con- 
duire et  mener  ledit  seigneur  de  Hauart  parmy  ladicte 
ville  de  Paris  et  autres  lieux,  et  entre  autres  y  ordonna 

1.  Interpolations  et  variantes,  §  CXVIII. 

2.  Cf.  Gommynes,  éd.  Dupont,  I,  360.  —  John  Howard,  pre- 
mier duc  de  Norfolk  de  la  maison  de  Howard  (28  juin  1483),  né 
vers  1430,  était  fils  de  sir  Robert  Howard  et  de  Marguerite  Mow- 
bray,  fille  de  Thomas,  duc  de  Norfolk.  John  Howard  fut  marié  :  lo  à 
Catherine  Moleyns;  2°  à  Marguerite  Chedworth,  et  mourut  à  la 
bataille  de  Bosworth  (22  août  1485)  [Dictionary  of  national  bio- 
rjrapluj,  in-S",  1891).  —  John  Gheyne  est  qualifié  également  grand 
écuyer  du  roi  Edouard  IV  (master  of  the  horse)  par  Gommynes 
(éd.  Dupont,  I,  360,  note).  Il  vivait  encore  le  10  août  1480. 

3.  Interpolations  et  variantes,  §  GXIX. 


346  JOXJRNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1475 

et  bailla  la  charge  à  sire  Denis  Hesselin,  son  maistre 
d'ostel  et  esleu  de  Paris,  qui  en  fist  bien  son  devoir, 
à  i'onneur  et  loenge  du  roy  ;  et  demourerent  en  ladicte 
ville  par  l'espace  de  huit  jours  entiers,  où  ilz  furent 
bien  fort  festiez  et  menez  jouer  au  bois  de  Vincennes 
et  autres  lieux  ;  et  entre  autres  furent  bien  fort  festiez 
aux  Tournelles,  en  l'ostel  du  roy,  et,  pour  ce  faire, 
leur  fut  envoyé  pour  les  honnestement  entretenir  plu- 
sieurs dames,  damoiselles  et  bourgoises  ;  et  puis  s'en 
retourna  ledit  seigneur  de  Hauart  pardevers  le  roy, 
qui  estoit  à  la  Victoire  près  Senlis^. 

Et,  oudit  moys  de  septembre,  le  roy,  qui  estoit 
audit  lieu  de  la  Victoire,  s'en  ala  vers  le  pays  de  Sois- 
sonnois  et  à  Nostre-Dame  de  Lience-,  et  en  ce  voyage 
print  et  reduisy  en  ses  mains  la  ville  de  Saint-Quentin, 
que  monseigneur  le  connestable  avoit  prinse  et  usur- 
pée sur  lui,  et  bouté  hors  ceulx  à  qui  le  roy  en  avoit 
baillé  la  charge,  ainsi  que  dit  est  devant^.  Et,  aupara- 
vant, ledit  connestable  s'en  estoit  aie  et  avoit  haban- 
donné  ses  villes  et  places  pour  aler  avec  et  en  l'obéis- 
sance du  duc  de  Bourgongne.  Et,  qui  pis  estoit,  avoit 
cscript  et  mandé  au  roy  Edouart  d'Angleterre,  après 
le  traictié  par  lui  fait  avecques  le  roy,  et  qu'il  estoit 
retourné  à  Calais  pour  passer  mer  et  retourner  en 
Angleterre,  qu'il  estoit  ung  lasche,  deshonnoré  et 
povre  roy  d'avoir  fait  ledit  traictié  avec  le  roy,  soubz 
umbre  des  promesses  que  le  roy  lui  avoit  faictes,  dont 


\.  3-H  septembre  1475  (Itin.  cité). 

2.  Notre-Darae-de-Liesse,  auj.  dép.  de  l'Aisne,  arr.  de  Laon. 

3.  C'est  le  14  septembre,  au  soir,  que  Louis  XI,  averti  que  le 
connétable  allait  introduire  le  duc  de  Bourgogne  dans  Saint- 
Quentin,  y  fit  entrer  en  toute  hâte  des  troupes. 


1475]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  347 

il  ne  lui  tiendroit  rien,  et  que  en  fin  s'en  trouveroit 
deceu.  Lesquelles  lettres  ainsi  audit  Edouart  escriptes, 
il  envoya  dudit  lieu  de  Calais  au  roy,  qui  bien  appar- 
ceut  que  ledit  connestable  n'estoit  point  féal  comme 
estre  devoit*.  Et  puis  fut  donné  congié  par  le  roy 
ausdiz  de  Hauart  et  grant  escuier  d'eulx  en  retourner 
oudit  royaume  d'Angleterre,  et  leur  fut  donné  de 
beaulx  dons,  tant  en  or  que  en  vaisselle  d'or  et  d'ar- 
gent. Et  si  fist  le  roy  publier  à  Paris  qu'on  leur  lais- 
sast  prendre  des  vins  ou  pays  de  France  tant  que  bon 
leur  sembleroit,  pour  mener  en  Angleterre,  en  le 
paiant. 

Oudit  moys  d'octobre,  le  roy,  qui  estoit  aie  à  Ver- 
dun ^  et  autres  places  environ  la  duchié  de  Lorraine, 
retourna  à  Senlis  et  à  la  Victoire.  Et  y  vindrent  l'am- 
baxade  de  Bretaigne,  qui  firent  la  paix  entre  le  roy 
et  ledit  duc  de  Bourgongne^,  qui  renonça  à  toutes 
aliances  et  scellez  qu'il  avoit  fait  et  baillez  contre  le 
roy.  Et  pareillement  ledit  monseigneur  de  Bourgongne 
print  et  accepta  tresves  marchandes  avecques  le  roy, 
pareillement  que  la  tresve  des  Anglois^. 

Et  le  lundi,  xvi®  jour  dudit  moys  d'octobre,  oudit 
an  mil  IIIP  LXXV,  fut  publiée  solennellement  au  son 

1.  Cf.  Molinet,  I,  178. 

2.  A  la  fin  de  septembre  (Ordonnances,  XVIII,  137).  Il  était  de 
retour  à  Senlis  et  à  la  Victoire  le  9  octobre,  et  y  resta  jusque  vers 
le  10  novembre. 

3.  Le  traité  de  paix  perpétuelle  et  d'alliance  avec  la  Bretagne 
(le  chroniqueur  a  écrit  par  erreur  Bourgogne)  est  daté  de  Notre- 
Dame-de-la-Vicloire  le  9  octobre  ;  il  fut  confirmé  par  Louis  XI 
le  16  du  même  mois  et  le  5  novembre  par  le  duc  François  (Len- 
glet,  m,  430-441). 

4.  Interpolations  et  variantes,  §  GXX. 


348  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1475 

de  deux  trompettes  et  par  les  carrefours  de  la  ville 
de  Paris  ladicte  tresve  marchande  d'entre  le  roy  et 
mondit  seigneur  de  Bourgongne,  pour  le  temps  et 
terme  de  neuf  ans  commençans  le  xiii®  jour  de  sep- 
tembre oudit  an  et  finissans  à  semblable  jour  l'an  mil 
IIIP IIIF''  et  IIII  ;  par  laquelle  toute  marchandise  doit 
avoir  cours  par  tout  le  royaume  de  France,  et,  ce 
temps  durant,  chascun  peut  retourner  en  ses  posses- 
sions immeubles^.  Et  puis  le  roy  s'en  retourna  à  Saint- 
Denis,  et  puis  à  Savignys  près  Montlehery,  et  de  là  au 
Boys  Malesherbes,  et  en  après  à  Orléans,  à  Tours  et 
à  Amboise^. 

Et,  le  lundi  xx^  jour  de  novembre,  oudit  an  LXXV, 
fut  mené  escarteler  aux  haies  de  Paris,  par  arrest  de 
la  court  de  Parlement,  ung  gentilhomme,  natif  de 
Poictou,  nommé  Regnault  de  Veloux,  serviteur  et  fort 
familier  de  monseigneur  du  Maine,  pour  occasion  de 
ce  que  ledit  Regnault  avoit  fait  plusieurs  voyages  par- 
devers  divers  seigneurs  de  ce  royaume  et  conseillé  de 
faire  plusieurs  traictiez  et  porté  plusieurs  scellez  contre 
et  ou  préjudice  du  roy,  dudit  royaume  et  de  la  chose 
publique.  Et  fut  ledit  Regnault,  par  l'ordonnance  de 
ladicte  court,  fort  secouru  pour  le  fait  de  son  ame  et 
conscience,  car  il  lui  fut  baillé  le  curé  de  la  Magda- 
leine,  penancier  de  Paris  et  moult  notable  clerc,  doc- 

i.  Basin  exprime  la  satisfaction  que  la  trêve  de  neuf  ans  causa 
dans  les  deux  pays,  particulièrement  parmi  les  marchands,  qui, 
depuis  cinq  années,  ne  pouvaient  exercer  leur  commerce  (II,  367). 

2.  Le  roi  passa  le  12  novembre  à  Savigny-sur-Orge  (auj.  dép. 
de  Soinc-et-Oise,  cant.  de  Longjumeau),  et  rentra  au  Plessis  avant 
le  25  du  même  mois  [Ordonnances,  XVIII,  151)  :  il  y  demeura 
du  milieu  de  décembre  à  la  mi-février. 


1475]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  349 

leur  en  théologie,  et  deux  grans  elers  de  l'ordre  des 
Gordeliers,  et  furent  pendus  ses  membres  aux  quatre 
portes  de  Paris  et  le  corps  d'icellui  au  gibet  ^. 

Et,  pour  ce  que  par  le  roy  nostre  sire,  d'une  part, 
et  ses  ambasseurs  pour  lui  et  les  ambasseurs  de  mon- 
seigneur de  Bourgongne,  ou  moys  d'octobre  derre- 
nier  passé,  en  faisant  par  eulx  la  tresve  de  neuf  ans 
entre  eulx  deux  dont  est  faicte  mencion  devant,  avoit 
esté  promis  de  par  ledit  duc  de  Bourgongne  de  mettre 

1.  Interpolations  et  variantes,  §  GXXI.  —  Regaault  de  Velort 
avait  fait  partie  des  cent  gentilshommes  de  la  garde  du  roi,  dont 
il  quitta  l'hôtel  pour  se  rendre  auprès  du  duc  de  Galabre,  comte 
du  Maine,  qui  fit  de  lui  son  chambellan,  puis  le  capitaine  de  ses 
archers.  Il  fut  accusé  d'avoir  joué  un  rôle  dans  la  grande  cons- 
piration de  1475,  dont  le  connétable  avait  été  l'instigateur  et  qui 
avait  pour  objet  de  saisir  la  personne  du  roi  et  de  lui  enlever 
la  direction  du  gouvernement.  Le  rôle  joué  auprès  du  duc  de 
Galabre  par  les  émissaires  du  comte  de  Saint-Pol,  Hector  de 
l'Écluse  et  Robert  de  Marburi,  fut  identique  à  celui  que  les 
agents  du  connétable  avaient  joué  auprès  du  duc  de  Nemours  : 
annoncer  le  débarquement  des  Anglais,  l'appointement  du  duc 
de  Bourgogne  avec  l'empereur,  inquiéter  le  prince  sur  les  pro- 
jets du  roi  à  son  égard...  Velort  fut  donc  accusé  d'avoir  poussé 
son  maître  à  écouter  les  propositions  du  connétable;  de  n'avoir 
point  ignoré  qu'il  y  avait  eu  entre  eux  échange  de  scellés;  de 
s'être  à  plusieurs  reprises,  pendant  l'été  de  1475,  dissimulé  aux 
environs  du  château  d'Angers  pour  en  épier  les  défenses  et  exa- 
miner le  moyen  de  l'arracher  au  roi  ;  enfin  d'avoir  servi  d'inter- 
médiaire pour  la  conclusion  entre  le  duc  de  Bretagne  et  le  duc 
de  Galabre  d'une  alliance  défensive  contre  Louis  XI,  voire  d'un 
traité  d'alliance  offensive  qui  recevrait  son  exécution  dès  que  les 
Anglo-Bourguignons  tiendraient  la  campagne.  L'accusé  fut  inter- 
rogé par  les  commissaires  du  roi,  en  présence  de  Philippe  de 
Gommynes  et  d'Ymbert  de  Batarnay,  et,  malgré  ses  réserves  et 
ses  dénégations,  il  fut  condamné  à  mort  pour  crime  de  lèse-majesté 
(Bibl.  nat.,  ms.  fr.  18442,  fol.  130-143  v°.  Fragment  d'interro- 
gatoire). 


I 


350  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1475 

et  livrer  es  mains  des  gens  et  ambasseurs  du  roy  ledit 
connestable  de  France  S  nommé  messire  Loys  de 
Lucembourg,  fut  par  ledit  de  Bourgongne  baillé  et 
livré  ledit  connestable  es  mains  de  monseigneur  l'ad- 
mirai, bastard  de  Bourbon,  de  monseigneur  de  Sainct- 
Pierre,  de  monseigneur  du  Bouschage,  de  maistre 
Guillaume  de  Gerisay  et  autres  plusieurs  2.  Et  par  tous 
les  dessus  nommez  en  fut  amené, prisonnier  en  la  ville 
de  Paris  et  mené  par  dehors  les  murs  d'icelle  du 
costé  des  champs  à  l'entrée  de  la  Bastide  Saint-An- 
thoine;  laquelle  entrée  ne  fut  point  trouvée  ouverte, 
et  pour  ce  fut  ordonné  et  amené  ledit  monseigneur 
le  connestable  passer  parmy  la  porte  Saint-Anthoine 
au  dedens  de  ladicte  ville  et  mis  en  ladicte  Bastide. 
Et  estoit  ledit  monseigneur  le  connestable  vestu  et 
habillé  d'une  cape  de  camelot^,   doublée  de  veloux 

1.  Interpolations  et  variantes,  §  GXXII.  —  Sur  l'arrestation  du 
connétable,  voy.  Molinet,  I,  180. 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  GXXIII.  —  Basin  fait  ressortir 
l'odieux  de  la  conduite  du  duc  de  Bourgogne,  qui  trahit  le  sauf- 
conduit  que  lui-même  avait  fait  remettre  au  comte  de  Saint-Pol 
pour  se  réfugier  à  Mons.  Il  faut  ajouter  que,  jusqu'au  der- 
nier moment,  les  gens  du  duc  poursuivirent  un  ignoble  marchan- 
dage afin  d'obtenir  pour  leur  maître,  entre  autres  avantages,  les 
quelques  seigneuries  omises  au  traité  passé  avec  le  roi  de  France 
le  13  septembre  précédent,  traité  qui  transportait  dès  lors  au 
Bourguignon  tous  les  biens  meubles  du  connétable,  ses  villes, 
châteaux  et  seigneuries  de  Ham,  Bobain  et  Beaurevoir,  ou  bien 
(l'option  lui  étant  réservée  jusqu'au  20  décembre)  lui  donnait  la 
faculté  de  conserver  les  places  qu'il  avait  saisies  en  Lorraine 
(Lettres  de  Louis  XI  datées  de  Savigny-sur-Orge,  12  novembre 
1475,  dans  Lenglet,  III,  443  et  suiv.).  Charles  lo  Hardi  choisit 
les  places  lorraines  (Lettre  de  Louis  XI  datée  du  Plessis,  le 
18  décembre  1475.  Ibid.,  III,  448  et  suiv.). 

3.  Étoffe  de  poil  ou  de  laine. 


1475]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  351 

noir,  dedens  laquelle  il  estoit  fort  embrunché^;  et 
estoit  monté  sur  ung  petit  cheval  bayart  à  cours  crins, 
et  en  ses  mains  avoit  unes  moufles  fort  velues.  Et  oudit 
estât,  après  ce  qu'il  fut  descendu  oudit  lieu  de  la  Bas- 
tide, trouva  ilec  monseigneur  le  chancelier,  le  premier 
président,  et  les  autres  presidens  en  la  court  de  Par- 
lement et  plusieurs  conseillers  d'icelle  court;  et  aussi 
y  estoit  sire  Denis  Hesselin,  maistre  d'ostel  du  roy 
nostre  sire,  qui  tous  ilec  le  receurent  et  après  s'en 
départirent  et  laissèrent  en  la  garde  de  Philippe  Luil- 
1er,  cappitaine  dudit  lieu  de  la  Bastide.  Et  auquel  lieu 
de  la  Bastide  ledit  monseigneur  l'admirai  présenta  ledit 
connestable  ausdiz  chancelier,  presidens  et  autres  des- 
susnommez,  où  il  profera  et  dist  telles  ou  semblables 
paroles  en  effect  et  substance  ;  «  Messeigneurs,  qui 
icy  estes  tous  presens,  veez  cy  monseigneur  de  Saint- 
Pol,  lequel  le  roy  m'avoit  chargé  d'aler  quérir  par- 
devers  monseigneur  le  duc  de  Bourgongne,  qui  lui 
avoit  promis  le  lui  faire  bailler,  en  faisant  avecques  le 
roy  son  dernier  appoinctement  de  la  tresve  entre  eulx. 
En  fournissant  à  laquelle  promesse,  le  me  a  fait  bailler 
et  délivrer  pour  et  ou  nom  du  roy.  Et  depuis  l'ay  bien 
gardé  jusques  à  présent  que  je  le  metz  et  baille  en 
vos  mains  pour  lui  faire  son  procès  le  plus  diligem- 
ment que  faire  le  pourrez,  car  ainsi  m'a  chargié  le  roy 
de  le  vous  dire.  »  Et  à  tant  s'en  party  ledit  monsei- 
gneur l'admirai  dudit  Heu  de  la  Bastide.  Et,  après 
que  ledit  connestable  ot  ainsi  esté  laissé  es  mains  des 
dessus  nommez,  monseigneur  le  chancelier^,  premier 

1.  C'est-à-dire  dans  laquelle  il  avait  enfoui  son  visage. 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  GXXIV. 


352  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1475 

et  second  presidens  de  Parlement,  et  autres  notables 
et  sages  personnes  en  bien  grant  nombre  vaquèrent  et 
entendirent  à  bien  grant  diligence  et  solicitude  à  faire 
ledit  procès,  et,  en  faisant  icellui,  interroguerent  ledit 
seigneur  de  Saint-Pol  sur  les  charges  et  crimes  à  lui 
mis  sus  et  imposez  :  ausquelz  interrogatoires  il  res- 
pondi  de  bouche  sur  aucuns  poins.  Lesquelz  interro- 
gatoires et  confessions  furent  mis  au  net  et  envoiez 
devers  le  roy  ^ . 

Et,  le  lundi  im^jour  de  décembre,  ouditan  LXXV, 
advint  que  ung  herault  du  roy,  nommé  Montjoye, 
natif  du  pays  de  Picardie,  et  qui  faisoit  la  pluspart  de 
sa  résidence  avecques  ledit  seigneur  de  Saint-Pol,  lui 
estant  connestable,  vint  et  arriva,  lui  et  ung  sien  filz, 
en  la  ville  de  Paris,  pardevers  maistre  Jehan  de  la 
Driesche,  président  des  Comptes  et  trésorier  de  France, 
natif  du  pays  de  Breban,  pour  lui  apporter  lettres 
de  par  le  conte  de  Merle  ^,  sa  femme  et  enfans,  afin 
de  secourir  et  aider  par  lui,  en  ce  que  possible  lui 
seroit,  audit  connestable,  père  dudit  conte  de  Merle. 
Lesquelles  lettres  il  ne  voult  pas  recevoir  d'icellui 
herault,  sinon  en  la  présence  de  mondit  seigneur  le 
chancellier  et  des  gens  du  conseil  du  roy.  Et,  à  ceste 
cause,  ledit  de  la  Driesche  mena  et  conduisy  ledit 
herault  jusques  au  logeis  dudit  monseigneur  le  chan- 
cellier, afin  que  par  lui  lesdictes  lettres  feussent  veues 

1.  Interpolations  et  variantes,  §  GXXV.  —  Voy.  ces  procès- 
verbaux  au  manuscrit  français  4795  de  la  Bibliothèque  nationale, 
pap.,  xv«  s. 

2.  Jean,  comte  de  Marie  et  de  Soissons,  fils  du  premier  mariage 
du  comte  de  Saint-Pol  avec  Jeanne  de  Bar,  chevalier  de  la  Toi- 
son d'or,  fut  tué  à  la  bataille  de  Morat,  le  22  juin  i476. 


1475]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  353 

et  ce  qui  dedens  y  estoit  contenu.  Mais,  pour  ce  que 
ledit  maistre  Jehan  de  la  Driesche  demoura  lonsue- 
ment  au  conseil  avec  icellui  monseigneur  le  chancel- 
lier  et  autres,  ledit  Montjoye  et  sondit  filz  s'en  retour- 
nèrent en  leur  logis,  et  ilec  montèrent  incontinent  à 
cheval  et  s'en  alerent  au  giste  au  Bourgel^  combien 
que  à  leur  partement  ilz  dirent  à  leur  hoste  que,  se 
aucun  les  demandoit,  qu'il  deist  qu'ilz  s'en  estoient 
alez  au  giste  au  Bourg  la  Royne^.  Et,  quant  ledit  de  la 
Driesche  cuida  trouver  ledit  herault  pour  avoir  les- 
dictes  lettres,  ne  le  trouva  point  ;  pourquoy  fut  hasti- 
vement  envoyé  après  ledit  herault  jusques  au  Bourg  la 
Royne,  où  il  ne  fut  point  trouvé  ;  mais  fut  trouvé  par 
deux  archers  de  la  ville  de  Paris  audit  lieu  du  Bour- 
geel,  et  par  eulx  ramené  le  diraenche,  tiers  jour  de 
décembre,  oudit  an,  qui  fut  mené  et  conduit  jusques 
en  rOstel  d'icelle  ville,  et  ilec,  devant  les  gens  et 
conseil  à  ce  ordonnez,  fut  ledit  Montjoye  et  sondit  filz 
chascun  à  part  interrogué,  et  furent  leurs  deposicions 
rédigées  et  mises  par  escript  par  ledit  sire  Denis 
Hesselin.  Et  après  ce,  furent  lesdiz  Montjoye  et  sondit 
filz  mis  et  laissez  en  la  garde  de  Denis  Baudart,  archer 
de  ladicte  ville,  et  en  son  hostel  ;  ouquel  lieu  il  fut  et 
demoura  par  l'espace  de  xxv  jours,  et  ilec  bien  et 
diligemment  gardé  avec  sondit  filz  par  trois  des  archers 
de  ladicte  ville. 

Oudit  temps,  au  commencement  du  moys  de  décem- 
bre, fut  amené  le  conte  de  Roussy^,  qui  prisonnier 

1.  Le  Bourget,  auj.  dép.  de  la  Seine,  cant.  de  Pantin. 

2.  Bourg-la-Reine,  même  dép.,  cant.  de  Sceaux. 

3.  Antoine   de   Luxembourg,   fait  prisonnier  au    combat   de 
Guipy  (voy.  plus  haut,  p.  335j. 


354  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1475 

estoit  dedens  la  grosse  tour  de  BourgesS  jusques  au 
Plessis  du  Parc,  autrement  dit  les  Motiz  lez  Tours,  où 
le  roy  estoit,  et  ilec  fut  parler  à  lui  et  lui  fist  plusieurs 
grandes  remonstrances  des  grandes  folies  esquelles 
par  long  temps  il  s'estoit  entremis,  et  comment  il 
avoit  du  roy  mal  parlé  durant  ce  qu'il  avoit  esté  et  soy 
porté  son  ennemy,  et  fait  plusieurs  grans  et  énormes 
maulx  à  ses  villes,  pays  et  subgetz,  comme  mareschal 
de  Bourgongne  pour  le  duc  dudit  lieu,  et  comment 
villainement  et  honteusement  il  avoit  esté  prins  pri- 
sonnier par  les  gens  du  roy,  qui  pour  lui  estoient  en 
armes  oudit  pays  de  Bourgongne,  soubz  la  charge  de 
monseigneur  le  duc  de  Bourbonnoys,  et  par  ledit  de 
Roussy  baillée  sa  foy  au  seigneur  de  Combronde^,  et 
comment  il  l'avoit  acheté  de  mondit  seigneur  le  duc 
xxii"^  escuz  d'or.  Et  lui  fist  le  roy  de  grans  paours  et 
esfroiz,  dont  ledit  de  Roussy  cuida  avoir  froide  joye 
de  sa  peau^.  Mais,  en  conclusion,  le  roy  le  mist  à 
XL™  escuz  de  raençon,  et  lui  fut  par  lui  donné  terme 
de  les  trouver  et  rapporter  devers  le  roy  dedens  deux 
moys  après  ensuyvans,  pour  tous  termes  et  délais,  et 
que  autrement  et  où  il  y  aroit  faulte  dedens  ledit 
terme,  qu'il  feust  asseuré  qu'il  mourroit. 

Et,  depuis  ces  choses,  fut  procédé  par  toute  dili- 
gence à  faire  le  procès  dudit  connestable  par  mesdiz 
seigneurs  le  chancelier,  presidens  et  conseillers  clers 
et  laiz  de  la  court  de  Parlement,  lesdiz  de  Saint-Pierre, 


1.  Forteresse  célèbre  dans  l'histoire  du  xv^  siècle  et  de  laquelle 
relevaient  plusieurs  fiefs. 

2.  Bèrault  Dauphin. 

3.  On  dit  dans  le  même  sens  :  avoir  la  chair  de  poule  (Lacurne 
de  Sainte-Palaye,  Dict.  de  l'anc.  langage  fYançais,  éd.  Favre). 


1475]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  355 

Hesselin  et  autres  à  ce  faire  ordonnez  et  appeliez. 
Lequel  procès  veu,  fut  par  eulx  conclud  tellement 
que,  le  mardi  xix^  jour  de  décembre,  oudit  an  mil 
IIII''  LXXV,  fut  ordonné  que  ledit  connestable  seroit 
mis  et  tiré  hors  de  sa  prison  et  amené  en  la  court  de 
Parlement  pour  lui  dire  et  declairer  le  dictum  donné 
et  conclut  à  l'encontre  de  lui  par  icelle  court  de  Par- 
lement. Et  fut  à  lui,  ledit  jour  de  mardi,  en  la  chambre 
et  logis  dudit  connestable  en  icelle  Bastide,  ledit  mon- 
seigneur de  Saint-Pierre,  qui  de  lui  avoit  la  garde  et 
charge;  lequel,  en  entrant  en  la  chambre,  lui  fut  par 
lui  dit  :  «  Monseigneur,  que  faictes  vous?  Dormez 
vous?  »  Lequel  connestable  lui  respondi  :  «  Nennil, 
long  temps  a  que  ne  dormy,  mais  suis  icy  où  vous 
me  voiez  pensant  et  fantasiant^.  »  Auquel  ledit  de 
Saint-Pierre  dist  qu'il  estoit  nécessité  qu'il  se  levast 
pour  venir  en  ladicte  court  de  Parlement,  pardevant 
les  seigneurs  d'icelle  court,  pour  lui  dire  par  eulx 
aucunes  choses  qu'ilz  lui  avoient  à  dire  touchant  son 
fait  et  expedicion,  ce  que  bonnement  ne  povoit  mieulx 
faire  que  en  ladicte  court,  en  lui  disant  aussi  par  ledit 
de  Saint-Pierre  qu'il  avoit  esté  ordonné  que  avecques 
lui  et  pour  le  acompaigner  y  seroit  et  viendroit  mon- 

l.  B  Et,  quant  il  (Saint-Pierre)  fut  entré,  le  trouva  couché  au 
lit,  dénué  de  tous  ses  gens  ;  et,  après  qu'il  l'eut  salué,  mons.  le 
connestable  lui  demanda  de  quelle  main  il  se  seigneroit  pour  la 
journée,  et  led.  seigneur  respondit  :  «  De  telle  main  que  vous 
«  avez  accoustumé  de  faire,  i  Puis  il  se  leva  et  habilla,  et  en 
partant  de  son  logis  fit  le  signe  de  la  croix  et  dist  :  «  A  Dieu  je 
«  me  recommande.  »  Puis  monta  à  cheval  et  fut  amené  au  Palais 
jusques  à  la  table  de  marbre;  et  le  greffier  de  Parlement  estant 
illec  et  qui  le  hayoit  le  plus  lui  lut  certains  articles,  en  l'inter- 
rogeant et  disant  :  «  Monseigneur,  est  il  ainsi?  »  Et  il  respondit  ': 
«  Oye  »  (Molinet,  I,  182.  Cf.  Basin,  II,  375  et  suiv.). 

I  25 


356  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1475 

seigneur  Robert  d'Estouteville,  chevalier,  prevost  de 
Paris.  Dont  de  ce  ledit  connestable  fut  ung  peu  espo- 
venté  pour  deux  choses  que  lors  il  declaira  :  !a  pre- 
mière, pour  ce  qu'il  cuidoit  qu'on  le  voulsist  mettre 
hors  de  la  possession  dudit  Philippe  Luiller,  cappitaine 
d'icelle  Bastide,  avecques  lequel  il  s'estoit  bien  trouvé 
et  l'avoit  fort  agréable,  pour  le  mettre  es  mains  dudit 
d'Estouteville,  qu'il  reputoit  estre  son  ennemy,  et  que, 
s'il  y  estoit,  doubtoit  qu'il  lui  feist  desplaisir,  et  aussi 
qu'il  craignoit  le  populaire  de  Paris  et  de  passer  parmy 
eulx.  A  toutes  lesquelles  doubtes  ainsi  faictes  par  ledit 
connestable  lui  fut  solu  et  dit  par  ledit  seigneur  de 
Saint-Pierre  que  ce  n'estoit  point  pour  lui  changer  son 
logeis,  et  qu'il  le  meneroit  seurement  audit  lieu  du 
Palais,  sans  lui  faire  aucun  mal.  Et  à  tant  s'en  party 
dudit  lieu  de  la  Bastide,  monta  achevai  et  ala  jusques 
audit  Palais,  tousjours  ou  mylieu  desdiz  d'Estouteville 
et  de  Saint-Pierre,  qui  le  firent  descendre  aux  degrez 
de  devant  la  Porte  aux  Merciers^  d'icelle  court  de 
Parlement.  Et,  en  montant  lesdiz  degrez,  trouva  ilec 
ledit  seigneur  de  Gaucourt  et  Hesselin  qui  le  saluèrent 
et  lui  firent  le  bien  veignant,  et  icellui  connestable  leur 
rendi  leur  salut.  Et  puis  après,  après  qu'il  fut  monté, 
le  menèrent  jusques  en  la  Tour  Criminelle-  dudit  Par- 
lement, où  il  trouva  monseigneur  le  chancellier,  qui  à 
lui  s'adreça,  en  lui  disant  telles  paroles  :  a  Monsei- 
gneur de  Saint-Pol,  vous  avez  esté  par  cy  devant  et 

1.  La  grande  porte  du  Palais,  rue  de  laBarillerie,  ouvrait  sur  la 
cour  de  Mai,  d'où  l'on  accédait  à  la  galerie  des  Merciers  par  un 
perron  appelé  les  Degrés  aux  Merciers  (Aubert,  le  Parlement  de 
Paris...,  son  organisation,  etc.,  appendice,  p.  390). 

2.  Ou  Tournelle  Criminelle. 


1475]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  357 

jusques  à  présent  tenu  et  réputé  Je  plus  sage  et  le 
plus  constant  chevalier  de  ce  royaume;  et,  puis  don- 
ques  que  tel  avez  esté  jusques  à  maintenant,  il  est 
encores  mieulx  requis  que  jamais  que  aiez  meilleure 
constance  que  onques  vous  n'eustes.  »  Et  puis  lui 
dist  :  «  Monseigneur,  il  fault  que  ostiez  d'autour  de 
vostre  col  l'ordre  du  roy  que  y  avez  mise.  »  A  quoy 
il  respondi  que  voulentiers  il  le  feroit,  et  de  fait  mist 
la  main  pour  la  cuider  oster,  mais  elle  tenoit  par  der- 
rière à  une  espingle.  Il  pria  audit  de  Saint-Pierre  qu'il 
lui  aidast  à  l'avoir,  ce  qu'il  fist,  et  icelle  baisa  et  bailla 
audit  monseigneur  le  chancellier.  Et  puis  lui  demanda 
mondit  seigneur  le  chancellier  où  estoit  son  espée, 
qui  baillée  lui  avoit  esté  en  le  faisant  connestable,  qui 
respondi  qu'il  ne  l'avoit  point,  et  que,  quant  il  fut 
mis  en  arrest,  que  tout  lui  fut  osté  et  qu'il  n'avoit 
riens  avecques  lui  autrement  que  ainsi  qu'il  estoit 
quant  il  fut  amené  prisonnier  en  ladicte  Bastide  ;  dont 
par  mondit  seigneur  le  chancellier  fut  tenu  pour 
excusé,  et  à  tant  se  départi  mondit  seigneur  le  chan- 
cellier. Et,  tout  incontinent  après,  y  vint  et  arriva 
maistre  Jehan  de  Poupaincourt,  président  en  ladicte 
court,  qui  lui  dist  autres  paroles  telles  qui  s'ensui- 
vent :  a  Monseigneur,  vous  savez  que  par  l'ordon- 
nance du  roy  vous  avez  esté  constitué  prisonnier  en  la 
Bastide  Saint-Anthoine  pour  raison  de  plusieurs  cas  et 
crimes  à  vous  mis  sus  et  imposez.  Ausquelles  charges 
avez  respondu  et  esté  ouy  en  tout  ce  que  avez  voulu 
dire  et  sur  tout  avez  baillé  voz  excusacions.  Et,  tout 
bien  veu  à  bien  grant  et  meure  deliberacion,  je  vous 
diz  et  declaire  et  par  arrest  d'icclle  court  que  vous 
estes  criminelx  de  crime  de  lèse  majesté  et  comme  tel 


358  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1475 

estes  condempné  par  icelle  à  souffrir  mort  dedens  le 
jour  d'uy,  c'est  assavoir  que  vous  serez  décapité 
devant  l'Ostel  de  ceste  ville  de  Paris,  et  toutes  voz 
seigneuries,  revenues  et  autres  héritages  et  biens 
declairez  acquis  et  confisquez  au  roy  nostre  sire^.  » 
Duquel  dictum  et  sentence  il  se  trouva  fort  perplex  et 
non  sans  cause,  car  il  ne  cuidoit  point  que  le  roy  ne 
sa  justice  le  deussent  faire  niourir.  Et  dist  alors  et 
respondi  :  «  Ha,  ha!  Dieu  soit  loué,  veez  cy  bien  dure 
sentence;  je  lui  supplie  et  requier  qu'il  me  doint  grâce 
de  bien  le  recognoistre  au  jour  d'uy.  »  Et  si  dist  alors 
à  Mons.  de  Saint-Pierre  :  «  Ha,  ha  !  monseigneur  de 
Saint-Pierre,  ce  n'est  pas  cy  ce  que  m'avez  tousjours 
dit;  »  et  à  tant  se  retray,  et  fu  mis  et  baillé  es  mains 
de  quatre  notables  docteurs  en  théologie,  dont  l'un 
estoit  cordelier,  nommé  maistre  Jehan  de  Sordun, 
l'autre  augustin,  le  tiers  penancier  de  l'église  de  Paris, 
et  le  quart  est  nommé  maistre  Jehan  Hue,  curé  de 
Saint-Andry  des  Ars,  doien  de  la  faculté  de  théologie 
audit  lieu  de  Paris  ;  ausquelz  et  à  mondit  seigneur  le  chan- 
cellier  il  requist  qu'on  luy  baillast  le  corps  de  Nostre 
Seigneur  ;  ce  qui  ne  lui  fut  point  accordé,  mais  lui  fu 
fait  chanter  une  messe  devant  lui,  dont  il  se  contenta 
assez.  Et,  icelle  dicte,  lui  fut  baillé  de  l'eaue  benoiste 
et  du  pain  benoist  dont  il  menga,  mais  il  ne  but  ne 
but  point  lors  ne  depuis.  Et  puis  demoura  avecques 
lesdiz  confesseurs  jusques  à  entre  une  et  deux  heures 

i.  Cf.  Molinet  (I,  183),  qui  met  dans  la  bouche  du  seigneur  de 
Gaucourt  le  discours  attribué  plus  exactement  sans  doute  par 
notre  chroniqueur  au  président  Jean  de  Popincourt.  On  trou- 
vera le  texte  de  l'arrêt  aux  Interpolations  cl  variantes,  §  CXX.VI. 
Cf.  Bibl.  nat.,  ms.  fr.  1707,  fol.  38-4(t  v».  Copie  sur  pap.  du  xv"  s., 
et  Lenglet,  III,  454  et  suiv. 


1475]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  359 

après  midi  dudit  jour,  qu'il  descendi  dudit  Palais  et 
remonta  à  cheval  pour  venir  en  l'Ostel  de  ladicte  ville, 
où  estoient  fais  plusieurs  eschafaux  pour  son  execu- 
cion*.  Et  avecques  lui  y  estoient  le  greffier  de  ladicte 
court  et  huissiers  d'icelle.  Et  oudit  Hostel  de  la  ville 
descendi  et  fut  mené  au  bureau  dudit  Hostel,  contre 
lequel  il  y  avoit  ung  grant  eschafault  drecié  ;  et  au  joi- 
gnant d'icellui  on  venoit  par  une  alée  de  bois  à  ung 
autre  petit  eschafault,  là  où  il  fut  exécuté^.  Et  en  icel- 
lui  bureau  fut  ilec  avec  sesdiz  confesseurs  faisant  de 
grans  et  piteux  regrés,  et  y  fist  ung  testament  tel  quel 
et  soubz  le  bon  plaisir  du  roy,  que  ledit  sire  Denis 
Hesselin  escripvy  soubz  lui^.  En  faisant  lesquelles 
choses  il  demoura  oudit  bureau  jusques  à  trois  heures 
dudit  jour,  qu'il  yssy  hors  d'icellui  bureau  et  s'en  vint 
getter  au  bout  dudit  petit  eschafFault  et  mettre  la  face, 
les  deux  genolz  flechiz,  devant  l'église  Nostre-Dame 

1.  Quand  le  connétable  et  les  personnages  qui  l'accompagnaient 
eurent  gravi  les  marches  du  grand  échafaud,  le  greffier  donna 
lecture  au  peuple  de  la  confession  du  condamné  et  de  l'arrêt  qui 
le  frappait  de  mort.  Il  y  avait  sous  l'échafaud  une  foule  immense, 
car  de  bien  longtemps  les  Parisiens  n'avaient  joui  d'un  pareil 
spectacle.  Basin,  qui  fournit  ces  détails  (II,  376),  ajoute  que, 
même  après  qu'il  eut  été  dépouillé  du  collier  de  l'ordre  et  des 
insignes  de  son  rang,  Saint-Pol  croyait  encore  à  la  possibilité 
d'une  grâce. 

2.  «  Erat  autem  illic  velut  tribunal  magnum  et  altum  in  medio 
(plateee)  exstructum  et  erectum  cum  gradibus,  ut  ad  ipsius  cul- 
men  scanderetur,  satis  magnitice  de  ligno  fabricatum.  Pannis 
quidem  de  veluto  nigro  ita  velatum  vestitumque  erat  ut  lignea 
machina  minime  cerneretur  »  (Basin,  loc.  cit.). 

3.  Ce  testament,  ou,  pour  mieux  dire,  ce  codicille,  a  été  imprimé 
par  Lenglet  (III,  450-452).  Il  porte  la  mention  :  «  Escript  en 
l'hostel  de  la  ville,  le  dix-neuviesme  jour  de  décembre  1475.  »  Ces 
dispositions  complètent  le  testament  que  le  connétable  avait 
fait  à  Péronne  le  24  novembre  précédent  et  qu'on  trouve  aussi 
dans  Lenglet  {ibid.}. 

I  25* 


360  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1475 

de  Paris,  pour  y  faire  son  oroison,  laquelle  il  tint  assez 
longue,  en  doloreux  pleur  et  grande  contricion,  et 
tousjours  la  croix  devant  ses  yeulx,  que  lui  tenoit 
ledit  maistre  Jehan  Sordun,  laquelle  souvent  il  bai- 
soit  en  bien  grant  révérence  et  moult  piteusement  pleu- 
rant. Et,  après  sadicte  oroison  ainsi  faicte  et  qu'il  se 
fut  levé  debout,  vint  à  lui  Petit  Jehan,  fîlz  de  Henry 
Cousin^,  maistre  de  la  haulte  justice,  qui  lui  apporta 
une  moienne  corde  dont  il  lya  les  deux  mains  dudit 
de  Saint-Pol,  ce  qu'il  soufFry  bien  benignement.  Et, 
en  après,  le  mena  ledit  Petit  Jehan  et  fist  monter 
dessus  ledit  petit  eschafault,  dessus  lequel  il  se 
arresta  et  tourna  le  visaige  pardevers  lesdiz  chancellier, 
deGaucourt,  prevost  de  Paris,  seigneur  de  Saint-Pierre, 
greffier  civil  de  ladicte  court,  dudit  (sic)  sire  Denis 
Hesselin  et  autres  officiers  du  roy  estans  ilec  en  bien 
grant  nombre,  en  leur  criant  mercy  pour  le  roy  et  leur 
requérant  qu'ilz  eussent  son  ame  pour  recommandée, 
non  pas,  comme  il  leur  dist,  qu'il  n'entendoit  pas  qu'il 
leur  coustast  riens  du  leur;  et  aussi  se  retourna  au 
peuple  estant  du  costé  du  Saint-Esperit  ^  en  leur  sup- 
pliant aussi  de  prier  pour  son  ame.  Et  puis  s'en  ala 
mettre  à  deux  genolz  dessus  ung  petit  carreau  de 
layne  aux  armes  de  ladicte  ville,  qu'il  mist  à  point 
et  remua  de  l'ung  de  ses  piez,  où  il  fut  ilec  dihgem- 
ment  bandé  par  les  yeux  par  ledit  Petit  Jehan,  tous- 
jours  parlant  à  Dieu  et  à  sesdiz  confesseurs  et  souvent 
baisant  ladicte  croix.  Et  incontinent  ledit  Petit  Jehan 
saisy  son  espée,  que  sondit  père  lui  bailla^,  dont  il  lui 

1.  Interpolations  et  variantes,  §  GXXVII. 

2.  Derrière  l'hôtel  de  ville. 

3.  Henri  Cousin,  maître  exécuteur  des  hautes  œuvres,  toucha 
peu  de  temjis  après  60  1.  t.  pour  l'acquisition  d'une  grande  épée 


1475]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  361 

fist  voler  la  teste  de  dessus  les  espaules  si  tost  et  tran- 
sitivement que  son  corps  chey  à  terre  avant  que  la 
testée  Laquelle  teste  incontinent  après  fut  prinse  par 
les  cheveulx  par  icellui  Petit  Jehan  et  mise  laver  en 
ung  seau  d'-eaue  estant  près  d'ilec,  et  puis  mise  sur  les 
apuyes  dudit  petit  eschafault  et  monstrée  aux  regar- 
dans  ladicte  execucion,  qui  estoient  bien  11"=  mil  per- 
sonnes et  mieulx. 

Et,  après  ladicte  execucion  ainsi  faicte,  ledit  corps 
mort  fut  despoullié  et  mis  avecques  ladicte  teste  tout 
ensevelir  dedens  ung  beau  drap  de  lin,  et  puis  bouté 
dedens  ung  sarcueil  de  bois  que  ledit  sire  Denis  Hes- 
selin  avoit  fait  faire.  Et  lequel  corps,  ainsi  ensevely 
que  dit  est,  fut  venu  quérir  par  l'ordre  des  Gordeliers 
de  Paris  et  sur  leurs  espaules  l'emportèrent  inhumer 
en  leur  eghse^;  etausquelz  Gordeliers  ledit  Hesselin  fist 
bailler  XL  torches  pour  faire  le  convoy  dudit  corps, 
après  lequel  il  fut  et  le  convoya  jusques  audit  lieu  des 
Gordeliers.  Et  le  lendemain  y  fist  aussi  faire  ung  beau 
service  en  ladicte  église  ;  et  aussi  en  fut  fait  service  à 
Saint- Jehan  en  Grève  ^,   là  où  estoit   aussi  sa  fosse 

à  feuille  avec  son  fourreau,  et  pour  avoir  t  fait  rhabiller  la  vieille 
epée  »  qui  avait  été  ébréchée  lors  de  l'exécution  du  connétable 
(Sauvai,  Antiq.  de  Paris,  TU.,  429). 

1 .  Interpolations  et  variantes,  §  GXXVIII.  —  Au  moment  de  l'exé- 
cution, les  draperies  et  autres  ornements  qui  décoraient  le  petit 
échafaud  furent  enlevés,  afin  que  la  foule  pût  jouir  à  son  aise  du 
dénoùment  du  drame  et  en  gardât  le  souvenir.  On  sait  que  le 
connétable  était  détesté  des  Parisiens  (Basin,  II,  377). 

2.  Interpolations  et  variantes,  §  GXXIX.  Cf.  Molinet,  I,  184  et 
suiv.  —  Le  couvent  et  l'église  des  Gordeliers  ou  frères  mineurs, 
établis  à  Paris  depuis  le  milieu  du  xui«  siècle,  étaient  situés  entre 
les  portes  Saint-Germain  et  Saint-Michel,  dans  la  ville  et  contre 
le  mur  d'enceinte. 

3.  Saint-Jean-en-Grève,  derrière  l'Hôtel  de  Ville.  —  Voici  un 


60  1.  »»  s.  »  d. 


60  1. 


•1  1.  10  s.  3  d. 


362  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1475 

iaicte,  cuidaat  qu'on  l'y  deust  enterrer,  et  y  eust  esté 
mis,  n'eust  esté  que  ledit  Sordun  dist  à  icellui  de 
Saint-Pol  que  en  leurdicte  église  y  avoit  enterré  une 
contesse  de  Saint-Pol  et  qu'il  devoit  mieulx  vouloir  y 

extrait  du  troisième  compte  de  Denis  Hesselin,  receveur  de  la 
ville  de  Paris,  qui  se  rapporte  aux  dépenses  occasionnées  à  la 
ville  par  l'exécution  du  connétable  : 

«  Aux  sergens  qui  gardèrent  de  presse  avec 
les  archers  de  la  ville  de  Paris,  depuis'  que  ledit 
de  Luxembourg  partit  du  Palais,  et  assistèrent  à 
laditte  exécution  et  convoj'  du  corps,  et  pour 
grande  quantité  de  boulayes  baillez  ausdits  ser- 
gens pour  faire  serrer  les  gens 

«  Au  capitaine  desdits  archers,  pour  luy  et 
pour  eux 

«  Pour  un  coffre  de  bois  auquel  a  esté  mis  le 
corps  dudit  deffunt,  après  qu'il  a  esté  exécuté    . 

«  Pour  deux  draps  de  Un  baillés  par  deux 
sœurs  de  la  chapelle  Auldry,  dont  a  esté  ense- 
vely  ledit  corps,  et  pour  les  salaires  desdittes 
deux  sœurs  d'avoir  lavé  et  ensevely  icelluy.     .     3  1.    2  s.  6  d. 

«  Pour  42  torches,  chacunes  de  2  1.  de  cire, 
4  cierges  de  8  1.,  13  autres  cierges  de  13  1.,  et 
26  pointes  ^  de  6  1.  et  demy,  dont  a  esté  conduit 
le  corps  dudit  deffunt  en  laditte  egUse  des  Gor- 
deUers 

«  80  messes  basses  et  3  haultes  en  laditte  eghse 
et  pour  la  fosse 

<  Au  religieu  frère  mineur  qui  a  assisté  à  laditte 
exécution 

€  Pour  vigilie  à  S*^- 

«  Aux  Jacobins  .... 

«  Aux  Augustins    .     .     . 

«  Aux  Carmes    .... 

«  Aux  S^'-Innocens     .     . 

«  Pour  cierges  ausdittes  églises 

t  Total.     .    . 
(Bibl.  nat.,  mss.,  Nouv.  acq.  fr.  3243,  fol.  11;  cop.  mod.) 
1.  Chandelles  de  cire. 


27  1.  17  s.  6  d. 


23  1.  19  s.  9  d. 


.     .    .10  1. 

»»  s.  »  d. 

.     .     .  13  1. 

16  s.  9  d. 

...81. 

7  s.  6  d. 

...81. 

5  s.  »  d. 

...81. 

5  s.  0  d. 

...il. 

10  s.  .  d. 

...31. 

»*  s.  >  d. 

.     .     .  94  1. 

19  s.  6  d.» 

1475]  OU  CHRONIQUE  SCAND.\LEUSE.  363 

estre  enterré  que  en  nulle  autre  part;  dont  icellui  de 
Saint-Pol  fut  bien  content  et  pria  à  ses  juges  que  son- 
dit  corps  feust  porté  ausdiz  Cordeliers. 

Et  est  vray  que,  après  ladicte  sentence  ainsi  declai- 
rée  à  part  audit  defunct  de  Saint-Pol,  que  dit  est,  fut 
tout  son  procès  bien  au  long  declairé  au  grant  parc 
de  ladicte  court  et  à  huis  ouvers  * .  Ouquel  procès  fut 
dit  et  declairé  de  moult  merveilleux  et  énormes  cas  et 
crimes  avoir  esté  fais  et  perpétrez  par  ledit  de  Saint- 
Pol  et  en  iceulx  maulx  soy  estre  entretenu,  continué 
et  maintenu  par  long  temps  et  par  diverses  foiz.  Et 
entre  autres  choses  fut  dit  et  recité  comment  lesdiz  de 
Bourgongne  et  de  Saint-Pol  avoient  envoyé,  de  la  par- 
tie d'icellui  de  Bourgongne,  messire  Philippe  Bouton 
et  messire  Philippe  Pot,  chevaliers,  et,  de  la  partie 
dudit  connestable,  Hector  de  l'Escluse,  pardevers 
monseigneur  le  duc  de  Bourbon,  afin  de  esmouvoir 
mondit  seigneur  de  Bourbon  de  soy  eslever  et  estre 
contre  le  roy  et  soy  départir  de  sa  bonne  loyaulté. 
Ausquelz  fut  dit  pour  ledit  seigneur  par  la  bouche  du 
seigneur  de  Fleurac,  son  chambellan,  qu'ilz  s'abu- 
soient,  et  que  ledit  seigneur  aymeroit  mieulx  mourir 
que  d'estre  contre  le  roy;  et  n'en  orent  plus  pour  ceste 
foiz^.  Et  que,  depuis  ce,  ledit  de  l'Escluse  y  retourna 

1.  Peu  de  jours  après  l'exécution  du  connétable,  le  texte  com- 
plet de  l'arrêt  de  condamnation  fut  «  divulgué  par  pays.  »  Moli- 
net  l'a  reproduit  t.  I,  p.  186-190. 

2.  Hector  de  l'Escluse,  seigneur  du  Mas  en  Bourbonnais, 
figure  au  mois  d'août  1469  parmi  les  hommes  d'armes  de  l'or- 
donnance du  roi  (Arch.  nat.,  JJ  195,  fol.  77).  Au  printemps  de 
l'année  1475,  il  faisait  partie  de  97  hommes  d'armes  dont  le  comte 
de  Saint-Pol  avait  la  charge.  Sur  les  missions  dont  il  fut  charg»'' 
par  le  connétable,  voyez  les  lettres  de  rémission  que  Louis  XI 
lui  accorda  CArch.  nat.,  JJ  204,  n»  38),  sa  déposition  au  procès  du 


364  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE  [1475 

de  rechef,  qui  dist  audit  monseigneur  de  Bourbon  que 
ledit  connestable  lui  mandoit  par  lui  que  les  Anglois 
descendroient  en  France  et  que  sans  difficulté,  à  l'aide 
dudit  connestable,  ilz  aroient  et  emporteroient  tout  le 
royaume  de  France  ;  et  que,  pour  eschever  sa  perdi- 
cion  et  de  ses  villes  et  pays,  ledit  seigneur  de  Bour- 
bon voulsist  estre  et  soy  alier  avecques  ledit  de  Bour- 
gongne  ;  et  lui  dist  que  en  ce  faisant  lui  en  viendroit 
de  grant  prouffit,  et  où  il  ne  le  vouldroit  faire  que 
bien  lui  en  convenist  et  que  s'il  lui  en  prenoit  mal 
qu'il  ne  seroit  pas  à  plaindre.  Lequel  mondit  seigneur 
de  Bourbon  dist  et  respondit  audit  de  l'Escluse  (ju'il 
n'en  feroit  riens  et  qu'il  aimeroit  mieulx  estre  mort  et 
avoir  perdu  son  vaillant  et  devenir  en  aussi  grant 
captivité  et  povreté  que  fut  onques  Job,  que  de  con- 
sentir faire  ne  estre  fait  quelque  chose  que  ce  feust  qui 
fust  au  dommage  ou  préjudice  du  roy  ;  et  à  tant  s'en 
retourna  ledit  Hector  sans  autre  chose  faire.  Et,  par 
avant  ces  choses,  mondit  seigneur  envoya  au  roy  les- 
dictes  lettres  de  seellé  dudit  connestable,  par  lesquelles 
apparoit  la  grande  trahison  dudit  connestable  et  plu- 
sieurs autres  grans  cas,  trahisons  et  mauvaistiez  que 
a  voit  confessées  en  sondit  procès  ledit  connestable,  bien 

duc  de  Nemours  (Bibl.  Sainte-Geneviève,  LF,  fol.  100  v°  et  suiv., 
et  les  documents  cités  dans  Jacques  d'Armagnac...,  p.  70).  Au 
mois  d'avril  1477,  Louis  fit  don  à  Hector  de  l'Escluse,  devenu 
son  écuyer  d'écurie,  de  la  baronnie  de  la  Bove  enLaonnois,  con- 
fisquée sur  Philippe  de  Croy  (Arch.  nat.,P  2300,  fol.  281).  -  On 
trouvera  de  même  dans  les  documents  indiqut's  le  récit  des  négo- 
ciations dont  Philippe  Bouton,  bailli  de  Dijon,  et  Philippe  Pot, 
seigneur  de  la  Roche-Nolay,  furent  chargés  par  le  duc  de  Bour- 
gogne, et  celui  de  l'entrevue  du  seigneur  de  Florac  avec  L'Es- 
cluse. La  déposition  de  Guillaume  de  la  Cueille,  seigneur  de 
Florac,  est  au  Procès  de  Nemours,  ms.  cité,  fol.  72  et  suiv. 


1475]  OU  CHRONIQUE  SCANDALEUSE.  365 

au  long  declairées  en  icellui  procès,  que  je  laisse  icy 
pour  cause  de  briefté. 

Et,  si  est  vérité  que  ledit  connestable,  après  ce  qu'il 
ot  esté  confessé  et  qu'il  vouloit  venir  oudit  eschafault, 
dist  et  declaira  à  sesdiz  confesseurs  qu'il  avoit  dedens 
son  pourpoint  lxx  demys  escuz,  qu'il  tira  hors  d' icel- 
lui, en  priant  audit  cordelier  qu'il  les  donnast  et  dis- 
tribuast  pour  Dieu  et  en  aumosne  pour  son  ame  et  en 
sa  conscience.  Lequel  cordelier  lui  dist  qu'ilz  seroient 
bien  emploiez  aux  pauvres  enfans  novices  de  leur 
maison  ;  et  autant  lui  en  dist  ledit  confesseur  augustin 
des  enfans  de  leur  maison.  Et,  pour  tous  les  appaiser, 
dist  et  respondi  icellui  defunct  connestable  à  sesdiz 
confesseurs  qu'il  prioit  à  tous  lesdiz  quatre  confesseurs 
que  chascun  d'eulx  en  prensist  la  quarte  partie  et  que 
en  leurs  consciences  la  distribuassent  là  où  ils  ver- 
roient  qu'il  seroit  bien  employé.  Et  en  après  tira  ung 
petit  anneau  d'or  où  avoit  ung  dyamant,  qu'il  avoit 
en  son  doy,  et  pria  audit  penancier  qu'il  le  donnast  et 
presentast  de  par  luy  à  l'ymage  Nostre-Dame  de  Paris 
et  le  mist  dedens  son  doy,  ce  que  ledit  penancier  pro- 
mist  de  faire.  Et  puis  dist  encores  audit  cordelier  Sor- 
dun  :  «  Beau  père,  veez  cy  une  pierre  que  j'ay  lon- 
guement portée  en  mon  col  et  que  j'ay  moult  fort 
aymée,  pour  ce  qu'elle  a  moult  grande  vertu,  car  elle 
résiste  contre  tout  venin  et  préserve  aussi  de  toute 
pestilence.  Laquelle  pierre  je  vous  prye  que  portez 
de  par  moy  à  mon  petit  filz^  auquel  dictes  que  je  lui 

1.  Il  s'agit  probablement  ici  de  Louis  de  Luxembourg,  fils  de 
Pierre  de  Luxembourg  et  de  Marguerite  de  Savoie  et  petit-fils  du 
connétable,  auquel,  par  son  testament  du  24  novembre  1475,  il 
laissa  tous  les  meubles  dont  il  n'aurait  pas  disposé  le  jour  de  son 
trépas  (Lenglet,  III,  452).  Cet  enfant  mourut  jeune. 


366  JOURNAL  DE  JEAN  DE  ROYE.  [1475 

prye  qu'il  la  garde  bien  pour  l'amour  de  moy;  » 
laquelle  chose  lui  promist  de  le  faire.  Et  après  ladicte 
mort  mondit  seigneur  le  chancellier  interrogua  lesdiz 
quatre  confesseurs  s'il  leur  avoit  aucune  chose  baillé, 
qui  lui  dirent  qu'il  leur  avoit  baillé  lesdiz  demys  escuz, 
dyamant  et  pierre  dessus  declairée  ;  lequel  monsei- 
gneur le  chancelier  leur  respondy  que ,  au  regard 
d'iceulx  demys  escuz  et  dyamant,  ilz  en  feissent  ainsi 
que  ordonné  l'avoit,  mais  que,  au  regard  de  ladicte 
pierre,  qu'elle  seroit  baillée  au  roy  pour  en  faire  à  son 
bon  plaisir. 

Et  de  ladicte  execucion  ainsi  faicte  que  dit  est,  en 
fut  fait  ung  petit  epitaphe  tel  qui  s'ensuit  : 

Mil  1111=,  l'année  de  grâce 

LXXV,  en  la  granl  place, 

A  Paris,  que  l'en  nomme  Grève, 

L'an  que  fut  fait  aux  Angloys  tresve, 

De  décembre  le  xix, 

Sur  ung  escliafault  fait  de  neuf, 

Fut  amené  le  connestable, 

A  compaignie  grant  et  notable, 

Gomme  le  veult  Dieu  et  raison, 

Pour  sa  très  grande  trahison. 

Et  là  il  fut  décapité, 

En  ceste  très  noble  cité\ 

\.  Interpolations  et  variantes,  §  GXXX.  —  Cf.,  au  fol.  42  du 
ms.  fr.  1707  de  la  Bibl.  nat.  (xv*  s.),  la  Complainte  du  connestable, 
commençant  par  ces  mots  :  «  Mirez  vous  cy,  perturbateurs  de 
paix.  »  Cette  complainte  a  été  imprimée  par  Lenglet,  III,  458  et 
suiv.  Le  même  recueil  renferme  un  rondeau  et  dix  épitaphes  en 
vers  également  à  l'opprobre  du  comte  de  Saint-Pol. 


Nogent-ie-Rotrou,  imprimerio  Daupeley-Gouverneur. 


1 


BINDING  SECT.      JUL  23 1976 


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UNIVERSITY  OF  TORONTO  LIBRARY 


HF  Roye,  Jean  de 

R8895J  Journal;  ed,  Mandrot 

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